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09/06/2022 | FRANCE | N°20BX01098

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 09 juin 2022, 20BX01098


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... J... et Mme B... H... épouse J..., agissant en leurs noms propres et en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs G... et D..., I... J... et M. F... J... ont demandé au tribunal administratif de Tulle de condamner le centre hospitalier de Tulle à leur verser à titre provisionnel des indemnités d'un montant total de 193 864,78 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de fautes commises dans la prise en charge de leur fils et frère G... les 15 et 16 aoû

t 2010.

Dans la même instance, la caisse primaire d'assurance maladie (CP...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... J... et Mme B... H... épouse J..., agissant en leurs noms propres et en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs G... et D..., I... J... et M. F... J... ont demandé au tribunal administratif de Tulle de condamner le centre hospitalier de Tulle à leur verser à titre provisionnel des indemnités d'un montant total de 193 864,78 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de fautes commises dans la prise en charge de leur fils et frère G... les 15 et 16 août 2010.

Dans la même instance, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) Lille-Douai a demandé au tribunal de condamner le centre hospitalier à lui verser la somme de 94 051,11 euros au titre de ses débours provisoires.

Par un jugement n° 1701115 du 30 janvier 2020, le tribunal a condamné le centre hospitalier de Tulle à verser à M. et Mme J... les sommes de 7 900 euros au titre des préjudices d'Augustin, de 2 000 euros au titre des préjudices de son frère jumeau D... et

de 2 500 euros chacun au titre de leurs préjudices propres, à Mme A... J... et M. F... J..., sœur et frère majeurs d'Augustin, une somme de 2 000 euros chacun, et à

la CPAM Lille-Douai une somme de 47 025,56 euros, et a rejeté le surplus des demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 24 mars 2020 et un mémoire enregistré le 11 juin 2021, M. et Mme J..., agissant en leurs noms propres et en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs G... et D..., K... A... J... et M. F... J..., représentés par la SELARL J..., demandent à la cour :

1°) de réformer les articles 1er et 6 de ce jugement ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Tulle à verser :

- à titre provisionnel à M. et Mme J... les sommes de 122 229 euros au titre des préjudices d'Augustin, de 15 000 euros au titre des préjudices d'Oscar et de 15 000 euros chacun au titre de leurs préjudices propres ;

- à titre d'indemnité définitive à Mme A... J... et M. F... J... une somme de 15 000 euros chacun ;

3°) d'assortir ces sommes des intérêts au taux légal à compter du 16 mai 2017 et de leur capitalisation à compter du 16 mai 2018 ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Tulle une somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

En ce qui concerne la responsabilité :

- ils sollicitent la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité pour faute du centre hospitalier à raison d'un retard de diagnostic ayant entraîné un retard de prise en charge adaptée de la méningo-encéphalite herpétique, et de l'insuffisance de la dose d'acyclovir injectée à partir du 16 août 2010 à 11 heures 30 ;

En ce qui concerne la perte de chance :

- le rapport critique produit par le centre hospitalier est déconnecté de la réalité puisque son auteur n'a ni participé à l'expertise, ni examiné G... ; le médecin conseil de l'hôpital avait présenté après la réunion d'expertise des observations selon lesquelles la perte de chance aurait été négligeable, auxquelles l'expert a répondu qu'il n'était pas d'accord, et il appartenait alors au centre hospitalier d'adresser à l'expert un dire auquel il aurait pu répondre ; le centre hospitalier ne saurait donc leur reprocher de critiquer l'opinion de son médecin conseil, laquelle n'a pas été soumise au contradictoire ;

- dès lors qu'Augustin avait reçu avant l'admission à l'hôpital une injection de Valium ayant des effets anti-convulsifs et antipyrétiques, il était nécessaire, compte tenu des symptômes de fatigue, de maux de ventre et de fièvre depuis le 12 août 2010, de pratiquer les examens indispensables à l'établissement d'un diagnostic sérieux, et le centre hospitalier a également commis une faute en injectant une dose insuffisante d'acyclovir ;

