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30/06/2022 | FRANCE | N°21BX00709

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 7ème chambre (formation à 3), 30 juin 2022, 21BX00709


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Maisons Rovaldieri a demandé au tribunal administratif de Poitiers, à titre principal, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2010 à 2013 et du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er septembre 2010 au 31 août 2013, ainsi que des pénalités correspondantes, pour un montant total de 77 25

8 euros et, à titre subsidiaire, la réduction de ces impositions.

Par un jugement n° ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Maisons Rovaldieri a demandé au tribunal administratif de Poitiers, à titre principal, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2010 à 2013 et du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er septembre 2010 au 31 août 2013, ainsi que des pénalités correspondantes, pour un montant total de 77 258 euros et, à titre subsidiaire, la réduction de ces impositions.

Par un jugement n° 1801001 du 18 décembre 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 février 2021, des pièces complémentaires enregistrées le 6 août 2021, un mémoire et des pièces complémentaires enregistrés les 30 et 31 août 2021 et un mémoire, enregistré le 12 novembre 2021, ce dernier n'ayant pas été communiqué, l'EURL Maisons Rovaldieri, représentée par Me Frapech, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du 18 décembre 2020 du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) de prononcer la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre des années 2010 à 2013, à l'exception de la partie de ces suppléments trouvant son origine dans la refacturation des travaux effectués pour le compte de la SCI Jade pour 1 800 et 6 618 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne le bien-fondé :

- la cession du terrain pour un prix de 85 000 euros au bénéfice de la SCI Jade ne constituait pas un acte anormal de gestion ; il s'agissait bien du prix du marché compte tenu de la configuration du terrain ; les termes de comparaison retenus par l'administration pour établir une minoration des recettes ne sont pas pertinents, car les terrains retenus n'étaient pas similaires en ce qu'il s'agissait de terrains à bâtir ; or, le terrain dont s'agit supporte une construction, ce qui constitue une contrainte pour le futur acquéreur ; la méthode retenue par l'administration pour estimer la valeur vénale du terrain étant erronée, elle demande que soit appliqué un abattement de 30 % sur la valeur retenue par l'administration ;

- en outre, la SCI Jade n'a jamais été destinataire d'une proposition de rectification ;

En ce qui concerne les pénalités :

- l'application de la majoration de 40 % pour manquement délibéré n'est pas justifiée ; aucune intention d'éluder l'impôt ne doit être retenue, dès lors que l'acquisition du terrain a été faite par une opération de portage au nom de la SCI Jade afin d'acquérir un terrain au juste prix, les coûts de l'opération ayant été pris en charge par la SCI et les matériaux utilisés pour la construction de la maison prélevés sur les stocks de l'EURL ayant été remboursés par la SCI.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 12 août et 17 septembre 2021, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les conclusions à fin de décharge en matière de TVA sont irrecevables, dès lors que devant la cour, l'EURL ne développe aucun moyen visant à contester les rappels de TVA ; s'agissant des rehaussements en matière d'impôt sur les sociétés, elle demande que les bases d'imposition soient réduites de la totalité des rectifications, à l'exception de la refacturation de travaux effectués pour le compte de la SCI Jade à hauteur de 1 800 et 6 618 euros ; par suite, le litige doit être regardé comme limité à la contestation des suppléments d'impôt sur les sociétés à hauteur de 73 705 euros en droits et pénalités ;

- par ailleurs, les moyens soulevés par l'EURL Maisons Rovaldieri ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B... C...,

- les conclusions de Mme Florence Madelaigue, rapporteure publique,

- et les observations de Me Frapech, représentant l'EURL Maisons Rovaldieri.

