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21/06/2022 | FRANCE | N°21BX03514

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 21 juin 2022, 21BX03514


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... E... épouse B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner l'État à lui verser la somme de 18 189,36 euros en réparation du préjudice matériel et des préjudices moraux que lui a causé la faute qu'a commise le préfet de La Réunion en refusant de renouveler son titre de séjour et en lui faisant obligation de quitter le territoire français par arrêté n° 2019/126 du 31 décembre 2019.

Par un jugement n° 2100116 du 28 juin 2021, le tribunal administratif de La Réun

ion a condamné l'Etat à verser à Mme E... épouse B... A... somme de 10 000 euros au titr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... E... épouse B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner l'État à lui verser la somme de 18 189,36 euros en réparation du préjudice matériel et des préjudices moraux que lui a causé la faute qu'a commise le préfet de La Réunion en refusant de renouveler son titre de séjour et en lui faisant obligation de quitter le territoire français par arrêté n° 2019/126 du 31 décembre 2019.

Par un jugement n° 2100116 du 28 juin 2021, le tribunal administratif de La Réunion a condamné l'Etat à verser à Mme E... épouse B... A... somme de 10 000 euros au titre de l'ensemble des préjudices matériels et moraux subis.

Procédure devant la cour :

Par requête, enregistrée le 26 août 2021, le préfet de La Réunion demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 28 juin 2021 du tribunal administratif de La Réunion ;

2°) de rejeter les demandes de Mme E... épouse B..., et, à titre subsidiaire, de réformer le jugement quant au montant de l'indemnité allouée.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que la liste des décisions mises à disposition au greffe de la juridiction comportant le jugement attaqué n'a pas été affichée le 21 juin 2021, et ce en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-1 du code de justice administrative ; par ailleurs, s'agissant du préjudice moral, le tribunal administratif n'était pas compétent pour se prononcer sur le préjudice résultant de son placement en garde à vue ;

- l'essentiel du préjudice allégué ne résulte pas de l'illégalité de la décision du 31 décembre 2019 ; le préjudice n'apparait ni établi ni certain ; elle ne justifie pas avoir effectué de démarches pour percevoir les prestations en cause ; les tiers payeurs auraient dû être mis en cause ;

- la requérante n'a apporté aucun élément de nature à établir la réalité du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'elle aurait subis compte tenu de l'illégalité de la décision du 31 décembre 2019 ;

- la période d'indemnisation du préjudice matériel retenue par les premiers juges est erronée s'agissant de la détermination du préjudice financier concernant le revenu de solidarité active majoré.

Par un mémoire enregistré le 10 décembre 2021, Mme E... épouse B..., représentée par Me Bautrant, conclut au rejet de la requête du préfet de La Réunion et à ce qu'il soit mis à la charge de l'État la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que les moyens soulevés par le préfet de La Réunion ne sont pas fondés.

Mme E... épouse B... a obtenu le maintien du bénéfice de l'aide juridictionnelle totale accordé initialement le 4 décembre 2020, par A... décision du 18 novembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme D... C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... épouse B..., ressortissante malgache née le 7 mai 1996 à Doany (Madagascar), est entrée sur le territoire français le 13 mars 2019 sous couvert d'un visa long séjour en qualité de conjoint de Français. Par arrêté du 31 décembre 2019, le préfet de La Réunion a rejeté sa demande de renouvellement de titre de séjour présentée sur le fondement de l'article L. 313-11 4°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai d'un mois. Par un jugement du 16 juin 2020, le tribunal administratif de La Réunion a annulé l'arrêté du 31 décembre 2019 et a enjoint au préfet de La Réunion de lui délivrer A... carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Le 26 février 2020, Mme E... épouse B... a saisi le tribunal administratif de La Réunion d'une demande par laquelle elle a sollicité l'indemnisation des préjudices subis du fait de l'illégalité de l'arrêté annulé. Le préfet de La Réunion relève appel du jugement du 28 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de la Réunion a condamné l'État à verser à Mme E... épouse B... A... somme de 10 000 euros au titre de l'ensemble de ses préjudices matériels et moraux.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-1 du code de justice administrative : " Sous réserve des cas où elle est lue sur le siège, la décision est prononcée par sa mise à disposition au greffe de la juridiction. La liste des décisions mises à disposition au greffe de la juridiction est affichée le jour même dans les locaux de la juridiction. ". La circonstance que le jugement n'aurait pas été rendu public, à la supposer établie, est dépourvue d'incidence sur la régularité de ce jugement. Dans ces conditions, le préfet de La Réunion n'est pas fondé à soutenir que le jugement rendu par le tribunal administratif de La Réunion est irrégulier faute d'avoir respecté les dispositions précitées.

3. En second lieu, le placement en garde à vue, en application des articles 63 et suivants du code de procédure pénale, d'une personne à l'encontre de laquelle il existe A... ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre A... infraction, a le caractère d'une opération de police judiciaire et il n'appartient par conséquent qu'aux tribunaux judiciaires de connaître des litiges survenus à l'occasion d'un tel placement. Dès lors, c'est à tort que le tribunal administratif de La Réunion s'est reconnu compétent pour statuer sur la demande de Mme E... épouse B... en tant qu'elle tendait à la réparation de ses préjudices résultant de son placement en garde à vue. Il y a lieu d'annuler le jugement attaqué dans cette mesure et, après évocation, de rejeter cette demande comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître et, par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les autres demandes de Mme E... épouse B....

