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22/09/2022 | FRANCE | N°20BX02406

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 22 septembre 2022, 20BX02406


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... C... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner

le centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers à lui verser une indemnité

de 282 044,79 euros, avec intérêts à compter du 28 juillet 2015 et capitalisation, en réparation des conséquences dommageables d'une intervention chirurgicale réalisée le 27 novembre 2006.

Dans la même instance, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Charente-Maritime, agissant pour le compte de la CPAM de la V

ienne, a demandé au tribunal

de condamner le CHU de Poitiers à lui rembourser la somme de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... C... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner

le centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers à lui verser une indemnité

de 282 044,79 euros, avec intérêts à compter du 28 juillet 2015 et capitalisation, en réparation des conséquences dommageables d'une intervention chirurgicale réalisée le 27 novembre 2006.

Dans la même instance, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Charente-Maritime, agissant pour le compte de la CPAM de la Vienne, a demandé au tribunal

de condamner le CHU de Poitiers à lui rembourser la somme de 80 913,10 euros.

Par un jugement n° 1801668 du 16 juin 2020, le tribunal a condamné le CHU

de Poitiers à verser à Mme A... C... une indemnité de 67 162,01 euros sur laquelle s'impute la provision de 20 000 euros allouée par ordonnance du 6 décembre 2018, avec intérêts à compter du 15 mai 2018 et capitalisation à compter du 15 mai 2019, et à rembourser à la CPAM

de la Charente-Maritime une somme de 22 047,48 euros, ainsi que les débours futurs sur présentation de justificatifs, et a mis les frais d'expertise à la charge du CHU de Poitiers.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête sommaire enregistrée le 31 juillet 2020 sous le n° 20BX02406

et un mémoire ampliatif enregistré le 14 octobre 2020, le CHU de Poitiers, représenté

par Me Le Prado, demande à la cour de réformer ce jugement en ramenant à 11 023,74 euros la somme qu'il a été condamné à verser à la CPAM de la Charente-Maritime et en prévoyant le remboursement des frais de kinésithérapie et de renouvellement du dispositif palliatif d'extension de la cheville, sur production de justificatifs, à hauteur de 50 % de leur montant, dans la limite d'une somme de 17 095,81 euros.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal, qui a retenu que les fautes commises n'avaient été à l'origine que d'une perte de chance de 50 % pour la victime de se soustraire à l'aggravation

de son état de santé, l'a condamné à rembourser l'intégralité des débours de la caisse ;

- la caisse n'a pas indiqué à quoi correspondaient les frais hospitaliers du 2 au

5 janvier 2007 et du 8 janvier au 2 février 2007 ; pour la première période, s'il s'agit de la rééducation, le taux de perte de chance de 50 % doit être appliqué ; s'il s'agit des suites de l'intervention pour désunion de la cicatrice, l'intervention du 5 décembre 2007 n'est pas en lien avec le manquement reproché ;

- il ne ressort pas du rapport d'expertise que Mme A... C... aurait été hospitalisée

du 7 au 10 janvier 2008 ;

- le taux de perte de chance doit également être appliqué à la reprise du spondylolisthésis du 21 juillet 2008 ;

- seule l'intervention du 6 décembre 2017, pour laquelle la caisse n'a pas demandé de remboursement, est exclusivement liée au manquement reproché ;

- alors que la caisse avait demandé un capital de 34 191,62 euros au titre de ses débours futurs, c'est à tort que le tribunal l'a condamné à rembourser les séances de kinésithérapie et les renouvellements du dispositif palliatif d'extension de la cheville, sur présentation de justificatifs, sans fixer de plafond au montant de ce remboursement.

Par un mémoire enregistré le 16 octobre 2020, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par la SELARL Birot, Ravaut et Associés, demande à la cour de le mettre hors de cause.

Il fait valoir que :

- ni le principe de la responsabilité du CHU de Poitiers, ni le taux de perte de chance

de 50 % ne sont contestés, et aucune demande n'est dirigée à son encontre ;

- la prise en charge au titre de la perte de chance ne saurait lui incomber dès lors que les conséquences dommageables de la seconde intervention sont imputables à la première intervention fautive.

