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18/10/2022 | FRANCE | N°20BX01025

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 18 octobre 2022, 20BX01025


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (F... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 5 juillet 2017 par lequel le préfet des Deux-Sèvres s'est opposé à la création d'une pisciculture, ainsi que la décision du 19 décembre 2017 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n° 1800460 du 16 janvier 2020, le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision du 19 décembre 2017 et a délivré à M. D... (F...) une décision de non opposition à s

a déclaration préalable pour la création de la pisciculture au lieu-dit les Fortunières, c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (F... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 5 juillet 2017 par lequel le préfet des Deux-Sèvres s'est opposé à la création d'une pisciculture, ainsi que la décision du 19 décembre 2017 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n° 1800460 du 16 janvier 2020, le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision du 19 décembre 2017 et a délivré à M. D... (F...) une décision de non opposition à sa déclaration préalable pour la création de la pisciculture au lieu-dit les Fortunières, commune de la Peyratte, telle que décrite dans le dossier déposé à la préfecture des Deux-Sèvres le 21 février 2017, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 18 mars 2020, 7 juillet et 25 novembre 2021, la ministre de la transition écologique et solidaire demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 16 janvier 2020 ;

2°) de rejeter l'ensemble des conclusions présentées par l'EIRL Top-Découp.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors qu'il n'est pas établi que la minute du jugement a été signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience, en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- en ne recherchant pas, dans le cadre d'une analyse globale le conduisant à se placer à l'échelle du territoire pertinent pour apprécier les effets du projet sur la gestion des eaux, si la décision contestée n'était pas incompatible avec les objectifs et les orientations fixés par le SDAGE, le tribunal a commis une erreur de droit et a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ;

- le projet litigieux est incompatible, à l'échelle du bassin du Thouet, avec l'orientation 1A du SDAGE Loire-Bretagne ;

- le projet n'est pas compatible avec l'orientation 1 E du SDAGE Loire-Bretagne ;

- le projet est incompatible avec l'orientation 8 B du SDAGE Loire Bretagne en ce que trois zones humides seront impactées par le projet ;

- trois zones humides identifiées dans le cadre de l'étude réalisée par le bureau d'études NCA seront impactées par le projet, représentant une superficie minimale de 1,76 hectare ; le projet de l'EIRL Tof-Découp était donc susceptible de relever du régime de l'autorisation en application de la rubrique 3.3.1.0 de la nomenclature des opérations soumises à autorisation ou à déclaration en application des articles L. 214-1 à L. 214-3 du code de l'environnement ; en conséquence, le tribunal ne pouvait délivrer lui-même la décision de non-opposition à déclaration.

Par deux mémoires enregistrés les 5 mai et 18 août 2021, le syndicat de valorisation et de promotion de la pisciculture (SYPOVE) conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le projet de pisciculture n'est pas incompatible avec les orientations 1A, 1E et 8 B du SDAGE Loire-Bretagne ;

- le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en délivrant la décision de non-opposition à l'EIRL Tof-Découp.

Par trois mémoires, enregistrés les 6 mai, 14 octobre et 10 décembre 2021, l'EIRL Tof-Découp, représentée par la SCP KPL Avocats, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est régulier dès lors que la minute du jugement respecte les dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- le projet de pisciculture n'est pas incompatible avec les orientations 1A, 1E et 8 B du SDAGE Loire-Bretagne ;

- le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en délivrant la décision de non-opposition à l'EIRL Tof-Découp.

Par une lettre du 16 août 2022, les parties ont été informées de ce que la cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de ce que la compatibilité du projet de pisciculture en litige doit s'apprécier, eu égard à l'office du juge de plein contentieux, au regard des règles de fond posées par le SDAGE Loire Bretagne en vigueur à la date à laquelle la cour statue, alors même que ce dernier a été adopté le 3 mars 2022, postérieurement à la décision contestée, question dont les parties n'ont pas débattu.

Par un mémoire du 5 septembre 2022, le syndicat de valorisation et de promotion de la pisciculture (SYPOVE) a présenté des observations en réponse au moyen d'ordre public.

Par un mémoire du 8 septembre 2022, le ministre de la transition écologique et solidaire a présenté des observations en réponse au moyen d'ordre public.