Sur la responsabilité de l'Etat :

En ce qui concerne le principe de la responsabilité :

4. L'arrêté du 31 décembre 2019 du préfet de La Réunion portant refus de renouvellement d'un titre de séjour

et faisant obligation à Mme E... épouse B... de quitter le territoire français a été annulé pour erreur manifeste d'appréciation par un jugement, devenu définitif, rendu le 16 juin 2020 par le tribunal administratif de La Réunion. L'illégalité de cet arrêté constitue A... faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à raison des préjudices directs et certains qu'il a pu causer à l'intéressée.

En ce qui concerne l'indemnisation des préjudices :

S'agissant du préjudice financier :

5. La requérante a sollicité le versement d'une somme de 8 189, 36 euros au titre du préjudice financier subi du fait de l'impossibilité de percevoir la prestation d'accueil du jeune enfant et du revenu de solidarité active majoré.

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 531-1 du code de la sécurité sociale : " Ouvrent droit à la prestation d'accueil du jeune enfant l'enfant à naître et l'enfant né dont l'âge est inférieur à un âge limite. (...) ".

7. Il résulte de l'instruction que Mme E... épouse B..., qui s'est vue délivrer A... carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " le 24 juin 2020, a été privée du bénéfice de la prestation d'accueil du jeune enfant pour A... période allant du 31 décembre 2019 au 1er juillet 2020 soit durant A... période de six mois. Le montant mensuel de cette prestation s'élevait à 171, 74 euros en 2020. L'intéressée aurait donc dû percevoir A... somme de 1 030, 44 euros au titre de cette prestation.

8. En second lieu, aux termes de l'article L. 262-2 du code de l'action sociale et des familles : " Toute personne résidant en France de manière stable et effective, dont le foyer dispose de ressources inférieures à un montant forfaitaire, a droit au revenu de solidarité active dans les conditions définies au présent chapitre. (...) ". Aux termes de l'article L. 262-4 du même code : " Le bénéfice du revenu de solidarité active est subordonné au respect, par le bénéficiaire, des conditions suivantes : (...) 2° Etre français ou titulaire, depuis au moins cinq ans, d'un titre de séjour autorisant à travailler. Cette condition n'est pas applicable : (...) b) Aux personnes ayant droit à la majoration prévue à l'article L. 262-9, qui doivent remplir les conditions de régularité du séjour mentionnées à l'article L. 512-2 du code de la sécurité sociale (...) ". Et aux termes de l'article L. 262-9 du même code : " Le montant forfaitaire mentionné à l'article L. 262-2 est majoré, pendant A... période d'une durée déterminée, pour : / 1° A... personne isolée assumant la charge d'un ou de plusieurs enfants ; / 2° A... femme isolée en état de grossesse, ayant effectué la déclaration de grossesse et les examens prénataux. (...) ".

9. La situation de Mme E... épouse B... ayant été régularisée à compter du 24 juin 2020, elle pouvait prétendre au versement du revenu de solidarité active à compter du 1er juillet suivant. Le préfet de La Réunion est donc fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont condamné l'État à indemniser le préjudice tiré de la perte de revenu pour la période courant du 1er février 2020 au 31 août 2020. Il y a seulement lieu de retenir que Mme E... épouse B... a été privée du bénéfice du revenu de solidarité active majoré en raison de la faute de l'Etat pour la période courant du 1er février 2020 au 1er juillet 2020, soit A... période de cinq mois. Le montant mensuel de cette aide s'élevant à 851,93 euros en 2020, il y a lieu de fixer à la somme de 4 259, 65 euros le préjudice subi par l'intéressée au titre de la privation du revenu de solidarité active majoré.

10. Il résulte de tout ce qui précède qu'il sera fait A... exacte appréciation des préjudices financiers subis par Mme E... épouse B... en condamnant l'État à lui verser la somme de 5 290, 09 euros.

S'agissant du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence :

11. Il résulte de l'instruction que l'arrêté du 31 décembre 2019, portant refus de renouvellement de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français dans le délai d'un mois a eu pour conséquence directe de placer Mme E... épouse B... dans A... situation de grande précarité alors que celle-ci était enceinte de huit mois et qu'elle se prévalait d'une situation de violences conjugales.

12. Il sera fait A... juste appréciation du préjudice moral subi par l'intéressée en lui allouant à ce titre la somme de 1 500 euros.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la somme que l'Etat a été condamné à verser à Mme E... épouse B... par l'article 1er du jugement attaqué doit être ramenée de 10 000 euros à 6 790, 09 euros.

Sur les frais liés à l'instance :

14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme que Mme E... épouse B... demande au titre de l'application combinée de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er: Le jugement du Tribunal administratif de La Réunion est annulé en tant qu'il a statué sur la demande d'indemnisation résultant du placement en garde à vue de Mme E... épouse B....

Article 2 : Les conclusions présentées par Mme E... épouse B... au titre de l'indemnisation de ses préjudices résultant de son placement en garde à vue sont rejetées comme portées devant A... juridiction incompétente pour en connaître.

Article 3 : La somme que l'Etat a été condamné à verser à Mme E... épouse B... par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de La Réunion du 28 juin 2021 est ramenée de 10 000 euros à 6 790, 09 euros.

Article 4 : Les conclusions présentées par Mme E... épouse B... au titre de l'application combinée de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme F... E... épouse B.... Copie en sera adressée au préfet de La Réunion.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Karine Butéri, présidente,

M. Olivier Cotte, premier conseiller,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 juin 2022.

L'assesseur le plus ancien

dans l'ordre du tableau,

Olivier CotteLa présidente-rapporteure,

Karine C...

L'assesseure la plus ancienne

dans l'ordre du tableau,

Sylvie Cherrier

La présidente-rapporteure,

Karine C...La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 21BX03514


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX03514
Date de la décision : 21/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUTERI
Rapporteur ?: Mme Karine BUTERI
Rapporteur public ?: M. BASSET
Avocat(s) : BAUTRANT

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-06-21;21bx03514 ?
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