Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... E... et la communauté d'agglomération communauté intercommunale Réunion Est (CIREST) ont demandé au tribunal administratif de La Réunion, d'une part, d'annuler le marché de services de tri, traitement, stockage, enfouissement, valorisation des déchets non dangereux au centre de valorisation des déchets situé sur la commune de Sainte-Suzanne, au lieu-dit les Trois Frères, signé par le syndicat intercommunal de traitement des déchets du Nord et de l'Est le 10 novembre 2017, et, d'autre part, d'annuler la délibération du comité syndical du 9 novembre 2017 approuvant la signature du contrat.
Par jugement n° 1800021 du 29 octobre 2019, le tribunal administratif de La Réunion a prononcé la résiliation du marché avec effet différé de sept ans à compter de la date de lecture de son jugement.
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 26 décembre 2019, 26 décembre 2020 et 25 février 2021, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, M. B... E... et la CIREST, représentés par Me Bardon et Me Wally Issop, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 29 octobre 2019 en tant qu'il prononce la résiliation et non l'annulation du contrat, et qu'il prévoit un effet différé de sept ans ;
2°) de prononcer l'annulation du marché avec effet différé au 31 décembre 2023 et d'enjoindre au syndicat intercommunal des déchets du Nord et de l'Est de résoudre le contrat à compter du 1er janvier 2024 ;
4°) à titre subsidiaire, d'annuler l'article 22 du CCP et les articles 2.5, 4.1 et 4.2 ;
3°) de mettre à la charge du syndicat intercommunal des déchets du Nord et de l'Est une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les conclusions d'appel incident présentées par la CIREST et la société Inovest sont irrecevables en tant qu'elles portent sur la validité du contrat, car il s'agit d'un litige distinct, et qu'elles portent sur une partie du jugement revêtue de l'autorité de la chose jugée ;
- au regard de la gravité des vices entachant le contrat, seule l'annulation pouvait les sanctionner, même si l'intérêt général aurait effectivement dû conduire les juges à prononcer cette sanction avec effet différé ; en effet, selon la jurisprudence Tarn et Garonne, l'annulation est prononcée lorsque le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité ;
- l'effet différé de sept ans est excessivement long et doit être limité au temps nécessaire pour corriger les illégalités relevées ;
- à la différence de l'annulation, la résiliation fait vivre pour une certaine durée le contrat, ce qui permet aux parties de se prévaloir des clauses contractuelles, et notamment des clauses financières ; la société Inovest peut donc bénéficier des modalités d'indemnisation prévues par l'article 22 du CCP ;
- la durée de l'effet différé dépend des délais administratifs nécessaires pour obtenir des autorisations ICPE, dont on sait qu'ils sont de l'ordre de deux à trois ans, des délais de procédure de passation dans le respect des exigences du CCP, de l'ordre d'un an, et, enfin, des délais nécessaires pour disposer d'un nouveau site de stockage des déchets (ISDND), dont on sait que le projet a été acté en mars 2018 et que les travaux sont de l'ordre de deux ans à quatre ans ; or, à l'occasion du comité du 20 mars 2019, le SYDNE confirme que l'ISDU doit être opérationnelle en 2023 ;
- en tout état de cause, il y a lieu d'annuler les clauses financières du contrat, compte tenu de leur illicéité, c'est-à-dire l'article 22 du CCP, qui prévoit l'indemnisation de la société Inovest en cas de résiliation intervenant après la cinquième année d'exécution du contrat et prononcée par un juge administratif ; il en va de même des clauses de prix anticipant l'incidence de la vente du CSR des articles 2.5, 4.1 et 4.2 du CCP.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 17 juin 2020 et 25 janvier 2021, le syndicat intercommunal des déchets du Nord et de l'Est (SYDNE), représenté par Me Bensoussan, demande à la cour :
1°) à titre principal, d'annuler le jugement du tribunal administratif de La Réunion en tant qu'il a résilié le marché ;
2°) à titre subsidiaire, de réformer ce jugement en ce qu'il a fixé l'effet différé de la résiliation à seulement sept ans, et d'assortir la résiliation d'un effet différé de dix ans ;
3°) de mettre à la charge de M. E... et de la CIREST la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
Sur les conclusions d'appel incident
- le marché est régulier, dès lors tout d'abord que les élus ont reçu une information suffisante, s'agissant de la durée du marché et de son prix, et la circonstance que les éléments de prix du rachat du CSR à la société Inovest et le montant des investissements de la société Inovest n'ont pas été communiqués est sans influence sur la validité du contrat, l'organe délibérant ne devant être informé que des éléments essentiels du contrat, tendant à son objet, son montant et à l'identité de l'attributaire ; en tout état de cause un tel vice est régularisable et ne peut entraîner la résiliation du marché ;
