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04/10/2022 | FRANCE | N°20BX01479

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 04 octobre 2022, 20BX01479


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler la décision du 13 juillet 2017 par laquelle le président du conseil régional de La Réunion a refusé de lui accorder la protection fonctionnelle.

Par un jugement n° 1800619 du 31 janvier 2020, le tribunal administratif de La Réunion a fait droit sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 30 avril 2020, le 26 juin 2020 et le 11 avril 2022, la région Réunion, repré

sentée par son président en exercice et par la SCP Colin-Stoclet, demande à la cour :

1°) d'ann...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler la décision du 13 juillet 2017 par laquelle le président du conseil régional de La Réunion a refusé de lui accorder la protection fonctionnelle.

Par un jugement n° 1800619 du 31 janvier 2020, le tribunal administratif de La Réunion a fait droit sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 30 avril 2020, le 26 juin 2020 et le 11 avril 2022, la région Réunion, représentée par son président en exercice et par la SCP Colin-Stoclet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 31 janvier 2020 ;

2°) de rejeter la demande de M. C... ;

3°) de mettre à la charge de M. C... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur la recevabilité :

- la requête de première instance est irrecevable dès lors qu'elle est dirigée contre la décision du 13 juillet 2017 qui est confirmative de celle du 16 juin 2016 ;

- elle est irrecevable " faute d'intérêt, en ce qu'elle est dirigée contre la décision du 13 juillet 2017 en tant qu'elle avait refusé de modifier sa décision du 4 décembre 2015 " ;

Sur la régularité du jugement :

- le tribunal a entaché sa décision " d'une insuffisance de motifs " en se fondant sur la décision du 19 février 2019 du Défenseur des droits qui n'a pas été soumise au contradictoire ni à autorisation de l'autorité judiciaire en méconnaissance de l'article 23 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 ;

Sur le bien-fondé du jugement :

- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, la décision en litige n'a pas été prise en méconnaissance de l'article 6 ter et de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 dès lors qu'elle ne disposait pas à la date de cette décision, des éléments lui permettant de vérifier la réalité des faits de harcèlement sexuel dénoncés par M. C....

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 mars 2021, M. C..., représenté par Me Didier et Me Pinet, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint à la région Réunion de réexaminer sa demande et à la mise à la charge de cette dernière de la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D... E...,

- et les conclusions de Mme Florence Madelaigue, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., a été recruté par la région Réunion le 10 mai 2011 en qualité d'agent contractuel, puis nommé en qualité d'adjoint administratif territorial stagiaire le 1er novembre 2012, avant d'être titularisé à ce grade à compter du 1er novembre 2013. Il a déposé plainte, le 28 mai 2015, pour des faits de harcèlement imputés à M. A..., qui avait été son supérieur hiérarchique de juillet 2011 à fin 2012. Il a ensuite sollicité, le 31 août 2015, la protection fonctionnelle à la région Réunion en se référant à sa plainte et en dénonçant des " faits de harcèlements ". Par arrêté du 4 décembre 2015, le président du conseil régional lui a accordé la protection fonctionnelle au titre du harcèlement moral. Après que la région a refusé de prendre en charge le règlement d'une partie des honoraires de son avocat, M. C... a sollicité auprès de son employeur, le 16 juin 2017, une demande de protection fonctionnelle en faisant état du harcèlement sexuel dont il avait été victime. Par une décision du 13 juillet 2017, le président du conseil régional a refusé de faire droit à cette demande. M. C... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler cette décision et le tribunal a fait droit à sa demande. La région Réunion relève appel de ce jugement dont elle demande l'annulation.

Sur la recevabilité de la requête de première instance :

2. Il ressort des pièces du dossier que la décision du 16 juin 2016, qui oppose à M. C... un refus de prise en charge des frais d'avocats, n'avait pas pour objet de refuser une demande de protection fonctionnelle formulée au titre de faits de harcèlement sexuel. Dès lors, la décision du 13 juillet 2017 en litige, par laquelle le président du conseil régional de la Réunion a refusé à M. C... le bénéfice de la protection fonctionnelle au titre de faits de harcèlement sexuel, n'a pas de caractère confirmatif. Il s'ensuit que M. C... avait bien intérêt à contester la décision du 13 juillet 2017 et que la fin de non-recevoir opposée par l'administration doit être écartée.

Sur le bien-fondé du motif d'annulation retenu par les premiers juges :

3. Pour annuler la décision portant refus d'accorder à M. C... la protection fonctionnelle pour des faits de harcèlement sexuel en litige, le tribunal a estimé, au vu des pièces du dossier, que c'est à tort que l'autorité administrative avait opposé à l'intéressé, dans la décision contestée, le fait qu'il n'avait pas initialement fondé sa demande sur des faits de harcèlement sexuel ainsi que le caractère tardif de la demande formulée en juin 2017.

