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04/10/2022 | FRANCE | N°20BX04046

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 04 octobre 2022, 20BX04046


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 10 novembre 2017 par laquelle la ministre du travail a annulé la décision du 7 juin 2017 de l'inspecteur du travail de la section n° 2 de l'unité départementale de la Creuse refusant d'autoriser l'association départementale des amis et parents d'enfants E... (ADAPEI 23) à le licencier pour motif disciplinaire, et a accordé ladite autorisation.

Par un jugement n° 1800028 du 15 octobre 2020, le tribunal administrati

f de Limoges a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 10 novembre 2017 par laquelle la ministre du travail a annulé la décision du 7 juin 2017 de l'inspecteur du travail de la section n° 2 de l'unité départementale de la Creuse refusant d'autoriser l'association départementale des amis et parents d'enfants E... (ADAPEI 23) à le licencier pour motif disciplinaire, et a accordé ladite autorisation.

Par un jugement n° 1800028 du 15 octobre 2020, le tribunal administratif de Limoges a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 décembre 2020 et 4 février 2022, l'association ADAPEI 23, représentée par Me Leeman, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 15 octobre 2020 ;

2°) de rejeter la demande de M. C... A... tendant à l'annulation de la décision de la ministre du travail en date du 10 novembre 2017 ;

3°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

L'association ADAPEI 23 soutient que :

- sa requête est recevable dès lors qu'elle avait la qualité de partie à l'instance devant le tribunal, nonobstant les circonstances que la procédure lui a été communiquée après la clôture de l'instruction et qu'elle n'a pas produit d'observations ;

- le jugement attaqué doit être annulé dès lors que le tribunal a dénaturé les pièces du dossier et a estimé à tort que les faits reprochés à M. A... ne pouvaient être regardés comme établis en l'absence de preuve d'un échange de SMS entre le salarié et une résidente de l'établissement ;

- le licenciement de M. A... est fondé dès lors que la relation intime que le salarié a entretenue avec une résidente dont la réalité est établie constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier la mesure ; le cas échéant, le second grief invoqué à l'appui de la demande d'autorisation de licenciement qui est lui aussi établi justifie également le licenciement pour faute grave ;

- les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés et sa demande tendant à l'annulation de la décision de la ministre du travail du 10 novembre 2017 doit être rejetée.

Par un mémoire, enregistré le 16 décembre 2021, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Limoges du 15 octobre 2020.

La ministre s'en rapporte aux observations présentées en première instance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 janvier 2022, M. C... A..., représenté par Me Magne, conclut, à titre principal, à l'irrecevabilité de la requête, à titre subsidiaire, à la confirmation du jugement du tribunal administratif de Limoges du 15 octobre 2020, à titre très subsidiaire, au rejet au fond de la requête et à l'annulation de la décision de la ministre du travail du 10 novembre 2017, et, en toutes hypothèses, à ce que soit mise à la charge de l'association ADAPEI 23 une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. A... soutient que :

- la requête de l'association ADAPEI 23 est irrecevable, faute pour elle d'avoir été partie à l'instance devant le tribunal dès lors que la procédure ne lui a été communiquée que postérieurement à la clôture de l'instruction ;

- c'est à bon droit que le tribunal administratif a jugé que le doute sur l'exactitude matérielle des faits qui lui sont reprochés devait lui profiter ;

- la faute qui lui est reprochée par son employeur n'est pas avérée ;

- la décision de la ministre du travail du 10 novembre 2017 qui porte une atteinte grave et manifestement illégale à la présomption d'innocence doit être annulée par l'effet dévolutif de l'appel.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique, ont été entendus :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de Mme Madelaigue, rapporteure publique,

- et les observations de Me Leeman, représentant l'association ADAPEI 23, et de Me Labessan se substituant à Me Magne, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. L'association départementale des amis et parents d'enfants E... (ADAPEI 23) a, le 14 avril 2017, saisi l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement pour motif disciplinaire de M. A..., engagé depuis le 1er juillet 2009 en tant que moniteur-éducateur, affecté en dernier lieu au sein du foyer d'hébergement pour travailleurs handicapés " résidence la Fontaine ", situé sur le territoire de la commune de Guéret (Creuse), et exerçant, en outre, le mandat de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Par une décision du 7 juin 2017, l'inspecteur du travail de la 2ème section de la Creuse a rejeté la demande de l'ADAPEI 23 au motif que la procédure prévue par les dispositions de l'article R. 2421-9 du code du travail était substantiellement viciée. Par un courrier du 7 juillet 2017, reçu le 10 juillet suivant, l'association ADAPEI 23 a formé un recours hiérarchique contre cette décision. Par une décision du 10 novembre 2017, la ministre du travail a annulé la décision prise par l'inspecteur du travail et a autorisé le licenciement du salarié.

M. A... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler cette décision. Par un jugement du 15 octobre 2020 dont l'association ADAPEI 23 relève appel, le tribunal a annulé cette décision.

