Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée FM Projet a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le syndicat mixte Charente Numérique à lui verser la somme de 140 810 euros, augmentée des intérêts au taux légal, en réparation du préjudice que lui a causé la résiliation de l'accord-cadre.
Par jugement n° 1801103 du 10 juin 2020, le tribunal administratif de Poitiers a condamné le syndicat mixte Charente Numérique à verser à la société FM Projet la somme de 55 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 février 2018.
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 août 2020 et 25 février 2021, la société FM Projet, représentée par Me Hourcabie, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 10 juin 2020 en tant qu'il a limité à 55 000 euros la somme qu'il a condamné le syndicat mixte Charente Numérique à lui verser ;
2°) de condamner le syndicat mixte Charente Numérique à lui verser la somme de 140 810 euros, augmentée des intérêts au taux légal ;
3°) de mettre à la charge du syndicat mixte Charente Numérique la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le titulaire d'un marché public à bons de commande avec minimum est en droit d'obtenir une indemnisation de la part du pouvoir adjudicateur, dès lors que le minimum prescrit par ledit marché n'a pas été atteint à l'expiration, normale ou anticipée, de ce marché ; tel est le cas a fortiori en cas de résiliation pour un motif d'intérêt général ;
- d'ailleurs, l'article 3.7.5 du cahier des clauses administratives générales prestations intellectuelles prévoit expressément le droit à indemnisation du cocontractant dans l'hypothèse où le minimum de commandes prévu contractuellement ne serait pas atteint au terme du marché, ce que rappelle l'article 2.2 du cahier des clauses administratives particulières ;
- on ne peut lui opposer l'article 20 du cahier des clauses administratives générales, qui permet au pouvoir adjudicateur de ne pas poursuivre l'exécution de prestation, et ce sans avoir à verser une quelconque indemnité, dès lors que cette dernière possibilité n'existe que pour les prestations commandées au-delà du minimum de commande sur lesquelles il s'est expressément et fermement engagé ;
- c'est à tort que, par un jugement insuffisamment motivé, le tribunal administratif de Poitiers a limité à 55 500 euros, augmentés des intérêts au taux légal, le montant de la condamnation du syndicat mixte Charente Numérique sollicitée par la société FM Projet ;
- le titulaire d'un marché à bons de commande a droit à être indemnisé a minima à hauteur d'un montant qui est égal à la marge bénéficiaire que celui-ci aurait dégagée de l'exécution du montant minimal des prestations prévues au marché, ainsi que des dépenses qu'il a engagées pour satisfaire à ses obligations contractuelles ;
- il y a lieu de tenir compte de la somme de 9 750 euros HT au titre de la mission ACT pour " la desserte FttN des sous-répartiteurs et l'opticalisation des NRxy ", dès lors que, s'il n'est pas discutable, d'un point de vue formel, que " ce montant forfaitaire n'est pas prévu dans la définition de la quantité minimum ", il est en revanche certain, d'un point de vue technique, que cette prestation devait être obligatoirement accomplie pour permettre " la desserte FttN des sous-répartiteurs et l'opticalisation des NRxy ", lesquelles étaient prévues dans la définition de la quantité minimum ; cette mission ACT a d'ailleurs été commandée dès le bon de commande n° 1 ;
- le tribunal a appliqué, en l'arrondissant, un taux de marge de 10 %, alors qu'elle justifie de la réalisation, sur ce type de prestation, d'une marge bénéficiaire nette fixée
par un expert-comptable à 25 % ;
- il faut tenir compte du montant de 49 SR soit 574 868 euros HT, d'un NRA-xy soit 10 832 euros HT, et de la somme de 9 750 euros HT au titre de la mission ACT pour " la desserte FttN des sous-répartiteurs et l'opticalisation des NRxy ", soit un montant minimum de commande prévu au marché de 595 450 euros, auquel il faut retrancher les 32 210 euros versés par Charente Numérique avant la notification de la résiliation, soit 563 240 euros HT, ce qui, après application d'un taux de marge de 25 %, aboutit à une indemnisation de 140 810 euros.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 13 juillet 2021 et le 14 mars 2022, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le syndicat mixte Charente Numérique, représenté par Me Parisi, conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement en tant qu'il l'a condamné à indemniser la société FM Projet ;
