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31/05/2022 | FRANCE | N°20BX00502

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 31 mai 2022, 20BX00502


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers, sous le n° 1800438 d'annuler la décision du 9 janvier 2018 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Rochefort a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident déclaré le 25 mars 2017 et d'enjoindre au centre hospitalier de reconnaître cette imputabilité, sous le n° 1800448 d'annuler la décision du 22 décembre 2017 par laquelle la même autorité l'a affectée dans l'unité d'accueil des patients en état végétatif

chronique (EVC) à compter du 2 janvier 2018, et sous le n° 1802213 de condamner l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers, sous le n° 1800438 d'annuler la décision du 9 janvier 2018 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Rochefort a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident déclaré le 25 mars 2017 et d'enjoindre au centre hospitalier de reconnaître cette imputabilité, sous le n° 1800448 d'annuler la décision du 22 décembre 2017 par laquelle la même autorité l'a affectée dans l'unité d'accueil des patients en état végétatif chronique (EVC) à compter du 2 janvier 2018, et sous le n° 1802213 de condamner le centre hospitalier à lui verser une indemnité de 50 000 euros.

Par un jugement nos 1800438, 1800448, 1802213 du 11 décembre 2019, le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision du 9 janvier 2018, enjoint au centre hospitalier de réexaminer la demande de Mme B... tendant à la reconnaissance de l'imputabilité au service de l'accident du 25 mars 2017, et rejeté le surplus des demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 12 février 2020 et le 10 mai 2021, Mme B..., représentée par Me Lopes, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler les décisions du 22 décembre 2017 et du 9 janvier 2018 ;

3°) de condamner le centre hospitalier de Rochefort à lui verser une indemnité de 50 000 euros ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Rochefort une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le centre hospitalier ne peut se prévaloir de la convention signée le 8 juillet 2020 pour opposer un non-lieu à statuer dès lors que cette convention, qui ne porte pas sur les instances en cours, a pour seul objet de transiger sur sa sortie de service ;

En ce qui concerne la décision du 9 janvier 2018 :

- c'est à tort que le tribunal a annulé la décision pour défaut de motivation, permettant au centre hospitalier de prendre une nouvelle décision de rejet ;

- il n'est pas contesté qu'elle ne figurait plus sur le planning de travail le samedi 25 mars 2017 et qu'elle a été sommée de rentrer chez elle ; le choc émotionnel qu'elle a ressenti a été médicalement constaté le lundi 27 mars 2017 ; l'expert désigné par le centre hospitalier s'est fondé sur son dossier médical et sur l'absence d'antécédent psychiatrique pour se prononcer en faveur d'un lien direct entre le déclenchement du trouble psychique et l'activité professionnelle, et ne s'est pas borné à reprendre ses déclarations ; le choc émotionnel subi sur le lieu de travail présente ainsi le caractère d'un accident de service ;

En ce qui concerne la décision du 22 décembre 2017 :

- elle lui fait grief en ce qu'elle retire la décision du 19 septembre 2017 qui l'autorisait à exercer ses fonctions à 80 % d'un temps complet à compter du 12 octobre 2017 car elle l'affecte à 100 % à l'unité d'accueil des patients EVC ; cette mention ne saurait signifier qu'elle est affectée exclusivement à ce service sur son temps de travail ;

- elle n'a pas été précédée d'un avis du médecin du travail comme le prévoit l'article 1er du décret n° 89-376 du 8 juin 1989, ce qui est illégal et lui fait grief puisqu'il en allait de la sauvegarde de sa santé ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation dès lors que le centre hospitalier pouvait la détacher sur l'emploi de secrétaire administrative à l'Institut de formation en soins infirmiers (IFSI) sans la reclasser administrativement, l'article 3 du décret n° 88-386 du 19 avril 1988 ne prévoyant pas cette condition ; en outre, le centre hospitalier ne démontre pas la compatibilité de son affectation à l'unité d'accueil des patients EVC avec son état de santé ;

