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10/05/2022 | FRANCE | N°20BX00332

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 10 mai 2022, 20BX00332


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Tsingoni Hôtel a demandé au tribunal administratif de Mayotte d'annuler la décision du 22 mai 2018 par laquelle le préfet de Mayotte a refusé de lui attribuer une subvention d'un montant de 700 000 euros au titre du Fonds européen de développement régional.

Par un jugement n° 1801275 du 27 novembre 2019, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour administrative d'appel :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 24 janvier 2

020 et le 25 février 2022, la société Tsingoni Hôtel, représentée par Me Jorion, demande à la co...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Tsingoni Hôtel a demandé au tribunal administratif de Mayotte d'annuler la décision du 22 mai 2018 par laquelle le préfet de Mayotte a refusé de lui attribuer une subvention d'un montant de 700 000 euros au titre du Fonds européen de développement régional.

Par un jugement n° 1801275 du 27 novembre 2019, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour administrative d'appel :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 24 janvier 2020 et le 25 février 2022, la société Tsingoni Hôtel, représentée par Me Jorion, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1801275 du tribunal administratif de Mayotte du 27 novembre 2019 ;

2°) d'annuler la décision du 22 mai 2018 du préfet de Mayotte ;

3°) d'enjoindre au préfet de Mayotte de procéder au réexamen de sa demande de subvention dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;

- la subvention sollicitée ne peut lui être refusée au motif de l'incomplétude de son dossier de demande, alors que celui-ci a fait l'objet d'un accusé de réception attestant de son caractère complet ;

- l'agrément fiscal dont le défaut de transmission lui a été reproché ne pouvait être produit dès lors que, conformément à l'instruction fiscale publiée le 2 septembre 2019 au bulletin officiel des finances publiques, un tel agrément n'est susceptible d'être délivré que postérieurement à l'octroi de la subvention ;

- le montage financier du projet ne présente pas un caractère instable ;

- elle a pris soin de mettre en concurrence les entreprises de travaux susceptibles d'être concernées par le projet ;

- le projet est parfaitement localisé et respecte les règles d'urbanisme ;

- le dossier d'instruction qui lui a été remis ne mentionne pas d'obligation de produire la validation par notaire du bail sous seing privé qu'elle a produit ; une simple information sur ce point aurait permis de lever toute difficulté ;

- l'affectation du terrain au projet d'investissement ne fait aucun doute dès lors que le dossier de demande comprend l'attestation d'occupation des sols établie par le maire de Tsingoni, ainsi qu'un contrat de bail, qui est explicite quant à la destination des lieux ;

- la mise en échec du projet serait préjudiciable et contraire à l'intérêt général ;

- le préfet aurait dû mettre en œuvre le pouvoir de dérogation qui lui est reconnu par les dispositions du décret n° 2017-1845 du 29 décembre 2017 ;

- la décision contestée est entachée d'un détournement de pouvoir, ainsi qu'il en résulte du rapport de la chambre régionale des comptes du 1er février 2018 et des manquements relevés par la Commission interministérielle de coordination des contrôles.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 janvier 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 25 janvier 2022, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 28 février 2022 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) n° 1301/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 2016-279 du 8 mars 2016 ;

- le décret n° 2017-1845 du 29 décembre 2017 ;

- l'arrêté du 8 mars 2016 pris en application du décret n° 2016-279 du 8 mars 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A... B...,

- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteure publique,

- et les observations de Me Audinot représentant la société Tsingoni Hôtel.

Considérant ce qui suit :

1. La société Tsingoni Hôtel a sollicité le 17 mai 2017 auprès des services du secrétariat général pour les affaires régionales de Mayotte une subvention européenne, à hauteur de 700 000 euros, au titre du Fonds européen de développement régional (FEDER), pour répondre à un appel à projets " tourisme ", afin de réaliser un complexe hôtelier sur le territoire de la commune de Tsingoni. Par un courrier du 22 mai 2018, le préfet de Mayotte a informé la société qu'après examen de son dossier par le comité régional unique de programmation, sa demande de subvention avait été rejetée. L'intéressée relève appel du jugement du 27 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article 2 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relatif au FEDER : " Le FEDER contribue au financement du soutien visant à renforcer la cohésion économique, sociale et territoriale en corrigeant les principaux déséquilibres entre les régions de l'Union par le développement durable et l'ajustement structurel des économies régionales, y compris par la reconversion des régions industrielles en déclin et des régions accusant un retard de développement. ". L'article 5 du même règlement définit les priorités sur lesquelles le FEDER, au titre de l'objectif de l'amélioration de la compétitivité des petites et moyennes entreprises, concentre son intervention.

3. Il résulte des termes de la décision contestée du 22 mai 2018 que, pour refuser à la société Tsingoni Hôtel le bénéfice de la subvention FEDER sollicitée, le préfet s'est fondé sur les motifs tirés de l'existence d'un montage financier non stabilisé, la production d'un contrat de bail foncier non authentifié, un suivi administratif du dossier jugé trop flou, une absence de démonstration du respect des normes touristiques applicables, l'absence de mise en concurrence des constructeurs du complexe hôtelier ainsi que l'inadaptation du projet aux règles locales d'urbanisme.

