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31/05/2022 | FRANCE | N°21BX01459

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 31 mai 2022, 21BX01459


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... et Mme C... D... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier Jean Leclaire de Sarlat-la-Canéda à leur verser, en plus des provisions déjà perçues, des provisions de 500 000 euros en réparation des préjudices subis par leur enfant B... lors de sa naissance dans cet établissement et de 10 000 euros chacun en réparation de leurs propres préjudices.

Par un jugement n° 1403721 du 25 juillet 2016, le tribunal a condamné le centre hospitalier à ve

rser à M. et Mme D..., d'une part, au nom de leur fils, une somme de 642 240 euros...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... et Mme C... D... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier Jean Leclaire de Sarlat-la-Canéda à leur verser, en plus des provisions déjà perçues, des provisions de 500 000 euros en réparation des préjudices subis par leur enfant B... lors de sa naissance dans cet établissement et de 10 000 euros chacun en réparation de leurs propres préjudices.

Par un jugement n° 1403721 du 25 juillet 2016, le tribunal a condamné le centre hospitalier à verser à M. et Mme D..., d'une part, au nom de leur fils, une somme de 642 240 euros et une rente de 120 euros par jour passé au domicile familial depuis la date du jugement jusqu'à sa majorité au titre des frais d'assistance par une tierce personne et une rente annuelle de 10 000 euros au titre de ses préjudices personnels, et d'autre part, en leur nom propre, la somme de 30 000 euros chacun.

Procédure initiale devant la cour :

Par une requête sommaire, un mémoire ampliatif et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 26 septembre 2016, 21 mars, 24 mai et 23 octobre 2017, le centre hospitalier Jean Leclaire de Sarlat-la-Canéda, représenté par Me le Prado, demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter les demandes des consorts D....

Par un mémoire en défense enregistré le 6 avril 2017, M. et Mme D..., agissant en qualité de représentants de leur fils et en leurs noms propres, représentés par Me Le Bonnois, demandent à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement en portant aux sommes suivantes le montant de la provision due par le centre hospitalier Jean Leclaire de Sarlat-la-Canéda :

- en qualité de représentants légaux de leur fils B... :

* au titre de la tierce personne, 3 411 360 euros du 28 novembre 2001 au 27 novembre 2016, puis une rente trimestrielle de 37 080 euros versée par trimestre échus, dont le montant sera revalorisé annuellement par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale ;

* 328 450 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire du 28 novembre 2001 au 22 novembre 2019 ;

* 760 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent évalué à un plancher de 95 %, révisable à la consolidation ;

- en leurs noms propres, 30 000 euros chacun au titre du préjudice d'affection et 30 000 euros au titre des troubles dans leurs conditions d'existence ;

3°) d'assortir les sommes allouées des intérêts au taux légal à compter du 9 septembre 2014, date de réception de la demande préalable, avec capitalisation à compter du 9 septembre 2015 ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Sarlat-la-Canéda une somme de 10 000 euros à verser à B... et de 2 500 euros à verser à M. et Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un arrêt n° 16BX03241 du 23 novembre 2018, la cour a condamné le centre hospitalier Jean Leclaire de Sarlat-la-Canéda à verser à M. et Mme D..., au nom de leur fils, une somme de 616 312 euros ainsi qu'une rente déterminée sur la base de 75 euros par jour de présence à domicile, et en leur nom propre une somme de 15 000 euros chacun.

Par une décision n° 427283 du 2 avril 2021, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi formé par M. et Mme D..., a annulé cet arrêt en tant seulement qu'il a statué sur les frais d'assistance par une tierce personne et a, dans cette mesure, renvoyé l'affaire à la cour.

Procédure devant la cour après cassation :

Par des mémoires enregistrés le 10 juin 2021 et les 4 janvier et 3 mars 2022, le centre hospitalier Jean Leclaire de Sarlat-la-Canéda demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures, de réformer le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1403721 du 25 juillet 2016 en tant qu'il a statué sur l'assistance d'une tierce personne et de rejeter les demandes de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Pyrénées-Atlantiques.