- elle est entachée d'un détournement de pouvoir dès lors qu'elle a été prise dans le but de constater son inaptitude totale à ses fonctions d'infirmière ;

- elle est un des éléments constitutifs du harcèlement moral qu'elle a subi ;

En ce qui concerne le harcèlement moral et la méconnaissance de l'obligation de protection de sa santé :

- malgré l'évidence qu'elle ne pourrait jamais reprendre ses fonctions, et à tout le moins la conscience des difficultés qu'elle aurait à les exercer au sein de son service, la direction a toujours rejeté ses candidatures pour des motifs fallacieux ou inconnus, et au demeurant injustifiés, notamment celles de juin et de juillet 2015, respectivement, au poste d'infirmière au centre de dépistage anonyme et gratuit se libérant courant octobre 2015, et à un poste en endoscopie digestive ;

- le centre hospitalier n'a pas respecté les préconisations de la médecine du travail afin de précipiter la reconnaissance de son inaptitude totale et définitive à ses fonctions d'infirmière, en établissant des plannings inadaptés, en refusant systématiquement ses demandes de congés et d'aménagement de plannings, et en refusant qu'elle soit accompagnée d'un binôme ;

- elle a subi les brimades et la surveillance continuelle de son encadrement ; le rapport des cadres de santé établi le 21 novembre 2016 n'a aucune force probante et démontre leur hostilité à son égard ; il est remis en cause par les attestations qu'elle produit, selon lesquelles elle n'a jamais demandé d'aide et a géré seule son secteur ;

- son affectation à temps complet sur le poste à l'unité d'accueil des patients EVC, alors qu'elle avait été autorisée à effectuer son service à 80 % et qu'il existait deux postes à 80 %, ainsi que le refus de reconnaissance de l'imputabilité au service de l'accident du 25 mars 2017, caractérisent également une volonté de lui nuire ;

- le centre hospitalier a manqué à son obligation de protection de sa santé mentale et physique prévue à l'article L. 4121-1 du code du travail dès lors qu'il n'a pas respecté les préconisations de la médecine du travail concernant l'adaptation de son poste ;

- les manquements du centre hospitalier lui ont causé des préjudices qui peuvent être évalués à 50 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 7 juin 2021, le centre hospitalier de Rochefort, représenté par Me Coutand, conclut à titre principal au non-lieu à statuer et à titre subsidiaire au rejet de la requête, et demande à la cour de mettre à la charge de Mme B... les dépens ainsi qu'une somme de 3 000 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il n'y a plus lieu de statuer sur le litige dès lors que la convention de rupture conventionnelle signée le 8 juillet 2020 vaut arrêté de compte définitif entre les parties qui déclarent expressément et irrévocablement renoncer à toute autre prétention ;

A titre subsidiaire :

En ce qui concerne la demande indemnitaire :

- les attestations produites par l'intéressée font seulement état des conditions d'évaluation de la période de temps partiel thérapeutique de l'agent, alors qu'il était nécessaire, compte-tenu des restrictions physiques présentées au cours de cette période, d'évaluer les capacités de Mme B... à prendre en charge les patients conformément à son grade et à sa qualification ; ces attestations ne révèlent pas une attitude agressive ou discriminante de la part de l'encadrement de proximité et de la direction de l'établissement ; l'attention portée par la direction aux restrictions d'aptitude physique résulte tant de l'affectation de Mme B... à l'unité d'accueil des patients EVC que de la proposition de reclassement en qualité de secrétaire de l'IFSI refusée par l'intéressée ; ainsi, Mme B... n'apporte pas la preuve de faits laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral ;

- il n'existe aucun manquement à l'obligation de sécurité prévue à l'article L. 4121-1 du code du travail dès lors qu'il a fait le nécessaire pour respecter les avis médicaux ;