- le tribunal a retenu qu'environ 25 % des enfants hospitalisés pour cette pathologie présentaient une PCR négative, et selon une étude réalisée en 2010, 27 % des patients traités rapidement par acyclovir ne présentaient pas de séquelles neurologiques ; ce constat aurait dû le conduire à retenir, comme l'expert, un taux de perte de chance de 30 % et non de 15 % ; le taux de 30 % correspond également à la littérature médicale citée dans le rapport critique produit par le centre hospitalier, selon laquelle près des deux tiers des survivants présentent des déficits neurologiques significatifs même après une administration précoce du traitement ;

- le taux de perte de chance de 5 à 8 % retenu par le médecin conseil du centre hospitalier ne correspond à rien, et celui de 15 % retenu par les premiers juges correspond aux patients traités par acyclovir qui ont pu être guéris sans séquelles graves ; la littérature médicale retient un taux de 27 % pour les patients traités ayant conservé des séquelles modérées ; ils sont ainsi fondés à demander à la cour de retenir un taux de perte de chance de 30 % ;

En ce qui concerne les préjudices d'Augustin :

- ils ne contestent pas la somme de 400 euros allouée par le tribunal au titre des frais de déplacement ;

- parmi les établissements mentionnés par le centre hospitalier, seul le collège de Cysoing a ouvert un dispositif ULIS " troubles cognitifs " à la rentrée scolaire 2017, alors qu'il était trop tard pour l'inscription d'Augustin qui a été admis dans un établissement privé adapté à ses difficultés dans le cadre d'une collaboration avec l'IME dans lequel il était précédemment scolarisé ; les frais de scolarité se sont élevés à 4 935 euros pour les 4 ans de scolarité ;

- le temps supplémentaire consacré à G... par ses parents peut être évalué

à 20 heures par semaine et à une somme provisionnelle de 59 220 euros après application du taux de perte de chance de 30 %, sur la base d'un tarif horaire de 15 euros et d'une durée

de 658 semaines du 15 août 2010 au 31 mars 2023, date de la majorité d'Augustin ; à titre subsidiaire, il est demandé une provision de 28 080 euros sur la base de 312 semaines en excluant les périodes de prise en charge à l'institut d'éducation motrice ; il est justifié, par les pièces produites, de la nécessité d'une assistance au-delà du temps normal que tout parent doit consacrer à son enfant ;

- sur la base d'un déficit fonctionnel temporaire moyen de 45 % du 15 août 2010 à la majorité d'Augustin et de 30 euros par jour de déficit fonctionnel total, une provision

de 18 674 euros peut être allouée au titre du déficit fonctionnel temporaire après application du taux de 30 % ;

- les souffrances endurées cotées à 5 sur 7 par l'expert justifient l'octroi d'une provision de 24 000 euros après application du taux de 30 % ;

- le tribunal ne s'est pas prononcé sur la demande relative aux troubles dans les conditions d'existence compte tenu des répercussions majeures sur la scolarité et de la nécessité d'une rééducation soutenue ; ce préjudice justifie l'attribution d'une provision de 15 000 euros après application du taux de 30 % ;

En ce qui concerne les préjudices des parents :

- la provision de 2 500 euros allouée par les premiers juges à chacun des parents au titre de leur préjudice d'affection est manifestement insuffisante et doit être portée à 15 000 euros après application du taux de 30 % ;

En ce qui concerne les préjudices des frères et de la sœur d'Augustin :

- l'importance du préjudice psychologique et d'affection d'Oscar, frère jumeau d'Augustin, justifie l'allocation d'une provision de 15 000 euros après application du taux

de 30 % ;

- le préjudice psychologique et d'affection de F... et de Diane, qui ont également été délaissés par leurs parents et ont conscience des difficultés d'insertion qu'Augustin rencontrera à l'avenir, peut être définitivement liquidé à hauteur de 15 000 euros chacun après application du taux de 30 % ;

En ce qui concerne les frais d'expertise :

- ils sollicitent la confirmation du jugement qui les a mis à la charge définitive du centre hospitalier de Tulle.

Par un mémoire enregistré le 20 mai 2020, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par la SELARL Birot, Ravaut et Associés, demande à la cour de rejeter toute demande d'indemnisation qui serait formulée à son encontre.