II. Par une requête enregistrée le 5 août 2020 sous le n° 20BX02515, Mme A... C..., représentée par la SCP Guillauma, Pesme, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 1801668

du 16 juin 2020 ;

2°) de condamner le CHU de Poitiers à lui verser une indemnité de 317 091,17 euros, avec intérêts à compter du 28 juillet 2015, date de sa consolidation, et capitalisation ;

3°) de mettre à la charge du CHU de Poitiers une somme de 7 500 euros au titre

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- elle sollicite la confirmation du jugement en ce qui concerne la responsabilité du CHU de Poitiers et l'évaluation à 50 % de la perte de chance ;

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux actuels :

- elle ne conteste pas les bases retenues avant application du taux de perte de chance pour les frais d'ostéopathie (170 euros), les frais de transport en ambulance (1 104,88 euros) et les frais exposés pour se rendre à l'expertise (387,14 euros) ;

- la nécessité de l'assistance par une tierce personne durant 10 heures par semaine

du 20 septembre 2008 au 28 juillet 2015 (3 570 heures) n'a pas été contestée ; l'évaluation de ce préjudice à 45 810 euros retenue par tribunal est insuffisante et doit être portée à 64 260 euros sur la base de 18 euros par heure ;

- si l'expert a retenu un besoin de 6 heures par semaine dans la période de déficit de classe II après consolidation, ce besoin est nécessairement viager ; c'est à tort que le tribunal a limité le droit à indemnisation à 3 heures par semaine, et seulement jusqu'au 16 juin 2020 ; sur la base de 6 heures par semaine et de 18 euros par heure, les arrérages échus à la date de la " requête initiale " s'élèvent à 16 092 euros, et le capital à l'âge de 24 ans est de 303 393,56 euros, par application du coefficient de 52,048 à un coût annuel de 5 616 euros ;

- elle a manqué 100 demi-journées de classe en cinquième, 54 demi-journées en quatrième et 101 demi-journées en troisième, elle a redoublé la classe de troisième, ses douleurs au dos ne lui permettaient pas de suivre les cours à l'université où elle a dû bénéficier d'aménagements, elle impute le redoublement de sa deuxième année de droit à l'anxiété causée par son état de santé, et elle a dû renoncer à devenir avocate pénaliste et se réorienter ; ainsi, l'évaluation de son préjudice scolaire par le tribunal est insuffisante et doit être portée à 20 000 euros ;

- c'est à tort que le tribunal n'a pas retenu de frais d'adaptation du véhicule au motif qu'elle aurait été en mesure de conduire sans utiliser le dispositif constitué par un cercle au volant et un frein à pousser, lequel est nécessaire pour lui permettre de conduire en sécurité et sans fatigue ou stress excessif ; le coût total s'élève à 74 479 euros, dont 1 404 euros d'arrérages échus à la " date de liquidation " et un capital de 73 075 euros ;

- l'incidence professionnelle est caractérisée par une plus grande pénibilité en raison des douleurs à la station debout et assise et de la fatigabilité à la marche, et par l'impact que son handicap aura nécessairement sur l'évolution de sa carrière d'inspectrice des finances publiques ; l'évaluation de ce préjudice doit être portée à 30 000 euros ;

En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :

- le préjudice correspondant aux périodes de déficit fonctionnel temporaire retenues par l'expert doit être évalué à 30 587,75 euros sur la base de 29 euros par jour de déficit fonctionnel total, et le jugement doit être réformé sur ce point ;

- l'évaluation du préjudice correspondant aux souffrances endurées de 4 sur 7 doit être portée à 15 000 euros ;

- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, il existe un préjudice d'agrément temporaire distinct du déficit fonctionnel temporaire, puisqu'elle n'était âgée que de 12 ans lors de l'intervention du 27 novembre 2006 et qu'elle n'a pas pu pratiquer d'activité sportive ; ce préjudice doit être évalué à 10 000 euros ;

- le préjudice esthétique temporaire caractérisé par la posture de la partie inférieure du corps puis la perte de contrôle du pied droit, ainsi que par le port d'un corset et d'une attelle, doit être évalué à 10 000 euros ;

- l'évaluation du déficit fonctionnel permanent de 15 % à l'âge de 21 ans doit être portée à 34 800 euros ;

- le préjudice esthétique permanent de 1,5 sur 7, correspondant à la démarche impactée par l'impossibilité d'utiliser correctement le pied droit, doit être évalué à 3 000 euros ;

