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14/04/2022 | FRANCE | N°20BX00250

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 14 avril 2022, 20BX00250


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme J... E... veuve F..., M. C... F..., M. H... F..., M. B... F... et Mme I... F... épouse K... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier de Libourne à leur verser des indemnités d'un montant total de 115 282,13 euros, en réparation des préjudices subis du fait de la prise en charge de M. G... F..., leur époux, père, grand-père et oncle, décédé le 20 décembre 2015 dans cet établissement.

Dans la même instance, la mutuelle EOVI MCT et la caisse primair

e d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde ont demandé au tribunal de condamner le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme J... E... veuve F..., M. C... F..., M. H... F..., M. B... F... et Mme I... F... épouse K... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier de Libourne à leur verser des indemnités d'un montant total de 115 282,13 euros, en réparation des préjudices subis du fait de la prise en charge de M. G... F..., leur époux, père, grand-père et oncle, décédé le 20 décembre 2015 dans cet établissement.

Dans la même instance, la mutuelle EOVI MCT et la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde ont demandé au tribunal de condamner le centre hospitalier de Libourne à leur rembourser respectivement les sommes de 1 776,47 euros et de 30 710 euros.

Par un jugement n° 1900255 du 17 décembre 2019, le tribunal a condamné le centre hospitalier de Libourne à verser les sommes de 1 600 euros à la succession de M. G... F..., de 25 975,89 euros à Mme J... F..., de 5 200 euros chacun à M. H... F... et M. C... F..., de 3 200 euros à M. B... F... et de 24 568 euros à la CPAM de la Gironde, et a rejeté le surplus des demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 17 janvier 2020, le centre hospitalier de Libourne, représenté par la SELARL Abeille et Associés, demande à la cour, à titre principal d'annuler ce jugement et de rejeter les demandes présentées devant le tribunal par les consorts F... et par la CPAM de la Gironde, et à titre subsidiaire de réduire les demandes à de plus justes proportions et de retenir un taux de perte de chance de 10 % au plus.

Il soutient que :

- les experts missionnés par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) n'ont pas indiqué en quoi la surveillance aurait été insuffisante, alors que M. F... bénéficiait dans l'unité d'hospitalisation de courte durée (UHCD), où il était monitoré de façon constante, du même type de surveillance que dans un service de réanimation ; sur la base d'une analyse sur pièces, le médecin expert qu'il a sollicité a estimé que les crises d'agitation ne justifiaient pas un transfert en réanimation et que l'arrêt cardio-respiratoire d'origine inconnue ne pouvait être prédit par une surveillance étroite des paramètres vitaux ; la bradycardie a été constatée par l'infirmière avant même le déclenchement de l'alarme alors que M. F... se trouvait " sous scope ", et l'accident cardiaque a été pris en charge immédiatement ; c'est ainsi à tort que les premiers juges ont retenu sa responsabilité pour faute à raison d'une surveillance inadaptée ;

- au demeurant, la prise en charge est sans lien avec le décès dès lors que M. F... a été pris en charge par le médecin réanimateur au moment de l'arrêt cardiaque et que la cause du décès est inconnue ;

A titre subsidiaire :

- le taux de perte de chance de 80 % retenu en première instance est excessif et ne saurait excéder 10 % ;

- les demandes des consorts F... relatives au préjudice d'affection sont surévaluées et aucune indemnité ne saurait être allouée à la nièce de M. F... qui ne démontre pas l'existence d'un lien particulier avec ce dernier ; les souffrances endurées de 2 sur 7 peuvent être évaluées à 1 850 euros ; c'est à bon droit que le tribunal a rejeté les demandes relatives au préjudice économique de Mme F... et aux frais d'expertise d'un bien immobilier ;

- dès lors qu'il n'est pas démontré que M. F... aurait quitté l'hôpital dès

le 11 décembre, la CPAM de la Gironde n'est pas fondée à demander le remboursement des frais hospitaliers du 11 au 15 décembre 2015.