2°) de rejeter la demande portée par la société FM Projet devant les premiers juges ;
3°) de mettre à la charge de la société FM Projet la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative/
Il soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé sur le montant de l'indemnité accordée ;
- l'article 20 du cahier des clauses administratives générales " Arrêt de l'exécution des prestations " et l'article 7.6 du cahier des clauses administratives particulières prévoient la possibilité d'arrêter l'exécution des prestations aux termes de chacune des phases techniques ; sans indemnité, l'article 7.6 précisant que " les éléments de mission telle que définie à l'article 1.1 du présent CCAP sont des parties techniques au sens de l'article 20 du CCAG-PI " ; or, en l'espèce, l'arrêt des prestations a été prononcé pour 14 sous-répartiteurs ayant fait l'objet d'études préliminaires (EP) et pour 16 sous-répartiteurs ayant fait l'objet d'avant-projet sommaire (APS), en sorte que, à la date de la résiliation du marché, et de notification de la décision d'arrêt des prestations, 14 sous-répartiteurs avaient fait l'objet d'études préliminaires et 16 d'entre eux avaient donné lieu à l'établissement d'avant-projet sommaire ; les autres phases techniques n'avaient pas été commandées et, lors de la résiliation du marché, toutes les phases débutées avaient été terminées et aucune prestation n'était en cours d'exécution ;
- la résiliation consécutive à cet arrêt des prestations exclut de manière incontestable toute indemnisation du titulaire consécutivement à cette résiliation selon le texte tout aussi clair de l'article 31. 3 du CCAG-PI ; partant, aucun droit à indemnité ne saurait être déduit de l'application de l'article 34.2.2 du CCAG-PI, sauf à contredire l'exclusion de toute indemnité dont le principe résulte clairement des dispositions des articles 20 et 31.3 de ce même CCAG-PI ;
- les articles 20 et l'article 31.3 du CCAG-PI, qui constituent le texte spécial relatif aux conséquences de l'arrêt des prestations et à la résiliation qui s'en suit, doit nécessairement l'emporter sur les dispositions de l'article 34.2.2 de ce même CCAG-PI, qui constitue des dispositions d'ordre général applicables aux décisions de résiliation prises en application des articles 31 et 33 du CCAG ;
- pour tenter de justifier du montant de l'indemnité réclamée, en
première instance, la société FM Projet s'est limitée à la production d'attestations de
son expert-comptable fixant un taux de marge nette de 25 %, à l'exception de tout autre document comptable justificatif du calcul de marge au regard du marché concerné.
Le syndicat mixte Charente Numérique a produit une note en délibéré, enregistrée le 25 mars 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- l'arrêté du 16 septembre 2009 portant application du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B... D...,
- les conclusions de Mme A... C...,
- et les observations de Me Hourcabie, représentant la société FM Projet, et de Me Parisi, représentant le syndicat mixte Charente Numérique.
Considérant ce qui suit :
1. En 2016, en vue de la réalisation d'un réseau de fibre optique sur son territoire, le département de la Charente a confié à la société FM Projet l'exécution d'un accord-cadre à bons de commande ayant pour objet la réalisation d'une mission de maîtrise d'œuvre relative aux " marchés de travaux de desserte FttN et de collecte en fibre optique NRA-xy ". La durée de l'accord-cadre était fixée à 48 mois à compter de sa notification le 26 septembre 2016, soit jusqu'au 26 septembre 2020. Le syndicat mixte Charente Numérique s'est ensuite substitué au département. Par courrier du 20 décembre 2017, il a informé la société FM Projet de sa décision d'arrêter les prestations et de résilier l'accord-cadre eu égard à la modification du programme d'aménagement numérique du département de Charente.
