Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... a demandé au tribunal administratif de Mayotte d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de Mayotte a refusé de lui délivrer un titre de séjour " salarié " et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de Mayotte de réexaminer sa demande dans un délai de trois mois et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à circuler dans l'attente de l'instruction de sa demande.
Par un jugement n° 2000970 du 25 octobre 2021, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 novembre 2021, et un mémoire en production de pièces enregistré le 4 mai 2022 M. B..., représenté par Me Kouravy Moussa-Bé, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 25 octobre 2021 du tribunal administratif de Mayotte ;
2°) d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de Mayotte a refusé de lui délivrer un titre de séjour " salarié " ;
3°) d'enjoindre au préfet de Mayotte de réexaminer sa demande dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer, dans l'attente de l'instruction de sa demande, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à circuler librement sur le territoire et à exercer une activité professionnelle ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que sa demande était irrecevable ; il a saisi l'autorité préfectorale d'une demande de titre de séjour par voie postale et par voie électronique les 17 et 19 février 2020 ; la saisine par voie électronique est opposable à l'administration ; l'administration a accusé réception de cette saisine le 21 février à 12 h 13, et l'avis de réception de la demande postale révèle qu'elle a reçu cette demande le 21 février 2020 également ; il a donc valablement saisi le préfet d'une demande, et une décision implicite de rejet est née quatre mois après ;
- le jugement est entaché d'irrégularité, pour défaut de mise en demeure de la production de la preuve de sa demande, et donc méconnaissance du contradictoire, dès lors que l'irrecevabilité qui lui a été opposée par le tribunal administratif est fondée sur un motif d'ordre public, donc en violation des articles R. 611-7 et R. 612-2 du code de justice administrative ;
- sur le fond, la décision implicite attaquée est entachée d'un défaut de motivation, dès lors qu'il a, le 17 juillet 2020, saisi l'autorité administrative aux fins de se voir communiquer les motifs du rejet de sa demande, courrier qui a été reçu en préfecture le 22 juillet 2020 comme en témoigne l'accusé de réception ; la décision de refus est donc illégale de ce fait au regard des dispositions du 1° de l'ancien article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, devenu l'article L. 421-1 dudit code ;
- elle est par ailleurs entachée d'une erreur de droit au regard de l'article L. 421-1 précité ;
- elle porte également une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;
- le préfet a également commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de son pouvoir discrétionnaire de régularisation à titre exceptionnel au regard du travail.
Par un mémoire, enregistré le 12 mai 2022, le préfet de Mayotte conclut, à titre principal, à l'irrecevabilité de la requête et, à titre subsidiaire, au rejet des moyens présentés par M. B... comme étant non fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant comorien né le 12 décembre 1990 à Nioumachoi (Anjouan, Comores) a, en raison de la présence de sa fille, bénéficié de titres de séjour " vie privée et familiale " sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de 2015 à 2017. Il a ensuite sollicité un changement de statut en sollicitant un titre salarié. Par un arrêté du 16 mai 2019, le préfet de statut lui a refusé la délivrance de ce titre et lui a fait obligation de quitter le territoire français. M. B... a demandé au tribunal administratif de Mayotte d'annuler la décision implicite de refus de délivrance d'un titre salarié qu'aurait opposée le préfet à sa nouvelle demande, formée en février 2020. Il fait appel du jugement de ce tribunal du 25 octobre 2021, qui a rejeté son recours comme irrecevable sur le fondement de l'article R. 421-1 du code de justice administrative.
Sur l'irrecevabilité opposée par le tribunal administratif :
2. D'une part, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...) ". Aux termes de l'article R. 421-2 du même code : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. (...). " Aux termes de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ".
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le silence gardé par l'autorité administrative sur les demandes de titres de séjour vaut décision implicite de rejet. ". Aux termes de l'article R. 432-2 du même code : " La décision implicite de rejet mentionnée à l'article R.* 432-1 naît au terme d'un délai de quatre mois. / Par dérogation au premier alinéa, ce délai est de quatre-vingt-dix jours lorsque l'étranger sollicite la délivrance d'un titre de séjour mentionné aux articles R. 421-23, R. 421-43, R. 421-47, R. 421-54, R. 421-54, R. 421-60, R. 422-5, R. 422-12, R. 426-14 et R. 426-17. / Par dérogation au premier alinéa ce délai est de soixante jours lorsque l'étranger sollicite la délivrance du titre de séjour mentionné à l'article R. 421-26 ".
