Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... Dejonghe a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le centre communal d'action sociale de La Rochelle à lui verser une indemnité de 488 547,92 euros en réparation des préjudices qu'il subit du fait de sa révocation pour motif disciplinaire décidée le 13 juillet 2012 et d'enjoindre à cet organisme de reconstituer ses droits sociaux.
Par un jugement n° 1701138 du 20 juin 2019, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 août 2019, M. B... Dejonghe, représenté par Me Ekoue, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1701138 du tribunal ;
2°) de condamner le centre communal d'action sociale de La Rochelle à lui verser la somme de 213 547,92 euros au titre de l'indemnité compensatrice de perte de revenus, la somme de 150 000 euros en réparation de ses troubles dans ses conditions d'existence et la somme de 125 000 euros au titre de son préjudice moral ;
3°) d'assortir ces sommes des intérêts au taux légal à compter du 30 septembre 2016 et des intérêts capitalisés ;
3°) d'enjoindre au centre communal d'action sociale de La Rochelle de procéder à la reconstitution de ses droits sociaux ;
4°) de lui accorder l'aide juridictionnelle provisoire et de mettre à la charge du défendeur la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de celles de l'article 37-2 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- aucune faute ne saurait lui être reprochée dans le gestion des contrats de travail et des bulletins de paie des salariés du centre ; l'instructeur du service mandataire d'aide sociale à domicile n'est pas l'employeur des personnes intervenant auprès des particuliers ; sa mission consiste à servir de lien entre les employés et les familles et à établir les bulletins de paie sur la base des contrats de travail validés au préalable par la direction du centre communal d'action sociale (CCAS) ; de plus, il n'était pas en mesure d'accomplir cette mission entre février et mars 2012, période durant laquelle il était en congé de maladie ; dans son jugement du 7 janvier 2014, le tribunal correctionnel a reconnu qu'il était fondé à établir les bulletins de paie en cause ;
- les faits de harcèlement sexuel et de viol qui lui sont reprochés ne sont aucunement établis ; la plainte pénale déposée contre lui a été classée sans suite par le procureur de la République ; il a constamment contesté la matérialité de ces faits au cours de la procédure disciplinaire dont il a fait l'objet au plan administratif ; les motifs qui fondent la révocation sont entachés d'inexactitude matérielle ;
- il ne saurait lui être reproché d'avoir pratiqué des massages rémunérés sur certains bénéficiaires des prestations du CCAS ; ces pratiques ont été réalisées à titre occasionnel et dans un cadre strictement privé ; il n'est aucunement établi que certaines des personnes concernées par ces pratiques présentaient un caractère vulnérable ; le principe d'exclusivité professionnelle n'interdit pas à un fonctionnaire d'exercer une activité supplémentaire de manière ponctuelle ;
- sa situation doit être réexaminée dès lors que les faits qui ont motivé la sanction ont fait l'objet d'un jugement de relaxe du tribunal correctionnel ;
- en tout état de cause, la sanction de révocation est illégale en raison de son caractère disproportionné ;
- il a droit à la réparation intégrale des préjudices résultant de sa révocation illégale ; à ce titre, le CCAS de La Rochelle doit lui verser la somme de 213 547,92 euros au titre de l'indemnité compensatrice de perte de revenus, la somme de 150 000 euros en réparation de ses troubles dans ses conditions d'existence et la somme de 125 000 euros au titre de son préjudice moral ; il a droit enfin à la reconstitution de ses droits sociaux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2020, le centre communal d'action sociale de La Rochelle, représenté par Me Madoulé, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge du requérant la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
M. Dejonghe a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau de l'aide juridictionnelle du 19 juillet 2019.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 63-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Faïck,
- les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique,
- et les observations de Me Madoule, représentant le centre communal d'action sociale.
