Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler l'arrêté du 23 juillet 2019 par lequel la garde des sceaux, ministre de la justice lui a infligé la sanction d'exclusion de fonctions d'une durée de trois mois.
Par un jugement n° 1901475 du 13 février 2020, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 mars 2020, M. A..., représenté par Me Bourhaba, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guyane du 13 février 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté de la ministre de la justice, garde des sceaux du 23 juillet 2019 ;
3°) de condamner l'État à lui verser la somme totale de 25 300 euros au titre des préjudices qu'il estime avoir subis ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'auteur de l'arrêté ne justifie pas d'une délégation de signature régulière ;
- le rapport de saisine du conseil de discipline ne lui a été communiqué que tardivement, ce qui l'a empêché de prendre connaissance de son dossier individuel ;
- les demandes d'explications du 4 décembre 2018 et du 6 février 2019 portaient sur des faits dont l'autorité hiérarchique avait eu connaissance plus d'un mois auparavant, et étaient donc tardives ;
- ces demandes d'explications sont irrégulières dès lors qu'elles ne comportent pas de notification de l'avis de l'autorité hiérarchique ;
- l'article 85 du décret du 21 novembre 1966 portant règlement d'administration publique relatif au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire a été méconnu ;
- l'administration ne justifie pas de l'établissement d'un procès-verbal par la commission administrative paritaire lors de la séance du 24 juin 2019, en méconnaissance de l'article 29 du décret du 28 mai 1982 relatif aux commissions administratives paritaires ;
- l'administration n'a pas émis un avis motivé, en méconnaissance de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de l'article 8 du décret du 25 octobre 1984 ;
- le conseil de discipline était irrégulièrement composé, en méconnaissance des articles 5,6, 34, 35 et 41 du décret du 28 mai 1982 relatif aux commissions administratives paritaires ;
- l'arrêté litigieux méconnaît le principe du non bis in idem, dès lors que la demande d'explication du 8 octobre 2018 doit s'analyser comme la notification d'une sanction ;
- l'administration a commis une erreur manifeste d'appréciation, dès lors qu'il a informé l'autorité hiérarchique des préparatifs d'évasion ;
- le délai de réalisation des travaux de sécurisation de l'établissement ne saurait lui être imputable ;
- l'administration a commis une erreur de fait en lui reprochant le manquement aux consignes relatives à la durée maximale des factions aux miradors en service de nuit ;
- la sédation opérée sur l'un des détenus était nécessaire afin de le neutraliser, dès lors qu'il était dangereux pour lui-même et pour les autres ;
- il conteste avoir donné l'autorisation pour l'installation d'un poste de télévision au sein du PCI :
- l'administration ne pouvait le sanctionner alors qu'il avait fait valoir son intention de prendre sa retraite ;
- la sanction qui lui a été infligée est disproportionnée au regard des faits qui lui sont reprochés.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 février 2022, le ministre de la justice, garde des sceaux conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens de M. A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 66-874 du 21 novembre 1966 ;
- le décret n° 82-451 du 28 mai 1982 ;
- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D... C...,
- et les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., directeur des services pénitentiaires, a été affecté en qualité de chef d'établissement au centre pénitentiaire de...à compter du 1er septembre 2016. Par un arrêté du 23 juillet 2019, la ministre de la justice, garde des sceaux lui a infligé la sanction de troisième groupe d'exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée de trois mois. M. A... relève appel du jugement du 13 février 2020 par lequel le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 23 juillet 2019 et à la condamnation de l'État à lui verser une indemnité au titre des préjudices qu'il estime avoir subis.
Sur la légalité de l'arrêté du 23 juillet 2019 :
2. Aux termes de l'article 85 du décret du 21 novembre 1966 portant statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire : " A l'exception de l'avertissement et du blâme, les sanctions disciplinaires sont prononcées après délibération du conseil de discipline dont l'avis est formulé par un vote au scrutin secret. En cas de partage, le président est tenu de faire connaître son vote, qui est prépondérant ".