Il fait valoir que le dommage ne résulte pas d'un accident médical, et qu'il engage la responsabilité pour faute du centre hospitalier de Tulle.

Par un mémoire en défense enregistré le 29 avril 2021, le centre hospitalier de Tulle, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- il ne peut être déduit du rapport critique qu'il a produit qu'un taux de perte de chance de 30 % devrait être retenu dès lors que ce rapport évalue la perte de chance de guérison sous traitement adapté à 5 à 8 %, et que le taux de 15 % retenu par le tribunal est proche de celui

de 14 % de patients guéris sous traitement adapté résultant de la littérature citée par l'expert judiciaire ;

- c'est à bon droit que le tribunal a rejeté la demande relative aux frais de scolarité dans un collège privé dès lors qu'il n'est pas démontré que des collèges publics proches du domicile auraient refusé de prendre en charge G... ;

- la demande relative à l'assistance par une tierce personne ne peut être admise en l'absence d'éléments permettant d'apprécier les périodes et le nombre d'heures concernés, alors qu'Augustin a été pris en charge en centre de rééducation de septembre 2010 à décembre 2011 puis en institut d'éducation motrice à compter de janvier 2012, que le nombre d'heures de prise en charge par la famille n'est pas justifié, et qu'il appartient aux parents de justifier des prestations éventuellement perçues et devant venir en déduction de l'indemnité éventuellement mise à la charge de l'établissement hospitalier ;

- la demande relative aux troubles dans les conditions d'existence fait double emploi avec celle relative au déficit fonctionnel temporaire, au titre duquel le tribunal, qui a répondu sur les deux terrains, qu'il a confondus en un seul, a alloué une provision qui ne saurait être regardée comme insuffisante ;

- les sommes allouées aux victimes indirectes sont suffisantes.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. L'enfant G... J..., né le 31 mars 2005, a présenté une fatigue et des douleurs abdominales à partir du 12 août 2010, alors qu'il séjournait en vacances en Corrèze avec sa famille. Son état s'est aggravé avec des diarrhées et des vomissements. Le 15 août, il a été orienté par le centre de régulation des urgences vers le médecin de garde qui l'a examiné

vers 12 heures 30 et a diagnostiqué une gastro-entérite. Vers 14 heures, la sœur aînée d'Augustin l'a découvert en état convulsif et sans réaction à la stimulation. Le médecin de garde s'est déplacé à 15 heures, alors que l'enfant était somnolent mais réactif avec une température

de 38°3, a diagnostiqué une convulsion fébrile qu'il a traitée par une injection de Valium,

et a appelé le SAMU pour un transfert à l'hôpital. Lors de son admission au centre hospitalier

de Tulle à 17 heures, le jeune patient était conscient, bien orienté, avec une température

de 37°1. Les examens clinique et neurologique se sont avérés normaux, de même que les résultats du bilan biologique réalisé à 18 heures 30. Une perfusion veineuse de soluté glucosé a été posée, et G... a été placé sous surveillance infirmière. Au cours de la nuit, il s'est réveillé à trois reprises, a tenté d'arracher son cathéter, a tenu des propos incohérents, et une fièvre à 38°4 est apparue. Le 16 août à 9 heures 30, il a été conduit dans un état asthénique mais conscient en salle d'électroencéphalographie où une absence prolongée, des vomissements et une perte d'urine sont survenus durant l'examen. Le scanner et la ponction lombaire prescrits par le pédiatre n'ont pas pu être réalisés en raison d'un état de mal épileptique résistant aux traitements. Les résultats de l'électroencéphalogramme ayant fait suspecter une encéphalite virale, un traitement antiviral d'acyclovir (Zovirax) a été administré à 11 heures 30. L'enfant a été transféré dans le service de réanimation pédiatrique du CHU de Limoges. Il y a été admis à 15 heures 50, et l'analyse des prélèvements d'une ponction lombaire a permis de poser le diagnostic d'encéphalite herpétique. Cette pathologie a causé des lésions du lobe temporal gauche et de l'insula, à l'origine d'un déficit cognitif, de troubles de l'attention et du comportement, et d'une épilepsie.