4. En premier lieu, l'attribution d'une subvention ne constituant pas un droit pour les personnes remplissant les conditions légales pour l'obtenir, aucune disposition du code des relations entre le public et l'administration relative à la motivation des actes administratifs n'imposait la motivation de la décision attaquée refusant la subvention sollicitée par la société Tsingoni Hôtel. Par suite, et en tout état de cause, la société ne peut utilement soutenir que cette décision serait insuffisamment motivée.

5. En deuxième lieu, la circonstance que, par un courrier du 5 octobre 2017, le secrétaire pour les affaires régionales de Mayotte a accusé réception du dossier de demande de subvention déposé par la requérante, qualifié de " complet ", ne faisait pas obstacle à l'analyse des pièces produites par la société et, le cas échéant, au constat de leur caractère non probant au regard des objectifs attendus et des priorités d'aménagement du territoire dans lesquelles s'insère le projet. Par ailleurs, alors qu'aucune règle ni aucun principe n'obligeait l'administration à solliciter de la société un complément d'information au regard des pièces fournies, il ressort des pièces du dossier et notamment des échanges de courriels entre la société et le service instructeur que ce dernier a précisément identifié et sollicité, au cours des différentes phases de l'instruction du dossier, les pièces complémentaires qu'il estimait nécessaires à l'examen de la crédibilité et de la solidité financière du projet. Dès lors, le moyen tiré par la société Tsingoni Hôtel de ce que le préfet ne pouvait, au regard du caractère complet de son dossier, lui opposer le caractère non probant de certains documents produits doit être écarté.

6. En troisième lieu, il ressort des pièces versées au dossier de première instance que le financement de l'opération reposait, aux termes du plan de financement figurant dans la demande de subvention, sur des emprunts à hauteur de 430 000 euros. Les attestations établies par la banque française commerciale Océan Indien et l'établissement Mayotte Investissements mentionnent, quant à elle, des prêts à hauteur de 397 000 euros ou de 393 670 euros. De même, l'apport en fonds propres qui, au demeurant, a été regardé comme trop faible par le conseil départemental de Mayotte au regard du dimensionnement du projet, a été chiffré à hauteur de 31 167 euros dans le plan de financement alors que les attestations bancaires précitées, établies sur la base des déclarations de la société, mentionnent toutes deux un apport personnel de 64 400 euros. Dans ces conditions, l'administration a pu, à bon droit, estimer que le montage financier proposé par la société Tsingoni Hôtel présentait un caractère instable.

7. En quatrième lieu, la société soutient qu'il ne pouvait lui être fait grief, au titre des modalités de financement du projet, de ne pas avoir produit l'agrément pour l'aide fiscale aux investissements outre-mer dès lors que la liste des pièces ou renseignements à joindre à toute demande d'agrément, publiée au BOI-ANNX-000292, indique que la copie de la décision relative à la subvention FEDER est un préalable à la délivrance de l'agrément. Toutefois, alors que cette liste n'a été publiée au bulletin officiel des finances publiques que le 2 septembre 2019 et n'était, en conséquence, pas applicable à la date de la décision attaquée, la précédente version de cette liste, publiée entre le 12 septembre 2012 et le 3 juillet 2018, ne faisait pas mention d'une telle formalité. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que le service instructeur exigeait la production, à tout le moins, à défaut de décision d'agrément, de la preuve de dépôt du dossier de demande d'agrément auprès des services fiscaux par la société Tsingoni Hôtel ou par la société en nom collectif créée pour l'opération, document que la requérante s'est abstenue de produire. Dès lors, le moyen doit être écarté.

8. En cinquième lieu, il ressort des pièces du dossier que la société Tsingoni Hôtel a produit deux devis relatifs au coût prévisible de construction de l'hôtel et du restaurant compris dans son projet de complexe hôtelier, établis par la société MCTP La Mahoraise de Travaux Public et la société Maçonnerie Générale Mahoraise. Il résulte de l'analyse de ces deux devis, pourtant établis par deux sociétés distinctes, qu'ils reprennent de manière strictement identique et sous la même forme le détail ainsi que l'intitulé de la centaine de prestations de travaux chiffrées et que l'écart de chiffrage entre ces deux sociétés, pour chacune des prestations à fournir, s'élève systématiquement à un pourcentage de l'ordre de 1,007 pour la construction de l'hôtel et 1,03 pour celle du restaurant. Dans ces conditions, le préfet a pu, à bon droit, remettre en cause la valeur probante de ces devis, dont les mentions apparaissent fortement sujettes à caution.