Considérant ce qui suit :

1. L'EURL Maisons Rovaldieri est une entreprise générale de construction, dont le siège social se situe à Dolus-d'Oléron (Charente-Maritime). En 2014, la société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er septembre 2010 au 31 août 2013. Par une proposition de rectification du 23 octobre 2014, le service lui a notifié, notamment, des rehaussements d'impôt sur les sociétés, considérant que le montant de la cession d'un terrain par l'EURL à la SCI Jade avait été minoré. Le service a également considéré que la libéralité ainsi accordée à la SCI Jade constituait un revenu distribué imposable à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers pour ses deux associés et co-gérants, lesquels sont également respectivement associé unique et salariée de l'EURL. S'agissant de cette dernière, la mise en recouvrement a eu lieu le 16 décembre 2016 pour un montant total, en droits et pénalités, de 77 258 euros. Par une réclamation du 13 février 2017, l'EURL Maisons Rovaldieri a contesté ces impositions supplémentaires. Le service a rejeté sa réclamation par une décision du 27 février 2018. Cette société fait appel du jugement du tribunal administratif de Poitiers du 18 décembre 2020, qui a rejeté sa demande aux fins de décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés qui trouvent leur origine dans la vérification de comptabilité précitée.

Sur les conclusions à fin de décharge :

2. Il résulte de l'instruction que, par acte notarié du 19 mars 2012, M. A... et Mme D..., qui sont respectivement, comme cela a été dit au point 1, associé unique et salariée de l'EURL Maisons Rovaldieri, ont constitué la SCI Jade, chacun étant associé et co-gérant à hauteur de 50% du capital. Le 13 juin 2012, l'EURL Maisons Rovaldieri a vendu à la SCI Jade, pour un prix de 85 000 euros, plusieurs parcelles formant une même unité foncière d'une surface totale de 2 825 m² située à Saint-Pierre-d'Oléron, sur laquelle des travaux de construction d'une maison d'habitation constituant la résidence de M. A... et de Mme D... avaient débuté.

En ce qui concerne la procédure :

3. L'EURL fait valoir que la SCI Jade aurait dû être destinataire d'une proposition de rectification. Cependant, dans le cadre du présent contentieux, la société requérante n'est pas recevable à se plaindre de la procédure qui a été menée à l'encontre d'une société distincte. Au demeurant, à la suite de la vérification de comptabilité dont a fait l'objet l'EURL Maisons Rovaldieri, M. A... et Mme D... ont fait l'objet, en leur qualité d'associé et de salariée, d'un contrôle sur pièces à l'issue duquel le service a tiré les conséquences du contrôle de l'EURL en considérant qu'un avantage occulte leur avait été accordé par l'intermédiaire de la SCI Jade, constituant un revenu distribué imposable à l'impôt sur le revenu sur le fondement de l'article 111 c du code général des impôts. Par suite, M. A... et Mme D..., et non la SCI, ont été à juste titre destinataires de propositions de rectification en leur qualité d'associés de la SCI.

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

4. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale. Les renonciations à recettes et abandons de créances consentis par une entreprise au profit d'un tiers ne relèvent pas, en règle générale, d'une gestion commerciale normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant de tels avantages, l'entreprise a agi dans son propre intérêt. S'il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer qu'une renonciation à recettes ou un abandon de créance par une entreprise à un tiers constitue un acte anormal de gestion, elle est réputée apporter cette preuve lorsque cette entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié en retour de contreparties.

5. En appel, la société requérante, pour contester la qualification d'acte anormal de gestion retenue par l'administration et qui fonde les redressements en litige, à savoir la cession d'un terrain pour un prix de 85 000 euros à la SCI Jade, réitère les mêmes moyens qu'en première instance sans apporter d'éléments nouveaux. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs pertinemment retenus par le tribunal administratif aux points 4 à 6 de son jugement.

6. S'agissant plus particulièrement de la méthode d'évaluation de la valeur vénale du terrain retenue par l'administration, l'EURL la critique pour la première fois comme étant erronée et non pertinente, dans la mesure où les termes de comparaison ont porté sur des terrains à bâtir vierges de toute construction, alors qu'en l'espèce, le terrain vendu comportait une maison d'habitation en construction, ce qui, selon elle, constituerait une contrainte pour le futur acquéreur par rapport à un terrain nu.