2. La société FM Projet a adressé au syndicat mixte Charente Numérique une demande indemnitaire le 16 février 2018, puis a saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande tendant à la condamnation du syndicat mixte à lui verser la somme de 140 810 euros, augmentée des intérêts au taux légal, en réparation du préjudice que lui a causé la résiliation de l'accord-cadre. Par jugement du 10 juin 2020, le tribunal administratif de Poitiers a condamné le syndicat mixte Charente Numérique à verser à la société FM Projet la somme de 55 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 février 2018. La société FM Projet relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses conclusions, et, par la voie de l'appel incident, le syndicat mixte Charente Numérique demande l'annulation de ce jugement et le rejet de la demande portée par la société FM Projet devant les premiers juges.
Sur la régularité du jugement :
3. Le jugement attaqué expose, dans son point 8, les modalités de calcul qu'il retient pour accorder à la société FM Projet une indemnité de 55 000 euros au principal. Par suite, le moyen tiré de son insuffisante motivation doit être écarté.
Sur le droit à indemnisation de la société FM Projet :
4. D'une part, aux termes de l'article 7-6 du cahier des clauses administratives particulières, " Arrêt de l'exécution des prestations - Conformément à l'article 20 du CCAG PI, le maître de l'ouvrage se réserve la possibilité d'arrêter l'exécution des prestations au terme de chacune des phases techniques. Les éléments de mission telles que définis à l'article 1.1 du présent CCAP sont des parties techniques au sens de l'article 20 du CCAG PI ". Aux termes de l'article 1.1 du CCAP : " (...) Le présent marché a pour objet de confier au maître d'œuvre une mission dont les éléments constitutifs sont les suivants : / - Etudes préliminaires (EP) ; / - Avant-projet (AVP) ; / - Etudes de projet (PRO) ; / - Assistance pour la passation des contrats de travaux (ACT) ; / - Examen de conformité-visa (VISA) ; / - Direction de l'exécution du contrat de travaux et ordonnancement, pilotage et coordination de chantier (DET/OPC) ; / - Assistance lors des opérations de réception (AOR) ". Et l'article 20 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de prestations intellectuelles, auquel renvoie le marché en cause, stipule : " " Lorsque les prestations sont scindées en plusieurs parties techniques à exécuter distinctement, le pouvoir adjudicateur peut décider, au terme de chacune de ces parties, soit de sa propre initiative, soit à la demande du titulaire, de ne pas poursuivre l'exécution des prestations, dès lors que les deux conditions suivantes sont remplies : / - les documents particuliers du marché prévoient expressément cette possibilité ; / - chacune de ces parties techniques est clairement identifiée et assortie d'un montant. / La décision d'arrêter l'exécution des prestations ne donne lieu à aucune indemnité. / L'arrêt de l'exécution des prestations entraîne la résiliation du marché ".
5. D'autre part, aux termes de l'article 2-2 du cahier des clauses administratives particulières, relatif à la forme du marché " Les prestations donnent lieu à un accord-cadre à bons de commande avec minimum et/ou maximum, en application de l'article 78 - I alinéa 3 du Décret n° 2016-360 du 25 mars 2016. (...) En application de l'article 3.7.5 du CCAG PI, si le total des commandes n'a pas atteint le minimum fixé par le marché en valeur ou en quantités, le titulaire a droit à une indemnité, égale à la marge bénéficiaire qu'il aurait réalisée sur les prestations qui restaient à exécuter pour atteindre ce minimum. Dans ce cas, le titulaire a droit, en outre, à être indemnisé de la part des frais et investissements, éventuellement engagés pour le marché et strictement nécessaires à son exécution, qui n'aurait pas été prise en compte dans le montant des prestations payées. Il lui incombe d'apporter toutes les justifications nécessaires à la fixation de cette partie de l'indemnité dans un délai de quinze jours après la notification de la résiliation du marché ". Et l'article 3.7.5 du cahier des clauses administratives générales, relatif aux bons de commandes, stipule : " (...) 3.7.5. Lorsqu'au terme de l'exécution d'un marché à bons de commande, le total des commandes du pouvoir adjudicateur n'a pas atteint le minimum fixé par le marché, en valeur ou en quantités, le titulaire a droit à une indemnité, égale à la marge bénéficiaire qu'il aurait réalisée sur les prestations qui restaient à exécuter pour atteindre ce minimum. Le titulaire a droit, en outre, à être indemnisé de la part des frais et investissements, éventuellement engagés pour le marché et strictement nécessaires à son exécution, qui n'aurait pas été prise en compte dans le montant des prestations payées. Il lui incombe d'apporter au pouvoir adjudicateur toutes les justifications nécessaires à la fixation de cette partie de l'indemnité dans un délai de quinze jours après la notification de la résiliation du marché ".
