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23/03/2022 | FRANCE | N°21BX04402

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 23 mars 2022, 21BX04402


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 19 juillet 2021 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement no 2104747 du 12 novembre 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet de la Haute-Garonne de procéder au réexamen de sa demande dans le délai de

deux mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer, dans l'attent...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 19 juillet 2021 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement no 2104747 du 12 novembre 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet de la Haute-Garonne de procéder au réexamen de sa demande dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.

Procédure devant la cour :

I - Par une requête et un mémoire enregistrés le 29 novembre 2021 et le 24 janvier 2022 sous le n°21BX04402, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler le jugement n° 2104747 du tribunal administratif de Toulouse du 12 novembre 2021 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal a annulé, à la demande de Mme A... C..., l'arrêté du 19 juillet 2021 par lequel il lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif de Toulouse a retenu les moyens tirés de l'atteinte disproportionnée portée au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme C... et de la méconnaissance de l'intérêt supérieur de sa fille à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- il existe un faisceau d'indices qui démontre que les allégations de Mme C... relatives à sa rencontre avec son compagnon postérieurement à son entrée en France ne sont pas crédibles ;

- Mme C... qui porte le même nom que son compagnon, était mariée avec celui-ci avant son entrée en France ;

- son conjoint s'est d'ailleurs rendu en Inde le 21 mars 2018, ce qui coïncide avec le parcours migratoire de Mme C... qui a déclaré avoir séjourné plusieurs mois en Inde avant son entrée en France le 25 décembre 2018 ;

- en outre, l'intéressée n'a pas apporté d'élément circonstancié sur les motifs et les conditions de son départ du Bangladesh, elle n'est venue en France que dans le seul but de rejoindre son conjoint ;

- Mme C... a d'ailleurs donné naissance à leur fille tout juste neuf mois après son entrée en France ;

- elle a ainsi sciemment omis d'informer l'administration de sa situation familiale afin de détourner la procédure prévue aux articles L. 561-2 2° et L. 424-3 1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle s'est déclarée célibataire et sans domicile fixe auprès de l'autorité préfectorale et des instances compétentes en matière d'asile de sorte qu'elle a bénéficié de manière indue de l'allocation allouée aux demandeurs d'asile entre le mois de février 2019 et de mai 2021 ;

- lors de son entretien de naturalisation le 23 novembre 2018, le conjoint de Mme C... a déclaré ne plus avoir de famille au Bangladesh, alors que sa compagne est entrée en France moins d'un mois après cet entretien ; pendant la durée de la procédure, il n'a pas non plus déclaré avoir une conjointe compatriote, avec qui il avait eu un enfant le 26 septembre 2019, alors qu'il avait l'obligation de signaler tout changement de situation.

Par un mémoire, enregistré le 18 janvier 2022, Mme C..., représentée par Me Brel, conclut, à titre principal, à l'irrecevabilité de la requête d'appel et, à titre subsidiaire, au rejet de celle-ci et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 2000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle réitère les moyens soulevés devant le tribunal administratif et soutient que :

- la requête est irrecevable faute pour son signataire de justifier d'une délégation de signature ;

- c'est à bon droit que le tribunal a retenu que le préfet avait méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- contrairement à ce qu'affirme le préfet, elle n'est pas mariée avec son compagnon, même s'ils portent le même nom ; en effet, il ressort de son acte de naissance, qu'elle porte le nom de son père, qui est répandu au Bangladesh dans la communauté hindoue ;

- elle a rencontré son compagnon à son arrivée en France et ils ont emménagé ensemble après la naissance de leur fille le 26 septembre 2019 ;

- c'est à tort qu'elle a omis d'informer l'Office français de l'immigration et de l'intégration qu'elle avait emménagé avec M. C... à compter du mois d'octobre et que, compte tenu des ressources de ce dernier, elle n'était plus en droit de percevoir l'allocation pour demandeur d'asile ; elle pensait qu'en l'absence d'union officielle avec son compagnon, les revenus de celui-ci ne devaient pas être pris en compte ;

- elle a pris attache avec les services de l'Office français de l'immigration et de l'intégration afin de leur faire part de son erreur et d'envisager les conditions d'un remboursement du trop-perçu d'allocation pour demandeur d'asile avec la mise en place d'un échéancier ;

- elle a transmis à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides l'acte de naissance de sa fille ;

- contrairement aux affirmations du préfet, son compagnon avait informé les services préfectoraux de la naissance de leur fille, lors de la demande de renouvellement de sa carte de résident qui arrivait à expiration en 2020 ;

- le décret de naturalisation de son compagnon est intervenu postérieurement à l'arrêté contesté.

II. - Par une requête, enregistrée le 29 novembre 2021 sous le n° 21BX04406, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse du 12 novembre 2021.

Il soutient que la requête au fond par laquelle il a saisi la cour contient des moyens sérieux de nature à justifier l'annulation de ce jugement et le rejet de l'ensemble des conclusions formulées par Mme C... devant le tribunal administratif.