7. Il résulte cependant de l'instruction que, pour déterminer la valeur vénale réelle du terrain, l'administration a retenu comme termes de comparaison des terrains à bâtir objets de cessions en 2010 et 2011, qui peuvent être regardés comme similaires car situés dans la même zone urbaine que le terrain en litige et donc soumis aux mêmes contraintes d'urbanisme, à savoir en zone Uba du plan local d'urbanisme de Saint-Pierre-d'Oléron, ce qui fait ressortir un prix moyen de 141,71 euros/m², là où la vente du 13 juin 2012 du terrain en litige par l'EURL à la SCI Jade, réalisée pour un montant de 85 000 euros, correspond à une valeur de 30,08 euros/m². Au demeurant, en retenant l'ensemble de la communauté de communes de l'île d'Oléron, le prix moyen du m² des terrains achetés s'établit respectivement à 140 euros en 2010, 161 euros en 2011 et 176 euros en 2012, selon les enquêtes sur le prix des terrains à bâtir établies par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). En outre, le prix moyen de 141 euros, qui est cohérent avec les données propres à l'ensemble de l'île, a été ramené par le service à 100 euros, correspondant au prix de vente le plus bas constaté dans une vente du 7 janvier 2011. Par ailleurs, et contrairement à ce que soutient la requérante, le prix de revient d'un bien doit comprendre son terrain d'assiette et les éventuels frais engagés pour une construction. En l'espèce, la présence d'une maison d'habitation, certes inachevée mais hors d'air et hors d'eau et d'une SHON de 279 m², a été valorisée et prise en compte dans la détermination de la valeur vénale du terrain, à partir d'un panel de 19 constructions réalisées par l'EURL Maisons Rovaldieri, et après déduction d'une partie des travaux facturés à la SCI Jade et d'un coefficient de marge de 20 % appliqué aux travaux supportés par l'EURL, pour être finalement établie à la somme de 37 975 euros. Dans ces conditions, la société requérante n'établit pas que la méthode d'évaluation suivie par l'administration aurait été dépourvu de pertinence.

En ce qui concerne les pénalités :

8. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d'affaires, des droits d'enregistrement, de la taxe de publicité foncière et du droit de timbre, la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l'administration ". Le manquement délibéré est caractérisé par la réunion d'un élément objectif tel que l'insuffisance, l'inexactitude ou le caractère incomplet d'une déclaration, et d'un élément subjectif, à savoir l'intention délibérée de se soustraire à l'impôt.

9. La société requérante, en tant que professionnelle du secteur de la construction de maisons individuelles et du fait de son implantation ne pouvait ignorer, d'une part, qu'en renonçant à porter dans l'acte de vente du terrain vendu comme " à bâtir " la valeur de la maison qu'elle y avait déjà édifiée, elle a consenti à son associé unique, au travers de la SCI Jade, un avantage sans contrepartie. Elle ne pouvait, d'autre part, ignorer non plus les prix du marché immobilier pour des ventes similaires constatées dans le même secteur. Ainsi, en cédant à son gérant et associé unique un terrain à un prix bien inférieur à sa valeur et la maison qui y était en cours de construction, elle s'est privée d'une recette importante, en réduisant significativement la matière imposable, alors, au surplus, que les relations d'intérêt existant entre l'EURL et la SCI Jade confirment que l'EURL avait parfaitement connaissance des faits à l'origine des redressements et démontrent son intention délibérée d'éluder l'impôt. Dans ces conditions, l'application de la majoration de 40 % prévue en cas de caractère délibéré des manquements est justifiée.

10. Il résulte de tout ce qui précède que l'EURL Maisons Rovaldieri n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Sur les frais de l'instance :

11. L'État n'étant pas partie perdante, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de l'EURL Maisons Rovaldieri relatives aux frais liés au litige.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'EURL Maisons Rovaldieri est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL Maisons Rovaldieri, ainsi qu'au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Copie en sera adressée à la directrice régionale des finances publiques de Nouvelle-Aquitaine et du département de la Charente-Maritime.

Délibéré après l'audience du 19 mai 2022 à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente-assesseure,

Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 juin 2022.

La rapporteure,

Florence C...

Le président,

Éric Rey-Bèthbéder

La greffière,

Angélique Bonkoungou

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 21BX00709


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 7ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 21BX00709
Date de la décision : 30/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : CSF JURCO

Origine de la décision
Date de l'import : 12/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-06-30;21bx00709 ?
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