Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté
du 29 juin 2021 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 2103945 du 30 août 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté préfectoral du 29 juin 2021 et enjoint au préfet de la Haute-Garonne de réexaminer la situation de M. B... en lui délivrant, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, et de prendre toute mesure propre à mettre fin à son signalement dans le système d'information Schengen, et ce dans le délai d'un mois suivant la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 30 septembre 2021 sous le n° 21BX03999, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 30 août 2021 ;
2°) de rejeter la demande de première instance de M. B....
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le premier juge, la décision portant obligation de quitter le territoire français ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les autres moyens soulevés par M. B... à l'encontre de l'arrêté en litige ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 janvier 2022, M. B..., représenté par
Me Galinon, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par le préfet de la Haute-Garonne n'est fondé.
II. Par une requête enregistrée le 30 septembre 2021 sous le n° 21BX04003, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 30 août 2021.
Il soutient que l'arrêté du 29 juin 2021 n'étant entaché d'aucune illégalité, le sursis à exécution du jugement doit être prononcé.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 janvier 2022, M. B..., représenté par
Me Galinon, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par le préfet de la Haute-Garonne n'est fondé.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision
du 20 janvier 2022.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Olivier Cotte a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant tunisien né le 17 décembre 1992, est entré en France
le 7 mai 2019 sous couvert d'un visa de court séjour. Le 29 juin 2021, il a été interpellé par les services de police à Toulouse à l'occasion d'un contrôle d'identité. Par un arrêté du même jour, le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Par jugement du 30 août 2021 dont le préfet de la Haute-Garonne relève appel par la requête n° 21BX03999, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté préfectoral du 29 juin 2021 et enjoint au préfet de la Haute-Garonne de réexaminer la situation de M. B... en lui délivrant, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, et de prendre toute mesure propre à mettre fin à son signalement dans le système d'information Schengen, et ce dans le délai d'un mois suivant la notification du jugement. Par la requête n° 21BX04003, le préfet de la Haute-Garonne demande en outre que soit prononcé le sursis à exécution du jugement attaqué.
2. Les requêtes susvisées du préfet de la Haute-Garonne tendent, pour l'une, à l'annulation et, pour l'autre, au sursis à exécution du même jugement. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur le motif d'annulation retenu par le premier juge :
3. Pour annuler l'arrêté préfectoral du 29 juin 2021, le premier juge a estimé qu' " il ressort des pièces du dossier, et en particulier des attestations, factures et photos versées au dossier, que M. B..., dont il est constant qu'il vivait en France depuis plus de deux ans à la date de l'arrêté litigieux, réside avec Mme E... A... D..., ressortissante française et mère d'une fille de quatre ans, dans l'appartement dont elle est locataire, qu'ils se sont mariés religieusement en juillet dernier et ont entamé les démarches auprès de la mairie de Toulouse en vue de la conclusion d'un mariage civil. Le requérant établit, outre qu'il s'occupe de la fille mineure de sa compagne en allant parfois la chercher à l'école, qu'il est investi dans un projet d'emménagement commun avec Mme A... D... dans l'appartement qu'elle a acquis
le 30 avril 2021, en co-conduisant les travaux de réfection et d'aménagement de ce bien immobilier. Par ailleurs, M. B..., architecte d'intérieur et designer de formation, a prolongé l'engagement associatif pour lequel il était reconnu à Kasserine, en Tunisie, en animant, pour l'association toulousaine Dell'arte et depuis le mois de septembre 2019, des ateliers de graffiti et de calligraphie auprès d'un public jeune issu d'un milieu populaire. Sa volonté d'insertion sociale et professionnelle en France, dont il parle et comprend correctement la langue, est également démontrée par la promesse d'embauche de la SARL MK revêtement dont il dispose depuis le 19 juillet 2021 en vue d'exercer les fonctions de manœuvre en bâtiment en vertu d'un contrat à durée indéterminée. Dans les circonstances, ainsi décrites, particulières de l'espèce, le requérant démontre que le centre des attaches privées est désormais en France et qu'en l'obligeant à quitter le territoire français, le préfet de la Haute-Garonne a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ".