6. Si les stipulations rappelées au point 4 autorisent le pouvoir adjudicateur à prononcer l'arrêt de l'exécution des prestations au terme de chacune des phases techniques, elles ne sauraient faire obstacle au droit du titulaire d'un marché à bons de commande de percevoir une indemnité lorsque le total des commandes n'a pas atteint le minimum fixé par le marché en valeur ou en quantités.
7. Il résulte de l'instruction que la décision du 20 décembre 2017 prononce l'arrêt des prestations pour les 14 sous-répartiteurs ayant fait l'objet d'études préliminaires, ainsi que pour les 16 sous-répartiteurs ayant fait l'objet d'avant-projets sommaires, et prononce la résiliation du marché, motif tiré de " la modification substantielle du programme d'aménagement numérique du département de la Charente ". Or, l'article 2 du cahier des clauses administratives particulières précise que le marché en cause est un marché à bons de commande avec un minimum, en quantité, de 49 sous-répartiteurs et d'un NRA-xy. Ce minimum n'ayant pas été respecté, la société FM Projet avait droit à une indemnité égale à la marge bénéficiaire qu'elle aurait réalisée sur les prestations qui restaient à exécuter pour atteindre ce minimum, en application des stipulations de l'article 3.7.5 du cahier des clauses administratives générales rappelées au point 5. Par suite, le syndicat mixte Charente Numérique n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a jugé que la société FM Projet avait droit au versement d'une telle indemnité.
Sur le montant de l'indemnisation :
8. Il résulte de l'instruction que le marché prévoyait un minimum de 49 sous-répartiteurs au prix unitaire de 11 732 euros HT, et d'un NRA-xy, d'un montant de 10 832 euros HT, soit un minimum de commande prévu de 585 700 euros HT, auquel il n'y a pas lieu d'ajouter, contrairement à ce que soutient la société FM Projet, le montant de la mission ACT pour la desserte FTTN des sous-répartiteurs et l'opticalisation des NRA-xy, dès lors que ces prestations font l'objet d'un forfait distinct. La société FM projet a perçu, en rémunération des prestations réalisées, la somme de 32 210 euros, qu'il convient en revanche de déduire. Par ailleurs, il résulte des attestations détaillées et circonstanciées du cabinet d'experts-comptables de la société FM Projet, ainsi que des caractéristiques du marché, que la marge bénéficiaire nette de son activité de maîtrise d'œuvre est de 25 %. Par suite, il y a lieu de porter la somme au paiement de laquelle le tribunal administratif a condamné le syndicat mixte Charente Numérique de 55 000 euros au principal à 138 372,50 euros au principal.
Sur les frais d'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société FM Projet, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que le syndicat mixte Charente Numérique demande au titre des frais d'instance. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du syndicat mixte Charente Numérique, au profit de la société FM Projet, la somme de 1 500 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : L'indemnité mise à la charge du syndicat mixte Charente Numérique par le tribunal administratif de Poitiers est portée, au principal, de 55 000 euros à 138 372,50 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 10 juin 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le syndicat mixte Charente Numérique versera à la société FM Projet la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société FM Projet et au syndicat mixte Charente Numérique.
Délibéré après l'audience du 24 mars 2022 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente-assesseure,
Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mai 2022.
La rapporteure,
Frédérique D... Le président
Éric Rey-Bèthbéder
La greffière,
Angélique Bonkoungou
La République mande et ordonne au préfet de la Charente en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX02620