Par un mémoire du 12 septembre 2022, l'EIRL Tof Découp, représentée par la SCP KPL Avocats, a présenté des observations en réponse au moyen d'ordre public.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- le code civil ;

- le code de l'environnement ;

- la loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l'environnement ;

- l'arrêté du 24 juin 2008 précisant les critères de définition et de délimitation des zones humides en application des articles L. 214-7-1 et R. 211-108 du code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E... A...;

- les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public ;

- et les observations de Me Pielberg, représentant l'EIRL Tof Découp et de M. B... C..., membre du conseil d'administration du syndicat de valorisation et de promotion de la pisciculture Poitou Charentes Vendée.

Une note en délibéré présentée par le syndicat de valorisation et de promotion de la pisciculture Poitou Charentes Vendée a été enregistrée le 28 septembre 2022.

Considérant ce qui suit :

1. Le 21 février 2017, l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) M. G... D... (F...), a déposé un dossier de déclaration au titre de l'article L. 214-3 du code de l'environnement, complété le 9 mai 2017, pour la création d'une pisciculture constituée de trois plans d'eau d'une surface totale de 2,59 hectares au lieu-dit " Les Fortunières " sur le territoire de la commune de la Peyratte. Par un arrêté du 5 juillet 2017, le préfet des Deux-Sèvres s'est opposé à cette déclaration. Le 16 août 2017, l'EIRL Tof-Découp a formé un recours gracieux, rejeté par une décision préfectorale du 19 décembre 2017. L'EIRL Tof-Découp a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 5 juillet 2017 ainsi que la décision du 19 décembre 2017 rejetant son recours gracieux. Par la présente requête, la ministre de la transition écologique et solidaire relève appel du jugement du 16 janvier 2020 en tant que le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision du 19 décembre 2017, a délivré à l'EIRL Tof-Découp une décision de non opposition à sa déclaration préalable pour la création de la pisciculture au lieu-dit les Fortunières, commune de la Peyratte, telle que décrite dans le dossier déposé à la préfecture des Deux-Sèvres le 21 février 2017 et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice.

Sur l'intervention du syndicat de valorisation et de promotion de la pisciculture Poitou-Charentes Vendée :

2. Le litige dans lequel le syndicat de valorisation et de promotion de la pisciculture Poitou Charentes Vendée est intervenant relève du plein contentieux dans une matière pour laquelle aucune loi spéciale n'a prévu de dispense du ministère d'avocat. Par suite, cette intervention qui est présentée sans le ministère d'un avocat n'est pas recevable.

Sur la régularité du jugement :

3. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".

4. Il ressort de la minute du jugement attaqué qu'elle a été signée par le rapporteur, le président et le greffier, conformément aux prescriptions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative cité au point précédent. La circonstance que l'ampliation du jugement qui a été notifiée aux parties ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la régularité de ce jugement.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

5. Aux termes du III de l'article L. 212-1 du code de l'environnement : " Chaque bassin ou groupement de bassins hydrographiques est doté d'un ou de plusieurs schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux fixant les objectifs visés au IV du présent article et les orientations permettant de satisfaire aux principes prévus aux articles L. 211-1 et L. 430-1 (...) ". Aux termes du XI du même article : " Les programmes et les décisions administratives dans le domaine de l'eau doivent être compatibles ou rendus compatibles avec les dispositions des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux ".

6. Il résulte des dispositions citées au point précédent que les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) doivent se borner à fixer des orientations et des objectifs, ces derniers pouvant être, en partie, exprimés sous forme quantitative. Les autorisations délivrées au titre de la législation de l'eau sont soumises à une simple obligation de compatibilité avec ces orientations et objectifs. Pour apprécier cette compatibilité, il appartient au juge administratif de rechercher, dans le cadre d'une analyse globale le conduisant à se placer à l'échelle de l'ensemble du territoire couvert, si l'autorisation ne contrarie pas les objectifs qu'impose le schéma, compte tenu des orientations adoptées et de leur degré de précision, sans rechercher l'adéquation de l'autorisation au regard chaque disposition ou objectif particulier.

7. En premier lieu, le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux Loire Bretagne adopté le 3 mars 2022 comprend une orientation 1 A intitulée " préservation et restauration du bassin versant " qui souligne que " la préservation et la restauration d'éléments tels que (...) les têtes de bassin versant (...) constituent des leviers transversaux d'une gestion intégrée de la ressource en eau, permettant d'agir sur la qualité des eaux, la disponibilité de la ressource en eau et les fonctionnalités des milieux aquatiques ". L'orientation 1B de ce même SDAGE intitulée " prévenir toute dégradation des milieux ", prévoit en son point 1B-1 que " Lorsque les mesures envisagées ne permettent pas, en application de la séquence ERC, d'éviter, de réduire significativement ou, en dernier recours, de compenser les effets négatifs des projets pour respecter les objectifs des masses d'eau et des zones protégées concernées, au sens du IV de l'article L. 212-1 du code de l'environnement, ceux-ci font l'objet d'un refus (...) ".