2. Le 5 novembre 2015, M. et Mme J... ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Limoges d'une demande d'expertise, à laquelle il a été fait droit par une ordonnance du 14 janvier 2016. Dans son rapport déposé le 17 février 2017, l'expert a conclu que le centre hospitalier de Tulle avait commis deux fautes médicales, la première en s'abstenant de réaliser une ponction lombaire dès l'admission du patient, ce qui avait été à l'origine d'un retard de diagnostic de 17 heures, et la seconde en administrant une dose insuffisante d'acyclovir le 17 août à 11 heures 30. Compte tenu de l'extrême gravité de l'encéphalite herpétique, il a estimé que les manquements du centre hospitalier avaient fait perdre à l'enfant 30 % de chance de limiter l'étendue des lésions cérébrales dont il était atteint lors de son admission dans cet établissement. Leur réclamation préalable étant restée sans réponse, M. et Mme J..., agissant en leurs noms propres et au nom de leurs trois enfants mineurs G..., D... et F..., ainsi que Mme A... J..., leur fille majeure, ont saisi le tribunal administratif de Limoges d'une demande de condamnation du centre hospitalier de Tulle à leur verser des indemnités provisionnelles d'un montant total de 193 874,78 euros, qu'ils ont déterminées après application d'un taux de perte de chance de 30 %, avec intérêts au taux légal et capitalisation. Par un jugement du 30 janvier 2020, le tribunal, qui a retenu un taux de perte de chance de 15 %, a condamné le centre hospitalier à verser à M. et Mme J... les sommes de 7 900 euros au titre des préjudices d'Augustin, de 2 000 euros au titre des préjudices d'Oscar et de 2 500 euros chacun au titre de leurs préjudices propres, à Mme A... J... et M. F... J... une somme de 2 000 euros chacun, le tout avec intérêts à compter du 16 mai 2017 et capitalisation, et enfin à la CPAM Lille-Douai une somme de 47 025,56 euros. Les consorts J... relèvent appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

3. A supposer que les requérants aient entendu invoquer une irrégularité du jugement en relevant que le tribunal ne s'est pas prononcé sur leur demande de provision de 15 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence d'Augustin, cette demande avait le même objet que celle relative au déficit fonctionnel temporaire. Les premiers juges y ont suffisamment répondu au point 14 du jugement en se fondant sur les troubles graves dans les conditions d'existence retenus par l'expert pour allouer une provision de 5 000 euros, dont ils n'avaient pas à justifier les modalités de calcul, à valoir sur l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire.

Sur l'étendue de la responsabilité du centre hospitalier de Tulle :

4. Les premiers juges, qui ont tenu compte de l'expertise et d'un rapport critique versé aux débats par le centre hospitalier de Tulle, ont estimé, contrairement à l'expert, qu'une méningite ne pouvait être suspectée dès le 15 août 2010 à 17 heures, alors que le patient était apyrétique, bien orienté et conscient, et que la prescription en urgence d'une ponction lombaire qui aurait permis d'établir le diagnostic n'aurait été justifiée qu'à partir de 2 heures 45 le 16 août, compte tenu de l'apparition d'une fièvre et de la tenue de propos incohérents. Ils ont retenu des fautes, non contestées par le centre hospitalier, à raison d'un retard de prise en charge adaptée et du caractère insuffisant de la dose d'acyclovir injectée le 16 août à 11 heures 30.

