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11/10/2022 | FRANCE | N°22BX00605

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 11 octobre 2022, 22BX00605


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 3 décembre 2019 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a refusé de lui reconnaître la qualité d'apatride.

Par un jugement n° 2000897 du 28 septembre 2021, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour administrative d'appel :

Par une requête, enregistrée le 22 février 2022, M. C..., représenté pa

r Me Trébesses, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2000897 du tribunal administratif...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 3 décembre 2019 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a refusé de lui reconnaître la qualité d'apatride.

Par un jugement n° 2000897 du 28 septembre 2021, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour administrative d'appel :

Par une requête, enregistrée le 22 février 2022, M. C..., représenté par Me Trébesses, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2000897 du tribunal administratif de Poitiers du 28 septembre 2021 ;

2°) d'annuler la décision du 3 décembre 2019 du directeur général de l'OFPRA ;

3°) d'enjoindre au directeur général de l'OFPRA de lui reconnaître le statut d'apatride dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 80 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, dans le même délai, de procéder au réexamen de sa situation administrative ;

4°) de mettre à la charge de l'OFPRA le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- la décision est entachée d'un vice de procédure dès lors que l'entretien devant l'OFPRA s'est déroulé par le truchement d'un interprète en langue arabe et non en dialecte hassanya, ce qui ne lui a pas permis d'exposer sa situation ;

- elle est entachée d'une insuffisance de motivation et d'un défaut d'examen sérieux de sa situation particulière ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 1er de la convention de New York du 28 septembre 1954 ainsi que les dispositions de l'article L. 812-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que son apatridie est réelle et non volontaire et qu'il a produit des documents d'identité valables à l'appui de sa demande.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juin 2022, l'OFPRA, représentée par Me Cano, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 500 euros soit mise à la charge de M. C... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 décembre 2021 du bureau d'aide juridictionnelle.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de New York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides, publiée par le décret n° 60-1066 du 4 octobre 1960 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A... B...,

- et les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteure publique.

Une note en délibéré présentée par l'OFPRA a été enregistrée le 21 septembre 2022.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., se présentant comme né le 7 mars 1987 dans un camp de réfugiés sahraouis de Tindouf, sur le territoire algérien, de deux parents d'origine sahraouie, a déclaré être entré en France le 23 février 2019. Le 8 avril 2019, il a présenté une demande de reconnaissance de la qualité d'apatride auprès de l'OFPRA, qui l'a rejetée par décision du 3 décembre 2019. L'intéressé relève appel du jugement du 30 septembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 812-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " La qualité d'apatride est reconnue à toute personne qui répond à la définition de l'article 1er de la convention de New-York du 28 septembre 1954. Ces personnes sont régies par les dispositions applicables aux apatrides en vertu de cette convention. ". Aux termes de l'article 1er de la convention de New-York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides : " 1. Aux fins de la présente convention, le terme " apatride " désigne une personne qu'aucun Etat ne considère comme son ressortissant par application de sa législation. 2. Cette convention ne sera pas applicable : i) Aux personnes qui bénéficient actuellement d'une protection ou d'une assistance de la part d'un organisme ou d'une institution des Nations Unies autre que le haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, tant qu'elles bénéficieront de ladite protection ou de ladite assistance (...) ". L'article 2 de cette convention stipule que : " Cette Convention ne sera pas applicable : i) Aux personnes qui bénéficient actuellement d'une protection ou d'une assistance de la part d'un organisme ou d'une institution des Nations Unies autre que le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, tant qu'elles bénéficieront de ladite protection ou de ladite assistance ; ii) Aux personnes considérées par les autorités compétentes du pays dans lequel ces personnes ont établi leur résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays ; (...) ".

