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15/09/2022 | FRANCE | N°20BX00631

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 15 septembre 2022, 20BX00631


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme I... F... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 15 mars 2017 par laquelle la ministre du travail a retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé le 22 septembre 2016 par l'association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA) contre la décision de l'inspecteur du travail du 25 juillet 2016 refusant d'autoriser son licenciement, a annulé cette dernière décision et autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1701971

du 12 décembre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a fait droit à sa dem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme I... F... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 15 mars 2017 par laquelle la ministre du travail a retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé le 22 septembre 2016 par l'association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA) contre la décision de l'inspecteur du travail du 25 juillet 2016 refusant d'autoriser son licenciement, a annulé cette dernière décision et autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1701971 du 12 décembre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 20 février 2020, l'ANPAA, représentée par son président en exercice et par Me Garnier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 12 décembre 2019 ;

2°) de rejeter la requête de Mme I... F... ;

3°) de mettre à la charge de Mme F... les entiers dépens et la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, M. D..., directeur régional de l'association, bénéficiait d'une subdélégation accordée par la directrice générale de l'association, elle-même disposant d'une délégation du président, lui donnant qualité pour solliciter auprès de l'inspecteur du travail, l'autorisation de licencier Mme F... ;

- la matérialité des faits de harcèlement moral et de violence verbale envers plusieurs collègues qui lui sont reprochés est établie ; la succession des directeurs et la désorganisation du service depuis plusieurs années ne sauraient justifier son comportement ;

- la gravité des faits qui lui sont reprochés justifie la sanction de licenciement ; cette sanction est sans lien avec son mandat représentatif.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juillet 2020, Mme F..., représentée par Me Gérard-Deprez, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'ANPAA de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par un mémoire, enregistré le 6 avril 2022, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut à l'annulation du jugement attaqué et au rejet de la requête de Mme F....

Elle s'en rapporte à son mémoire présenté devant le tribunal administratif.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme G... H...,

- les conclusions de Mme Florence Madelaigue, rapporteure publique,

- et les observations de Me Benech, représentant Mme F....

Considérant ce qui suit :

1. Mme F... a été recrutée par l'association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA), en qualité d'éducatrice spécialisée au comité de Lot-et-Garonne, le 29 mai 2000. Par courrier du 21 janvier 2016, la déléguée du personnel titulaire de cette structure a informé son employeur, en application de l'article L. 2313-2 du code du travail, de " dysfonctionnements graves mettant à mal la santé des salariés ". A la suite de l'enquête menée par le directeur régional et la cheffe de service, l'ANPAA a sollicité l'autorisation de licencier pour motif disciplinaire Mme F..., déléguée du personnel suppléante. L'inspecteur du travail a opposé un refus à cette demande par une décision du 25 juillet 2016. Par une décision du 15 mars 2017, la ministre du travail a retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé le 22 septembre 2016 par l'ANPAA contre la décision de l'inspecteur du travail du 25 juillet 2016, a annulé cette dernière décision et autorisé le licenciement de Mme F.... Par un jugement du 12 décembre 2019 dont l'ANPAA relève appel et demande l'annulation, le tribunal administratif de Bordeaux a fait droit à la demande de Mme F... tendant à l'annulation de la décision de la ministre du travail en date du 15 mars 2017.

Sur le moyen retenu par le tribunal administratif :

2. Pour annuler la décision du 15 mars 2017 de la ministre du travail, le tribunal a accueilli le moyen tiré de ce que la demande d'autorisation de licenciement de Mme F... n'avait pas été présentée par l'employeur de cette salariée ou par une personne ayant qualité pour agir en son nom. Après avoir à cet égard constaté que les statuts de l'ANPAA prévoyaient une délégation des pouvoirs du président et, sur autorisation de ce dernier, une subdélégation de certains de ses pouvoirs parmi lesquels ceux relevant de la matière du licenciement disciplinaire, le tribunal a considéré que l'existence d'une autorisation préalable du président de l'association n'étant pas établie, la subdélégation accordée à l'auteur de la demande de licenciement était irrégulière et, par suite, l'autorisation de licenciement avait été sollicitée par une personne n'ayant pas qualité pour ce faire.