Par des mémoires en défense enregistrés les 13 mars 2020, 4 novembre 2021

et 17 décembre 2021, Mme J... F..., M. C... F..., M. H... F..., M. B... F... et Mme I... K..., représentés par Me Journaud, concluent au rejet de la requête et demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures, à titre principal, de condamner le centre hospitalier de Libourne à leur verser la somme totale de 114 699,44 euros avec intérêts à compter de leur demande préalable et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser la somme de totale de 27 872,36 euros ou à titre subsidiaire d'ordonner un complément d'expertise sur les causes du décès, et de mettre à la charge du centre hospitalier de Libourne une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que :

- il résulte de l'expertise que l'association de benzodiazépines et d'un neuroleptique a conduit à une dépression respiratoire et à une souffrance cérébrale anoxique à l'origine du décès ; après examen des pièces produites par le centre hospitalier de Libourne, les experts ont confirmé que les documents fournis ne permettaient pas de mettre en évidence l'existence d'une surveillance entre l'injection des sédatifs à 0 heure 09 et le déclenchement de l'alarme

à 2 heures 50, et que le transfert dans une structure plus adaptée aurait probablement pu prévenir la survenue de l'hypoxie et de ses conséquences ; quand bien même la cause

de l'arrêt cardio-respiratoire serait indéterminée, une surveillance accrue aurait permis de dépister rapidement des anomalies et d'éviter l'arrêt cardiaque ;

- contrairement à ce qu'affirme le centre hospitalier, l'existence d'une surveillance adaptée n'est pas démontrée, et le patient, qui ne disposait pas d'une infirmière à son chevet, n'a pas été pris en charge à temps ;

- il y a lieu pour la cour de retenir une perte de chance de survie de 80 %, comme l'ont fait la CCI et le tribunal ;

- dès lors que le traitement a conduit à une dépression respiratoire et à une altération de l'oxygénation cérébrale secondairement mortelles, la part de responsabilité non retenue au titre de la perte de chance, soit 20 %, doit être indemnisée par l'ONIAM au titre d'une affection iatrogène ;

- à titre subsidiaire, si la cour estimait devoir ordonner une nouvelle expertise, celle-ci n'aurait d'intérêt que pour déterminer l'origine de la dépression respiratoire et du décès ;

- les souffrances endurées de 2 sur 7 doivent être évaluées à 3 000 euros,

dont 2 300 euros à la charge du centre hospitalier et 600 euros à la charge de l'ONIAM ;

- les revenus du foyer s'élevaient à 24 366 euros dont 14 540 euros de pension de retraite de M. F... ; 70 % de ce revenu, et non 50 % comme l'a retenu le tribunal, correspondait à des frais incompressibles, et la part du revenu consommée par le défunt doit être évaluée à 15 % et non à 25 %, soit 3 564,90 euros ; Mme F... perçoit une pension de réversion de 7 691,64 euros par an, soit une perte annuelle de 3 193,37 euros, correspondant à un capital de 59 904,43 euros par application du prix de l'euro de rente viagère de 18,759 pour un homme âgé de 65 ans ; cette somme doit être supportée par le centre hospitalier et l'ONIAM

à hauteur, respectivement, de 47 923,54 euros et 11 980,89 euros ;

- le préjudice d'affection doit être fixé à 30 000 euros pour Mme F..., 15 000 euros pour chacun des deux fils majeurs de M. F... ayant conservé des liens très forts avec leur parent, 10 000 euros pour le petit-fils et 3 000 euros pour la nièce A... la victime,

dont le préjudice est établi par les pièces produites ; le centre hospitalier et l'ONIAM doivent supporter respectivement 80 % et 20 % de ces sommes ;

- c'est à bon droit que le tribunal a alloué la somme de 3 210 euros au titre des frais d'assistance aux opérations d'expertise, à la charge du centre hospitalier de Libourne ;

- les frais d'obsèques et les frais de communication du dossier médical doivent être supportés par le centre hospitalier de Libourne à hauteur de 2 751,44 euros et 14,46 euros, et par l'ONIAM à hauteur de 687,86 euros et 3,61 euros.