- c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que l'absence de concurrence pour la passation du contrat résultait d'une restriction artificielle des caractéristiques du marché ; le recours à un marché négocié sans publicité ni mise en concurrence, en application du b) du 3° du I de l'article 30 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 était justifié par trois séries de motifs techniques : le respect des principes de proximité de traitement et de valorisation des déchets consacrés par l'article L. 541-1 du code de l'environnement ; l'absence de solution alternative dès lors que la société Inovest est le seul opérateur en capacité d'apporter une solution de tri et de valorisation des déchets non dangereux ; le fait que le site de stockage des déchets devait arriver à saturation en 2021 ;
- la durée du marché était justifiée, dès lors qu'il n'existe aucune durée maximale prévue par les textes, et que cette durée a été fixée en prenant en compte plusieurs éléments : l'importance des investissements à mettre en œuvre ; la longueur des démarches à entreprendre pour obtenir une autorisation d'exploiter un centre de valorisation ; de plus, la société Inovest étant le seul opérateur économique susceptible de répondre aux besoins du
Sydne, une remise en concurrence tous les cinq ans serait inutile ;
- le montant du marché n'est pas anormal ; ainsi, le SYDNE ne prend pas en charge les investissements, réalisés par Inovest pour un montant de 68,8 millions d'euros ; en revanche, le prix unitaire de la prestation proposé par Inovest comprend les amortissements des investissements ; le prix du marché intègre une formule de révision de prix parfaitement classique et licite, qui intègre l'évolution de la taxe générale sur les activités polluantes ;
Sur le rejet de l'appel principal,
- il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'annulation du contrat, dès lors que le marché ne présente pas de graves irrégularités, et que l'annulation aurait des conséquences manifestement excessives ;
- le différé de quatre ans est insuffisant ; dès lors qu'il y a lieu de tenir compte de la maîtrise foncière, des études techniques, des démarches d'autorisation administrative ;
- il est nécessaire d'avoir un différé de dix ans ;
- il y a lieu de rejeter la demande d'annulation partielle, dès lors que les articles 22 2.5, 4.1 et 4.2 du CCP sont valides.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 19 novembre 2020 et 26 janvier 2021, la société Inovest, représentée par Me de Metz-Pazzis, demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 1er du jugement du tribunal administratif de La Réunion et de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge de la CIREST et de M. E... la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable en tant qu'elle émane de la CIREST, dès lors qu'elle ne justifie pas que son président a été habilité par le conseil communautaire à interjeter appel ;
- elle n'en justifie pas davantage en appel, de sorte que la demande devant les premiers juges était irrecevable ;
- le recours à la procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence était légal ; - la durée du marché était légale ;
- le droit d'information des élus n'a pas été méconnu.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... F...,
- les conclusions de Mme A... D...,
- et les observations de Me Bardon, représentant la communauté intercommunale de la Réunion Est, Me De Metz-Pazziz, représentant la société Inovest, et de Me Jouanniau, représentant le SYDNE.
Considérant ce qui suit :
1. Par délibération du 26 avril 2017, le comité du Syndicat mixte de traitement des déchets du Nord et de l'Est (SYDNE), dans le cadre de sa mission de valorisation des déchets, a prévu la passation, d'une part, d'un marché de prestations de services pour la mise en place d'un centre de tri optimisé (CTO), d'autre part, d'un marché global de performance pour la création d'une unité de traitement des déchets verts (UDV), et, enfin, d'une délégation de service public pour unité de production d'électricité (UPE) utilisant le combustible issu du CTO. Les déchets non dangereux de type ordures ménagères résiduelles étaient jusqu'alors traités par enfouissement sur une installation située à Sainte-Suzanne, propriété de la société Suez RV Réunion. Dans le but de réaliser une installation de valorisation de déchets non dangereux, la société Inovest, filiale de la société Suez RV Réunion, avait obtenu un permis de construire un bâtiment de 18 400 m², ainsi que, par arrêté préfectoral du 15 septembre 2016, l'autorisation d'exploiter un centre de valorisation des déchets non dangereux au lieu-dit Les Trois Frères à Sainte-Suzanne. Le 10 novembre 2017, le SYDNE a conclu, sans publicité ni mise en concurrence préalable, avec la société Inovest un marché public de " prestations de service de tri, traitement, stockage, enfouissement et de valorisation des déchets non dangereux au centre de valorisation des déchets non dangereux situé sur la commune de Sainte-Suzanne au lieu-dit les Trois Frères ", pour un montant de 243 millions d'euros et une durée de quinze ans.