Il soutient que :

- si le Conseil d'Etat a jugé que l'état du jeune B... imposait l'assistance d'une tierce personne en permanence, il ne s'est pas prononcé sur le taux horaire à retenir ; dès lors que l'expert n'a pas retenu la nécessité d'une tierce personne spécialisée et que l'assistance est apportée par la mère d'Anthony, il y a lieu de retenir un tarif horaire de 13 euros pour la tierce personne " active " à hauteur de 10 heures 30 par jour, et de 8,67 euros pour la tierce personne " passive " à hauteur de 13 heures 30 par jour ;

- c'est à tort que le tribunal a retenu la nécessité d'une tierce personne dans les premières années du jeune B... dès lors que même sans handicap, l'enfant n'aurait pas été autonome a minima avant l'âge de trois ans ;

- c'est également à tort que les premiers juges n'ont pas déduit les prestations telles que l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) et la prestation de compensation du handicap (PCH) ;

- la demande de la CPAM des Pyrénées-Atlantiques relative à des frais hospitaliers, médicaux, pharmaceutiques, d'appareillage et de transport est irrecevable dès lors que le Conseil d'Etat n'a annulé l'arrêt de la cour du 23 novembre 2018 qu'en tant qu'il a statué sur les frais d'assistance par une tierce personne ; au surplus, le lien entre les débours et la faute reprochée n'est pas démontré.

Par des mémoires enregistrés le 8 octobre 2021 et le 12 janvier 2022, M. B... D..., représenté par sa tutrice, Mme C... D..., demande à la cour :

1°) de condamner le centre hospitalier Jean Leclaire de Sarlat-la-Canéda à lui verser une indemnité de 2 735 800,29 euros au titre de l'assistance par une tierce personne du 28 novembre 2001 au 22 novembre 2019, avec intérêts à compter du 9 septembre 2014 et capitalisation à compter du 9 septembre 2015 ;

2°) de mettre à la charge du centre hospitalier une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- dès lors que le Conseil d'Etat a retenu un besoin d'assistance permanente pour la satisfaction des besoins vitaux, il n'y a pas lieu de rechercher à partir de quel âge cette assistance aurait été nécessaire, de sorte que la période à retenir est celle courant de son retour à domicile le 28 novembre 2001 jusqu'à sa majorité ; la surveillance étant rémunérée au même tarif que l'assistance, il n'y a pas lieu de tenir compte de deux tarifs horaires comme le demande le centre hospitalier ; le caractère familial de l'assistance est sans incidence sur le montant de l'indemnisation ; l'aide dont il a besoin relève des missions des services d'aide et d'accompagnement à domicile (SSAD) dont les tarifs sont très supérieurs à ceux invoqués par le centre hospitalier ; eu égard à l'importance de son handicap, les tarifs à retenir sont de 25 euros par heure pour une aide-ménagère durant 2 heures par jour et de 28,97 euros par heure pour une auxiliaire de vie durant 6 heures par jour et 9 heures par nuit, soit 5 471 600,57 euros pour la période du 28 novembre2001 au 22 novembre 2019, compte tenu des majorations pour les heures de nuit, les dimanches et les jours fériés, soit une indemnité de 2 735 800,29 euros compte tenu de la part de responsabilité de 50 % de l'hôpital ;

- l'arrêt de la cour du 23 novembre 2018 est devenu définitif en tant qu'il a jugé qu'il n'y avait pas lieu de déduire l'AEEH ;

- les préjudices postérieurs à sa majorité devront être examinés par le tribunal administratif dans le cadre de la liquidation des préjudices après la réalisation d'une nouvelle expertise.