8. En deuxième lieu, la disposition 1E du SDAGE Loire Bretagne adopté le 3 mars 2022, intitulée " Limiter et encadrer la création de plans d'eau " prévoit au point 1E-1 que " Les projets de création de plans d'eau ayant un impact sur le milieu devront justifier d'un intérêt économique et/ ou collectif " et au point 1E-2 que " La mise en place de nouveaux plans d'eau n'est possible qu'en dehors des zones suivantes : / a) les bassins versants classés en zone de répartition pour les eaux* superficielles (...) ". Il résulte du point 1E-3 du même SDAGE que " La mise en place de nouveaux plans d'eau ou la régularisation de plans d'eau ni déclarés ni autorisés sera possible sous réserve du cumul des critères suivants : (...) / que les plans d'eau soient isolés du réseau hydrographique, y compris des eaux de ruissellement, par un dispositif de contournement garantissant le prélèvement du strict volume nécessaire à leur usage, et qu'en dehors du volume et de la période autorisés pour le prélèvement, toutes les eaux arrivant en amont de l'ouvrage ou à la prise d'eau, à l'exception des eaux de drainage* agricole, soient transmises à l'aval, sans retard et sans altération. Pour les régularisations, s'il est démontré que la mise en œuvre de ce critère n'est pas possible techniquement ou n'est réalisable qu'à un coût disproportionné au regard des bénéfices attendus*, des solutions alternatives au contournement peuvent être acceptées, à condition qu'elles permettent de maîtriser les prélèvements et de limiter les altérations des eaux (...) ".

9. En troisième lieu, le chapitre 8 du SDAGE intitulé " préserver et restaurer les zones humides ", dispose en son article 8B-1, que " les maîtres d'ouvrage de projets impactant une zone humide cherchent une autre implantation à leur projet, afin d'éviter de dégrader la zone humide. / À défaut d'alternative avérée et après réduction des impacts du projet, dès lors que sa mise en œuvre conduit à la dégradation ou à la disparition de zones humides, la compensation vise prioritairement le rétablissement des fonctionnalités. / À cette fin, les mesures compensatoires proposées par le maître d'ouvrage doivent prévoir la recréation ou la restauration de zones humides, cumulativement : / • équivalente sur le plan fonctionnel, / • équivalente sur le plan de la qualité de la biodiversité, / • dans le bassin versant de la masse d'eau (...) ".