- les " préjudices de toute nature " invoqués ne sont pas précisés ;

En ce qui concerne la décision du 9 janvier 2018 :

- il n'y a plus lieu de statuer dès lors qu'il a pris, en exécution de l'injonction de réexamen prononcée par le tribunal, une nouvelle décision le 26 décembre 2019, notifiée le 7 janvier 2020 à Mme B..., laquelle s'est substituée à la décision du 9 janvier 2018 ; la décision du 26 décembre 2019 n'a pas été contestée ;

- à titre subsidiaire, l'accident du 25 mars 2017 ne peut être regardé comme imputable au service dès lors que Mme B... s'est présentée après un arrêt de travail sans tenir compte de l'avis du comité départemental du 13 mars 2017 la déclarant inapte à ses fonctions d'infirmière et qu'il lui a été expliqué, sans agressivité ni violence, qu'elle ne pouvait reprendre son poste et devait rentrer chez elle sans préjudice pour sa paie ni pour sa carrière, et que la direction des ressources humaines la recontacterait très rapidement ; comme l'a relevé son médecin traitant, l'intéressée a été anéantie en apprenant que le comité médical l'avait mise en inaptitude totale et définitive, et non en reprenant son travail le 25 mars 2017 ;

En ce qui concerne la décision du 22 décembre 2017 :

- si la décision mentionne que Mme B... est affectée à 100 % dans le service des patients EVC, ce n'est que pour préciser qu'elle y est affectée pour la totalité de son temps de travail, fixé à 80 % ;

- la décision est justifiée dès lors que les restrictions du médecin du travail prévoyaient que Mme B... était apte sous réserve de travailler en binôme, d'éviter le port de charges lourdes et de limiter les efforts de manutentions, et que le service des patients EVC permet aux infirmiers un travail quasi-permanent en binôme avec des aides-soignants et est équipé en matériels permettant de limiter les contraintes physiques.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code du travail ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- le décret n° 88-386 du 19 avril 1988 ;

- le décret n° 89-376 du 8 juin 1989 ;

- le décret n° 2019-1593 du 31 décembre 2019 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., infirmière titulaire au centre hospitalier de Rochefort, a été placée en congé de maladie ordinaire à partir de février 2015 en raison d'une décompensation sciatique gauche rebelle aux traitements, pathologie dont l'absence de lien avec le service n'est pas contestée. Le médecin du travail ayant conclu à l'absence de critères de gravité nécessitant un retrait des soins, un poste aménagé ou un reclassement professionnel, elle a repris le travail à temps partiel thérapeutique du 12 octobre 2015 au 11 octobre 2016, à 50 % les six premiers mois, puis à 70 %. Elle a ensuite été autorisée, à sa demande, à exercer ses fonctions à temps partiel à hauteur de 80 % à partir du 12 octobre 2016. Mme B..., alors affectée dans l'unité de médecine polyvalente, a été placée à plusieurs reprises en arrêt de travail pour une durée totale de près de 60 jours entre novembre 2016 et mars 2017. Par un avis du 9 mars 2017, le comité médical départemental a estimé qu'elle était totalement et définitivement inapte aux fonctions d'infirmière, mais apte pour un poste de reclassement professionnel, et par une décision du 14 mars 2017, le directeur du centre hospitalier de Rochefort a reconnu cette inaptitude. De retour de congé le 25 mars 2017, Mme B... a constaté que son nom ne figurait pas sur les plannings de travail et a été renvoyée à son domicile par ses supérieurs hiérarchiques en raison de cette inaptitude. Elle a présenté un syndrome anxio-dépressif majeur qu'elle a déclaré comme accident du travail, pour lequel elle a été placée en arrêt de travail jusqu'au 3 mai 2017. Le directeur du centre hospitalier a refusé de reconnaître l'imputabilité de cet accident au service par une première décision du 29 mars 2017 puis, après un avis contraire de la commission départementale de réforme des agents hospitaliers, par une seconde décision du 9 janvier 2018.