Considérant ce qui suit :
1. M. Dejonghe est adjoint administratif principal au centre communal d'action sociale (CCAS) de La Rochelle où il exerce les fonctions d'instructeur du service mandataire d'aide à domicile. Il a fait l'objet d'une procédure disciplinaire à l'issue de laquelle le président du CCAS a prononcé à son encontre la sanction de révocation par une décision du 13 juillet 2012. Le 28 septembre 2016, M. Dejonghe a demandé au CCAS de La Rochelle le versement d'une somme de 488 547,92 euros en réparation des préjudices que lui cause selon lui l'illégalité de la sanction de révocation. Cette demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet dont les motifs ont été portés à la connaissance de M. Dejonghe par le CCAS de La Rochelle le 10 janvier 2017. M. Dejonghe a saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande tendant à la condamnation de son ancien employeur à lui verser la somme de 488 547,92 euros à titre de dommages et intérêts. Il relève appel du jugement rendu le 20 juin 2019 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
Sur la responsabilité du CCAS de La Rochelle :
2. Pour révoquer M. Dejonghe, le président du CCAS de La Rochelle a retenu que ce dernier avait édité au profit de sa conjointe des fiches de paie alors qu'elle était placée en position de congé sans que la somme correspondante soit enregistrée dans le livre de paie, édité des fiches de paie au bénéfice d'un tiers en l'absence de contrat de travail signé par un employeur en situation de vulnérabilité, et établi pour une troisième personne intervenant chez ce même employeur des fiches de paie pour un total mensuel de 400 heures entre juillet et décembre 2011 en facturant simultanément certaines heures à plusieurs employeurs différents. Il a encore été reproché à M. Dejonghe un comportement déplacé envers une employée de maison et d'avoir pratiqué des massages à domicile contre rémunérations obtenues d'un employeur en état de vulnérabilité. Ces faits ont été considérés, par le président du CCAS de La Rochelle, comme constitutifs d'un manquement à l'honneur et à la probité et comme portant atteinte à la considération du service.
3. En qualité d'instructeur du service mandataire d'aide à domicile du CCAS, M. Dejonghe avait pour tâche de répondre aux demandes des particuliers souhaitant obtenir des prestations d'aide à domicile pour leur vie quotidienne. A ce titre, M. Dejonghe était chargé de l'enregistrement des commandes, de la fixation des heures de travail et de l'encaissement des frais de gestion. Il était également chargé de veiller au bon déroulement des prestations en surveillant la pertinence et la continuité du service rendu auprès des bénéficiaires. Ces missions, en particulier, imposaient à M. A... d'évaluer les besoins à domicile, de définir la prestation à réaliser, de gérer les plannings individuels d'intervention et d'animer l'équipe d'employées de maison. Enfin, au titre des taches de comptabilité et de gestion du personnel dont il était aussi chargé, M. Dejonghe était responsable de la facturation des prestations aux employeurs, de l'établissement des éléments de paie des employées de maison, de la rédaction des contrats de travail et des relevés du service fait.
En ce qui concerne la gestion des heures de travail et des bulletins de paie :
4. Il résulte de l'instruction que la responsable du service d'aide à domicile du CCAS de La Rochelle a constaté, début 2012, des anomalies dans la comptabilisation des cumuls d'heures de certaines employées de maison en 2011.
5. Les états d'heures établis par M. Dejonghe ont fait apparaitre que son épouse avait été rémunérée pour plus de 230 heures de travail en août 2011 alors que, pendant cette période, elle était en congé de maternité. M. Dejonghe, eu égard à ses fonctions et à ses responsabilités, ne pouvait ignorer que son épouse n'avait pas le droit percevoir à la fois un salaire et une allocation au titre de son congé de maternité. Il a d'ailleurs reconnu la matérialité de ce fait devant le conseil de discipline et, s'il le conteste désormais, il ne produit aucun élément permettant d'estimer que les états d'heures litigieux auraient été établis par une autre personne.
6. Il a été constaté que les états d'heures établis en 2011 par M. Dejonghe impliquaient que certaines employées du CCAS travaillaient en même temps pour plusieurs employeurs différents et comptabilisaient un nombre d'heures mensuelles de travail excédant très largement la durée maximale fixée par les conventions collectives en vigueur. Ces heures censément travaillées n'ont fait l'objet d'aucun enregistrement écrit tels que des avenants aux contrats de travail signés avec les bénéficiaires des prestations ou des fiches d'heures supplémentaires.