5. Il résulte de l'instruction que l'enfant a été admis au centre hospitalier de Tulle au décours d'une première crise épileptique clonique généralisée de durée indéterminée survenue après trois jours d'évolution d'un tableau digestif aigu évocateur de gastro-entérite, cette crise ayant justifié l'injection intra-rectale d'un médicament anticonvulsivant (Valium) par le médecin appelé au domicile, lequel a constaté un décalage fébrile modéré à 38°3. L'expert a admis que devant le constat d'une absence de fièvre et d'un état neurologique normal à l'admission à l'hôpital, le diagnostic de convulsions fébriles simples était plausible, mais il a estimé qu'il était impératif d'éliminer les diagnostics différentiels potentiellement graves en réalisant une ponction lombaire qualifiée " d'indication immédiate absolue ". Le rapport critique produit par le centre hospitalier relève qu'il n'est recommandé de pratiquer une ponction lombaire qu'en cas de suspicion de méningite, pathologie hautement improbable dans le cas de convulsions fébriles simples sans altération de la conscience. Toutefois, le tableau clinique n'était pas caractérisé par une simple crise convulsive dès lors que celle-ci était survenue après une dégradation de l'état général de l'enfant, dont la fièvre avait été masquée par l'injection de Valium pratiquée juste avant l'admission à l'hôpital. Contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, cette situation particulière justifiait ainsi une ponction lombaire dès l'admission, et les prélèvements auraient nécessairement permis d'identifier le virus qui l'a été après la ponction réalisée ultérieurement au CHU de Limoges, de sorte qu'un retard de diagnostic fautif est imputable au centre hospitalier de Tulle à partir du 15 août vers 18 heures 30 compte tenu du délai de réalisation des examens. La durée de ce retard peut être évaluée à 17 heures, comme l'a retenu l'expert en tenant compte du traitement par acyclovir administré le 16 août à 11 heures 30.

6. L'expert a évalué à 30 % la perte de chance d'échapper à la gravité des séquelles en lien avec le retard de diagnostic et la dose insuffisante d'acyclovir administrée au centre hospitalier de Tulle en se fondant sur une série rétrospective suédoise de 236 patients adultes traités, avec des résultats de 15 % de mortalité, 20 % de séquelles sévères, 27 % de modérées, 27 % de minimes et 14 % de guérison sans séquelles. Le centre hospitalier se prévaut d'une étude de 2007 portant sur 16 cas d'encéphalites herpétiques de l'enfant traitées par acyclovir, selon laquelle des séquelles neurologiques ont été observées dans 63 % des cas, d'un article

de 2007 sur les encéphalites de l'enfant et de l'adolescent qui fait état de déficits neurologiques significatifs affectant près des deux tiers des patients ayant bénéficié d'un traitement précoce,

et enfin d'une étude française de 2010 portant sur 85 enfants, constatant la persistance

de séquelles constituées par une épilepsie (56 %) et un retard mental (42 %), seuls 27 % des enfants étant sans séquelles neurologiques. Ces résultats sont du même ordre que ceux de la référence prise par l'expert. Par suite, il y a lieu, comme le demandent les requérants, de retenir le taux de perte de chance de 30 % fixé par l'expert.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les préjudices d'Augustin :

7. La somme de 400 euros allouée à titre de provision à valoir sur les frais de déplacement n'est pas contestée.

8. Les premiers juges ont rejeté la demande de provision relative aux frais de scolarité dans l'unité localisée pour l'inclusion scolaire (ULIS) " troubles cognitifs " d'un collège

privé au motif que l'impossibilité d'une scolarisation dans un collège public n'était pas démontrée. Il résulte de l'instruction qu'une ULIS " troubles cognitifs " a ouvert dans un collège public proche du domicile familial à la rentrée scolaire 2017 correspondant à l'entrée au collège d'Augustin. En se bornant à faire valoir qu'il aurait été nécessaire d'engager des démarches de préinscription plus d'un an avant l'entrée en ULIS, les requérants n'établissent pas qu'une scolarisation dans le secteur public aurait été impossible.

9. La mission confiée à l'expert par le juge des référés ne comportait pas de demande d'évaluation des besoins d'assistance par une tierce personne. La provision de 59 220 euros sollicitée à ce titre se rapporte à une assistance de 20 heures par semaine du 15 août 2010