2. Par une décision n° 419406 du 10 octobre 2018, le Conseil d'État statuant en référé a suspendu l'exécution du marché de prestations de service conclu le 10 novembre 2017. M. B... E... et la communauté intercommunale Réunion Est (CIREST) ont demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler ce marché, et, par un jugement du 29 octobre 2019, le tribunal administratif de La Réunion a prononcé la résiliation du marché avec effet différé de sept ans à compter de la date de lecture de son jugement. M. E... et la CIREST relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a prononcé la résiliation du marché avec effet différé et non son annulation. Par la voie de l'appel incident, le SYDNE et la société Inovest relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a résilié le marché.
Sur la recevabilité de la requête et des conclusions d'appel incident :
3. En premier lieu, par délibération du 24 avril 2014, le conseil de la CIREST a donné délégation à son président, M. E..., pour " intenter au nom de la communauté les actions en justice tant en demandant qu'en défendant auprès de toutes les juridictions de l'ordre administratif et de l'ordre judiciaire, au civil et au pénal, lorsque de telles actions (...) s'avèrent indispensables en raison de la nécessité d'introduire des recours ou de déposer plainte (...) ". Ainsi, le président, à qui il revient seul d'apprécier la nécessité d'introduire un recours, est régulièrement habilité à saisir la cour, et la fin de non-recevoir soulevée par le SYDNE et la société Inovest doit être écartée.
4. En second lieu, lorsque le juge se prononce sur les différentes conclusions dont il peut être saisi dans le cadre d'un recours de pleine juridiction contestant la validité d'un contrat, qu'il s'agisse d'annuler totalement ou partiellement le contrat, d'en prononcer la résiliation ou de modifier certaines de ses clauses, ou encore de décider la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation, ou bien d'accorder des indemnisations en réparation des droits lésés, ces mesures se rattachent toutes à un même litige. Par suite, les conclusions d'appel incident tendant à ce que le jugement soit annulé en ce qu'il a retenu l'existence d'irrégularités affectant le marché en cause, ne constituent pas un litige distinct de celles de la CIREST, qui portent sur les conséquences qu'il convient de tirer des irrégularités affectant le marché, et ne portent pas sur une partie du jugement attaqué qui serait devenue définitive. Par suite, la fin de non-recevoir qui leur est opposée doit être écartée.
Sur la recevabilité de la demande devant les premiers juges :
5. Pour les motifs exposés au point 3, le moyen tiré de l'irrecevabilité de la demande portée par la CIREST devant les premiers juges doit être écarté.
Sur la validité du contrat :
6. Saisi par un tiers de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'État dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.
En ce qui concerne l'absence de publicité et de mise en concurrence préalable :
7. Aux termes du I de l'article 30 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, alors applicable : " Les acheteurs peuvent passer un marché public négocié sans publicité ni mise en concurrence préalables dans les cas suivants : (...) / 3° Lorsque les travaux, fournitures ou services ne peuvent être fournis que par un opérateur économique déterminé, pour l'une des raisons suivantes : (...) / b) Des raisons techniques. (...) / Les raisons mentionnées aux b et c ne s'appliquent que lorsqu'il n'existe aucune solution alternative ou de remplacement raisonnable et que l'absence de concurrence ne résulte pas d'une restriction artificielle des caractéristiques du marché public ".
8. Tant dans l'avis d'attribution du marché que dans le préambule du cahier des clauses particulières, le SYDNE a justifié le recours à un marché public négocié sans publicité ni mise en concurrence préalables dès 2017 par les circonstances, d'une part, que l'installation de stockage des déchets non dangereux de Sainte-Suzanne arrivait à saturation en 2020, et, d'autre part, que la société Inovest, titulaire d'un permis de construire un bâtiment de 18 400 m², ainsi que d'une autorisation, délivrée par arrêté préfectoral du 15 septembre 2016, d'exploiter un centre de valorisation des déchets non dangereux au lieu-dit " Les Trois Frères " à Sainte-Suzanne, était le seul opérateur capable d'apporter une solution de tri et de valorisation de déchets non dangereux pouvant être mise en service courant 2019.
