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04/05/2022 | FRANCE | N°19BX05010

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 04 mai 2022, 19BX05010


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Cdiscount a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 9 mars 2017 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Nouvelle-Aquitaine l'a mise en demeure d'évaluer les risques psychosociaux au sein de sa direction administrative et financière et de mettre en œuvre, le cas échéant, un plan d'action, ainsi que la décision implicite rejetant son recours hiérarchique née le 22 mai 2017.

Par

un jugement n° 1704059 du 17 octobre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Cdiscount a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 9 mars 2017 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Nouvelle-Aquitaine l'a mise en demeure d'évaluer les risques psychosociaux au sein de sa direction administrative et financière et de mettre en œuvre, le cas échéant, un plan d'action, ainsi que la décision implicite rejetant son recours hiérarchique née le 22 mai 2017.

Par un jugement n° 1704059 du 17 octobre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30 décembre 2019, la société Cdiscount, représentée par le cabinet Aguera Avocats (SCP), demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 17 octobre 2019 ;

2°) d'annuler les décisions des 9 mars 2017 et 22 mai 2017.

Elle soutient que :

- son recours contre les deux décisions est recevable ;

- le jugement est irrégulier car insuffisamment motivé en ce qu'il n'a pas été répondu au moyen tiré de la naissance d'une décision implicite d'acceptation et en ce qu'il considère les actions mises en œuvre et les mesures prises insuffisantes ;

- l'absence de décision de la ministre du travail dans le délai prévu par l'article R. 4723-4 du code du travail a fait naître une décision implicite d'acceptation du recours ;

- la décision du 9 mars 2017 a été prise par une autorité incompétente ;

- cette décision méconnaît le principe du contradictoire en l'absence de communication du rapport de l'inspecteur du travail au vu duquel elle a été prise ;

- la société a mis en place, sans attendre la mise en demeure, une évaluation des risques et mis en œuvre des actions de prévention et des méthodes de travail.

La requête a été communiquée à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B... A...,

- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société anonyme Cdiscount, dont le siège social est situé à Bordeaux et qui a pour activité la distribution de produits sur internet a fait l'objet, à la suite d'un courrier anonyme du 18 octobre 2016 émanant de collaborateurs de la direction administrative et financière de l'entreprise se plaignant de leurs conditions de travail, d'une enquête de l'inspection du travail dont l'employeur a été informé le 26 octobre suivant. Le 9 mars 2017, au vu du rapport qui avait été établi par l'agent de contrôle, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Nouvelle-Aquitaine a mis en demeure la société Cdiscount de procéder, dans un délai de quinze jours, à une évaluation des risques psycho-sociaux, de convoquer le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) pour une réunion sur les résultats de cette évaluation dans un délai de deux mois et, si nécessaire, d'élaborer et de mettre en œuvre un plan d'action conforme à ces résultats, dans un délai de cinq mois. La société Cdiscount a saisi la ministre du travail, en application de l'article L. 4723-1 du code du travail, d'un recours hiérarchique, reçu le 22 mars 2017. Le silence gardé par l'autorité administrative sur cette demande a fait naitre une décision implicite le 22 mai 2017 dont les motifs ont été communiqués à la société le 21 juillet suivant. Saisi de conclusions à fin d'annulation de ces deux décisions des 9 mars et 22 mai 2017, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande par jugement du 17 octobre 2019 dont la société Cdiscount relève appel.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. Contrairement à ce que soutient la société Cdiscount, le tribunal administratif de Bordeaux a répondu à l'ensemble des moyens soulevés devant lui, notamment à celui tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 4721-1 du code du travail, en estimant au point 8 de son jugement, après avoir considéré qu'il existait une situation dangereuse pour la sécurité et la santé des salariés, que les mesures mises en œuvre par la société étaient incomplètes ou inadaptées. Par ailleurs, si la société soutient que le jugement ne répond pas au moyen tiré de ce que le recours hiérarchique a fait naître une décision implicite d'acceptation, les premiers juges n'étaient pas tenus de répondre à ce moyen qui était inopérant dès lors que les dispositions des articles R. 4723-4 et R. 4723-6 n'étaient pas applicables. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé doit être écarté.

Sur la recevabilité des conclusions dirigées contre la décision du directeur régional des entreprises de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Nouvelle-Aquitaine en date du 9 mars 2017 :

4. Aux termes de l'article L. 4721-1 du code du travail : " Le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, sur le rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1 constatant une situation dangereuse, peut mettre en demeure l'employeur de prendre toutes mesures utiles pour y remédier, si ce constat résulte : 1° D'un non-respect par l'employeur des principes généraux de prévention prévus par les articles L. 4121-1 à L. 4121-5 et L. 4522-1 (...) ". Aux termes de l'article L. 4723-1 de ce code : " S'il entend contester la mise en demeure prévue à l'article L. 4721-1, l'employeur exerce un recours devant le ministre chargé du travail. / (...) / Le refus opposé à ces recours est motivé. ".

5. Il résulte de ces dispositions que l'employeur auquel le DIRECCTE a adressé une mise en demeure doit, préalablement à tout recours contentieux contre cette décision, saisir le ministre chargé du travail, dont la décision se substitue à la décision initiale de mise en demeure qui disparaît de l'ordonnancement juridique et, par suite, n'est plus susceptible de recours. Ainsi que l'ont jugé les premiers juges, les conclusions dirigées contre la décision du DIRECCTE de Nouvelle-Aquitaine du 9 mars 2017 étaient irrecevables.