Par ordonnance du 9 décembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 18 février 2022 à 12h.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. B..., a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante bangladaise, née le 1er décembre 1997, est entrée sur le territoire français le 25 décembre 2018. Le 8 janvier 2019, elle a sollicité son admission au bénéfice de l'asile. Par une décision du 8 septembre 2020, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande, décision qui a été confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 12 mai 2021. Par un arrêté du 19 juillet 2021, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Le préfet de la Haute-Garonne relève appel du jugement n° 2104747 du 12 novembre 2021 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté et en demande le sursis à exécution.

Sur la jonction :

2. Les requêtes enregistrées sous les nos 21BX04402 et 21BX04406 sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la recevabilité de la requête d'appel :

3. Par un arrêté du 20 septembre 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs, le préfet de la Haute-Garonne a délégué à Mme D..., adjointe à la cheffe de bureau, la compétence à l'effet de signer devant les juridictions administratives l'ensemble des pièces, mémoires et requêtes en appel relatives au contentieux des décisions prises en matière de droit des étrangers. Par suite, la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir du signataire de la requête doit être écartée.

Sur le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse :

4. Le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision portant obligation de quitter le territoire français au motif que cette décision du 19 juillet 2021 portait une atteinte excessive au droit de Mme C... au respect de sa vie privée et familiale et à l'intérêt supérieur de sa fille.

5. Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. /2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant stipule que : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

6. La préfète de la Haute-Garonne soutient que Mme C... est venue en France pour rejoindre son compagnon avec qui elle était mariée avant son départ du Bangladesh, qu'elle a ainsi sciemment omis d'informer l'administration de sa situation familiale afin de détourner la procédure prévue aux articles L. 561-2 2° et L. 424-3 1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et qu'elle s'est déclarée célibataire et sans domicile fixe auprès de l'autorité préfectorale et des instances compétentes en matière d'asile, de sorte qu'elle a bénéficié de manière indue de l'allocation allouée aux demandeurs d'asile entre les mois de février 2019 et de mai 2021.

7. Il ressort toutefois des pièces du dossier et il n'est pas sérieusement contesté qu'à la date de l'obligation de quitter le territoire français litigieuse, soit le 19 juillet 2021, Mme C... vivait en couple avec un compatriote, qui a obtenu la qualité de réfugié et était titulaire d'une carte de résident valable du 29 juin 2020 au 28 juin 2030. A la date de l'arrêté litigieux, Mme C... était par ailleurs la mère d'une enfant née en France le 26 septembre 2019, issue de sa relation avec son concubin, sur laquelle elle exerçait l'autorité parentale conjointement avec celui-ci et avec laquelle elle résidait, tout comme le père, depuis sa naissance. En outre, son compagnon, M. C..., compte tenu de sa qualité de réfugié politique, n'est pas en mesure de la suivre en cas de départ vers le Bangladesh afin de donner suite à la mesure d'éloignement prise à son encontre, qui auraient dès lors pour effet de séparer la cellule familiale et de priver l'enfant de l'un de ses deux parents. Si le préfet affirme que Mme C... a sciemment détourné la procédure prévue aux articles L. 561-2 2° et L. 424-3 1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la circonstance que son compagnon n'ait pas demandé, au profit de celle-ci et en sa qualité de réfugié, le bénéfice du regroupement familial au titre de ces dispositions n'est pas de nature à caractériser une fraude commise par cette dernière, alors, d'une part, qu'aucune pièce du dossier ne permet d'établir que le couple serait marié, d'autre part, que la requérante justifie, par la production de son acte de naissance, porter le même nom de naissance que son compagnon et enfin qu'il n'est pas établi qu'ils se connaissaient avant l'arrivée de Mme C... en France. Dans ces conditions, compte tenu des circonstances de l'espèce et alors même que Mme C... n'a pas fait état de tous les éléments de sa situation personnelle lorsqu'elle a demandé le bénéfice du statut de réfugié, le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulouse a retenu les moyens tirés la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé ses décisions du 21 juillet 2021 prises à l'encontre de Mme C... et portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi.

Sur les conclusions à fins de sursis à exécution du jugement attaqué :

9. La cour statuant au fond, par le présent arrêt, sur les conclusions à fins d'annulation du jugement du 12 novembre 2021 du tribunal administratif de Toulouse, les conclusions de la requête n° 21BX04406 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du même jugement sont devenues sans objet.

Sur les frais liés au litige :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Brel de la somme de 1 200 euros.

DECIDE :

Article 1er : La requête n° 21BX04402 du préfet de la Haute-Garonne est rejetée.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 21BX04406 du préfet de la Haute-Garonne.

Article 3 : L'Etat versera à Me Brel une somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme C....

Copie en sera transmise au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 28 février 2022 à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

Madame Agnès Bourjol, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 mars 2022.

Le président-assesseur,

Frédéric FAÏCKLe président,

Didier B...

La greffière,

Sylvie HAYET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX04402, 21BX04406 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX04402
Date de la décision : 23/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. ARTUS
Rapporteur ?: M. Didier ARTUS
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : DIALEKTIK AVOCATS AARPI

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-03-23;21bx04402 ?
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