Par un mémoire enregistré le 7 octobre 2021, la CPAM de la Gironde, représentée par l'AARPI CB2P Avocats, demande à la cour de condamner le centre hospitalier de Libourne à lui rembourser la somme de 30 710 euros et de mettre à la charge de cet établissement les sommes de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et de 1 013 euros au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative, dont 13 euros de droit de plaidoirie.

Elle fait valoir que :

- c'est à bon droit que le tribunal a retenu la responsabilité du centre hospitalier de Libourne pour un défaut de surveillance adaptée ayant conduit à une perte de chance de survie de 80 % dès lors qu'aucune surveillance n'a été retracée dans le dossier médical dans la nuit

du 10 au 11 décembre 2015, entre 0 heure 09 et le déclenchement de l'alarme à 2 heures 50 ;

la circonstance que la cause de l'arrêt cardiaque reste inconnue est sans incidence sur cette perte de chance de survie ;

- ses débours s'élèvent à 30 710 euros dont l'imputabilité est établie par l'attestation de son médecin conseil.

Par des mémoires enregistrés les 8 octobre et 14 décembre 2021, l'ONIAM, représenté par la SELARL Birot, Ravaut et Associés, conclut à titre principal à sa mise hors de cause,

et à titre subsidiaire à l'organisation d'une nouvelle expertise.

Il soutient que :

- les conditions pour une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies en l'absence de lien certain entre le dommage dont la cause reste inexpliquée et un acte de prévention, de diagnostic ou de soin ;

- à titre subsidiaire, si la cour ne s'estimait pas suffisamment éclairée, il conviendrait d'ordonner une mesure d'expertise, alors que les médecins qu'il a consultés envisagent

la possibilité que le dommage soit imputable à l'état antérieur du patient, et qu'il n'a pas participé à l'expertise ordonnée par la CCI.

Par ordonnance du 14 décembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée

au 14 février 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Perrière, représentant le centre hospitalier de Libourne, de Me Journaud, représentant les consorts F..., de Me de Boussac- Di Pace, représentant la CPAM de la Gironde et de Me Macicior, représentant l'ONIAM.

Considérant ce qui suit :

1. M. G... F..., âgé de 65 ans et présentant des antécédents psychiatriques et cardiaques, a été transféré à deux reprises par les pompiers au service des urgences du centre hospitalier de Libourne, le 6 décembre 2015 vers 22 heures pour une crise d'anxiété avec trouble du comportement et perte de mémoire, et le 9 décembre 2015 vers 20 heures pour une céphalée brutale avec des épisodes de perte de connaissance brefs dans un contexte de confusion, de désorientation et de faiblesse musculaire. La première hospitalisation a duré moins de trois heures, les examens réalisés n'ayant montré aucune anomalie. Lors de la seconde, le patient, semi mutique et présentant un score de Glasgow de 14, a été placé en surveillance dans l'unité d'hospitalisation de courte durée (UHCD). Au cours de la journée du 10 décembre, il a présenté une agitation croissante culminant dans la nuit avec l'arrachement de la perfusion, une déambulation et la tenue de propos délirants, et à 0 heure 09 le 11 décembre, il a fait l'objet d'une contention et a reçu un traitement sédatif à base de benzodiazépines (Tranxene)

et de neuroleptique (Loxapac). A 2 heures 50, un arrêt cardio-respiratoire est survenu après une bradycardie, et les soins dispensés durant dix minutes ont permis la reprise d'une activité cardiaque. M. F... a été transféré dans le service de réanimation, où il est décédé

le 20 décembre 2015 des suites d'une souffrance cérébrale post-anoxique irrécupérable.