- le préjudice d'agrément est caractérisé par l'impossibilité de participer aux activités sportives pratiquées par ses amis, ainsi que par l'échec de l'activité de natation qu'elle avait commencée en raison de l'impossibilité de contrôler le pied droit et d'une importante fatigabilité ; il doit être évalué à 5 000 euros ;

- l'évaluation du préjudice sexuel retenu par l'expert doit être portée à 15 000 euros ;

- le préjudice d'établissement existe et se caractérise par la rétroversion du bassin qui pourrait avoir un impact sur le déroulement de la grossesse et sur l'accouchement, ainsi que par des difficultés à s'occuper d'un ou plusieurs enfants compte tenu du déficit affectant la marche et de l'impossibilité du port de charges ; il doit être évalué à 20 000 euros ;

- l'ensemble de ses préjudices doit ainsi être fixé à 634 182,33 euros ; compte tenu de la perte de chance de 50 %, le CHU de Poitiers doit être condamné à lui verser une indemnité de 317 091,17 euros ;

- elle a droit aux intérêts à la date de consolidation de son état de santé,

le 28 juillet 2015, et à leur capitalisation à chaque échéance annuelle ;

- dès lors qu'elle a dû saisir la juridiction en référé pour solliciter une expertise puis pour la remise de son dossier médical, elle est fondée à demander une somme de 7 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 octobre 2020, le CHU de Poitiers, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que le tribunal a fait une évaluation suffisante des préjudices

de Mme A... C... et a rejeté à bon droit les demandes relatives au préjudice d'agrément temporaire, à l'assistance future par une tierce personne, aux frais d'adaptation du véhicule et au préjudice d'établissement.

Par un mémoire enregistré le 16 octobre 2020, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par la SELARL Birot, Ravaut et Associés, demande à la cour de le mettre hors de cause.

Ses écritures sont identiques à celles présentées dans l'instance n° 20BX02406.

Par un mémoire enregistré le 17 novembre 2020, la CPAM de la Charente-Maritime agissant pour le compte de la CPAM de la Vienne, représentée par la SCP b2f Avocats, demande à la cour de confirmer les condamnations prononcées à son profit par le jugement, d'assortir

la somme de 22 047,48 euros des intérêts et de leur capitalisation, et de mettre à la charge

du CHU de Poitiers les sommes de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion

et de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- le principe de la responsabilité du CHU n'est pas contesté ;

- c'est à bon droit que le tribunal a admis la somme de 22 047,48 euros au titre des débours échus et a prévu le remboursement des frais futurs sur présentation de justificatifs.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- et les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. En 2006, alors qu'elle était âgée de douze ans, Mme A... C... a présenté des lombalgies après une chute lors d'un saut en longueur en cours de sport. Elle a été adressée par son médecin traitant au CHU de Poitiers, où les examens ont mis en évidence des spondylolisthésis de L5-S1 et L4-L5. Une double arthrodèse a été réalisée le 27 novembre 2006, puis une infection qui n'a pas eu d'autres conséquences a nécessité une réintervention

le 13 décembre 2006. Malgré la rééducation, les douleurs sont réapparues et le rachis a pris une attitude vicieuse en cyphose lombaire, à l'origine d'une gêne à la marche. Le 10 mai 2007, le chirurgien a prescrit la poursuite de la rééducation et prévu de revoir la patiente six mois plus tard. Mme A... C... a ensuite été prise en charge au CHU de Bordeaux où l'arrachement de la vis d'ostéosynthèse de S1, visible sur un cliché réalisé le 10 mai 2007, a été diagnostiqué. La reprise chirurgicale réalisée le 21 juillet 2008 dans ce dernier établissement a permis d'assurer une bonne stabilité de l'ostéosynthèse, mais s'est compliquée d'une paralysie des releveurs du pied droit.

2. Mme A... C... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers d'une demande d'expertise à laquelle il a été fait droit par une ordonnance du 10 août 2016, au contradictoire du CHU de Poitiers, du CHU de Bordeaux et de l'ONIAM. Dans son rapport daté du 29 juin 2017, l'expert a attribué l'échec de l'ostéosynthèse réalisée au CHU de Poitiers à un positionnement des vis en-dessous du listhésis bilatéral, ce qui ne permettait pas de maintenir la stabilité du montage, ainsi qu'à une immobilisation par corset insuffisante, et a qualifié la paralysie des releveurs du pied droit d'accident médical, s'agissant d'une complication bien connue et répertoriée de ce type de synthèse qui avait été signalée en pré-opératoire. L'expert a évalué à 50 % la perte de chance d'amélioration de l'état de santé de Mme A... C... en lien avec l'intervention du 27 novembre 2006, la paralysie des releveurs du pied droit étant " la conséquence indirecte de la nécessité de la reprise " du 21 juillet 2008.