4. Aux termes de l'article 6 ter de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les faits : a) Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; b) Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers (...) ". Il résulte de ces dispositions que des propos, ou des comportements à connotation sexuelle, répétés ou même, lorsqu'ils atteignent un certain degré de gravité, non répétés, tenus dans le cadre ou à l'occasion du service, non désirés par celui ou celle qui en est le destinataire et ayant pour objet ou pour effet soit de porter atteinte à sa dignité, soit, notamment lorsqu'ils sont le fait d'un supérieur hiérarchique ou d'une personne qu'elle pense susceptible d'avoir une influence sur ses conditions de travail ou le déroulement de sa carrière, de créer à l'encontre de la victime, une situation intimidante, hostile ou offensante sont constitutifs de harcèlement sexuel et, comme tels, passibles d'une sanction disciplinaire.

5. Aux termes de l'article 11 de la même loi dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " I.- A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire (...) IV.- La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (...) ".

6. D'une part, ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

7. D'autre part, il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement sexuel, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

8. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. C... a sollicité de son employeur le bénéfice de la protection fonctionnelle, par courrier réceptionné le 31 août 2015, pour des " faits de harcèlements ". Après avoir exposé notamment en mai 2015, par des courriers et au cours d'entretiens avec la région, les faits de harcèlement moral résultant selon lui de sa " mise au placard " par ses supérieurs hiérarchiques, MM. Aubry et Maillot, depuis sa prise de fonctions au sein de l'Antenne sud en septembre 2014, M. C... a obtenu, par un arrêté du 4 décembre 2015, le bénéfice de la protection fonctionnelle au titre du harcèlement moral. En revanche, contrairement à ce que M. C... soutient, il ne ressort pas des pièces du dossier que la région Réunion, bien qu'elle y fasse référence dans l'arrêté précité du 4 décembre 2015, aurait été destinataire de la plainte pour harcèlement sexuel déposée par l'intéressé contre M. A..., le 28 mai 2015, devant le Procureur de la République. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la région aurait été informée du rapport du médecin expert du comité médical départemental du 16 juillet 2015 relatant les faits de harcèlement sexuel dont M. C... se disait victime, compte tenu du secret médical auquel ce document est soumis, ni que l'intéressé aurait demandé, avant le mois de juin 2017, la modification de l'arrêté du 4 décembre 2015 qui ne lui accordait la protection fonctionnelle qu'au titre du harcèlement moral. En outre, si une enquête interne a été menée par la région Réunion à l'occasion des articles de presse, parus au mois de juin 2016, faisant état des dénonciations de faits de harcèlement sexuel dont M. C... aurait été victime quatre ans auparavant de la part de son supérieur hiérarchique, M. A..., cette enquête n'a pas permis à la région de confirmer la vraisemblance de ces dénonciations. Dans ces conditions, et en l'absence d'éléments produits par M. C... à l'appui de sa demande de protection fonctionnelle présentée le 16 juin 2017 pour des faits de harcèlement sexuel, c'est sans erreur de droit que la région Réunion a, par la décision en litige, rejeté la demande de protection fonctionnelle présentée par l'intéressé au titre des faits de harcèlement sexuel.

9. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, la région Réunion est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a accueilli le moyen tiré de l'erreur de droit entachant la décision contestée du 13 juillet 2017 et a fait droit à la demande de M. C... tendant à l'annulation de cette décision. Il appartient toutefois à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif et devant la cour.

Sur les autres moyens invoqués :

10. En premier lieu, il ressort des termes de la décision contestée que, pour rejeter la demande de protection fonctionnelle pour harcèlement sexuel présentée le 16 juin 2017 par M. C..., la région Réunion a rappelé que l'intéressé s'était vu accorder la protection fonctionnelle pour des faits de harcèlement moral par un arrêté du 4 décembre 2015 et que, en l'absence de toute demande antérieure de protection au titre du harcèlement sexuel ou d'élément de nature à lui permettre d'instruire la demande conformément à une circulaire du 5 mai 2008, elle ne pouvait lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle. La région Réunion a ainsi suffisamment motivé en droit et en fait sa décision quand bien même elle ne fait pas mention de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 dont M. C... se prévalait dans sa demande.

11. En second lieu, il résulte de ce qui a été indiqué au point 8 que c'est sans erreur de fait que la région Réunion a indiqué dans la décision contestée ne pas avoir eu connaissance de la plainte déposée le 28 mai 2015 par M. C....

12. Il résulte de tout ce qui précède, que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Réunion a fait droit à la demande de M. C... tendant à l'annulation de la décision du 13 juillet 2017 lui refusant la protection fonctionnelle.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la région Réunion qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. C... demande au titre des frais liés à l'instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. C... la somme de 1 500 euros à verser à la région Réunion au titre des frais liés à l'instance.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1800619 du 31 janvier 2020 du tribunal administratif de la Réunion est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de la Réunion et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : M. C... versera à la région Réunion une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la région Réunion et à M. B... C....

Délibéré après l'audience du 12 septembre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Florence Demurger, présidente,

Mme Karine Butéri, présidente-assesseure,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 octobre 2022.

La rapporteure,

Caroline E...

La présidente,

Florence DemurgerLa greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au préfet de La Réunion en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20BX01479


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX01479
Date de la décision : 04/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme DEMURGER
Rapporteur ?: Mme Caroline GAILLARD
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : SCP COLIN STOCLET

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-10-04;20bx01479 ?
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