Par un mémoire enregistré le 10 janvier 2022, la CPAM des Pyrénées-Atlantiques, agissant pour le compte de la CPAM de la Dordogne, représentée par la SELARL Bardet et Associés, demande à la cour de condamner le centre hospitalier Jean Leclaire de Sarlat-la-Canéda à lui verser la somme de 71 095,90 euros correspondant à ses débours provisoires, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, de lui donner acte de ce qu'elle se réserve le droit de faire valoir sa créance définitive, et de mettre à la charge du centre hospitalier une somme de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ainsi que les entiers dépens.

Elle fait valoir que :

- la question de la responsabilité du centre hospitalier est définitivement tranchée ;

- ses débours s'élèvent provisoirement à 71 095,90 euros dont elle demande le remboursement en totalité pour des raisons matérielles et comptables, mais compte tenu du taux d'imputabilité, il sera fait droit à sa demande à hauteur de 50 %.

Par ordonnance du 9 février 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 10 mars 2022.

Un mémoire présenté pour la CPAM des Pyrénées-Atlantiques a été enregistré le 15 mars 2022.

Par lettre du 21 avril 2022, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité de la demande de M. D... en tant qu'elle excède le montant de 430 000 euros. En effet, la provision sollicitée en première instance au titre de ses préjudices jusqu'à sa majorité était de 500 000 euros, une indemnité définitive de 70 000 euros a été allouée par l'arrêt n° 16BX03241 du 23 novembre 2018 au titre des préjudices personnels avant consolidation, et le préjudice d'assistance par une tierce personne restant en litige après cassation ne s'est pas aggravé depuis le jugement du tribunal administratif n° 1403721 du 25 juillet 2016, et n'a pas davantage été révélé dans toute son ampleur depuis cette date.

Des observations à ce moyen d'ordre public ont été présentées pour M. D... le 25 avril 2022 et pour le centre hospitalier Jean Leclaire de Sarlat-la-Canéda le 27 avril 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Demailly, représentant le centre hospitalier Jean Leclaire et de Me Pellé, représentant M. et Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement n° 1403721 du 25 juillet 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné le centre hospitalier Jean Leclaire de Sarlat-la-Canéda à verser à M. et Mme D..., en leur qualité de représentants légaux de leur fils B... atteint d'une infirmité motrice cérébrale sévère en lien avec les conditions de sa naissance dans cet établissement le 22 novembre 2001, au titre de l'assistance par une tierce personne, une indemnité de 642 240 euros pour la période du 28 novembre 2001, date du retour au domicile de l'enfant, jusqu'à la date du jugement, ainsi qu'une rente de 120 euros par jour passé au domicile de cette dernière date à celle de la majorité, et au titre des préjudices personnels avant consolidation, une rente annuelle provisoire de 10 000 euros du 21 novembre 2001 à la majorité d'Anthony. Par un arrêt n° 16BX03241 du 23 novembre 2018, la cour, saisie d'un appel du centre hospitalier et d'un appel incident de M. et Mme D..., a estimé que le retard à provoquer la naissance de l'enfant n'avait fait courir à celui-ci, compte tenu d'une compression sévère du cordon, qu'une perte de chance d'éviter les séquelles d'hypoxie cérébrale, et a réformé ce jugement en condamnant notamment l'hôpital à leur verser, sur la base d'une part de responsabilité qu'elle a fixée à 50 %, une somme de 546 312 euros au titre de l'assistance par une tierce personne pour la période de la sortie de l'hôpital après la naissance jusqu'à la date de l'arrêt, ainsi qu'une rente de 75 euros par jour passé au domicile de cette dernière date jusqu'au dix-huitième anniversaire d'Anthony, et au titre des préjudices personnels avant consolidation, une indemnité de 70 000 euros. Par une décision n° 427283 du 2 avril 2021, le Conseil d'Etat, saisi par M. et Mme D..., a annulé cet arrêt en tant seulement qu'il a statué sur les frais d'assistance par une tierce personne en excluant les périodes nocturnes, et a renvoyé l'affaire à la cour dans cette mesure. M. B... D..., désormais majeur et représenté par sa tutrice, demande à la cour de condamner le centre hospitalier Jean Leclaire de Sarlat-la-Canéda à lui verser une indemnité de 2 735 800,29 euros au titre de l'assistance par une tierce personne du 28 novembre 2001 au 22 novembre 2019, avec intérêts à compter du 9 septembre 2014 et capitalisation.