9. En sixième lieu et d'une part, il ressort des termes de la décision attaquée que, pour refuser la subvention sollicitée, le préfet a notamment indiqué que le projet de complexe hôtelier est situé en zones 1 AUT et A du plan local d'urbanisme de la commune de Tsingoni, correspondant respectivement à une zone immédiatement urbanisable, sous forme d'opérations d'ensemble, et à une zone agricole. Toutefois, alors que la société Tsingoni Hôtel dispose d'un permis de construire pour le projet en cause, qui lui a été délivré par le maire de la commune le 19 janvier 2016, le ministre, pas davantage que le préfet en première instance, ne s'explique sur la pertinence de ce motif qui, apparaît, dès lors, infondé. D'autre part, ainsi que le soutient la société, la validité du bail sous seing privé portant sur le terrain d'assiette du projet, produit à l'appui de la demande de subvention, ne saurait être remise en cause en raison de l'absence de validation de cet acte par un notaire dès lors que la conclusion d'un tel bail ne nécessite pas la forme authentique. A cet égard, le ministre ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'arrêté du 8 mars 2016 pris en application du décret du 8 mars 2016 fixant les règles nationales d'éligibilité des dépenses des programmes européens pour la période 2014-2020 qui concerne l'éligibilité des dépenses exposées postérieurement à l'octroi d'une subvention et non les pièces à fournir pour l'instruction des demandes de subvention. Dès lors, cet autre motif opposé à la requérante est également infondé. Toutefois, il résulte de l'instruction que le préfet aurait pris la même décision s'il ne s'était pas fondé sur ces deux motifs mais uniquement sur les autres motifs mentionnés aux points 3 à 6 qui, ainsi qu'il a été exposé, sont fondés ainsi que sur le motif tiré de l'absence de démonstration du respect des normes touristiques, qui n'est pas contesté par la société Tsingoni Hôtel. Par suite, c'est sans commettre d'erreur de fait ni d'erreur manifeste d'appréciation et sans porter atteinte à l'intérêt général qui s'attache aux objectifs de la politique européenne de cohésion économique, sociale et territoriale que le préfet lui a refusé l'octroi de la subvention FEDER sollicitée.

10. En septième lieu, aux termes de l'article 1er du décret du 29 décembre 2017 relatif à l'expérimentation territoriale d'un droit de dérogation reconnu au préfet : " A titre expérimental et pendant une durée de deux ans à compter de la publication du présent décret, les préfets des régions et des départements (...) de Mayotte (...) peuvent déroger à des normes arrêtées par l'administration de l'Etat dans les conditions fixées par les articles 2 à 4. ". Aux termes de l'article 2 de ce décret : " Le préfet peut faire usage de la faculté prévue à l'article 1er pour prendre des décisions non réglementaires relevant de sa compétence dans les matières suivantes : / 1° Subventions, concours financiers et dispositifs de soutien en faveur des acteurs économiques, des associations et des collectivités territoriales ; / (...) / 5° Emploi et activité économique ; (...) ". Enfin, aux termes de l'article 3 du même décret : " La dérogation doit répondre aux conditions suivantes : / 1° Etre justifiée par un motif d'intérêt général et l'existence de circonstances locales ; / 2° Avoir pour effet d'alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l'accès aux aides publiques ; (...) ".

11. En se bornant à se prévaloir du développement économique et touristique sur le territoire de Mayotte et à produire une étude de marché du 1er octobre 2016 élaborée par ses propres soins, la société Tsingoni Hôtel ne justifie pas de l'existence d'un motif d'intérêt général et de circonstances locales auxquels répondrait son projet de complexe hôtelier et qui, aux termes des dispositions précitées de l'article 3 du décret du 29 décembre 2017, constitue l'une des conditions de mise en œuvre du droit de dérogation reconnu, à titre expérimental, au préfet. Dès lors, eu égard aux motifs de refus qui ont été opposés à la société, le préfet de Mayotte n'a pas entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de faire usage de son pouvoir de dérogation.

12. En dernier lieu, en se bornant à produire des extraits d'un rapport du 1er février 2018 de la chambre régionale des comptes de Mayotte ainsi qu'un article de presse relevant les manquements pointés par la Commission interministérielle de coordination des contrôles dans la gestion des fonds européens à Mayotte, la société Tsingoni Hôtel n'établit pas que la décision litigieuse procèderait d'un détournement de pouvoir. Par suite, le moyen doit être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Tsingoni Hôtel n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande. Les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte doivent être rejetées par voie de conséquence.

Sur les frais liés à l'instance :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Tsingoni Hôtel demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Tsingoni Hôtel est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Tsingoni Hôtel et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de Mayotte, au ministre de l'économie, des finances et de la relance et au ministre de l'Europe et des affaires étrangère.

Délibéré après l'audience du 5 avril 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

M. Dominique Ferrari, président-assesseur,

M. Michaël Kauffmann, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 mai 2022.

Le rapporteur,

Michaël B... La présidente,

Evelyne Balzamo

Le greffier,

Fabrice Phalippon

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 20BX00332

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX00332
Date de la décision : 10/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

15-08 Communautés européennes et Union européenne. - Litiges relatifs au versement d`aides de l’Union européenne.


Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: M. Michaël KAUFFMANN
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : CABINET JORION AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 17/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-05-10;20bx00332 ?
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