Sur la fin de non-recevoir opposée par M. A... :

2. En vertu des principes généraux de la procédure, tels qu'ils sont rappelés à l'article R. 811-1 du code de justice administrative, le droit de former appel des décisions de justice rendues en premier ressort est ouvert aux parties présentes à l'instance sur laquelle le jugement qu'elles critiquent a statué. En l'espèce, l'association ADAPEI 23 avait la qualité de partie à l'instance devant le tribunal administratif de Limoges, alors même que la procédure ne lui a été communiquée qu'après la clôture de l'instruction et qu'elle n'a pas produit de mémoire en défense. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par M. A... tirée du défaut de qualité de l'association pour faire appel du jugement attaqué, lequel lui avait d'ailleurs été notifié par le greffe du tribunal, doit être écartée.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

4. Il ressort des pièces du dossier que, pour solliciter l'autorisation de licencier

M. A... pour motif disciplinaire, l'association ADAPEI 23 a notamment invoqué auprès de l'inspecteur du travail la relation intime que le salarié aurait entretenue avec une résidente du foyer " résidence de la Fontaine ", majeure protégée placée sous curatelle renforcée. Pour juger que les faits reprochés à l'intéressé ne pouvaient être regardés comme établis, le tribunal a estimé qu'il existait un doute sur l'exactitude matérielle de ce grief en l'absence de preuve que le numéro de téléphone portable à partir duquel ont été émis et reçus des messages de type " Short Message Service " (SMS) appartiendrait à M. A..., et que ce doute devait, en application des dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail, profiter au salarié.

5. Il ressort des pièces du dossier que la résidente mentionnée au point précédent a confié à une infirmière puis à une psychologue clinicienne de l'établissement avoir entretenu une relation intime impliquant des rapports sexuels consentis avec M. A... pendant plusieurs mois jusqu'au 18 mars 2017, à l'initiative de ce dernier. Les propos de la résidente, que cette dernière a confirmés au directeur de l'association lors d'un entretien tenu le 21 mars 2017, sont relatés dans une attestation établie le 22 mars 2017 par l'infirmière et dans une " note psychologique ", rédigée le 25 mars 2017 par la psychologue clinicienne à l'issue des deux entretiens qu'elle a eus avec l'intéressée, qui indique que celle-ci " n'a jamais présenté de comportement affabulateur ou mythomaniaque ". Cette note retranscrit en annexe le contenu des messages téléphoniques échangés les 30 janvier et 1er février 2017, émis depuis et vers un numéro identifié au nom de " Willy " qui reflètent les déclarations de la résidente faites aux membres du personnel médical et au directeur de l'association, et dont un de ces messages évoque un diminutif du prénom porté par le fils de M. A.... Il ressort en outre des pièces du dossier que, lors de son entretien avec le directeur de l'association le 22 mars 2017, M. A... a déclaré avoir déjà reçu un SMS de la part de la résidente. Enfin, l'association ADAPEI 23 produit pour la première fois en appel une " fiche signalétique " remise lors de l'embauche du salarié et le curriculum vitae de ce dernier sur lesquels figurent un numéro de téléphone portable qui correspond à celui mentionné dans la retranscription du contenu des échanges de messages et qui avait communiqué par l'employeur à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement et dont M. A... a eu connaissance lors de l'enquête contradictoire. Dans ces conditions, l'association ADAPEI 23 est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a accueilli le moyen tiré de ce que les faits reprochés à M. A... ne pouvaient être regardés comme établis.

6. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par M. A... devant le tribunal administratif de Limoges et devant la cour.

7. En premier lieu, d'une part, il résulte des termes mêmes de sa décision du 10 novembre 2017 que la ministre du travail s'est fondée exclusivement sur la gravité des faits ressortant de l'enquête administrative et non sur la qualification pénale qu'ils auraient été susceptibles de recevoir. D'autre part, si, dans sa demande d'autorisation de licenciement pour motif disciplinaire, l'association ADAPEI 23 a formulé un second grief à l'encontre de M. A..., selon lequel ce dernier aurait été l'auteur d'attouchements à caractère sexuel sur une autre résidente, la ministre du travail n'a pas retenu ce grief. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de la présomption d'innocence ne saurait être accueilli.

8. En second lieu, en estimant qu'au regard de l'autorité exercée par M. A... sur la résidente en raison, d'une part, de ses fonctions de moniteur-éducateur et, d'autre part, de la vulnérabilité de l'intéressée, placée sous curatelle renforcée, les agissements en cause, qui constituent une méconnaissance grave des obligations professionnelles essentielles du salarié, revêtaient, à eux seuls, un caractère fautif et un degré de gravité suffisante pour justifier son licenciement, la ministre du travail n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.

9. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'association ADAPEI 23 est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a annulé la décision de la ministre du travail du 10 novembre 2017.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'association ADAPEI 23, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... la somme de 1 500 euros à verser à l'association requérante au titre des frais de même nature.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1800028 du tribunal administratif de Limoges du 15 octobre 2020 est annulé.

Article 2 : Les demandes de M. A... présentées devant le tribunal administratif de Limoges et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : M. A... versera la somme de 1 500 euros à l'association ADAPEI 23 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'association départementale des amis et parents d'enfants E... (ADAPEI 23), au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à M. C... A....

Copie en sera adressée au directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de la région Nouvelle-Aquitaine.

Délibéré après l'audience du 12 septembre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Florence Demurger, présidente,

Mme Karine Butéri, présidente-assesseure,

M. Anthony Duplan premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 octobre 2022.

Le rapporteur,

Anthony B...

La présidente,

Florence Demurger

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20BX04046


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX04046
Date de la décision : 04/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme DEMURGER
Rapporteur ?: M. Anthony DUPLAN
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : CABINET TEN FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-10-04;20bx04046 ?
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