2. La commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) de la région Aquitaine, saisie par la famille de M. F..., a ordonné une expertise, confiée à un pharmacologue et un anesthésiste-réanimateur et réalisée le 15 novembre 2016. Les experts ont regretté l'absence de médecin du centre hospitalier et le caractère peu informatif du compte-rendu d'hospitalisation sur l'évolution de l'état clinique, permettant seulement d'avancer des hypothèses. Ils ont estimé que l'emploi de benzodiazépines et d'un neuroleptique n'était pas critiquable dès lors qu'une crise d'agitation survenant sur un terrain psychiatrique préexistant correspond toujours à une situation grave et difficile à traiter, mais que ce traitement à fort potentiel de dépression respiratoire demandait une surveillance étroite, et qu'en l'absence d'information sur l'évolution du patient après l'administration de ces produits sédatifs, la surveillance n'avait " pas été ce qu'elle aurait dû être, ce qui a permis le développement d'une dépression respiratoire dont les conséquences auraient pu être prévenues si l'avis d'un réanimateur avait été demandé plus tôt ". Par un avis

du 15 février 2017, la CCI a invité le centre hospitalier de Libourne à lui communiquer l'entier dossier médical concernant la prise en charge de M. F..., puis, par un avis du 17 mai 2017, elle a ordonné une nouvelle réunion contradictoire avec les experts en demandant à ces derniers si les éléments contenus dans ce dossier étaient de nature à modifier les conclusions qu'ils avaient rendues. Dans leur rapport d'expertise complémentaire, les experts, estimant que les documents fournis ne permettaient pas de mettre en évidence la surveillance entre l'injection des sédatifs à 0 heure 09 le 11 décembre et le déclenchement de l'alarme à 2 heures 50, ont maintenu que si l'origine des troubles ayant motivé les hospitalisations ne pouvait être établie, l'issue fatale était liée à une surveillance inadaptée dans le service des urgences du centre hospitalier de Libourne. Par un avis du 22 novembre 2017, la CCI, estimant que ce défaut de surveillance était à l'origine d'une perte de chance de survie de 80 %, a invité l'assureur du centre hospitalier à présenter une offre d'indemnisation à la famille de M. F....

3. Leur réclamation préalable du 16 octobre 2018 étant restée sans réponse, les consorts F... ont saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande de condamnation du centre hospitalier de Libourne à leur verser des indemnités d'un montant total de 115 282,13 euros, et la CPAM de la Gironde a sollicité le remboursement de la somme

de 30 710 euros. Par un jugement du 17 décembre 2019, le tribunal, après application d'un taux de perte de chance de 80 %, a condamné le centre hospitalier à verser les sommes de 1 600 euros à la succession de M. F..., de 25 975,89 euros à Mme F..., de 5 200 euros à chacun des fils A... la victime, de 3 200 euros à son petit-fils et de 24 568 euros à la CPAM de la Gironde, et a rejeté le surplus des demandes. Le centre hospitalier relève appel de ce jugement. Par leur appel incident, Mme F... et autres contestent ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leurs demandes et sollicitent en outre la condamnation de l'ONIAM à les indemniser de 20 % de leurs préjudices qu'ils attribuent à une affection iatrogène. Enfin, la CPAM de la Gironde maintient sa demande de remboursement de l'intégralité de ses débours et l'ONIAM demande sa mise hors de cause.

Sur la demande de mise hors de cause de l'ONIAM :

4. Le II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ouvre droit " à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci (...). "

5. Si les experts ont évoqué dans leur premier rapport le " fort potentiel de dépression respiratoire " du traitement sédatif administré dans la nuit du 10 au 11 décembre 2015, ils ne sont pas parvenus à identifier la cause de l'arrêt cardio-respiratoire, ni même l'origine des troubles ayant motivé les deux hospitalisations au centre hospitalier de Libourne, dont ils ont conclu en dernier lieu qu'il s'agissait probablement d'une aggravation de l'état psychiatrique, sans qu'il soit possible d'exclure formellement le rôle d'une pathologie organique non mise en évidence ou celui des médicaments, aucun élément objectif ne permettant d'orienter vers telle ou telle cause. La survenue de l'arrêt cardio-respiratoire dans le contexte de la sédation médicamenteuse ne suffit pas à caractériser un lien de causalité, alors au demeurant que le patient présentait une pathologie cardiovasculaire avec une fibrillation auriculaire, qu'il avait consulté son cardiologue en urgence le 13 novembre 2015 pour une bradycardie à 50 battements par minute, et qu'un électrocardiogramme réalisé le 7 décembre 2015 avait mis en évidence une anomalie favorisant la survenue de troubles du rythme ventriculaire. Le dossier médical ayant été étudié dans sa totalité par les experts, une nouvelle expertise ne pourrait apporter aucun élément nouveau susceptible d'établir un lien direct et certain entre l'arrêt cardio-respiratoire et le traitement dispensé. Par suite, l'ONIAM est fondé à demander sa mise hors de cause, et les demandes indemnitaires dirigées à son encontre par les consorts F... doivent être rejetées.