4. Toutefois, alors qu'il est constant que M. B... n'était présent en France que depuis un peu plus de deux ans à la date de l'arrêté attaqué, il n'est pas dépourvu d'attaches en Tunisie où il a vécu jusqu'à l'âge de 27 ans et où réside sa famille. Il est en revanche dépourvu d'attaches familiales en France et s'il vit avec une ressortissante française, par ailleurs mère d'une enfant de quatre ans, l'ancienneté de leur relation n'était, d'après ses propres déclarations, que de cinq mois à la date de la décision contestée. Le fait qu'il s'est engagé dans des activités bénévoles auprès d'associations ou la circonstance qu'il s'occupe d'aller chercher la fille de sa compagne à l'école ne sont pas suffisants pour démontrer qu'il dispose du centre de ses attaches privées en France. Quant aux circonstances qu'il s'est marié religieusement et a obtenu une promesse d'embauche sous couvert d'un contrat à durée indéterminée en qualité de manœuvre en bâtiment, elles sont sans incidence sur la légalité de la décision en litige du 29 juin 2021 dès lors qu'elles lui sont postérieures. Par suite, en faisant obligation à M. B... de quitter le territoire français, le préfet de la Haute-Garonne n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels sa décision a été prise et n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que la magistrate désignée du tribunal administratif de Toulouse s'est fondée sur la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour annuler l'obligation de quitter le territoire français prononcée à l'encontre de M. B... ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an contenues dans l'arrêté préfectoral du 29 juin 2021.
6. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Toulouse.
Sur les autres moyens :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B... a été entendu par les services de police sur sa situation familiale et privée ainsi que sur sa situation administrative avant l'édiction de la mesure d'éloignement. Il a ainsi pu notamment faire état de son projet de mariage avec sa compagne française et a été interrogé sur l'éventualité d'une mesure d'éloignement et sur sa volonté de l'exécuter par ses propres moyens. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait été empêché à cette occasion de faire valoir les observations qu'il souhaitait exposer et n'avance d'ailleurs à l'appui de son moyen aucun élément factuel précis. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le préfet de la Haute-Garonne aurait méconnu le principe du contradictoire ou son droit d'être entendu tel que protégé par le droit de l'Union européenne.
8. En second lieu, compte tenu des éléments factuels exposés au point 4, le préfet de la Haute-Garonne n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. B....
En ce qui concerne la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire :
9. En premier lieu, eu égard à ce qui a été dit aux points précédents, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire serait illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
10. En second lieu, aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de l'article L. 612-3 suivant : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) 2° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, (...) qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale (...). ".
11. Il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa et n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour, qu'il a été appréhendé lors d'un contrôle d'identité en possession d'un faux permis de conduire belge et que s'il a donné aux services de police l'adresse de sa compagne comme domicile, il n'est pas établi qu'il s'agissait de son lieu de résidence effective et permanente. La circonstance qu'il a un projet de mariage n'est pas de nature à constituer à elle seule une circonstance particulière au sens des dispositions précitées. Par suite, en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, le préfet de la Haute-Garonne n'a ni entaché son arrêté d'un défaut d'examen de la situation de M. B..., ni méconnu les dispositions des articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
12. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas entachée d'illégalité. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de renvoi serait dépourvue de base légale.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an :
13. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français n'est pas privée de base légale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
14. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes des dispositions de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".
15. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est entré en France en 2019 où il se maintient en situation irrégulière depuis l'expiration de son visa. Par ailleurs, s'il se prévaut de la relation qu'il entretient avec une ressortissante française, celle-ci ne saurait, pour les motifs exposés au point 4, être regardée comme caractérisant des liens intenses et anciens en France. En outre, il ressort des pièces du dossier que M. B... a été interpellé en possession d'un faux permis de conduire. Par suite, le préfet de la Haute-Garonne n'a pas méconnu les dispositions précitées de l'article L. 612-6 en édictant une telle décision ni en fixant sa durée à un an.
16. En troisième et dernier lieu, compte tenu des motifs exposés au point 4, la décision attaquée ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
17. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté préfectoral du 29 juin 2021.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :
18. Par le présent arrêt, la cour statuant au fond sur les conclusions de la requête du préfet de la Haute-Garonne tendant à l'annulation du jugement attaqué, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de sa requête n° 21BX04003 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement, devenues sans objet.
Sur les frais liés au litige :
19. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans les deux instances, les sommes que M. B... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 30 août 2021 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Toulouse est rejetée.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 21BX04003.
Article 4 : Les conclusions d'appel présentées par M. B... sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de la Haute-Garonne, à M. C... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 14 mars 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Karine Butéri, présidente,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Mme Caroline Gaillard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 avril 2022.
Le rapporteur,
Olivier Cotte
La présidente,
Karine Butéri
La greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21BX03999, 21BX04003