7. Il résulte de l'instruction que M. Dejonghe a été placé en congé pour maladie en février 2012, soit postérieurement à la période pendant laquelle se sont produits les faits qui lui sont reprochés. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir qu'il n'était pas responsable des faits litigieux dès lors qu'il était absent lors de leur survenance.
8. Il résulte de l'instruction que ces manquements sont imputables à M. Dejonghe qui était, ainsi qu'il a été dit, responsable de la rédaction des contrats de travail, de la facturation des prestations, de l'établissement des éléments de paie et des relevés de service fait. Le contrôle de la réalité et du volume des prestations était également au nombre des missions de M. Dejonghe. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que les états d'heures et les fiches de paie établis par M. Dejonghe en 2011 auraient été validés par sa hiérarchie. Au contraire, c'est le contrôle effectué par la responsable du service d'aide à domicile du CCAS qui a mis en lumière, début 2012, les manquements de l'intéressé à ses tâches.
9. M. Dejonghe a été poursuivi devant le tribunal correctionnel de La Rochelle par la caisse primaire d'assurance maladie pour délit de fraude aux allocations au préjudice des organismes de protection sociale par la délivrance, au profit de son épouse, de bulletins de paie fictifs. Si, par jugement du 7 janvier 2014, le tribunal correctionnel a relaxé M. Dejonghe du chef de ce délit, l'autorité de la chose jugée qui s'attache à ce jugement, qui au surplus ne concerne pas un fait retenu en tant que tel dans les motifs de la sanction, ne s'impose ni à l'autorité disciplinaire ni au juge administratif.
10. Il résulte de ce qui précède que le motif de la révocation, fondé sur ce que M. Dejonghe a commis de graves erreurs dans la gestion des contrats de travail et des bulletins de paie, n'est pas entaché d'inexactitude matérielle.
En ce qui concerne le comportement de M. Dejonghe envers une employée de maison :
11. Contrairement à ce soutient le requérant, la sanction de révocation n'est pas fondée sur un viol qu'il aurait commis à l'encontre d'une employée de maison mais sur son mauvais comportement à l'égard de cette personne. Il résulte de l'instruction que la responsable du service d'aide à domicile a rédigé le 2 février 2012 une note alertant la direction du centre sur le comportement de M. Dejonghe envers une employée. Selon cette note, deux instructeurs du service de l'aide à domicile et une employée de maison ont été témoins, dans les locaux du service, des invectives que M. Dejonghe a adressées à une autre employée, laquelle a été très choquée par la teneur des propos employés. Cet incident a conduit le concubin de la salariée à se rendre quelques heures après dans le service du CCAS pour exiger des explications de la part de M. Dejonghe. L'auteure de la note a attesté que son intervention avait permis de calmer les deux hommes qui ont eu un échange particulièrement vif dans les locaux mêmes du centre.
12. Il résulte de ce qui précède que le motif de la révocation fondé sur ce que M. Dejonghe a eu un comportement déplacé envers une employée et porté atteinte à la considération du service n'est pas entaché d'inexactitude matérielle.
En ce qui concerne les pratiques de massages rémunérés :
13. Aux termes de l'article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " I.- Le fonctionnaire consacre l'intégralité de son activité professionnelle aux tâches qui lui sont confiées. Il ne peut exercer, à titre professionnel, une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit, sous réserve des II à V du présent article. (...) / IV.- Le fonctionnaire peut être autorisé par l'autorité hiérarchique dont il relève à exercer à titre accessoire une activité, lucrative ou non, auprès d'une personne ou d'un organisme public ou privé dès lors que cette activité est compatible avec les fonctions qui lui sont confiées et n'affecte pas leur exercice. (...) ".