3. Les dispositions de cet article impliquent que le vote du conseil de discipline soit formulé par un vote à bulletin secret. En se bornant à affirmer qu'il ne ressort pas du procès-verbal que le vote des membres du conseil de discipline ne se serait pas déroulé dans les conditions imposées par l'article 85 du décret du 21 novembre 1966, le ministre de la justice, garde des sceaux, qui n'infirme pas formellement les allégations de M. A... selon lesquelles le vote ne s'est pas tenu à bulletin secret et ne produit aucun élément au dossier en témoignant, ne permet pas de tenir l'accomplissement de cette formalité pour établi, alors que le procès-verbal de la séance du conseil de discipline du 24 juin 2019 ne fait pas mention d'un vote à bulletin secret. Dans ces conditions, en l'absence d'un vote à bulletin secret lors de la délibération du conseil de discipline, M. A... doit être regardé comme ayant été privé de la garantie que représente cette modalité de scrutin. Par suite, M. A... est fondé à soutenir que l'arrêté du 23 juillet 2019, qui est intervenu en méconnaissance des dispositions de l'article 85 du décret du 21 novembre 1966 citées ci-dessus, est illégal.
Sur les conclusions indemnitaires :
4. Lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité, pour un vice de procédure, de la décision lui infligeant une sanction, il appartient au juge de plein contentieux, saisi de moyens en ce sens, de déterminer, en premier lieu, la nature de cette irrégularité procédurale puis, en second lieu, de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si, compte tenu de la nature et de la gravité de cette irrégularité procédurale, la même décision aurait pu être légalement prise, s'agissant tant du principe même de la sanction que de son quantum, dans le cadre d'une procédure régulière.
5. Il résulte de l'instruction que la ministre de la justice, garde des sceaux, a infligé à M. A... la sanction d'exclusion temporaire de trois mois aux motifs que ce dernier avait tardé à mettre en place les travaux de sécurisation du centre pénitentiaire dans un contexte marqué par plusieurs tentatives d'évasion, qu'il n'avait pas porté à la connaissance de la mission des services pénitentiaires les préparatifs d'évasion découverts le 1er octobre 2018, qu'il ne veillait pas au respect des consignes relatives à la durée maximale de faction aux miradors en service de nuit, qu'il avait autorisé la sédation d'une personne détenue en dehors de la procédure de l'hospitalisation sous contrainte et qu'il avait autorisé l'installation d'un poste de télévision dans le poste central d'information de l'établissement.
6. En premier lieu, si l'arrêté du 23 juillet 2019 mentionne qu'il est fait grief à M. A... de ne pas avoir porté à la connaissance des services pénitentiaires une tentative d'évasion, ce même arrêté indique que l'intéressé fait valoir qu'il s'agissait en réalité de préparatifs d'évasion et qu'en tous les cas, M. A... aurait dû veiller à transmettre cette information à sa hiérarchie, alors qu'une triple évasion avait eu lieu au sein de l'établissement quelques mois plus tôt. Si le requérant fait valoir qu'il ne s'agissait, en l'occurrence, pas d'un défaut d'information, dès lors que la mission des services pénitentiaires a été informée de l'incident du 1er octobre 2018 par un courriel du 2 octobre suivant, il est constant que ce courriel émanait de la directrice de détention, et qu'il n'a pas alerté son autorité hiérarchique de ces faits lui-même. Ainsi, les motifs de la sanction ne sont pas entachés d'erreur de fait, contrairement à ce que soutient M. A....
7. En deuxième lieu, il résulte des termes de la lettre d'observation du 12 novembre 2018 adressée par la directrice interrégionale de l'administration pénitentiaire de l'Outre-Mer à M. A..., que ce courrier, s'il fait état de " manquements professionnels graves ", avait pour seul objet de l'inviter à prendre en considération les remarques faites concernant la gestion de la découverte de préparatifs d'évasion au sein du centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly et à " organiser le management de l'équipe de direction ". Ainsi, et alors qu'il est loisible à tout supérieur hiérarchique d'adresser aux personnes placées sous son autorité des observations portant sur leur manière de servir et sur d'éventuels manquements aux devoirs de leurs fonctions, cette lettre ne peut être regardée comme constituant un avertissement au sens de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique d'État.
8. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que le centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly a connu une triple évasion dans la nuit du 31 décembre 2017 au 1er janvier 2018 et que les éléments tenant à la sécurité de cet établissement représentaient par conséquent un enjeu particulièrement important pour l'administration pénitentiaire. Si M. A... fait valoir que le retard des travaux de sécurisation du centre pénitentiaire de ... était lié aux difficultés de commande et de livraison de matériel, il ne verse au dossier aucun document permettant d'attester des diligences qu'il aurait accomplies afin que ces travaux soient réalisés, alors qu'il ressort des pièces du dossier que la nécessité de mise en place de ces éléments de sécurisation avait été soulignée par la mission des services pénitentiaires Outre-mer à la suite d'une nouvelle tentative d'évasion du 2 octobre 2018 depuis une cour de promenade, et que le défaut de mise en œuvre de ces travaux avait conduit à une nouvelle tentative d'évasion le 20 novembre 2018. Par ailleurs, bien qu'une note de service portant sur l'instauration d'un pointage des agents avait été rédigée le 18 janvier 2019 afin que les consignes relatives à la durée maximale de faction aux miradors en service de nuit soient respectées, soit moins d'un mois avant la demande d'explications du 6 février 2019, il ressort des pièces du dossier que le non-respect de ces règles, qui garantissent le bon fonctionnement et la sécurité de l'établissement, avait perduré jusqu'au mois de décembre 2018. En outre, il ressort du courrier de réponse à la demande d'explication du 6 février 2019 que le requérant a affirmé " avoir eu tort de valider " l'installation d'un poste de télévision au poste central d'information du centre pénitentiaire de .... Il ne peut donc faire valoir qu'il n'avait pas connaissance de l'existence de cet appareil dans un local dédié à la surveillance des détenus. Enfin, si le requérant soutient que la sédation pratiquée le 23 novembre 2018 sur un détenu était rendue indispensable en raison du comportement dangereux de ce dernier pour lui et pour les autres, et produit un rapport psychiatrique du 4 avril 2019 attestant de cette nécessité, il ne conteste pas que cette sédation est intervenue en dehors de tout cadre légal ou règlementaire. Ainsi, l'ensemble des faits reprochés à l'intéressé, qui révèlent des négligences et manquements relatifs à la sécurité de l'établissement, à la gestion du personnel et à la santé des détenus sous sa responsabilité, constituaient des fautes de nature à justifier qu'une sanction soit infligée à M. A....
9. Par ailleurs, eu égard aux fonctions de chef d'établissement de l'intéressé, les faits qui lui étaient reprochés, qui révèlent des manquements concernant la sécurité d'un établissement pénitentiaire dont la situation était déjà fragilisée par des évasions de détenus, ainsi que des pratiques de nature à porter atteinte à la santé et aux droits des détenus dont il avait la responsabilité, pouvaient justifier que la sanction de l'exclusion temporaire de trois mois, qui correspond à une sanction du troisième groupe, soit prononcée à l'encontre du requérant.
10. Enfin, aucune disposition législative ou règlementaire n'interdit à l'administration d'engager une procédure disciplinaire à l'égard d'un agent ayant signifié son intention de faire valoir ses droits à la retraite. Dès lors, la seule intention de M. A... de prendre sa retraite ne pouvait empêcher qu'une sanction soit prononcée à son égard.
11. Ainsi, malgré l'irrégularité affectant l'arrêté du 23 juillet 2019, il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 10 que la même décision aurait pu être légalement prise au regard des faits reprochés à M. A.... Par conséquent, les conclusions indemnitaires présentées par M. A... doivent être rejetées.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 23 juillet 2019.
Sur les frais d'instance :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : L'arrêté du ministre de la justice, garde des sceaux du 23 juillet 2019 est annulé.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de la Guyane est annulé en tant qu'il est contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de la justice, garde des sceaux.
Délibéré après l'audience du 7 avril 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, présidente,
Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,
Mme Charlotte Isoard, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 mai 2022.
La rapporteure,
Charlotte C...La présidente,
Marianne Hardy
La greffière,
Stéphanie Larrue
La République mande et ordonne au ministre de la justice, garde des sceaux en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20BX01171 2