3. Pour rejeter la demande de reconnaissance de la qualité d'apatride qui lui a été présentée le 8 avril 2019, le directeur général de l'OFPRA, qui n'a pas sérieusement remis en cause les origines et la provenance des camps de réfugiés sahraouis en Algérie de M. C..., a néanmoins estimé que le requérant, qui, dans son formulaire de demande, déclarait être M. C..., présentait d'importantes différences physiques avec la photographie de la carte d'identité délivrée en 2011 par les autorités de la République arabe sahraouie démocratique à ce même nom et versée au dossier de demande. Toutefois, il ressort des pièces du dossier et notamment du document photographique joint au formulaire de demande déposé devant l'OFPRA que cette dissemblance physique, qui existe certes mais qui n'est pas flagrante, peut aisément s'expliquer par une évolution physique entre les années 2011 et 2019 ainsi que par les conditions sanitaires dégradées dans lesquelles vivait, en 2011, M. C..., qui se trouvait alors dans un camp de réfugiés. Par ailleurs, le requérant a versé devant les premiers juges la copie de la page d'informations biographiques de son passeport dit " de complaisance " établi par les autorités algériennes, qui lui était réclamé par l'OFPRA dans le cadre de l'instruction de son dossier pour prouver son identité, comportant une photo contemporaine de M. C... ainsi que des informations biographiques similaires à celles mentionnées sur la carte d'identité délivrée en 2011. A cet égard, contrairement à ce que fait valoir l'OFPRA, ce document d'identité peut valablement être pris en compte par le juge de l'excès de pouvoir, quand bien même il n'a pas été produit devant l'Office, dès lors qu'il a été délivré en février 2019, soit antérieurement à la date de la décision attaquée. Dans ces conditions, M. C... est fondé à soutenir qu'en refusant, au motif que l'identité de l'auteur de la demande d'apatridie n'avait pu être établie, de lui reconnaître la qualité d'apatride, le directeur général de l'OFPRA a méconnu les stipulations précitées de l'article 1er de la convention de New York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides et a entaché sa décision d'erreur d'appréciation.

4. Le tribunal ayant commis une erreur qui affecte le bien-fondé de son jugement, il appartient à la cour de se prononcer dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Or, le juge d'appel, auquel est déféré un jugement ayant rejeté au fond des conclusions sans que le juge de première instance ait eu besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées devant lui, ne peut faire droit à ces conclusions qu'après avoir écarté expressément ces fins de non-recevoir, alors même que le défendeur, sans pour autant les abandonner, ne les aurait pas reprises en appel. Devant le tribunal administratif de Poitiers, l'OFPRA soutenait que la requête dirigée contre la décision du 3 décembre 2019 était tardive.

5. Toutefois, il ressort des pièces du dossier de première instance qu'alors même que, dans son formulaire de demande établi le 8 avril 2019, M. C... avait indiqué comme adresse de réception des correspondances celle de son père, à Cerizay, le pli contenant la décision contestée a été adressé par l'OFPRA, une première fois, au centre communal d'action sociale de Bressuire. Si l'OFPRA fait valoir que cette dernière adresse a été mentionnée en en-tête d'un courrier, au demeurant non daté, qui lui a été adressé par le requérant le 24 octobre 2019 en réponse à une mesure d'instruction, il ne ressort pas des termes de ce courrier que, ce faisant, M. C... ait entendu explicitement faire part à l'administration d'un changement d'adresse de réception des correspondances. Dès lors, le délai de recours n'a commencé à courir qu'à compter de la notification, le 31 janvier 2020, du second envoi par l'OFPRA du pli contenant la décision contestée à l'adresse de Cerizay et la requête de première instance, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Poitiers le 31 mars 2020, n'était pas tardive.

6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande. Il est dès lors fondé à demander l'annulation de ce jugement ainsi que celle de la décision du directeur général de l'OFPRA du 3 décembre 2019.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Eu égard au motif d'annulation retenu au point 3 et dès lors qu'aucun autre moyen n'est, par ailleurs, de nature à justifier l'annulation de la décision contestée, l'exécution du présent arrêt implique seulement le réexamen de la situation de M. C.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre au directeur général de l'OFPRA de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

8. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. C..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par l'OFPRA au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

9. D'autre part, M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Trébesses, avocat de M. C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'OFPRA le versement à Me Trébesses de la somme de 1 200 euros.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2000897 du 28 septembre 2021 du tribunal administratif de Poitiers est annulé.

Article 2 : La décision du 3 décembre 2019 du directeur général de l'OFPRA est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au directeur général de l'OFPRA de réexaminer la situation de M. C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'OFPRA versera à Me Trébesses une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Trébesses renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D..., à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à Me Jean Trébesses.

Délibéré après l'audience du 20 septembre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,

M. Michaël Kauffmann, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 octobre 2022.

Le rapporteur,

Michaël B... La présidente,

Evelyne Balzamo

Le greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 22BX006052


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00605
Date de la décision : 11/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: M. Michaël KAUFFMANN
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : TREBESSES

Origine de la décision
Date de l'import : 16/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-10-11;22bx00605 ?
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