Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 24 janvier 2018 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux a appliqué sur son traitement mensuel une retenue de douze-trentièmes pour service non fait et la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique formé le 1er mars 2018.
Par un jugement n° 1801919 du 3 juin 2019, le tribunal a fait droit partiellement à la demande de M. A... en annulant les décisions contestées en tant qu'elles procèdent une retenue sur traitement à hauteur de onze-trentièmes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 8 août 2019, le ministre de la justice demande à la cour d'annuler ce jugement n° 1801919 du tribunal administratif de Bordeaux.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a jugé que l'administration était tenue de faire procéder à une contre-visite médicale préalablement à la retenue sur traitement ; cette contre-visite n'est pas une obligation prévue par l'article 25 du décret du 14 mars 1986 ; de plus, le tribunal aurait dû juger que cette formalité était impossible à accomplir pour l'administration en raison du très grand nombre d'arrêts de travail déposés simultanément par les agents des services pénitentiaires sur une courte période de temps ;
- en application de l'article 4 de la loi de finances rectificative du 29 juillet 1961, l'administration est en revanche tenue de procéder à une retenue sur traitement en l'absence de service fait de la part du fonctionnaire ;
- l'arrêt de travail de M. A... n'était pas justifié ; il s'inscrivait seulement dans un contexte marqué par le blocage des établissements pénitentiaires consécutif à des appels des organisations syndicales intervenus en janvier 2018 ; cet arrêt de travail n'était pas lié à des raisons de santé ;
- il est opportun pour la cour de saisir le Conseil d'Etat d'une demande d'avis, en application de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, sur la question de savoir si des congés pour maladie ordinaire accordés en grand nombre et de manière concomitante à des personnels administratifs sont de nature à révéler une cessation concertée du service justifiant des mesures de retenue sur traitement ou des sanctions disciplinaires.
Par ordonnance du 30 juin 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 30 août 2021 à 12h00.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 61-825 du 29 juillet 1961 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Faïck,
- les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique,
Considérant ce qui suit :
1. M. A... est surveillant pénitentiaire affecté au pôle de rattachement des extractions judiciaires de Bordeaux. Il a adressé à son administration un avis d'arrêt de travail établi par son médecin pour la période du 24 janvier au 4 février 2018. Par une décision du 24 janvier 2018, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux a appliqué une retenue de douze trentièmes pour service non fait sur le traitement mensuel de M. A.... M. A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler cette décision du 24 janvier 2018 et la décision rejetant implicitement son recours gracieux. Par un jugement rendu le 3 juin 2019, dont le garde des sceaux, ministre de la justice, relève appel, le tribunal a annulé les décisions en litige en tant qu'elles procèdent à une retenue sur traitement de onze trentièmes et rejeté le surplus des conclusions de M. A....
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie (...) en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois (...) ". Aux termes de l'article 25 du décret du 14 mars 1986 relatif au régime de congés de maladie des fonctionnaires : " Pour obtenir un congé de maladie (...) le fonctionnaire adresse à l'administration (...) un avis d'interruption de travail (...) / L'administration peut faire procéder à tout moment à la contre-visite du demandeur par un médecin agréé ; le fonctionnaire doit se soumettre, sous peine d'interruption du versement de sa rémunération, à cette contre-visite. (...) ".
3. Si, en vertu des dispositions précitées, l'agent qui adresse à l'administration un avis d'interruption de travail est placé de plein droit en congé de maladie dès la demande qu'il a formulée sur le fondement d'un certificat médical, cela ne fait pas obstacle à ce que l'administration conteste le bien-fondé de ce congé. Dans des circonstances particulières, marquées par un mouvement social de grande ampleur dans une administration où la cessation concertée du service est interdite, lorsqu'en dehors d'une période d'épidémie un nombre important et inhabituel d'arrêts maladie est adressé à l'administration sur une courte période et que l'administration établit avoir été dans l'impossibilité pratique de faire procéder de manière utile aux contre-visites prévues par l'article 25 du décret du 14 mars 1986, l'administration peut contester le bien-fondé de ce congé par tous moyens. Il appartient alors à l'agent, seul détenteur des éléments médicaux, d'établir que ce congé était dûment justifié par des raisons médicales.
4. Pour annuler la décision contestée en tant qu'elle procède à une retenue de onze trentièmes sur le traitement de M. A..., le tribunal administratif de Bordeaux s'est fondé sur la circonstance que l'administration n'ayant pas fait procéder à la contre-visite médicale de l'agent, qui avait produit un avis d'interruption de travail, aucune disposition législative ou réglementaire ne l'autorisait à procéder à une retenue sur traitement. Le tribunal a aussi jugé que l'appel au blocage des établissements pénitentiaires par les organisations syndicales et le nombre anormalement élevé des arrêts de travail adressés par les agents pénitentiaires en janvier 2018 ne suffisaient pas à établir le caractère complaisant de l'avis d'arrêt de travail fourni par M. A.... Ce faisant, les premiers juges ont écarté la possibilité pour l'administration de contester le bien-fondé d'un congé de maladie lorsqu'elle se trouve confrontée à des circonstances particulières telles que décrites au point précédent. Ils ont ainsi fait une application erronée des dispositions précitées de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984. Par suite, c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur les motifs rappelés ci-dessus pour annuler les décisions contestées.
5. Il appartient à la cour, saisie du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens soulevés par M. A... à l'encontre de la décision du 24 janvier 2018 et de la décision rejetant implicitement son recours gracieux.
6. Aux termes de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement (...) ". Aux termes de l'article 4 de la loi du 29 juillet 1961 portant loi de finances rectificative pour 1961 : " (...) L'absence de service fait, pendant une fraction quelconque de la journée, donne lieu à une retenue dont le montant est égal à la fraction du traitement frappée d'indivisibilité en vertu de la réglementation prévue à l'alinéa précédent. Il n'y a pas service fait : / 1°) Lorsque l'agent s'abstient d'effectuer tout ou partie de ses heures de services ; /2°) Lorsque l'agent, bien qu'effectuant ses heures de service, n'exécute pas tout ou partie des obligations de service qui s'attachent à sa fonction telles qu'elles sont définies dans leur nature et leurs modalités par l'autorité compétente dans le cadre des lois et règlements (...)".
7. La décision de procéder à une retenue sur le traitement de M. A... correspondant aux douze jours entre le 24 janvier 2018 et le 4 février 2018 a été prise dès le 24 janvier 2018, soit à une date à laquelle l'administration ne pouvait constater l'absence de service fait pour la période considérée. Par suite, le directeur interrégional de l'administration pénitentiaire a fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article 4 de la loi du 29 juillet 1961 en procédant, de manière prématurée, à une retenue sur traitement pour la période du 24 janvier au 4 février 2018.
8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés en première instance par M. A... ni de saisir le Conseil d'Etat d'une demande d'avis en application de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, que le garde des sceaux, ministre de la justice, n'est pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision du 24 janvier 2018 et la décision implicite de rejet du recours gracieux de M. A... en tant qu'elles ont appliqué une retenue sur traitement pour onze des douze jours sur lesquels portait l'avis d'arrêt de travail litigieux.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme que M. A... demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE
Article 1er : La requête du garde des sceaux, ministre de la justice est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de M. A... présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 28 février 2022 à laquelle siégeaient :
M. Didier Artus, président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Agnès Bourjol, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mars 2022.
Le rapporteur,
Frédéric Faïck
Le président,
Didier Artus
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°19BX03317 2