au 31 mars 2023, date de la majorité d'Augustin, compte tenu de sa perte

d'autonomie. Le tribunal l'a rejetée au motif que les éléments versés au dossier ne permettaient pas d'apprécier les besoins. En appel, les requérants produisent le dossier de suivi d'Augustin de sa sortie de l'hôpital le 8 septembre 2010 au 7 septembre 2015, date à laquelle il a été scolarisé en externat dans un établissement d'éducation motrice (IEM). Ce dossier, dont il ressort que la prise en charge en soins de suite et de réadaptation précédant l'entrée en IEM a été partiellement effectuée en hôpital de jour, met en évidence la nécessité d'une présence parentale renforcée pour les gestes de la vie quotidienne et en raison de troubles du comportement, mais aussi une amélioration progressive de l'autonomie et du comportement jusqu'au 7 septembre 2015. Aucune pièce n'est produite pour rendre compte de l'évolution après cette date, à l'exception de l'expertise réalisée le 7 avril 2016 mentionnant, sans autre précision, une aide pour la toilette, la prise des médicaments et la préparation le matin, ainsi qu'une demande de " beaucoup d'attention ". En l'état du dossier qui demeure particulièrement imprécis, il y a lieu, afin de déterminer l'obligation non sérieusement contestable incombant au centre hospitalier, de retenir un besoin d'assistance non spécialisée d'une heure par jour de la sortie de l'hôpital

le 8 septembre 2010 au 7 avril 2016 inclus (2 038 jours), sur la base d'un taux horaire

de 14,83 euros déterminé au regard du montant moyen du salaire minimum au cours de la période en cause, majoré pour tenir compte des charges sociales, des congés payés et des jours fériés, soit 30 223,54 euros, ramenés à 9 067,06 euros après application du taux de perte

de chance de 30 %.

10. En vertu des principes qui régissent l'indemnisation par une personne publique des

victimes des dommages dont elle doit répondre, il y a lieu de déduire de l'indemnisation allouée à la victime d'un dommage corporel au titre des frais d'assistance par une tierce personne le montant des prestations dont elle bénéficie par ailleurs et qui ont pour objet la prise en charge de tels frais. Il en est ainsi alors même que les dispositions en vigueur n'ouvrent pas à l'organisme qui sert ces prestations un recours subrogatoire contre l'auteur du dommage. La déduction n'a toutefois pas lieu d'être lorsqu'une disposition particulière permet à l'organisme qui a versé la prestation d'en réclamer le remboursement au bénéficiaire s'il revient à meilleure fortune. Les règles ainsi rappelées ne trouvent à s'appliquer que dans la mesure requise pour éviter une double indemnisation de la victime. Par suite, lorsque la personne publique responsable n'est tenue de réparer qu'une fraction du dommage corporel, notamment parce que la faute qui lui est imputable n'a entraîné qu'une perte de chance d'éviter ce dommage, la déduction ne se justifie, le cas échéant, que dans la mesure nécessaire pour éviter que le montant cumulé de l'indemnisation et des prestations excède le montant total des frais d'assistance par une tierce personne. En l'espèce, la part de réparation incombant à l'hôpital n'est que de 30 %, de sorte que la perception d'éventuelles allocations n'est pas susceptible d'atteindre les 70 % restants du coût

de l'assistance par une tierce personne. Par suite, il y a lieu de fixer le montant de la provision

à 9 067,06 euros.

11. L'expert, qui a examiné G... à l'âge de onze ans et a constaté qu'il avait un bon contact, s'exprimait, comprenait les consignes simples et ne présentait pas de signes neurologiques anormaux, a estimé que le taux de déficit fonctionnel permanent devrait se situer dans une fourchette large de 30 à 60 % compte tenu du déficit psycho-intellectuel et de l'épilepsie qui sont certains, mais aussi des progrès possibles dans les acquisitions. Les premiers juges ont relevé que l'enfant ne pouvait pas s'adonner à toutes les activités physiques et ludiques de sa classe d'âge et subissait des troubles graves dans ses conditions d'existence en raison de répercussions majeures des séquelles de la méningite sur sa scolarité, ainsi que de la nécessité d'une rééducation pluridisciplinaire soutenue devant être impérativement poursuivie. Au regard de tous ces éléments, ils ont estimé à juste titre que le déficit fonctionnel temporaire pouvait être évalué à 50 % du 16 août 2010 à la majorité. Un déficit fonctionnel temporaire de 50 % pouvant être indemnisé sur la base de 250 euros par mois, il y a lieu de fixer le montant de la provision

à 11 640 euros après application du taux de perte de chance de 30 %.