Sur la recevabilité des conclusions :

2. En premier lieu, la personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle.

3. M. et Mme D... ont sollicité en première instance une provision de 500 000 euros à valoir sur l'indemnisation des préjudices de leur fils jusqu'au 22 novembre 2019, date de la majorité de ce dernier. Ils étaient alors en mesure d'évaluer les besoins relatifs à l'assistance par une tierce personne nécessités par un handicap correspondant, selon l'expertise ordonnée le 16 mai 2013 par le juge des référés et réalisée en décembre 2013, à un déficit fonctionnel temporaire de 99 % depuis le 29 novembre 2001, avec la perspective d'un déficit fonctionnel permanent d'au moins 95 %. Ce préjudice ne s'est pas aggravé, et n'a pas davantage été révélé dans toute son ampleur depuis le jugement du 25 juillet 2016 dont M. et Mme D... ont relevé appel, dès lors que la décision du Conseil d'Etat du 2 avril 2021 s'est bornée à tirer les conséquences, au regard du droit à indemnisation, des besoins documentés par les pièces du dossier, notamment par le rapport d'expertise remis en 2013. Eu égard à l'indemnité de 70 000 euros allouée par l'arrêt du 23 novembre 2018 au titre des préjudices personnels avant consolidation, la demande de provision dont la cour se trouve ressaisie après cassation n'est recevable qu'à hauteur de 430 000 euros.

4. En second lieu, le présent litige étant limité aux frais d'assistance par une tierce personne, la demande de la CPAM des Pyrénées-Atlantiques relative au remboursement de ses débours, qui n'incluent pas de tels frais, ne peut qu'être rejetée pour irrecevabilité, comme le fait valoir le centre hospitalier.

Sur la demande de provision :

5. Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime.

6. Les éléments du dossier ne permettant pas d'évaluer le surcroît d'assistance nécessité par le handicap par rapport à celui de tout nourrisson ou jeune enfant, il y a lieu, en l'état, de retenir un besoin d'assistance par une tierce personne à partir de l'âge de trois ans. Il résulte de l'instruction, notamment des expertises réalisées en 2009 à l'âge de sept ans et demi et en 2013 à l'âge de douze ans, que la tétraplégie spastique majeure dont le jeune B... D... est atteint depuis sa naissance se caractérise par l'impossibilité de toute motricité volontaire. Cet état, correspondant à un déficit fonctionnel temporaire de 99 % avec la perspective d'un déficit fonctionnel permanent d'au moins 95 % ainsi qu'il a été dit au point 3, le rend totalement dépendant pour tous les actes essentiels ou secondaires de la vie, et nécessite une surveillance constante ainsi que des manœuvres de retournement la nuit afin d'éviter l'apparition de lésions cutanées, ce qui correspond à un besoin d'assistance de 24 heures par jour. Eu égard aux justificatifs produits, relatifs aux coûts d'intervention des services d'aide et d'accompagnement à domicile (SAAD) agréés adaptés à la lourdeur du handicap, et compte tenu de la durée de la période allant de l'âge de trois ans à la majorité, il y a lieu de retenir un tarif moyen de 22 euros par heure durant 16 heures par jour passé au domicile, et dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction, en l'état du dossier, que la surveillance de nuit nécessiterait une aide spécialisée, un tarif moyen de 11 euros par heure durant les 8 heures de nuit. Si les expertises font apparaître que le jeune B... est constamment resté au domicile de ses parents jusqu'à l'âge de douze ans, le dossier ne comporte aucune information sur la période ultérieure, de sorte qu'il y a lieu, afin de déterminer l'obligation non sérieusement contestable incombant au centre hospitalier, de tenir compte d'une éventuelle prise en charge dans un établissement spécialisé entre douze et dix-huit ans, durant l'année scolaire (180 jours par an), à hauteur de 8 heures par jour. Sur ces bases, l'obligation non sérieusement contestable peut être évaluée, après application du taux de perte de chance de 50 %, à 1 110 120 euros.