3. Après avoir présenté au CHU de Poitiers une réclamation préalable restée sans réponse, Mme A... C... a saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande de condamnation de cet établissement à lui verser une indemnité de 282 044,79 euros, dont elle a déterminé le montant après application d'un taux de perte de chance de 50 %. La CPAM de la Charente-Maritime, agissant pour le compte de la CPAM de la Vienne, a demandé le remboursement de ses débours actuels et futurs à hauteur de 80 913,10 euros. Par un jugement du 16 juin 2020, le tribunal a condamné le CHU de Poitiers à verser à Mme A... C... une indemnité de 67 162,01 euros sur laquelle s'impute la provision de 20 000 euros allouée par ordonnance du 6 décembre 2018, avec intérêts à compter du 15 mai 2018 et capitalisation à compter du 15 mai 2019, et à rembourser à la CPAM de la Charente-Maritime une somme

de 22 047,48 euros, ainsi que les débours futurs sur présentation de justificatifs, et a enfin mis les frais d'expertise à la charge du CHU de Poitiers. Le CHU de Poitiers et Mme A... C... relèvent partiellement appel de ce jugement, en ce qui concerne respectivement le montant des débours de la caisse et l'évaluation des préjudices de Mme A... C....

Sur la jonction :

4. Les requêtes enregistrées sous les nos 20BX02406 et 20BX02515 sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la responsabilité :

5. Le tribunal a jugé que les fautes médicales commises par le CHU de Poitiers lors de la prise en charge initiale de Mme A... C... étaient à l'origine d'une perte de chance pour l'intéressée de se soustraire à l'aggravation de son état de santé, y compris en ce qui concerne la survenue de la complication lors de l'intervention de reprise, et a fixé cette perte de chance à 50 %. Ni cette responsabilité, ni ce taux de perte de chance et son application à l'ensemble des préjudices de Mme A... C..., ne sont contestés. Par suite, l'ONIAM est fondé à demander sa mise hors de cause.

Sur l'appel de Mme A... C... :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

S'agissant des dépenses de santé et des frais divers :

6. Le tribunal a retenu 170 euros de frais d'ostéopathie et 1 104,88 euros de frais de transport en ambulance restés à la charge de Mme A... C..., ainsi que 387,14 euros de frais de transport pour se rendre à la réunion d'expertise. Ces bases d'évaluation des préjudices ne sont pas contestées.

S'agissant de l'assistance par une tierce personne :

7. L'expert a évalué le besoin d'assistance par une tierce personne à 10 heures par semaine durant la période de déficit fonctionnel de classe II avant consolidation, soit

du 20 septembre 2008 au 27 juillet 2015 (3 570 heures). Sur la base d'un taux horaire

de 14,40 euros correspondant au coût horaire moyen du salaire minimum au cours de la période en cause, majoré afin de tenir compte des charges sociales ainsi que des majorations

de rémunération dues les dimanches et jours fériés et des congés payés, l'évaluation de ce préjudice, fixée à 45 810 euros par le tribunal, doit être portée à 51 408 euros.

8. L'expert a évalué le besoin d'assistance par une tierce personne après consolidation

à 6 heures par semaine, ce qui n'apparaît pas excessif au regard des difficultés à la station debout et de l'impossibilité du port de charges qu'il a prises en compte. Contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, la circonstance que Mme A... C... a bénéficié, jusqu'à son départ dans une autre ville pour suivre ses études, d'une aide de sa mère de 3 heures par semaine pour le ménage, est sans incidence sur l'évaluation du besoin d'assistance indemnisable. Sur la base d'un taux horaire de 16,15 euros correspondant à la moyenne du salaire minimum au cours de la période en cause, majoré afin de tenir compte des charges sociales, des majorations de rémunération dues les dimanches et jours fériés et des congés payés, le préjudice subi entre la consolidation de l'état de santé de Mme A... C... le 28 juillet 2015 et la date du présent

arrêt (2 238 heures) doit être fixé à 36 143,70 euros.

9. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise, qu'une arthrodèse talo-crurale pourrait remédier à la paralysie des releveurs du pied droit. Par suite, les besoins futurs d'assistance par une tierce personne ne peuvent être regardés comme certains à la date du présent arrêt, mais pourront seulement, le cas échéant, faire l'objet de demandes ultérieures.

S'agissant du préjudice scolaire :

10. Les bulletins scolaires produits ne permettent pas d'attribuer le redoublement de la classe de troisième, à la fin de l'année scolaire 2008-2009, aux absences et au handicap en lien avec les conséquences des interventions du 26 novembre 2006 et du 21 juillet 2008, et aucun élément n'est produit à l'appui des allégations selon lesquelles le redoublement de la deuxième année de licence de droit serait imputable à une anxiété en lien avec l'état de santé

de Mme A... C.... L'existence d'un lien entre le handicap et une réorientation en master de droit public n'est pas davantage établie. En revanche, il résulte de l'instruction que les séquelles en lien avec les fautes commises par le CHU de Poitiers ont accru la pénibilité de la scolarité à partir de la classe de cinquième et jusqu'à la fin des études supérieures. Les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante appréciation de ce préjudice en l'évaluant à 5 000 euros.

S'agissant de l'incidence professionnelle :

11. Mme A... C..., qui était étudiante lors de l'expertise et précise en appel qu'elle est devenue inspectrice des finances publiques, ne démontre pas que les séquelles dont elle reste atteinte nécessiteraient une adaptation de son poste de travail de nature à influer défavorablement sur ses perspectives d'évolution de carrière. Toutefois, ses difficultés à se déplacer et à conserver longtemps les stations assise et debout ont nécessairement pour effet de rendre plus pénible l'exercice de l'activité professionnelle. Il y a lieu de fixer l'indemnisation de ce préjudice à 10 000 euros.

S'agissant de l'adaptation du véhicule :

12. Si l'expert a précisé, en réponse à un dire lui demandant de décrire les répercussions des séquelles sur la conduite d'un véhicule et la nécessité éventuelle d'une adaptation à l'avenir, qu'un système de commande " tout au volant " supprimerait la nécessité de manœuvre des pédales d'accélérateur et de frein, il est constant que Mme A... C... est en mesure de conduire sans ces adaptations. C'est ainsi à bon droit que le tribunal a rejeté la demande relative aux frais correspondants.

En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :

13. Mme A... C... revendique la prise en compte de la période de déficit fonctionnel total du 25 novembre 2006 au 5 février 2007 retenue par l'expert pour les hospitalisations à Poitiers, au CHU puis en centre de rééducation, alors que les premiers juges ont limité

la responsabilité du CHU de Poitiers à la seule période du 25 décembre 2006 au 5 février 2007 (42 jours), aux motifs que l'arthrodèse du 27 novembre 2006 était nécessaire et que la dégradation de l'ostéosynthèse était apparue un mois après l'intervention initiale. Toutefois, le compte-rendu de la consultation de sortie de rééducation du 5 février 2007 cité dans l'expertise a conclu à une nette amélioration de la démarche sans faire état d'une quelconque anomalie dans le déroulement ou la durée de la rééducation telle qu'elle aurait été nécessitée par les suites normales de l'intervention du 27 novembre 2006, de sorte que le tribunal a retenu à tort

cette première période de 42 jours. Les périodes de déficit fonctionnel total du 7 au

10 janvier 2008 (4 jours) et du 20 juillet au 4 août 2008 (16 jours) correspondent aux hospitalisations au CHU de Bordeaux, respectivement pour un bilan pré-opératoire après le diagnostic de l'arrachement de la vis S1 et pour la seconde arthrodèse, lesquelles sont la conséquence de l'échec fautif de l'intervention du 27 novembre 2006. Ainsi, la responsabilité du CHU de Poitiers est engagée pour un déficit fonctionnel total d'une durée de 20 jours. Il résulte de l'instruction que l'expert, qui a fixé par erreur des périodes de déficit fonctionnel de classe II et III se recoupant, a entendu retenir la classe III (50 %) du 6 février 2007 au 19 septembre 2008 hors hospitalisations (572 jours), et la classe II (25 %) du 20 septembre 2008 au 27 juillet 2015 (2 502 jours). Il y a lieu, sur la base de 500 euros par mois de déficit total, de fixer le préjudice

à 15 600 euros.