2. Mme B..., qui avait contesté l'avis du comité médical départemental du 9 mars 2017, a repris le travail le 4 mai 2017 sur un poste de secrétaire administrative au sein de l'Institut de formation en soins infirmiers (IFSI) qui lui avait été proposé dans la perspective de son reclassement. Le 7 juin 2017, le comité médical supérieur a émis un avis d'aptitude aux fonctions d'infirmière mais d'inaptitude aux fonctions d'infirmière " en salle d'hospitalisation ". Le directeur des ressources humaines a alors proposé à Mme B..., compte tenu de son aptitude partielle, de la reclasser dans la filière administrative sur le poste qu'elle occupait à l'IFSI, et dans le cas où elle refuserait, de rechercher une autre affectation répondant à ses restrictions d'aptitude. L'intéressée ayant refusé le reclassement, le directeur des affaires médicales, après l'avoir reçue le 13 décembre 2017, lui a annoncé par lettre du 18 décembre 2017 qu'elle serait affectée en qualité d'infirmière dans un service d'hospitalisation au sein duquel l'hôpital veillerait à respecter ses restrictions d'aptitude autant que les contraintes de service le permettraient. Par une décision du 22 décembre 2017, le directeur du centre hospitalier a affecté Mme B... dans l'unité d'accueil des patients en état végétatif chronique (EVC) à compter du 2 janvier 2018.

3. Mme B... a saisi le tribunal administratif de Poitiers de demandes d'annulation des décisions du 9 janvier 2018 et du 22 décembre 2017, et après le rejet de sa réclamation préalable par une décision du 17 août 2018, d'une demande de condamnation du centre hospitalier à lui verser une indemnité de 50 000 euros en réparation des préjudices qu'elle attribuait à un harcèlement moral et à un manquement de l'hôpital à son obligation de protection de sa santé. Elle relève appel du jugement nos 1800438, 1800448, 1802213 du 11 décembre 2019 par lequel le tribunal, qui a rejeté le surplus de ses demandes, a seulement annulé pour défaut de motivation la décision du 9 janvier 2018, après avoir écarté le moyen tiré de l'erreur d'appréciation, et a enjoint au centre hospitalier de réexaminer la demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de l'accident du 25 mars 2017.

Sur l'exception de non-lieu à statuer :

4. Aux termes de l'article 2044 du code civil : " La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. / Ce contrat doit être rédigé par écrit. ". Aux termes de l'article 2052 du même code : " La transaction fait obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet. ". Aux termes de l'article 2049 de ce code : " Les transactions ne règlent que les différends qui s'y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales, soit que l'on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de ce qui est exprimé. ".

5. Il ressort des pièces du dossier qu'en application du décret du 31 décembre 2019 relatif à la procédure de rupture conventionnelle dans la fonction publique, une convention actant la cessation de fonctions de Mme B... au sein du centre hospitalier a été signée le 8 juillet 2020 entre les parties. Cette convention précise que Mme B... cessera définitivement ses fonctions à compter du 31 juillet 2020, moyennant une indemnité de 10 411 euros, et qu'elle vaut arrêté de compte définitif entre les parties qui déclarent expressément et irrévocablement renoncer à toute autre prétention. Toutefois, elle ne peut, par son objet et en l'absence de toute précision en ce sens, être regardée comme un protocole transactionnel mettant fin au litige alors en instance devant la cour, relatif au refus de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident du 25 mars 2017, à l'affectation de Mme B... à l'unité d'accueil des patients EVC et à la réparation des préjudices attribués à un harcèlement moral et à un manquement à l'obligation de protection de sa santé. Par suite, l'exception de non-lieu à statuer opposée par le centre hospitalier doit être écartée.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

En ce qui concerne le harcèlement moral :

6. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires: " Aucun agent public ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / (...)."

7. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

8. En premier lieu, Mme B... soutient que le centre hospitalier n'a pas respecté les préconisations de la médecine du travail en ce qui concerne ses horaires de travail, ses congés et le travail en binôme. Toutefois, la recommandation d'éviter l'horaire de 6 h 30, qui ne figure au demeurant que dans l'avis du 19 novembre 2015 d'aptitude à la poursuite du temps partiel thérapeutique à 50 % par demi-journées pour trois mois jusqu'au 11 janvier 2016, ne peut être interprétée comme prohibant cet horaire de manière absolue, de sorte que quand bien même Mme B... aurait commencé le travail à 6 h 30 les 18 janvier et 8 mars 2016, ces deux occurrences ne sauraient caractériser un manquement à des restrictions médicales. Le médecin du travail a retenu la possibilité d'introduire des journées entières d'une durée de 7 h 30 à partir de février 2016, et n'a jamais recommandé d'alterner les jours de travail et de repos. Ainsi, Mme B... ne peut utilement reprocher à la cadre de santé d'avoir établi des plannings prévoyant de la faire travailler deux ou trois jours de suite, et la circonstance que de vives douleurs l'auraient empêchée de terminer ses journées des 3 février, 16 mars, 21 mars, 3 avril et 25 avril 2016 illustre seulement le caractère récidivant de sa pathologie, à l'origine de nombreux arrêts de travail, et ne peut être imputée à un quelconque manquement du centre hospitalier. Les allégations de la requérante selon lesquelles ses demandes de congés et d'aménagement de plannings auraient été " le plus souvent refusées " ne sont pas assorties des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. Enfin, la méconnaissance de la restriction relative à l'absence de port de charges lourdes (plus de 5 kg) et de la recommandation de favoriser le travail en binôme, notamment pour les patients dépendants, n'est pas démontrée par les attestations produites, dont il ressort seulement que Mme B... a travaillé en binôme ou en " doublon ", et qu'afin d'évaluer sa capacité à prendre en charge ses fonctions d'infirmière, une cadre de santé a demandé à ses collègues de ne pas l'aider durant son mi-temps thérapeutique pour des tâches telles que pousser un chariot, et non pour manipuler des patients ou porter des charges lourdes.

9. En deuxième lieu, le rapport hiérarchique établi le 21 novembre 2016 par les deux cadres de santé de l'unité de médecine polyvalente fait état des difficultés rencontrées par Mme B... tout au long de son année de reprise du travail à temps partiel thérapeutique, en précisant qu'elle n'a réalisé aucune manutention de malade, ni seule, ni en binôme, qu'elle semble dans l'incapacité de mobiliser un patient dans une situation d'urgence, qu'elle s'abstient des manutentions de matériel et laisse son chariot de soins au milieu du couloir, ce qui désorganise les interventions des équipes transversales (entretien, hôtellerie, brancardage), et qu'elle demande à bénéficier systématiquement et en priorité de jours de repos, ce qui ne peut lui être accordé sans faire émerger des tensions dans l'équipe. La réalité de difficultés à exercer les fonctions d'infirmière est corroborée par les nombreux arrêts de travail pour des lombalgies et sciatalgies produits par la requérante, démontrant la persistance, malgré la reprise progressive du travail à temps partiel thérapeutique et le respect des restrictions médicales, d'une pathologie dont le médecin du travail a conclu, le 3 janvier 2017, qu'elle était incompatible avec un poste d'infirmière " classique " en secteur d'hospitalisation. Eu égard à leur imprécision, les attestations stéréotypées produites par la requérante, selon lesquelles elle n'aurait " jamais demandé d'aide ", et aurait " géré son secteur " seule et sans difficulté, ne contredisent pas le rapport du 21 novembre 2016. Un unique mouvement d'humeur d'une cadre de santé qui aurait désigné Mme B... comme " l'autre " devant une collègue, ainsi que la surveillance effectuée par les cadres de santé telle qu'elle ressort de leur rapport, ne suffisent pas à caractériser l'existence de " brimades ", alors qu'il appartenait à la hiérarchie de contrôler la capacité de l'intéressée à exercer ses fonctions d'infirmière dans un contexte de temps partiel thérapeutique entrecoupé de nombreux arrêts de travail.