Sur les conclusions dirigées contre la décision ministérielle du 22 mai 2017 :

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration : " Par dérogation à l'article L. 231-1, le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet : (...) 2° Lorsque la demande (...) présente le caractère d'une réclamation ou d'un recours administratif (...) ". Aux termes de l'article L. 411-7 de ce code : " Ainsi qu'il est dit à l'article L. 231-4, le silence gardé pendant plus de deux mois sur un recours administratif par l'autorité compétente vaut décision de rejet. ".

7. Le recours que la société Cdiscount a formé devant la ministre du travail le 22 mars 2017 pour contester la mise en demeure qui lui avait été adressée sur le fondement de l'article L. 4721-1 du code du travail a fait naître, conformément aux dispositions précitées du code des relations entre le public et l'administration, et alors que les dispositions de l'article R. 4723-6 du code du travail n'étaient pas encore entrées en vigueur, une décision implicite de rejet au terme d'un délai de deux mois. La société requérante ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article R. 4723-4 du code du travail pour soutenir que le silence de l'autorité vaut acceptation de son recours dès lors que ces dispositions réglementaires sont relatives au recours formé devant le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, et non à celui formé devant le ministre.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. / Ces mesures comprennent : 1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ; / 2° Des actions d'information et de formation ; / 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. ". Aux termes de l'article L. 4121-3 de ce code : " L'employeur, compte tenu de la nature des activités de l'établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs (...). / A la suite de cette évaluation, l'employeur met en œuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. (...) ".

9. D'une part, il ressort des pièces du dossier qu'au cours de l'année 2015, à la suite de plaintes et d'une alerte du médecin du travail sur le style managérial du nouveau directeur administratif et financier nommé en février de la même année, la société Cdiscount a mis en place un accompagnement de ce directeur par un cabinet extérieur, avec une " évaluation 360° " et des réunions régulières. Le 4 janvier 2016, le CHSCT a décidé de mener une enquête sur les facteurs de risques psycho-sociaux au sein de la direction administrative et financière, en adressant aux salariés un questionnaire dont il est ressorti une " demande psychologique forte " au sein du service, une latitude opérationnelle faible et un soutien social de la hiérarchie et des collègues insuffisant. Alors que la société Cdiscount a mis en place diverses actions pour tenter de remédier à cette situation, l'inspection du travail a été destinataire le 18 octobre 2016 d'un courrier émanant de salariés de la direction financière soulignant la persistance des faits reprochés au directeur administratif et financier malgré les mesures mises en place, illustrant l'existence alléguée de dénigrements, de propos insultants et dévalorisants et évoquant la remise en cause incessante des équipes et une politique du management par le stress. Les auteurs demeurés anonymes de ce courrier rappellent que cette situation a conduit au départ de trente-deux collaborateurs sur une équipe d'une centaine de salariés, depuis février 2015, à de nombres arrêts de travail et à trois licenciements pour inaptitude. Lors de l'enquête diligentée par l'inspection du travail à la suite de ce courrier, il a été constaté un fort décalage entre la situation décrite par le CHSCT et l'évaluation menée par le cabinet extérieur faisant état d'" une situation positive permettant d'aller plus loin dans la recherche du bien-être au travail dans le service " ou encore du caractère satisfaisant de la perception globale du management. Les auditions de l'inspecteur du travail ont permis de révéler les craintes des salariés sur l'objectivité de l'évaluation effectuée par ce cabinet extérieur. La circonstance que le courrier du 18 octobre 2016 est anonyme et que le CHSCT a considéré, le 14 décembre 2016, que la situation qu'il décrivait ne reflétait pas celle qu'il avait lui-même constaté en avril 2016 ne sont pas suffisants à remettre en cause la matérialité des faits. Contrairement à ce que soutient la société requérante, l'ensemble de ces constats est de nature à caractériser, compte-tenu de l'ampleur des risques psycho-sociaux qu'ils révèlent au sein de la société Cdiscount, une situation dangereuse au sens des dispositions précitées de l'article L. 4721-1 du code du travail.

10. D'autre part, il est constant que la société Cdiscount a pris des mesures dès 2015 pour tenter de remédier à cette situation de souffrance au travail, en mettant en place un plan d'action nommé " management bienveillant ", en diffusant un guide pratique sur le stress et en organisant des visites mensuelles du cabinet extérieur à compter du 23 janvier 2017. Toutefois, alors que le directeur administratif et financier était très clairement identifié comme la cause principale de la situation de dégradation des conditions de travail au sein de son service, les mesures mises en place par la société ne remettent pas en question le style de management et le comportement de ce dernier. En outre, la présentation de ces mesures a été réalisée par la direction des ressources humaines en compagnie de ce directeur, conduisant, ainsi qu'il a été dit, certains salariés à douter notamment de l'objectivité du cabinet extérieur choisi par la direction de l'entreprise. Par suite, la ministre du travail n'a pas méconnu les dispositions des articles L. 4121-1 et L. 4121-3 du code du travail en estimant que la mise en demeure était nécessaire compte tenu du caractère incomplet des mesures prises par l'employeur.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Cdiscount n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions des 9 mars 2017 et 22 mai 2017.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Cdiscount est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Cdiscount et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 28 mars 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Karine Butéri, présidente,

M. Olivier Cotte, premier conseiller,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 mai 2022.

Le rapporteur,

Olivier A...

La présidente,

Karine Butéri

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19BX05010


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX05010
Date de la décision : 04/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUTERI
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: M. BASSET
Avocat(s) : JOSEPH AGUERA ET ASSOCIES (LYON)

Origine de la décision
Date de l'import : 17/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-05-04;19bx05010 ?
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