9. Toutefois, et comme le reconnaît lui-même le SYDNE en appel, l'installation de stockage n'arrivait pas à saturation avant 2021, et il résulte de l'instruction que la volonté de mettre en service dès 2019 un nouveau centre de traitement des déchets est liée à la circonstance que l'autorisation d'exploiter délivrée à la société Inovest le 15 septembre 2016 était susceptible d'être frappée de caducité au terme d'un délai de trois ans soit en septembre 2019. À cet égard, si la société Inovest fait valoir qu'il existait dès 2010, en application des dispositions de l'article L. 541-1 du code de l'environnement dans leur rédaction issue de l'article 2 de l'ordonnance n° 2010-1579 du 17 décembre 2010, une obligation de privilégier tout mode de valorisation des déchets autre que leur enfouissement, en tout état de cause, ce texte ne faisait que fixer des objectifs et n'exonère nullement les personnes publiques du respect des règles relatives à la passation des marchés publics.
10. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que la société Inovest aurait été le seul opérateur capable de répondre aux besoins du SYDNE. Ainsi, si le SYDNE se prévaut du plan départemental de prévention et de gestion des déchets non dangereux de la Réunion, qui impliquerait que ne puisse être délivrée qu'une seule autorisation de valorisation des déchets sur le territoire de l'île, il résulte de l'article 1.4 de l'arrêté du 15 septembre 2016 par lequel le préfet a autorisé la société Inovest à exploiter un centre de valorisation des déchets non dangereux, que cette autorisation devenait caduque si l'installation n'avait pas été mise en service dans un délai de trois ans, soit en septembre 2019. Rien n'aurait alors interdit à un autre opérateur d'obtenir cette autorisation. Enfin, si le SYDNE soutient que le choix d'Inovest serait le seul permettant de respecter les objectifs mentionnés au 4° du II de l'article L. 541-1 du code de l'environnement, et notamment d'organiser le transport des déchets selon un principe de proximité, et que le foncier limité sur l'île ne permettrait pas la construction d'un autre centre de tri que celui dont la société Inovest est propriétaire, elle n'apporte aucun élément au soutien de ces allégations.
11. Il résulte de ce qui précède que le SYDNE et la société Inovest ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de la Réunion a estimé que l'absence de concurrence résultait d'une restriction artificielle des caractéristiques
du marché public passé le 10 novembre 2017 et que, par suite, le recours à un marché négocié sans publicité ni mise en concurrence méconnaissait les dispositions de l'article 30 du décret du 25 mars 2016 précité.
En ce qui concerne la durée du contrat :
12. Aux termes de l'article 16 du décret du 25 mars 2016, alors applicable : " (...) la durée d'un marché public est fixée en tenant compte de la nature des prestations et de la nécessité d'une remise en concurrence périodique ".
13. Il résulte de l'instruction et des écritures mêmes du SYDNE que la durée de 15 ans du marché de prestations de service en cause a été fixée en tenant compte, non des prestations prévues par le marché, mais des investissements réalisés par la société Inovest, ce qui revient, comme l'ont relevé les premiers juges, à faire supporter au SYDNE l'amortissement des ouvrages réalisés par l'opérateur privé, lesquelles ne sont pas des biens de retour. Par suite, le marché méconnaît les dispositions de l'article 16 du décret du 25 mars 2016.
En ce qui concerne la délibération habilitant le président du SYDNE à conclure le contrat :
14. Il ressort des dispositions des articles L. 2121-29 et L. 2122-21 du code général des collectivités territoriales, applicables au SYDNE, que lorsqu'il entend autoriser son président à souscrire un marché, l'organe délibérant doit, sauf à méconnaître l'étendue de sa compétence, se prononcer sur tous les éléments essentiels du contrat à intervenir, au nombre desquels figurent notamment l'objet précis de celui-ci, tel qu'il ressort des pièces constitutives du marché, mais aussi son montant exact et l'identité de son attributaire.