3. Aux termes de l'article L. 2411-3 du code du travail : " Le licenciement d'un délégué syndical, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail. (...) ". Aux termes de l'article L. 2421-1 du même code dans sa version alors applicable : " La demande d'autorisation de licenciement d'un délégué syndical, d'un salarié mandaté ou d'un conseiller du salarié est adressée à l'inspecteur du travail. ".

4. Il appartient à l'administration, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, de vérifier que cette demande est présentée par l'employeur de ce salarié ou par une personne ayant qualité pour agir en son nom. Dans le cas où, comme en l'espèce, l'employeur est une association régie par la loi du 1er juillet 1901, il entre dans les attributions du président de mettre en œuvre la procédure de licenciement d'un salarié en l'absence de stipulations statutaires contraires attribuant expressément cette compétence à un autre organe. Lorsque la demande d'autorisation de licenciement est présentée par une personne sans qualité pour le faire, l'administration est tenue de la rejeter.

5. Il résulte de l'article 14 des statuts de l'ANPAA que le président représente l'association dans tous les actes de la vie civile. Selon l'article 3 du règlement intérieur, le président peut déléguer ses pouvoirs. Il ressort des pièces du dossier que, par acte du 23 mars 2015, le président de l'ANPAA, M. A... E..., a délégué à la directrice générale, Mme C... B..., le pouvoir, notamment, de diriger les procédures de rupture des contrats de travail et de signer les ruptures de contrat de travail, et de représenter l'association dans les interventions et démarches nécessaires à son bon fonctionnement auprès de l'administration. L'article 5 de cette délégation du 23 mars 2015 prévoit en outre que : " Certains des pouvoirs énumérés pourront, après autorisation préalable du Président, être subdélégués (...) ". Par une subdélégation du 27 mai 2015 autorisée par le président de l'association par acte du 23 mars 2015 produit pour la première fois en appel, et dont la régularité ne saurait être remise en cause en raison de la police de caractère utilisée ou de l'absence de signature du délégataire, Mme B... a délégué au directeur régional d'Aquitaine, M. D..., auteur de la demande d'autorisation de licenciement de Mme F..., ses pouvoirs en matière de licenciement disciplinaire pour les salariés de cette région et de représentant de l'association auprès de l'administration. Par suite, M. D... avait qualité pour solliciter l'autorisation de l'inspecteur du travail en vue de licencier Mme F....

6. Il suit de là que l'ANPAA est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a accueilli le moyen tiré de ce que la demande d'autorisation de licenciement n'avait pas été présentée par l'employeur de cette salariée ou par une personne ayant qualité pour agir en son nom et a annulé, pour ce motif, par le jugement attaqué, la décision du 15 mars 2017 de la ministre du travail autorisant le licenciement de Mme F....

7. Il appartient toutefois à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme F... devant le tribunal administratif et devant la cour.

Sur les autres moyens invoqués :

8. D'une part, aux termes de l'article L. 2411-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " Bénéficie de la protection contre le licenciement prévu par le présent chapitre, y compris lors d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, le salarié investi de l'un des mandats suivants : (...) 2° Délégué du personnel ; (...). ". En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

9. D'autre part, l'article L. 1152-1 du code du travail dispose que : " Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". Aux termes de l'article L. 1152-5 du même code : " Tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d'une sanction disciplinaire ".

10. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 1152-1 du code du travail que le harcèlement moral se caractérise par des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel. Il s'en déduit que, pour apprécier si des agissements sont constitutifs d'un harcèlement moral, l'inspecteur du travail doit, sous le contrôle du juge administratif, tenir compte des comportements respectifs du salarié auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et du salarié susceptible d'en être victime, indépendamment du comportement de l'employeur. Il appartient, en revanche, à l'inspecteur du travail, lorsqu'il estime, par l'appréciation ainsi portée, qu'un comportement de harcèlement moral est caractérisé, de prendre en compte le comportement de l'employeur pour apprécier si la faute résultant d'un tel comportement est d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement.