Sur la responsabilité du centre hospitalier de Libourne :

6. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / (...). "

7. L'incapacité d'un établissement de santé à communiquer aux experts judiciaires l'intégralité d'un dossier médical n'est pas, en tant que telle, de nature à établir l'existence de manquements fautifs dans la prise en charge du patient. Il appartient en revanche au juge de tenir compte de ce que le dossier médical est incomplet dans l'appréciation portée sur les éléments qui lui sont soumis pour apprécier l'existence des fautes reprochées à l'établissement dans la prise en charge du patient.

8. En produisant à nouveau en appel une analyse critique de l'expertise selon laquelle " aucun patient psychiatrique agité et en contention n'est admis en réanimation pour surveillance sous sédation " dès lors que les UHCD permettent une surveillance au plus près de ce type

de patient lorsque certains lits sont monitorisés et que le service de réanimation se trouve

à proximité immédiate, le centre hospitalier de Libourne ne conteste pas utilement le défaut de surveillance adapté retenu par les experts au motif que le dossier médical qu'il a produit ne permettait pas de mettre en évidence une surveillance entre l'injection du traitement médicamenteux à 0 heure 09 et le déclenchement de l'alarme à 2 heures 50. Si ce dossier porte la mention " 02h50 bradycardie au scope suivie d'un ACR, aussitôt MEC (planche) + ventilation au masque ", dont il peut être déduit que la bradycardie a été détectée à 2 heures 50 et que l'arrêt cardiaque a été pris en charge aussi rapidement qu'il aurait pu l'être dans un service

de réanimation, le caractère incomplet du dossier ne permet pas d'établir que la bradycardie serait survenue brutalement au moment où elle a été constatée, et le centre hospitalier de Libourne n'établit ni n'allègue que le patient aurait fait l'objet d'une surveillance adaptée à sa pathologie cardiaque et aux effets des sédatifs administrés, et n'aurait pas présenté d'anomalie du rythme cardiaque avant 2 heures 50. C'est ainsi à bon droit que le tribunal a retenu sa responsabilité pour faute.

9. Selon les dernières conclusions des experts, une surveillance adaptée aurait " probablement pu prévenir la survenue de l'hypoxie et ses conséquences ". En l'absence de tout élément médical de nature à établir que la bradycardie aurait été aussi soudaine que l'arrêt cardio-respiratoire qui s'est ensuivi, les premiers juges n'ont pas fait une appréciation excessive du taux de perte de chance en le fixant à 80 %.

Sur l'évaluation des préjudices :

En ce qui concerne les préjudices de la victime entrés dans sa succession :

10. Les premiers juges ont fait des souffrances endurées cotées à 2 sur 7 une appréciation qui n'est ni insuffisante, ni excessive en allouant à ce titre une somme de 1 600 euros après application du taux de perte de chance.

En ce qui concerne les préjudices de Mme F... :

11. Le jugement a condamné le centre hospitalier de Libourne à verser à Mme F... les sommes non contestées de 3 210 euros au titre des frais d'assistance aux opérations d'expertise, de 2 751,44 euros au titre des frais d'obsèques et de 14,45 euros au titre des frais de communication du dossier médical.