10. En troisième lieu, Mme B..., alors déclarée apte aux fonctions d'infirmière par le médecin du travail avec des restrictions qui n'ont pas été méconnues, ne disposait d'aucun droit à un changement d'affectation. Elle ne peut donc utilement reprocher à la direction du centre hospitalier de ne pas avoir fait droit à ses demandes de mutation sur des postes vacants en juillet 2015, octobre 2015 et mars 2016. Contrairement à ce qu'elle affirme, le poste de secrétaire administrative à l'IFSI qui lui avait été proposé en reclassement, et qu'elle a refusé, ne relevait pas de la catégorie C, mais de la catégorie B dans laquelle elle était classée en qualité d'infirmière. Il résulte de l'instruction, notamment de la lettre du 19 décembre 2017 de saisine du médecin du travail en vue d'un aménagement de poste, que le poste à l'unité de patients EVC sur lequel Mme B... a été affectée à compter du 2 janvier 2018 était à temps partiel à hauteur de 80 % conformément à sa demande, ne prévoyait pas de port de charges lourdes, et permettait un travail quasi-permanent en binôme avec un aide-soignant. Ainsi, les refus de mutation, la proposition de reclassement et l'affectation à l'unité de patients EVC ne démontrent pas l'existence d'une hostilité de la direction du centre hospitalier à l'encontre de la requérante.

11. Il résulte de ce qui précède que les éléments invoqués par Mme B... ne sont pas susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.

En ce qui concerne l'obligation de protection de la santé :

12. Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, applicable aux établissement de santé mentionnés à l'article 2 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relative à la fonction publique hospitalière, en vertu de l'article L. 4111-1 du même code : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (...) ". Il résulte de ce qui a été dit aux points 8 à 10 que le centre hospitalier de Rochefort n'a pas méconnu ces dispositions.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la décision du 22 décembre 2017 :

13. Les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent perte de responsabilités ou de rémunération. Le recours contre de telles mesures, à moins qu'elles ne traduisent une discrimination ou une sanction, est irrecevable.

14. Aux termes de l'article 1er du décret n° 89-376 du 8 juin 1989 pris pour l'application de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : " Lorsqu'un fonctionnaire n'est plus en mesure d'exercer ses fonctions, de façon temporaire ou permanente, et si les nécessités du service ne permettent pas un aménagement des conditions de travail, l'autorité investie du pouvoir de nomination, après avis du médecin du travail, dans l'hypothèse où l'état du fonctionnaire n'a pas nécessité l'octroi d'un congé de maladie, ou du comité médical, si un tel congé a été accordé, peut affecter ce fonctionnaire dans un poste de travail correspondant à son grade dans lequel les conditions de service sont de nature à permettre à l'intéressé d'assurer ses fonctions. "