10. Il résulte de l'instruction que le projet de l'EIRL Tof Découp consiste en la création de trois bassins à vocation de pisciculture, d'une surface totale de 2 hectares 59 ares, sur les parcelles cadastrées section AD n° 15, 470, 472, 473 et 474 au lieu-dit " Les Fortunières " sur le territoire de la commune de la Peyratte. Premièrement, le projet est situé en tête de bassin versant, à l'est du ruisseau du Pont Buret qui présente un état écologique moyen avec un objectif de bon état en 2021 et l'alimentation des enclos piscicoles par ruissellement, dans un ruisseau temporaire qui longe l'extrémité est de la parcelle AD 15 et alimente le ruisseau du Pont Buret en rive droite, aura pour effet de soustraire une partie de la ressource en eau. Eu égard aux dimensions des bassins, de 25 900 m² de surface sur 1,5 mètre de profondeur, 38 850 m3 d'eau sont nécessaires pour remplir la structure en entier et le projet sera alimenté par 20 720 m3 d'eaux de ruissellement en prenant en compte une pluviométrie de 800 mm/an. Si, compte tenu de la surface des bassins projetés, le pourcentage d'eaux de ruissellement prélevées, représente 10 % par rapport au petit bassin versant du Pont Buret en amont d'environ 20 hectares au lieu-dit " La Fortunières " et 0,00076% seulement par rapport au bassin versant du Thouet de 3 376 km², le projet est de nature à impacter défavorablement la tête de bassin qui constitue, aux termes du SDAGE, un levier transversal d'une gestion intégrée de la ressource en eau. Deuxièmement, le projet est situé dans le bassin versant du Thouet classé en zone de répartition pour les eaux superficielles. Si le porteur de projet souligne le caractère mesuré de la création de trois bassins alimentés par les seules eaux de ruissellement, le projet, qui au demeurant ne comprend pas de dispositif permettant de stopper l'alimentation en eau en période d'étiage, se cumulerait avec les 117 plans d'eau recensés à l'échelle de ce bassin versant dans lequel les auteurs du SDAGE ont entendu limiter la création des plans d'eau. Troisièmement, il résulte de l'instruction et notamment de l'inventaire des zones humides, du réseau hydrographique et des plans d'eau réalisé par le bureau d'études NCA Environnement en novembre 2014, établi conformément à la méthodologie définie par l'arrêté ministériel susvisé du 24 juin 2008 modifié, que des zones humides ont été identifiées sur les parcelles cadastrées section AD n° 15, 472, 473 et 474, terrain d'assiette du projet. La circonstance que ces parcelles ne contiennent pas de végétations hydrophiles et qu'elles correspondraient à des prairies n'est pas de nature à remettre en cause les conclusions de l'étude de caractérisation de l'hydromorphie des sols, dès lors que la morphologie des sols liée à la présence prolongée d'eau d'origine naturelle constitue un critère suffisant pour caractériser une zone humide au sens de l'article L. 211-1 du code de l'environnement tel que modifié par l'article 23 de la loi du 24 juillet 2019 susvisée. Ainsi, le projet engendrerait la dégradation ou à la disparition au moins partielle de zones humides. Dans ces conditions, bien que de dimension modeste, le projet en litige, qui ne correspond à aucun des objectifs du SDAGE et qui porte directement atteinte à ses orientations 1A, 1E et 8 B, n'est pas compatible avec les objectifs et les orientations du SDAGE pris dans leur ensemble. Par suite, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a retenu le moyen tiré de l'absence d'incompatibilité du projet en litige avec les objectifs et les orientations du SDAGE pris dans leur ensemble pour annuler la décision du 19 décembre 2017 de la préfète des Deux-Sèvres s'opposant à la déclaration préalable déposée par M. D... (F...).

11. Il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance et en appel par l'EIRL Tof-Découp à l'encontre de la décision contestée.

Sur les autres moyens :

12. Aux termes de l'article L. 214-3 du code de l'environnement : " I. Sont soumis à autorisation de l'autorité administrative les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d'accroître notablement le risque d'inondation, de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique, notamment aux peuplements piscicoles. (...) / II. Sont soumis à déclaration les installations, ouvrages, travaux et activités qui, n'étant pas susceptibles de présenter de tels dangers, doivent néanmoins respecter les prescriptions édictées en application des articles L. 211-2 et L. 211-3. / Dans un délai fixé par décret en Conseil d'Etat, l'autorité administrative peut s'opposer à l'opération projetée s'il apparaît qu'elle est incompatible avec les dispositions du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux ou du schéma d'aménagement et de gestion des eaux, ou porte aux intérêts mentionnés à l'article L. 211-1 une atteinte d'une gravité telle qu'aucune prescription ne permettrait d'y remédier. Les travaux ne peuvent commencer avant l'expiration de ce délai (...) ". L'article R. 214-1 du même code définit dans le tableau qui est annexé la nomenclature des installations, ouvrages, travaux et activités soumis à autorisation ou à déclaration en application des articles L. 214-1 à L. 214-6. Selon cette nomenclature, sont soumises à déclaration les opérations suivantes : " (...) 3.2.3.0. Plans d'eau, permanents ou non : (...) 2° Dont la superficie est supérieure à 0,1 ha mais inférieure à 3 ha (D) (...) ".

13. Il ressort des pièces du dossier que les plans d'eau déclarés par l'EIRL Tof-Découp présentent une superficie de 2,59 ha. Ainsi, les ouvrages projetés entrent dans le champ d'application de la rubrique 3.2.3.0 de la nomenclature annexée à l'article R. 214-1 du code de l'environnement. Le moyen tiré de ce que le projet en litige ne serait pas soumis à déclaration préalable n'est pas fondé.

14. Aux termes de l'article R. 214-35 du code de l'environnement dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " Le délai accordé au préfet par l'article L. 214-3 pour lui permettre de s'opposer à une opération soumise à déclaration est de deux mois à compter de la réception d'une déclaration complète. / Toutefois, si, dans ce délai, il apparaît que le dossier est irrégulier ou qu'il est nécessaire d'imposer des prescriptions particulières à l'opération projetée, le délai dont dispose le préfet pour s'opposer à la déclaration est interrompu par l'invitation faite au déclarant de régulariser son dossier ou de présenter ses observations sur les prescriptions envisagées, dans un délai fixé par le préfet et qui ne peut être supérieur à trois mois. / Lorsque le dossier est irrégulier, si le déclarant ne produit pas l'ensemble des pièces requises dans le délai qui lui a été imparti, l'opération soumise à déclaration fait l'objet d'une décision d'opposition tacite à l'expiration dudit délai ; l'invitation faite au requérant de régulariser son dossier mentionne cette conséquence (...) ".