12. La demande présentée en appel par Mme F... au titre de son préjudice économique repose sur l'invocation d'un revenu annuel du ménage d'un montant total

de 24 366 euros avant le décès de son époux, constitué de leurs deux pensions de retraite, et de 17 517 euros après le décès, constitué de sa pension de retraite de 9 826 euros et d'une pension de réversion de 7 691 euros. Dès lors que le couple n'avait plus d'enfant à charge, la part du revenu du ménage consacrée à la consommation personnelle de M. F... peut être évaluée à 30 % au minimum, soit 7 310 euros, de sorte que le surplus du revenu disponible s'élevait

à 17 056 euros, somme inférieure à celle de 17 517 euros dont dispose Mme F.... Par suite, cette dernière n'est pas fondée à se plaindre de ce que les premiers juges, en retenant des bases et une méthode de calcul différents, ont estimé qu'elle n'avait pas subi de préjudice économique en lien avec le décès de son époux.

13. Le tribunal a fait du préjudice d'affection de Mme F... une appréciation qui n'est ni excessive, ni insuffisante en l'évaluant à 25 000 euros et en condamnant le centre hospitalier de Libourne à verser à ce titre une somme de 20 000 euros après application du taux de perte de chance.

En ce qui concerne le préjudice d'affection des autres membres de la famille :

14. Les premiers juges ont justement évalué le préjudice d'affection de chacun des fils majeurs de M. F... à 6 500 euros, et celui de son petit-fils à 4 000 euros. Il n'y a pas lieu

de réformer le jugement en tant qu'il a alloué aux intéressés les sommes de 5 200 euros

et 3 200 euros après application du taux de perte de chance.

15. Eu égard à l'attestation de Mme F... produite en appel, justifiant du lien d'affection particulier entretenu entre M. F... et sa nièce, il y a lieu d'évaluer le préjudice d'affection de Mme K... à 3 000 euros et de condamner le centre hospitalier de Libourne au versement de la somme de 2 400 euros après application du taux de perte de chance.

Sur la demande de la CPAM de la Gironde :

16. Le tribunal a condamné le centre hospitalier de Libourne à verser à la CPAM de la Gironde une somme de 24 568 euros correspondant à 80 % des frais de l'hospitalisation de M. F... dans le service de réanimation du 11 au 20 décembre 2015. Le centre hospitalier n'est pas fondé à contester cette somme dès lors que l'hospitalisation en réanimation est en lien avec la faute qui engage sa responsabilité, et la CPAM de la Gironde, qui ne conteste pas le taux de perte de chance de 80 %, n'est pas fondée à demander le remboursement de la somme

de 30 710 euros.

17. Il résulte de tout ce qui précède que l'appel du centre hospitalier de Libourne et la demande de la CPAM de la Gironde doivent être rejetés, et que les consorts F... sont seulement fondés à demander la réformation du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 17 décembre 2019 en tant qu'il a rejeté la demande relative au préjudice d'affection de Mme K....

Sur les intérêts :

18. Mme K... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme

de 2 400 euros à compter de la réception par le centre hospitalier de Libourne de la réclamation préalable du 16 octobre 2018.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

19. Dans les circonstances de l'espèce, il y lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Libourne, partie perdante, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par les consorts F... à l'occasion du présent litige.

20. La CPAM de la Gironde n'obtenant en appel aucun remboursement supplémentaire de ses débours, ses conclusions tendant au bénéfice d'une seconde indemnité forfaitaire de gestion au titre de l'instance d'appel ne peuvent qu'être rejetées, et il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de lui allouer une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ou du droit de plaidoirie.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ONIAM est mis hors de cause.

Article 2 : Le centre hospitalier de Libourne est condamné à verser à Mme K... une somme de 2 400 euros avec intérêts au taux légal à compter de la réception de la réclamation préalable du 16 octobre 2018.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1900255 du 17 décembre 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le centre hospitalier de Libourne versera aux consorts F... une somme

de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Libourne, à Mme J... F..., représentante unique pour les consorts F..., à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde, à la mutuelle EOVI MCD et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 avril 2022.

La rapporteure,

Anne D...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX00250


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX00250
Date de la décision : 14/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-01-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier. - Existence d'une faute.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : DE BOUSSAC-DI PACE

Origine de la décision
Date de l'import : 26/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-04-14;20bx00250 ?
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