14. Il est constant que M. Dejonghe, en se prévalant de ses connaissances en médecine chinoise, a pratiqué des massages sur certaines personnes bénéficiaires de prestations d'aide à domicile. Il résulte de l'instruction que ces massages ont été pratiqués à l'insu du CCAS de La Rochelle, qu'ils ont été réitérés et rémunérés, M. Dejonghe ayant perçu plus de 3 000 euros sur une période de trois mois. Ces agissements, prohibés par les dispositions législatives précitées, constituent des manquements à l'obligation de se consacrer pleinement aux fonctions et à l'obligation de servir.
15. De plus, il résulte de l'instruction, et notamment des débats devant le conseil de discipline et relatés dans le procès-verbal de séance, que l'une des personnes ayant fait l'objet des massages pratiqués contre rémunérations par M. Dejonghe présentait un état de vulnérabilité, qui a d'ailleurs justifié son placement sous mesure de protection après les faits en cause. Ce faisant, M. Dejonghe a manqué à son obligation de probité en obtenant des rémunérations d'une personne vulnérable.
16. Il résulte de ce qui précède que le motif de la révocation fondé sur la méconnaissance par M. Dejonghe des obligations découlant de l'article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983 n'est pas entaché d'inexactitude matérielle.
En ce qui concerne le droit de M. Dejonghe à la révision de sa situation administrative :
17. La personne qui a fait l'objet d'une sanction disciplinaire a droit à ce que sa situation soit réexaminée en vue, notamment, de sa réintégration dans son grade, lorsque les faits qui ont motivé la sanction et qui avaient fait l'objet de poursuites pénales ont donné lieu à un jugement de relaxe. Toutefois, le jugement du tribunal correctionnel de la Rochelle du 7 janvier 2014 retient seulement, en ce qui concerne M. Dejonghe, une absence de complicité de fraude ou de fausse déclaration pour l'obtention de prestations de la part d'un organisme de protection sociale, laquelle n'est pas au nombre des motifs retenus en tant que tels par l'autorité disciplinaire pour révoquer M. Dejonghe. Par suite, en ne procédant pas au réexamen de la situation administrative de M. Dejonghe, auquel il n'était nullement tenu par la décision précitée du juge pénal, le CCAS de La Rochelle n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité.
18. Par ailleurs, la circonstance que la plainte pénale déposée à l'encontre de M. Dejonghe pour des faits de viol ait été classée sans suite n'a, en tout état de cause, pas eu pour effet d'imposer au CCAS de La Rochelle de réexaminer la situation de M. Dejonghe.
En ce qui concerne le caractère proportionné de la sanction de révocation :
19. Compte tenu de la multiplicité et de la gravité des faits commis par M. Dejonghe et de leur répercussion sur le fonctionnement et sur l'image du service, la sanction de révocation n'est pas disproportionnée.
20. Il résulte de tout ce qui précède que M. Dejonghe n'est pas fondé à soutenir que le CCAS de La Rochelle a, en le révoquant de ses fonctions à titre disciplinaire et en ne réexaminant pas sa situation ultérieurement, commis une faute de nature à engager sa responsabilité. Dès lors, il n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement attaqué par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses demandes indemnitaires.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37-2 de la loi du 10 juillet 1991 :
21. Les conclusions présentées par le conseil de M. Dejonghe sur le fondement des dispositions mentionnées ci-dessus doivent être rejetées dès lors que le CCAS de La Rochelle n'est pas la partie perdante à l'instance d'appel. Par ailleurs, M. Dejonghe étant bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, le CCAS de La Rochelle n'est pas fondé à demander qu'une somme soit mise à sa charge au titre des frais exposés et compris dans les dépens.
DECIDE
Article 1er : La requête n° 19BX03398 de M. Dejonghe est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le CCAS de La Rochelle au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... Dejonghe et au centre communal d'action sociale de La Rochelle.
Délibéré après l'audience du 14 mars 2022 à laquelle siégeaient :
M. Didier Artus, président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Agnès Bourjol, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2022.
Le rapporteur,
Frédéric Faïck
Le président,
Didier Artus
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au préfet de la Charente-Maritime ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 19BX03398 2