15. Contrairement à ce que soutient l'EIRL Tof-Découp, le délai de deux mois prévu par l'article R. 214-35 du code de l'environnement alors applicable pour la naissance d'une absence d'opposition tacite a été interrompu par la demande de pièces complémentaires du 7 mars 2017 et n'a recommencé à courir qu'à compter du 24 mai 2017, date à laquelle le dossier a été considéré complet selon le récépissé du 31 mai 2017. Par suite, aucune décision tacite n'était née avant l'intervention de l'arrêté du 5 juillet 2017.

16. Il résulte de l'article L. 210-1 du code de l'environnement que " L'eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d'intérêt général (...) ". Les auteurs du SDAGE Loire-Bretagne ont défini des orientations pour une gestion équilibrée de la ressource en eau ainsi que des objectifs de qualité et de quantité des eaux à atteindre dans le bassin Loire-Bretagne qui n'excèdent pas les prescriptions de l'article L. 212-1 du code de l'environnement. Par suite, le moyen tiré de ce que les auteurs du SDAGE auraient porté atteinte au droit de propriété des cours d'eau non domaniaux garanti par la Constitution et au droit de tout propriétaire d'user et de disposer des eaux pluviales en vertu de l'article 641 du code civil doit être écarté.

17. Le moyen tiré par la voie de l'exception de l'illégalité du SDAGE approuvé par un arrêté du 18 novembre 2015 qui n'est plus en vigueur à la date à laquelle la cour statue, est inopérant. A supposer même que l'EIRL Tof-Découp ait entendu reprendre les moyens de légalité interne à l'encontre du SDAGE adopté le 3 mars 2022, en premier lieu, si les dispositions 1E2 interdisent la création de nouveaux plans d'eau piscicoles sur les zones de répartition des eaux, les auteurs du SDAGE ont entendu prévenir la détérioration et assurer la protection et l'amélioration de l'état des eaux et milieux aquatiques, pour atteindre et respecter les objectifs de qualité et de quantité des eaux mentionnées aux IV à VII de l'article L. 212-1 du code de l'environnement. En outre, le SDAGE n'instaure des dérogations à cette interdiction que pour les projets présentant un intérêt collectif tels que, notamment, les réserves de substitution d'eau, les plans d'eau des barrages destinés à l'alimentation en eau potable et les plans d'eau utilisés pour l'irrigation et l'abreuvement du bétail. Par suite, les pisciculteurs étant dans une situation différente au regard de l'objet du SDAGE, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit être écarté. En second lieu, cette disposition, qui est justifiée par les objectifs de qualité et de quantité des eaux et qui n'est pas manifestement inappropriée à l'objectif qu'elle poursuit, ne porte pas atteinte à la liberté d'entreprendre.

18. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre de la transition écologique et solidaire est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision du 19 décembre 2017, a délivré à l'EIRL Tof-Découp une décision de non-opposition à sa déclaration préalable pour la création de la pisciculture au lieu-dit les Fortunières, commune de la Peyratte, telle que décrite dans le dossier déposé à la préfecture des Deux-Sèvres le 21 février 2017 et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice.

Sur les frais liés au litige :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande l'EIRL Tof Découp au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention du syndicat de valorisation et de promotion de la pisciculture Poitou-Charentes Vendée n'est pas admise.

Article 2 : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 1800460 du 16 janvier 2020 du tribunal administratif de Poitiers sont annulés.

Article 3 : La demande présentée par l'EIRL Tof Découp devant le tribunal administratif de Poitiers et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'EIRL Tof Découp, au syndicat de valorisation et de promotion de la pisciculture Poitou-Charentes Vendée et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée à la préfète des Deux-Sèvres.

Délibéré après l'audience du 27 septembre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

Mme Claire Chauvet, présidente assesseure,

Mme Nathalie Gay, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 octobre 2022.

La rapporteure,

Nathalie A...La présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 20BX01025 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX01025
Date de la décision : 18/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Nathalie GAY
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : SCP PIELBERG KOLENC

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-10-18;20bx01025 ?
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