12. L'expert a évalué à 5 sur 7 les souffrances endurées à raison de l'hospitalisation en réanimation, des contraintes de la rééducation et de la souffrance morale. Eu égard à leur durée de l'âge de cinq ans à la majorité, l'évaluation du préjudice ne saurait être inférieure

à 15 000 euros, de sorte que la provision peut être fixée à 4 500 euros après application du taux de perte de chance.

13. Dès lors que les troubles graves dans les conditions d'existence retenus par l'expert relèvent du déficit fonctionnel temporaire, ils ne peuvent donner lieu à une seconde provision distincte de celle mentionnée au point 11.

En ce qui concerne les préjudices des victimes indirectes :

14. En l'état du dossier soumis à la cour, il y a lieu de fixer les sommes non sérieusement contestables pouvant être mises à la charge du centre hospitalier de Tulle à titre de provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence des parents et du frère jumeau d'Augustin à 5 000 euros chacun pour

M. et Mme J... et à 4 000 euros pour D..., après application du taux de perte de chance.

15. Mme A... J... et M. F... J..., frère et sœur aînés d'Augustin âgés respectivement de dix et six ans au moment du dommage et désormais majeurs, ont demandé l'indemnisation définitive de leur préjudice moral et des troubles de leurs conditions d'existence caractérisés par une moindre disponibilité de leurs parents. Il sera fait une juste appréciation

de ces préjudices en condamnant le centre hospitalier à verser à chacun d'eux une somme

de 4 000 euros après application du taux de perte de chance.

16. Il résulte de tout ce qui précède que les sommes que le centre hospitalier de Tulle a été condamné à verser aux consorts J... doivent être portées de 7 900 euros

à 25 607,06 euros au titre des préjudices d'Augustin, de 2 000 euros à 4 000 euros au titre des préjudices d'Oscar, de 2 500 euros chacun à 5 000 euros chacun au titre des préjudices

de M. et Mme J..., et de 2 000 euros chacun à 4 000 euros chacun au titre des préjudices de Mme A... J... et M. F... J....

Sur les intérêts et leur capitalisation :

17. Les consorts J... sont fondés à demander que les sommes allouées par le présent arrêt soient assorties des intérêts au taux légal à compter du 16 mai 2017, date de réception de leur réclamation préalable par le centre hospitalier, et de leur capitalisation à compter du 16 mai 2018 et à chaque échéance annuelle ultérieure.

Sur les frais exposés à l'occasion du litige :

18. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Tulle une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Les provisions que le centre hospitalier de Tulle a été condamné à verser

à M. E... J... et Mme B... J... en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs sont portées de 7 900 euros à 25 607,06 euros au titre des préjudices d'Augustin, et de 2 000 euros à 4 000 euros au titre des préjudices d'Oscar.

Article 2 : Les provisions que le centre hospitalier de Tulle a été condamné à verser à

M. E... J... et Mme B... J... au titre de leurs préjudices propres sont portées

de 2 500 euros chacun à 5 000 euros chacun.

Article 3 : Les indemnités que le centre hospitalier de Tulle a été condamné à verser

à Mme A... J... et M. F... J... sont portées de 2 000 euros chacun

à 4 000 euros chacun.

Article 4 : Les sommes mentionnées aux articles 1er, 2 et 3 seront assorties des intérêts au taux légal à compter du 16 mai 2017 et de leur capitalisation à compter du 16 mai 2018 et à chaque échéance annuelle ultérieure.

Article 5 : Le jugement du tribunal administratif de Limoges n° 1701115 du 30 janvier 2020

est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 6 : Le centre hospitalier de Tulle versera aux consorts J... une somme globale

de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête des consorts J... est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... J..., représentant unique pour l'ensemble des requérants, au centre hospitalier de Tulle, à la caisse primaire d'assurance maladie Lille-Douai et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 17 mai 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juin 2022.

La rapporteure,

Anne C...

La présidente,

Catherine GiraultLe greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de la prévention en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX01098


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX01098
Date de la décision : 09/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : SELARL BIROT - RAVAUT ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-06-09;20bx01098 ?
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