15. Comme l'a relevé le tribunal, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'affectation de Mme B... à l'unité d'accueil des patients EVC à compter du 2 janvier 2018 aurait entraîné pour elle une diminution de ses responsabilités ou une perte de rémunération, aurait été susceptible d'avoir pour l'intéressée des incidences pécuniaires, aurait constitué une sanction disciplinaire déguisée ou traduirait l'existence d'un harcèlement moral ou d'une discrimination. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la lettre de saisine du médecin du travail du 19 décembre 2017 mentionnée au point 10, que cette nouvelle affectation a été décidée pour tenir compte de l'avis du comité médical supérieur du 7 juin 2017, lequel a déclaré Mme B... apte à ses fonctions d'infirmière mais inapte à des fonctions " d'infirmière en salle d'hospitalisation ", en respectant la demande de l'intéressée d'exercer son activité à temps partiel à hauteur de 80 %. Ainsi, la décision d'affectation du 22 décembre 2017 n'a eu ni pour objet, ni pour effet de retirer la décision du 19 septembre 2017 l'autorisant à exercer ses fonctions à 80 % d'un service complet du 12 octobre 2017 au 11 octobre 2018. L'absence d'avis du médecin du travail sur la compatibilité du poste avec l'état de santé de l'intéressée ne porte pas atteinte aux droits et libertés fondamentaux de cette dernière. C'est ainsi à bon droit que le tribunal a qualifié la décision d'affectation à l'unité d'accueil des patients EVC de mesure d'ordre intérieur et a rejeté comme irrecevable la demande d'annulation présentée par Mme B....

En ce qui concerne la décision du 9 janvier 2018 :

16. La circonstance que le centre hospitalier a pris le 26 décembre 2019, en exécution de l'injonction de réexamen prononcée par le jugement du 11 décembre 2019, une nouvelle décision de refus d'imputabilité au service qui s'est substituée à celle du 9 janvier 2018 annulée par le tribunal, ne rend pas sans objet la demande de Mme B... tendant à la réformation du jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande d'injonction de reconnaissance de l'imputabilité au service de l'accident du 25 mars 2017.

17. Aux termes de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " I.- Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à un accident reconnu imputable au service, à un accident de trajet ou à une maladie contractée en service définis aux II, III et IV du présent article. Ces définitions ne sont pas applicables au régime de réparation de l'incapacité permanente du fonctionnaire. / Le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. La durée du congé est assimilée à une période de service effectif. L'autorité administrative peut, à tout moment, vérifier si l'état de santé du fonctionnaire nécessite son maintien en congé pour invalidité temporaire imputable au service. / II.- Est présumé imputable au service tout accident survenu à un fonctionnaire, quelle qu'en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l'accident du service. / (...). "

18. Constitue un accident de service, pour l'application des dispositions précitées, un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l'occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci. Sauf à ce qu'il soit établi qu'il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service, quels que soient les effets qu'il a pu produire sur l'agent.

19. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... était en congé de maladie du 3 au 17 mars 2017 et en repos du 18 au 24 mars, et que par lettre du 17 mars 2017, elle a contesté l'avis d'inaptitude totale et définitive aux fonctions d'infirmière émis le 14 mars par le comité médical départemental. Ainsi qu'il a été dit au point 1, elle s'est présentée au travail le 25 mars 2017, a constaté que son nom ne figurait pas sur les plannings et a été renvoyée à son domicile par ses supérieurs hiérarchiques en raison de l'inaptitude retenue par le comité médical, dont elle avait connaissance et ne pouvait ignorer les conséquences. Dans ces circonstances, le fait d'être renvoyée à son domicile par ses supérieurs hiérarchiques, quels qu'en aient été les effets, ne caractérise pas un évènement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont écarté le moyen tiré de l'erreur d'appréciation, et seulement annulé pour défaut de motivation la décision du 9 janvier 2018.

20. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses demandes.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

21. Mme B..., qui est la partie perdante, n'est pas fondée à demander l'allocation d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre une somme à sa charge au titre des frais exposés par le centre hospitalier de Rochefort à l'occasion du présent litige. La présente instance n'ayant pas généré de dépens, les conclusions présentées par le centre hospitalier à ce titre ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de Rochefort au titre des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et au centre hospitalier de Rochefort.

Délibéré après l'audience du 3 mai 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 31 mai 2022.

La rapporteure,

Anne A...

La présidente,

Catherine Girault

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de la prévention en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

20BX00502 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX00502
Date de la décision : 31/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : SELARL P. BENDJEBBAR - O. LOPES

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-05-31;20bx00502 ?
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