14. Le préjudice d'agrément temporaire relève des troubles de toute nature dans les conditions d'existence indemnisés au titre du déficit fonctionnel temporaire. C'est ainsi à bon droit que le tribunal a rejeté la demande correspondante.

15. Le préjudice esthétique temporaire, caractérisé par l'attitude vicieuse en cyphose lombaire, puis par la perte de contrôle du pied droit, ainsi que par le port d'un corset et d'une attelle, a été coté à 2,5 sur 7 par l'expert. Eu égard à sa durée et à l'âge de la victime, il y a lieu de porter son évaluation de 1 000 euros à 2 000 euros.

16. L'évaluation par les premiers juges à 8 000 euros des souffrances endurées, cotées à 4 sur 7 par l'expert, n'apparaît pas insuffisante.

17. Mme A... C... ne conteste pas le déficit fonctionnel permanent de 15 % retenu par l'expert. Eu égard à son âge de 21 ans à la date de consolidation de son état de santé, le tribunal n'a pas fait une insuffisante appréciation de ce préjudice en l'évaluant à 25 000 euros.

18. Du fait de son handicap, Mme A... C... s'est trouvée privée dès le début de l'adolescence de la possibilité d'exercer des activités sportives de loisir, à l'exception de la natation qu'elle a arrêtée en novembre 2015 en raison d'une autre pathologie. Dans ces circonstances, il y a lieu de retenir un préjudice d'agrément et de l'évaluer à 4 000 euros.

19. La somme de 2 000 euros retenue par le tribunal ne peut être regardée comme sous-évaluant le préjudice esthétique permanent coté à 1,5 sur 7, correspondant à une boiterie due à la raideur de la cheville droite avec un passage de pas difficile.

20. L'évaluation par le tribunal à 8 000 euros du préjudice sexuel retenu par l'expert n'apparaît pas insuffisante.

21. Il ne résulte pas de l'instruction que les conséquences des fautes commises par le CHU de Poitiers compromettraient la possibilité pour Mme A... C... de fonder une famille. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande relative à un préjudice d'établissement.

22. Il résulte de ce qui précède que les préjudices de Mme A... C... s'élèvent à 168 813,72 euros. Par suite, après application du taux de perte de chance, la somme que le tribunal a condamné le CHU de Poitiers à lui verser, sur laquelle s'impute la provision de 20 000 euros allouée par ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Poitiers n° 1801794 du 6 décembre 2018, doit être portée de 67 162,01 euros à 84 406,86 euros.

Sur l'appel du CHU de Poitiers :

En ce qui concerne les débours échus :

23. La condamnation prononcée par le tribunal au titre des débours échus correspond à quatre hospitalisations, à des frais médicaux du 1er janvier 2009 au 14 octobre 2014, et à des frais d'appareillage du 21 avril 2011. Les hospitalisations du 2 au 5 janvier 2007 et du 8 janvier

au 2 février 2007, au CHU de Poitiers comme l'indique l'attestation d'imputabilité détaillée produite par la caisse en première instance, ne peuvent que se rapporter à la rééducation consécutive à l'intervention du 27 novembre 2006 mentionnée dans l'expertise. Elles ne peuvent être regardées comme imputables aux fautes commises dès lors qu'il résulte de ce qui a été dit au point 13 que jusqu'au 5 février 2007, la poursuite de la rééducation relevait des suites normales de l'arthrodèse réalisée le 27 novembre 2006. En revanche, les hospitalisations au CHU de Bordeaux du 7 au 10 janvier 2008 pour un bilan pré-opératoire après le diagnostic de l'arrachement de la vis S1 (2 820 euros) et du 20 juillet au 4 août 2008 pour la seconde arthrodèse (11 280 euros) sont les conséquences directes et nécessaires de l'échec fautif de la première intervention, et les frais correspondants doivent être admis en totalité dès lors

qu'ils n'auraient pas été exposés en l'absence de faute. L'imputabilité des frais

médicaux (1 441,13 euros) et d'appareillage (447,85 euros) détaillés dans l'attestation du médecin conseil de la caisse n'est pas contestée, et ils doivent être admis à hauteur d'un total

de 944,49 euros après application du taux de perte de chance. La CPAM de la Charente-Maritime ne se prévaut pas de l'existence de nouveaux débours depuis le jugement. Par suite, la somme que le CHU de Poitiers a été condamné à lui verser au titre des débours échus doit être ramenée de 22 047,48 euros à 15 044,49 euros.

