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24/03/2022 | FRANCE | N°18BX02901

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 24 mars 2022, 18BX02901


Vu la procédure suivante :

Par un arrêt avant dire droit du 1er décembre 2020, la cour a ordonné une expertise avant de statuer sur l'appel interjeté par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à l'encontre du jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1603231 du 29 mai 2018 qui l'a condamné à verser une indemnité de 85 000 euros à Mme B....

Le rapport d'expertise a été enregistré le 19 juillet 2021.

Par des mémoires en défense enregistrés les 23 septembre et 16 dé

cembre 2021, Mme B..., représentée par la SCP Jégu et Associés, conclut au rejet de l...

Vu la procédure suivante :

Par un arrêt avant dire droit du 1er décembre 2020, la cour a ordonné une expertise avant de statuer sur l'appel interjeté par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à l'encontre du jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1603231 du 29 mai 2018 qui l'a condamné à verser une indemnité de 85 000 euros à Mme B....

Le rapport d'expertise a été enregistré le 19 juillet 2021.

Par des mémoires en défense enregistrés les 23 septembre et 16 décembre 2021, Mme B..., représentée par la SCP Jégu et Associés, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 2 000 euros au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- contrairement à ce que soutient l'ONIAM, l'état des connaissances scientifiques ne permet pas d'exclure l'existence d'un lien de causalité entre une vaccination avec un adjuvant aluminique et la combinaison d'une fatigue chronique, de douleurs articulaires et musculaires et de troubles cognitifs ;

- les experts relèvent que l'apparition des symptômes de manière progressive 18 mois après la dernière injection et que la lésion retrouvée à l'histologie sont en faveur d'un lien de causalité entre la vaccination contre l'hépatite B et les symptômes ; elle présente une fatigue chronique, des douleurs articulaires et musculaires et des troubles cognitifs caractérisant la myofasciite à macrophages ; c'est ainsi à juste titre que le tribunal a retenu son droit à indemnisation ;

- le tribunal ayant pris acte de ce qu'elle réservait les demandes relatives au déficit fonctionnel temporaire et à la perte de gains professionnels actuels et futurs, la cour n'est pas saisie de ces préjudices qui donneront lieu à une nouvelle demande devant le tribunal après confirmation de l'obligation indemnitaire de l'ONIAM ;

- elle sollicite la confirmation des sommes allouées par les premiers juges au titre des autres préjudices, en relevant que le second collège d'experts partageant l'avis du premier, c'est par une erreur de plume qu'il a estimé à 20 % le déficit fonctionnel permanent qui avait été fixé

à 25 %.

Par un mémoire enregistré le 25 novembre 2021, l'ONIAM, représenté par

la SELARL Birot, Ravaut et Associés, demande à la cour à titre principal d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 29 mai 2018 et de rejeter la demande de Mme B..., et à titre subsidiaire de réformer ce jugement en ramenant à 19 446 euros la somme qu'il a été condamné à verser à Mme B....

Il soutient que :

- au regard du dernier état des connaissances scientifiques et de la décision du Conseil d'Etat n° 437875 du 29 septembre 2021, il n'existe aucune possibilité qu'un lien existe entre un vaccin contre l'hépatite B contenant un adjuvant aluminique et l'apparition d'une symptomatologie clinique spécifique liée à une lésion histologique de myofasciite, de sorte que la cour ne peut qu'annuler le jugement et rejeter la demande de Mme B... ;

- les experts n'ont retenu comme symptômes en possible lien avec la vaccination contre l'hépatite B qu'une asthénie physique et des troubles cognitifs modérés, sans être affirmatifs sur l'existence de ce lien ; l'asthénie n'était pas documentée lors de l'hospitalisation pour paresthésies en 1999, et les troubles cognitifs sont apparus en octobre 2004, plus

de 18 mois après la dernière injection, et peuvent s'inscrire dans le cadre d'une fibromyalgie ; c'est ainsi à tort, au regard du délai d'apparition de ces symptômes et de la possibilité d'autres causes, que les premiers juges ont retenu un lien de causalité avec la vaccination ;

A titre subsidiaire :

- il n'y a pas lieu de réserver les postes de préjudices relatifs au déficit fonctionnel temporaire et au préjudice professionnel ;

- le déficit fonctionnel temporaire du 18 octobre 1998 au 1er mai 2006 peut être évalué

à 4 405 euros et les souffrances endurées à 1 849 euros ;

- aucune perte de revenus ne peut être imputable à la myofasciite à macrophages ;

- en l'absence de lien certain, direct et exclusif entre l'incidence professionnelle et la vaccination, c'est à tort que les premiers juges ont alloué 30 000 euros à ce titre, et à titre subsidiaire, l'incidence professionnelle ne saurait être indemnisée qu'à hauteur de 50 % ;

- les premiers experts ont surévalué le déficit fonctionnel permanent en lien avec la vaccination, dont l'indemnisation ne saurait excéder 13 192 euros ;

- c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande au titre des souffrances endurées après consolidation ;

- c'est à tort que le tribunal a indemnisé un préjudice sexuel dont le lien avec la vaccination n'est pas établi.