7. En vertu des principes qui régissent l'indemnisation par une personne publique des victimes des dommages dont elle doit répondre, il y a lieu de déduire de l'indemnisation allouée à la victime d'un dommage corporel au titre des frais d'assistance par une tierce personne le montant des prestations dont elle bénéficie par ailleurs et qui ont pour objet la prise en charge de tels frais. Il en est ainsi alors même que les dispositions en vigueur n'ouvrent pas à l'organisme qui sert ces prestations un recours subrogatoire contre l'auteur du dommage. La déduction n'a toutefois pas lieu d'être lorsqu'une disposition particulière permet à l'organisme qui a versé la prestation d'en réclamer le remboursement au bénéficiaire s'il revient à meilleure fortune. Les règles ainsi rappelées ne trouvent à s'appliquer que dans la mesure requise pour éviter une double indemnisation de la victime. Par suite, lorsque la personne publique responsable n'est tenue de réparer qu'une fraction du dommage corporel, notamment parce que la faute qui lui est imputable n'a entraîné qu'une perte de chance d'éviter ce dommage, la déduction ne se justifie, le cas échéant, que dans la mesure nécessaire pour éviter que le montant cumulé de l'indemnisation et des prestations excède le montant total des frais d'assistance par une tierce personne.

8. En réponse à une mesure d'instruction, les parents de M. B... D... ont indiqué à la cour, par lettre du 28 août 2018, qu'ils ne percevaient pas de prestation de compensation du handicap, mais seulement, depuis 2004, l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) dont le montant a été porté à 1 250,38 euros par mois en avril 2018. La somme perçue au titre de l'AEEH jusqu'au 22 novembre 2019 étant inférieure à 1 110 120 euros, aucune déduction ne se justifie.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier Jean Leclaire de Sarlat-la-Canéda doit être condamné à verser à M. B... D... une provision de 430 000 euros, sans que la limitation de cette somme au solde de la provision demandée en première instance, conformément aux principes de la procédure contentieuse rappelés au point 2, puisse faire obstacle à ce que le requérant sollicite le complément auquel il peut prétendre lors d'une nouvelle instance.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

10. D'une part, lorsqu'ils sont demandés, les intérêts au taux légal sur le montant de l'indemnité allouée sont dus, quelle que soit la date de la demande préalable, à compter du jour où cette demande est parvenue à l'autorité compétente ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine. D'autre part, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière, sans qu'il soit besoin d'une nouvelle demande à l'expiration de ce délai. De même, la capitalisation s'accomplit à nouveau, le cas échéant, à chaque échéance annuelle ultérieure, sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande.

11. M. D... est fondé à demander que la provision allouée par le présent arrêt soit assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 septembre 2014, date de réception de la réclamation préalable par le centre hospitalier, et de leur capitalisation à compter du 9 septembre 2015 et à chaque échéance annuelle ultérieure.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

12. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des consorts D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le centre hospitalier Jean Leclaire de Sarlat-la-Canéda est condamné à verser à M. B... D..., au titre de l'assistance par une tierce personne, une provision de 430 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 9 septembre 2014 et capitalisation à compter du 9 septembre 2015 et à chaque échéance annuelle ultérieure.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1403721 du 25 juillet 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier Jean Leclaire de Sarlat-la-Canéda, à Mme C... D... en qualité de tutrice de M. B... D..., et à la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Atlantiques.

Délibéré après l'audience du 3 mai 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mai 2022.

La rapporteure,

Anne A...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de la prévention en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 21BX01459


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX01459
Date de la décision : 31/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : SARL LE PRADO - GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-05-31;21bx01459 ?
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