En ce qui concerne les frais futurs :

24. Ni l'imputabilité des frais futurs retenus par le jugement, constitués par des séances de kinésithérapie et les renouvellements du dispositif palliatif d'extension de la cheville, ni leur montant total capitalisé de 25 803,39 euros calculé par la caisse en appel, ne sont contestés. En revanche, il y a lieu, comme le demande le CHU de Poitiers, de faire application du taux de perte de chance de 50 %, et de le condamner à rembourser ces frais futurs sur présentation de justificatifs, à hauteur de 50 % de leur montant, dans la limite d'une somme de 12 902 euros.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

25. D'une part, lorsqu'ils sont demandés, les intérêts au taux légal sur le montant de l'indemnité allouée sont dus, quelle que soit la date de la demande préalable, à compter du jour où cette demande est parvenue à l'autorité compétente ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine. D'autre part, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière, sans qu'il soit besoin d'une nouvelle demande à l'expiration de ce délai. De même, la capitalisation s'accomplit à nouveau, le cas échéant, à chaque échéance annuelle ultérieure, sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande.

26. C'est à bon droit que le tribunal a fait courir les intérêts de la condamnation prononcée au profit de Mme A... C... à compter du 15 mai 2018, date de réception de sa réclamation préalable par le CHU de Poitiers, et leur capitalisation à compter du 15 mai 2019 et à chaque échéance annuelle ultérieure. Par suite, la demande de Mme A... C... tendant à ce que les intérêts prennent effet à compter du 28 juillet 2015, date de consolidation de son état de santé, doit être rejetée.

27. La CPAM de la Charente-Maritime a demandé les intérêts et leur capitalisation pour la première fois devant la cour, dans son mémoire enregistré le 17 novembre 2020. Par suite, elle a droit aux intérêts sur la somme de 15 044,49 euros à compter de cette date, et à leur capitalisation à compter du 17 novembre 2021, et éventuellement à chaque échéance annuelle ultérieure.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

28. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du CHU de Poitiers une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par Mme A... C... à l'occasion du présent litige.

29. La CPAM de la Charente-Maritime, qui est une partie perdante, n'est pas fondée à demander l'allocation d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dès lors qu'elle s'est vu allouer l'indemnité forfaitaire de gestion en première instance pour un montant de 1 091 euros et n'obtient en appel aucun supplément d'indemnité justifiant une revalorisation, ses conclusions tendant au bénéfice d'une seconde indemnité forfaitaire de gestion au titre de l'instance d'appel ne peuvent qu'être rejetées. Enfin, ses conclusions relatives aux dépens sont sans objet et ne peuvent qu'être également rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ONIAM est mis hors de cause.

Article 2 : L'indemnité que le CHU de Poitiers a été condamné à verser à Mme A... C..., sur laquelle s'impute la provision de 20 000 euros allouée par ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Poitiers n° 1801794 du 6 décembre 2018, est portée de 67 162,01 euros à 84 406,86 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 15 mai 2018 et capitalisation

à compter du 15 mai 2019 et à chaque échéance annuelle ultérieure.

Article 3 : La somme que le CHU de Poitiers a été condamné à verser à la CPAM de la Charente-Maritime est ramenée de 22 047,48 euros à 15 044,49 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 17 novembre 2020 et capitalisation à compter du 17 novembre 2021 et à chaque échéance annuelle ultérieure éventuelle.

Article 4 : Le CHU de Poitiers est condamné à rembourser à la CPAM de la Charente-Maritime les frais futurs de kinésithérapie et de renouvellement du dispositif palliatif d'extension de la cheville sur présentation de justificatifs, à hauteur de 50 % de leur montant, dans la limite d'une somme de 12 902 euros.

Article 5 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 1801668 du 16 juin 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 6 : Le CHU de Poitiers versera à Mme A... C... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier universitaire de Poitiers, à Mme D... A... C..., à la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 30 août 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 septembre 2022.

La rapporteure,

Anne B...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 20BX02406, 20BX02515


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : SARL LE PRADO - GILBERT;SCP GUILLAUMA PESME;SARL LE PRADO - GILBERT

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Date de la décision : 22/09/2022
Date de l'import : 02/10/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 20BX02406
Numéro NOR : CETATEXT000046337740 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-09-22;20bx02406 ?
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