Par lettre du 26 novembre 2021, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, de ce que l'instruction serait susceptible d'être close, sans avertissement préalable, par l'émission d'une ordonnance de clôture ou d'un avis d'audience, à compter du 8 janvier 2022.

La clôture immédiate de l'instruction a été décidée par une ordonnance

du 11 janvier 2022.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- l'ordonnance du 1er septembre 2021 par laquelle la présidente de la cour a liquidé et taxé les frais et honoraires d'expertise à la somme totale de 1 600 euros.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Ravaut, représentant l'ONIAM et de Me Jégu, représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêt avant dire droit du 1er décembre 2020, la cour a ordonné une expertise avant de statuer sur l'appel interjeté par l'ONIAM à l'encontre du jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1603231 du 29 mai 2018 qui l'a condamné à verser une indemnité de 85 000 euros à Mme B... en réparation des préjudices, autres que le déficit fonctionnel temporaire et les pertes de gains professionnels actuels et futurs, résultant d'une vaccination contre le virus de l'hépatite B à laquelle l'intéressée avait été soumise en raison de son activité professionnelle d'agent des services hospitaliers. Le rapport d'expertise a été enregistré

le 19 juillet 2021. Dans le dernier état de ses écritures, l'ONIAM maintient à titre principal sa demande d'annulation du jugement au motif que les troubles présentés par Mme B... ne sont pas en lien avec la vaccination, et demande à titre subsidiaire la réduction de l'indemnité allouée à Mme B....

2. Aux termes de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique : " Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent titre, est assurée par l'Office national d'indemnisation des

accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales institué à

l'article L. 1142-22, au titre de la solidarité nationale. (....) ".

3. Il appartient à la juridiction saisie d'un litige individuel portant sur les conséquences pour la personne concernée d'une vaccination présentant un caractère obligatoire, de rechercher, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant elle, s'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe. Dans l'hypothèse inverse, elle doit procéder à l'examen des circonstances de l'espèce et ne retenir l'existence d'un lien de causalité entre les vaccinations obligatoires subies par l'intéressée et les symptômes qu'elle a ressentis que si ceux-ci sont apparus, postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou se sont aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, s'il ne ressort pas du dossier que ces symptômes peuvent être regardés comme résultant d'une autre cause que les vaccinations.

4. En premier lieu, les rapports et publications invoqués par l'ONIAM, soit un article publié en mars 2015 dans la revue Prescrire et des rapports de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé de mai 2004, du Haut Conseil de la santé publique

du 11 juillet 2013, de l'Académie nationale de médecine du 26 juin 2012 et de l'Académie nationale de Pharmacie du 14 mars 2016, ont seulement conclu que l'existence d'un lien de causalité entre les vaccins comportant des adjuvants aluminiques et la survenue d'une symptomatologie spécifique liée à une lésion histologique de myofasciite à macrophages n'était pas établie. L'état des connaissances scientifiques ressortant de ces travaux ne permet cependant pas d'exclure toute probabilité qu'un tel lien existe, ce qui a d'ailleurs conduit l'Académie nationale de pharmacie, constatant qu'aucune étude épidémiologique n'avait pu être conduite sans biais, à se prononcer en faveur de la réalisation de travaux expérimentaux rigoureux pour tenter d'évaluer la réalité de la responsabilité des adjuvants aluminiques dans les manifestations cliniques observées chez certains patients.