15. Il résulte de l'instruction que les élus ont été convoqués le 31 octobre 2017 à une séance du conseil syndical qui s'est tenue le 9 novembre 2017, durant laquelle ils ont adopté la délibération autorisant le président du SYDNE à signer le marché. La note de synthèse qui accompagnait la convocation ne comportait aucune information sur les prix unitaires ni sur le montant global du marché, pas plus que le projet de contrat ni aucun document de la consultation. Si le SYDNE fait valoir que les élus se sont vus remettre en séance un rapport qui comportait les éléments essentiels du marché, son montant exact et l'identité de son attributaire, cette information tardive, eu égard notamment à l'importance du contrat en cause, et à son montant de 243 millions d'euros, n'a pas permis aux membres de l'organe délibérant de se prononcer valablement sur les éléments essentiels du contrat. Ainsi, le président du SYDNE n'était pas régulièrement habilité à signer le contrat.
Sur les conséquences des vices entachant le contrat :
16. Il résulte des règles rappelées au point 6 du présent arrêt qu'en présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il revient au juge du contrat de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci.
17. D'une part, eu égard au vice entachant la délibération habilitant le président du SYDNE à conclure le contrat, qui affecte les modalités selon lesquelles la personne publique a donné son consentement, il y a lieu d'annuler le marché conclu entre le SYDNE et la société Inovest si le conseil syndical ne procède pas, au plus tard le 31 novembre 2022, à la régularisation de cette convention en adoptant une nouvelle délibération autorisant régulièrement sa signature.
18. D'autre part, à supposer que le vice entachant la délibération habilitant le président du SYDNE à conclure le contrat soit régularisé dans les conditions fixées ci-dessus, les autres vices entachant le marché en cause, relevés aux points 7 à 13 du présent arrêt, ne sont pas régularisables. S'ils ne permettent pas la poursuite de son exécution, ils ne sont pas d'une gravité telle qu'ils justifieraient l'annulation du contrat. Il y a dès lors lieu de prononcer la résiliation du contrat. Il ne résulte pas de l'instruction, contrairement à ce qui est soutenu en défense, qu'une telle mesure portera une atteinte excessive à l'intérêt général, dès lors qu'il y a lieu de prononcer cette résiliation avec effet différé.
19. À cet égard, il résulte de l'instruction, et notamment de la note d'orientation présentée au comité syndical le 20 mars 2019, que l'exploitation de la nouvelle installation de stockage de déchets ultimes, amenée à remplacer celle du site de Sainte-Suzanne, devrait débuter à la mi 2023, et que le délai nécessaire pour obtenir les autorisations ICPE est de l'ordre de deux à trois ans. Il y a lieu dès lors de confirmer les premiers juges en tant qu'ils ont donné à la résiliation un effet différé de sept ans à compter de la lecture de leur jugement.
Sur les conclusions subsidiaires à fin d'annulation des articles 22, 2.5, 4.1 et 4.2 du cahier des clauses particulières :
20. Si les requérants soutiennent, à titre subsidiaire, qu'il y a lieu d'annuler les articles 22, 2.5, 4.1 et 4.2 du cahier des clauses particulières, au motif qu'ils seraient invalides, ils n'apportent aucune précision au soutien de ce moyen.
Sur les frais de l'instance
21. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du SYDNE et de la société Inovest la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et de rejeter les conclusions tendant au bénéfice de ces dispositions présentées par le SYDNE et la société Inovest.
DÉCIDE :
Article 1er : Le marché public de " prestations de service de tri, traitement, stockage, enfouissement et de valorisation des déchets non dangereux au centre de valorisation des déchets non dangereux situé sur la commune de Sainte-Suzanne lieu-dit les Trois Frères " signé le 10 novembre 2017 par le président du SYDNE et la société Inovest est annulé, sauf si le SYDNE procède à sa régularisation conformément aux motifs du présent arrêt au plus tard le 31 novembre 2022.
Article 2 : Dans l'hypothèse où la régularisation prévue à l'article 1er interviendrait dans le délai fixé, le marché est résilié avec effet différé au 29 octobre 2026.
Article 3 : Le SYDNE et la société Inovest verseront chacun à la CIREST et à M. E... la somme de 1 500 euros.
Article 4 : Le jugement du 29 octobre 2019 du tribunal administratif de La Réunion est réformé en ce qu'il est contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. E..., à la communauté d'agglomération communauté intercommunale Réunion Est, au syndicat intercommunal de traitement des déchets du Nord et de l'Est et à la société Inovest.
Délibéré après l'audience du 24 mars 2022 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente-assesseure,
Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mai 2022.
La rapporteure,
Frédérique F... Le président
Éric Rey-Bèthbéder
La greffière,
Angélique Bonkoungou
La République mande et ordonne au préfet de La Réunion en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX04960