4. Pour rejeter la demande de M. B... sur le fondement de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, le tribunal administratif a considéré, suivant en cela la fin de non-recevoir soulevée par le préfet et en l'absence d'observation en réplique du requérant, que l'accusé de réception automatique du 21 février 2020, dont ce dernier soutient qu'il faisait suite à une demande de titre de sa part, ne suffisait pas, à lui seul, à justifier du dépôt d'une telle demande dès lors qu'il ne permettait pas de connaître la teneur de l'éventuel courrier adressé à l'administration. Il en a déduit que le préfet de Mayotte était fondé à soutenir que le recours formé par M. B... était irrecevable en ce qu'il tendait à l'annulation d'une supposée décision implicite de rejet qui devait être regardée, en l'état du dossier, comme inexistante.
5. Cependant, en appel, M. B... produit la demande de titre de séjour " salarié ", effectuée par voie électronique le 19 février 2020 à 15 h 44, comportant en annexe sous un format PDF à la fois la demande datée du 18 février et tous les justificatifs requis, demande qui porte la même référence que celle figurant sur l'accusé de réception des services préfectoraux, en date du 21 février 2020, lequel est au demeurant explicite quant à l'existence d'une demande de titre de séjour à laquelle il répond. En outre, le requérant produit également la demande et ses annexes, adressée par voie postale le 18 février 2020, sur laquelle est portée la mention " correspondance communiquée par voie électronique et par voie postale en LRAR ", et dont il produit l'accusé de réception, présenté en préfecture le 21 février 2020.
6. Dans ces conditions, M. B... doit être regardé comme apportant la preuve de ce qu'il a, à la fois par voie postale et par voie électronique, saisi la préfecture d'une demande de titre de séjour, ainsi que la preuve de ce que ses services ont accusé réception de la demande sous ses deux formes. Une décision implicite de rejet de cette demande est donc née au plus tard le 22 juin 2020. Par suite, il est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Mayotte a opposé une irrecevabilité à sa demande d'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande de titre, au motif que l'existence de celle-ci n'était pas établie. Par voie de conséquence, la fin de non-recevoir opposée à titre principal à la requête d'appel par le préfet doit être écartée.
7. Il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... à l'encontre de la décision implicite de refus de titre de séjour.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite de refus de titre de séjour :
8. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'une décision implicite de rejet est née le 22 juin 2020, décision dont M. B... pouvait, conformément aux dispositions de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration, demander communication des motifs dans le délai de recours contentieux, soit deux mois après la naissance de la décision implicite. Or, il produit un courrier en date du 10 juillet 2020, mentionnant qu'il est communiqué par voie postale en LRAR, par lequel il demande au préfet de lui communiquer les motifs pour lesquels la délivrance du titre de séjour sollicité lui a été refusée. Le préfet n'ayant jamais répondu à cette demande de motifs, le moyen soulevé par M. B..., tiré de ce que la décision de refus en litige est insuffisamment motivée, doit, en conséquence, être accueilli.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que la décision implicite de refus de titre de séjour qui lui a été opposée doit être annulée.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Eu égard au motif d'annulation retenu par le présent arrêt, il y a lieu d'enjoindre au préfet de Mayotte de réexaminer la demande de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente de l'instruction de sa demande, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à circuler librement sur le territoire et à exercer une activité professionnelle.
Sur les frais de l'instance :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le paiement à M. B... d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2000970 du 25 octobre 2021 du tribunal administratif de Mayotte est annulé.
Article 2 : La décision implicite de refus de délivrance d'un titre de séjour opposée par le préfet de Mayotte à M. B... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de Mayotte de réexaminer la demande de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente de l'instruction de sa demande, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à circuler librement sur le territoire et à exercer une activité professionnelle.
Article 4 : L'État versera à M. B... la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera transmise pour information au préfet de Mayotte.
Délibéré après l'audience du 19 mai 2022 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente-assesseure,
Mme Rey-Gabriac, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 juin 2022.
La rapporteure,
Florence A...
Le président
Éric Rey-BèthbéderLa greffière,
Angélique Bonkoungou
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21BX04233