5. En second lieu, la myofasciite à macrophages, " entité qui ne fait pas l'unanimité parmi les spécialistes " comme l'ont rappelé les experts, correspond à un ensemble de symptômes diffus et variables tels que des douleurs musculo-articulaires, une asthénie chronique et des troubles cognitifs, qui apparaissent chez des patients pour lesquels on constate, à l'endroit de l'injection de vaccins comportant des adjuvants aluminiques, des lésions histologiques sous forme de résidus aluminiques. En l'espèce, il résulte de l'instruction que Mme B..., qui avait reçu le dernier rappel de vaccin contre l'hépatite B le 18 avril 1997, s'est plainte en octobre 1998 de cervicalgies compliquées de douleurs irradiant vers les bras et les deux épaules, qui ont été attribuées à une fibromyalgie en rapport avec l'exercice professionnel. Le tableau clinique s'est aggravé à partir de 1999 d'une asthénie de plus en plus marquée, puis de tendinopathies multiples, de troubles du sommeil et de sensations nauséeuses, et enfin de troubles cognitifs mentionnés pour la première fois en 2004. Une tendinite calcifiante bilatérale a été découverte en 2002 et traitée à plusieurs reprises par infiltrations. Une biopsie musculaire réalisée en 2004 a mis en évidence une lésion de myofasciite à macrophages sans dépôt aluminique, et le diagnostic de myofasciite à macrophages a été posé. Mme B... a alors consulté un spécialiste de cette affection, lequel a noté l'existence d'une périarthrite scapulo-humérale avec calcifications à l'épaule gauche et a fait réaliser une IRM cérébrale qui s'est avérée normale. Après avoir épuisé ses droits à congé de maladie, Mme B... a été mise à la retraite pour invalidité en 2006.

6. Parmi les différentes pathologies présentées par l'intéressée, les experts ont conclu que le tableau de cervico-scapulalgies était en rapport avec une tendinopathie calcifiante des sous-épineux apparue en 1999, s'inscrivant dans le cadre d'une maladie de type micro-cristalline qualifiée de rhumatisme à hydroxyapatite, caractérisée par des calcifications tendineuses multiples, de telles calcifications ayant été constatées en 2014 sur une radiographie du genou. Les douleurs articulaires, circonscrites aux épaules et au rachis cervical, sont imputables à cette pathologie que les experts ont qualifiée de " totalement indépendante de la vaccination contre l'hépatite B ". Quant à l'existence de douleurs musculaires, Mme B... n'en a pas fait état lors de l'expertise, mais a seulement signalé une fatigabilité musculaire. Les troubles cognitifs, évoqués pour la première fois en 2004, soit sept ans après la dernière injection du vaccin, relatifs à la concentration ou à la mémoire de travail, étaient alors peu invalidants et associés à des troubles du sommeil qui avaient disparu à la date de l'expertise. Ils demeuraient modérés lorsqu'ils ont été évalués pour la première fois lors d'un bilan neuropsychologique

du 3 mai 2017, et les experts ont souligné leur caractère assez commun dans un contexte d'arrêt ancien de l'activité professionnelle et de vie sociale assez pauvre selon les dires de l'intéressée. Enfin, l'asthénie chronique, qui pouvait s'expliquer initialement par l'activité professionnelle d'aide-soignante dans un service de médecine polyvalente et gériatrique, voire par une carence en fer documentée par un bilan martial, présentait également un caractère modéré et commun à la date de l'expertise. Dans ces circonstances, eu égard au caractère non spécifique de l'asthénie et des troubles cognitifs peu importants, seuls retenus par les experts comme possiblement en lien avec la vaccination contre l'hépatite B, il résulte de l'instruction que ces troubles peuvent être regardés comme résultant d'autres causes que la vaccination en litige, et que par suite le lien de causalité entre celle-ci et l'état de santé de Mme B... ne peut être retenu.

7. Il résulte de ce qui précède que l'ONIAM est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux l'a condamné à indemniser Mme B..., et que la demande présentée par cette dernière devant le tribunal doit être rejetée.

8. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / (...). " Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre les frais et honoraires d'expertise, liquidés et taxés à la somme totale de 1 600 euros par une ordonnance de la présidente de la cour

du 1er septembre 2021, à la charge de l'ONIAM.

9. Mme B..., qui est la partie perdante, n'est pas fondée à demander qu'une somme soit mise à la charge de l'ONIAM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1603231 du 29 mai 2018 est annulé.

Article 2 : Les frais et honoraires d'expertise, liquidés et taxés à la somme totale de 1 600 euros, sont mis à la charge de l'ONIAM.

Article 3 : La demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Bordeaux et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des

accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à Mme D... C... veuve B.... Des copies en seront adressées pour information aux experts.

Délibéré après l'audience du 1er mars 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mars 2022.

La rapporteure,

Anne A...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX02901


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX02901
Date de la décision : 24/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-03 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Service des vaccinations.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : SELARL BIROT - RAVAUT ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-03-24;18bx02901 ?
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