11. Pour solliciter le licenciement pour motif disciplinaire de Mme F..., l'ANPAA s'est fondée sur son comportement caractérisé par des agissements répétés de harcèlement moral envers trois de ses collègues et des faits de dénigrement de sa hiérarchie. Mme F... conteste la matérialité des faits qui lui sont imputés. Elle soutient à cet égard soit qu'ils ne sont pas avérés soit, pour ceux d'entre eux qui le sont, qu'ils s'expliquent par le contexte de désorganisation de l'association d'ailleurs pointée par le rapport d'expertise INDIGO désigné par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

12. D'une part, les pièces du dossier et notamment le courrier du 21 janvier 2016 de mise en œuvre du droit d'alerte par une déléguée du personnel, les éléments recueillis lors de l'enquête de l'inspecteur du travail et les sept attestations concordantes de salariés de l'association établissent l'existence, à l'égard de trois salariées interrogées entre octobre 2015 et février 2016, d'un comportement agressif répété de Mme F... ainsi que de la tenue par cette dernière de propos négatifs sur la manière de travailler de ses collègues. Ces faits s'inscrivent dans une lignée d'agissements comparables se traduisant notamment par des dénigrements, des pressions morales et des attitudes violentes ou déplacées de Mme F... qui ont engendré pour les salariés qui en ont été victimes une situation de stress, un sentiment de peur et des conditions de travail dégradées. A cet égard, si le rapport d'enquête de l'expert désigné par le CHSCT indique, concernant la succession d'altercations entre professionnels entre octobre 2015 et février 2016, que les faits relatés " sont souvent restés confus " et relève en outre des difficultés liées à l'organisation et à la planification du travail ainsi qu'à la configuration des locaux, il ne remet pas en cause les attestations concordantes des salariés relatant les faits de violences verbales sur trois d'entre eux à six reprises. En outre, si le directeur régional a pu, après l'ouverture de l'enquête interne, avoir un comportement inapproprié avec les salariés de l'association, il ne ressort pas des pièces du dossier que le comportement et les agissements de Mme F..., seraient, même pour partie, imputables à l'employeur, à la désorganisation du service et à la succession des dirigeants qui n'ont pu justifier son comportement agressif vis-à-vis de ses collègues. Enfin, en se bornant à produire plusieurs attestations d'autres collègues de travail louant sa manière de servir et indiquant n'avoir jamais fait l'objet d'un harcèlement de sa part, Mme F... ne remet pas sérieusement en cause la matérialité des faits qui lui sont reprochés.

13. D'autre part, dans les circonstances de l'espèce, eu égard à leur répétition et à leur gravité, de tels comportements, qui ont provoqué des perturbations, ont nui à la bonne organisation de l'association, et ont été de nature à en troubler le fonctionnement du service, sont constitutifs de harcèlement moral au sens des dispositions citées au point 9. Ils sont suffisamment graves pour fonder une mesure de licenciement.

14. Dans ces conditions, et alors même que le comité d'entreprise a rendu le 2 juin 2016 un avis défavorable, la ministre du travail a pu légalement estimer que le licenciement de Mme F... était justifié.

15. Enfin, l'existence d'un lien entre la demande d'autorisation de licenciement pour motif disciplinaire présentée par l'employeur et le mandat de représentation détenu par Mme F... n'est pas démontrée.

16. Il résulte de tout ce qui précède que l'ANPAA est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision de la ministre du travail du 15 mars 2017.

Sur les frais liés à l'instance :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'ANPAA, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que Mme F... demande au titre des frais liés à l'instance. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de Mme F... une somme de 1500 euros au titre des frais exposés par l'ANPAA et non compris dans les dépens. En l'absence de dépens, la demande de l'ANPAA tendant à ce qu'ils soient mis à la charge de Mme F... ne peut qu'être rejetée.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 12 décembre 2019 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme F... devant le tribunal administratif de Bordeaux est rejetée.

Article 3 : Mme F... versera la somme de 1 500 euros à l'association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie (ANPAA) en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus de la demande présentée par l'association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie (ANPAA) est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme I... F..., à l'association nationale de prévention en alcoologie et addictologie et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 29 août 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Karine Butéri, présidente,

Mme Nathalie Gay, première conseillère,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 septembre 2022.

La rapporteure,

Caroline H...

La présidente,

Karine Butéri

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20BX00631


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX00631
Date de la décision : 15/09/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUTERI
Rapporteur ?: Mme Caroline GAILLARD
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : SCP THEMISPHERE

Origine de la décision
Date de l'import : 18/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-09-15;20bx00631 ?
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