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28/06/2022 | FRANCE | N°21BX04417

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 28 juin 2022, 21BX04417


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... E... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 20 octobre 2021 par lequel la préfète de la Gironde a ordonné son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2105725 du 15 novembre 2021, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par requête, enregistrée le 2 décembre 2021, M. E..., représenté par Me L

assort, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 15 novembre 2021 de la magistrate désign...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... E... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 20 octobre 2021 par lequel la préfète de la Gironde a ordonné son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2105725 du 15 novembre 2021, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par requête, enregistrée le 2 décembre 2021, M. E..., représenté par Me Lassort, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 15 novembre 2021 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Gironde du 20 octobre 2021 ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et un formulaire de demande d'asile dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté est insuffisamment motivé ;

- l'arrêté est entaché d'un défaut d'examen sérieux de sa situation ; il existe une contradiction entre la réalité de sa situation familiale et le résumé d'entretien individuel puisqu'il se trouve en France accompagné de plusieurs membres de sa famille ;

- l'arrêté contrevient au principe de célérité de l'examen de la demande d'asile en méconnaissance des dispositions de l'article 25.1 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- la procédure est viciée dès lors que les Etats n'ont pas communiqué par le réseau " dublinet " et ce en méconnaissance des dispositions des articles 15.1 et 18 du règlement d'exécution n° 1560/2003 ;

- l'arrêté méconnait les dispositions de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu'il est impossible de déterminer le point de départ du délai de six mois d'exécution du transfert ;

- l'arrêté méconnait les dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- l'arrêté méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire enregistré le 13 janvier 2022, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête de M. E....

Elle soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par décision du 20 janvier 2022, M. E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme D... B....

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., ressortissant turc né le 1er juillet 1980, déclare être entré irrégulièrement sur le territoire français le 12 juin 2021. Il a déposé une demande d'asile enregistrée le 18 juin 2021 à la préfecture de la Gironde. La consultation du fichier Eurodac a permis de constater que ses empreintes décadactylaires avaient préalablement été relevées en Espagne le 30 mai 2021. Les autorités espagnoles ont été saisies le 8 juillet 2021 d'une demande de reprise en charge sur le fondement du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, dit " C... A... ". Les autorités espagnoles ont implicitement accepté cette demande le 27 juillet 2021 sur le fondement du b) du 1 de l'article 18 de ce règlement. Par un arrêté du 20 octobre 2021, la préfète de la Gironde a prononcé le transfert de M. E... aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile. L'intéressé ayant été déclaré en fuite, le délai de transfert a été prolongé à 18 mois à compter de la date du jugement attaqué soit jusqu'au 15 mai 2023. M. E... relève appel du jugement du 15 novembre 2021 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 20 octobre 2021.

Sur la légalité de l'arrêté de transfert :

2. En premier lieu, M. E... reprend en appel, dans des termes similaires, sans invoquer d'éléments de fait ou de droit nouveau par rapport à l'argumentation développée en première instance et sans critiquer la réponse qui lui a été apportée par le tribunal administratif, les moyens tirés de ce que l'arrêté attaqué serait insuffisamment motivé, révèlerait un défaut d'examen particulier de sa situation et serait entaché de vices de procédure en méconnaissance des articles 15, 18, 23, 25 du règlement (UE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs pertinents retenus par le premier juge.

3. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. /2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ". Il résulte de ces dispositions que le transfert du demandeur d'asile vers le pays de réadmission doit se faire dans les six mois à compter de l'acceptation de la demande de reprise en charge. Ce délai peut être porté à dix-huit mois si l'intéressé prend la fuite. La notion de fuite doit s'entendre, au sens de ces dispositions, comme visant le cas où le ressortissant étranger non admis au séjour se soustrait de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative en vue de faire obstacle à une mesure d'éloignement le concernant.

4. D'autre part, l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'État requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel, ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

5. A supposer, ainsi que l'a retenu le premier juge, que les mentions figurant dans la décision attaquée, selon lesquelles l'Espagne a implicitement accepté de reprendre en charge M. E... le 27 juillet 2021 et également " confirmé sa responsabilité en application de l'article 25-2 le 9 juillet 2021 ", sont susceptibles de rendre plus délicate la détermination du point de départ du délai de six mois d'exécution du transfert, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision de transfert dès lors que le délai initial de six mois dont disposait la préfète de la Gironde pour procéder à l'exécution de la décision de transférer M. E... vers l'Espagne a été interrompu par la saisine du tribunal administratif de Bordeaux. Ce délai a recommencé à courir intégralement à compter de la notification du jugement du 15 novembre 2021 intervenue le jour même. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que ce délai a été prolongé jusqu'au 15 mai 2023 en raison de la fuite de l'intéressé, qui n'a pas déféré aux obligations de pointage. Par suite, M. E... n'est pas fondé à soutenir que la préfète de la Gironde a méconnu l'article 29 précité du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

6. En troisième lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre A... afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Aux termes de l'article 17 de ce règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à une autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable (...) ". Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire.

7. M. E... fait valoir que, compte tenu du traitement de sa demande d'asile par les autorités espagnoles, son transfert vers l'Espagne laisse présager qu'il sera renvoyé dans son pays d'origine. Toutefois, l'intéressé n'établit par aucune production que les autorités espagnoles, qui ont implicitement donné leur accord à la demande de reprise en charge adressée par les autorités françaises, n'ont pas sérieusement examiné sa demande d'asile déposée le 30 mai 2021, ni qu'il aurait été privé de voie de recours contre cette décision ou du bénéfice des conditions matérielles d'accueil.

8. En quatrième lieu, aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

9. Si M. E... soutient qu'il encourt des risques en cas de retour en Turquie, l'arrêté portant transfert aux autorités espagnoles n'a ni pour objet ni pour effet de renvoyer l'intéressé dans son pays d'origine. Au demeurant, si M. E... fait valoir qu'il appartient à la communauté kurde, il ne produit aucun élément permettant d'établir la réalité et le caractère personnel et actuel des risques encourus à la date de la décision attaquée en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulation et dispositions précitées ne peut qu'être écarté.

10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

11. Il ressort des pièces du dossier que M. E..., célibataire et sans charge de famille, est entré en France très récemment à l'âge de 40 ans. La seule production de cinq cartes de résident de membres supposés de sa famille ne peut suffire à caractériser une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au regard des motifs de la décision de transfert. Par suite, ainsi que l'a pertinemment jugé le tribunal, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le préfet n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. E....

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par l'appelant, n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction doivent également être rejetées.

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'État au titre des frais liés au litige dès lors qu'il n'est pas dans la présente instance la partie perdante.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... E... et au ministre de l'intérieur. Copie sera adressée à la préfète de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 7 juin 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Karine Butéri, présidente,

M. Olivier Cotte, premier conseiller,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 juin 2022.

L'assesseur le plus ancien

dans l'ordre du tableau,

Olivier Cotte

La présidente-rapporteure,

Karine B...

L'assesseure la plus ancienne

dans l'ordre du tableau,

Sylvie Cherrier

La présidente-rapporteure,

Karine B...

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 21BX04417


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX04417
Date de la décision : 28/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUTERI
Rapporteur ?: Mme Karine BUTERI
Rapporteur public ?: M. BASSET
Avocat(s) : LASSORT

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-06-28;21bx04417 ?
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