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08/03/2022 | FRANCE | N°21BX02953

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 08 mars 2022, 21BX02953


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler, d'une part, l'arrêté du 2 mai 2021 par lequel le préfet des Hautes-Pyrénées l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de dix-huit mois, d'autre part, l'arrêté du même jour par lequel cette même autorité l'a assigné à résidence et l'a astreint à se présenter du lundi au vendredi, hors j

ours fériés, au service du commissariat de police de Lourdes.

Par un jugement n° 21011...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler, d'une part, l'arrêté du 2 mai 2021 par lequel le préfet des Hautes-Pyrénées l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de dix-huit mois, d'autre part, l'arrêté du même jour par lequel cette même autorité l'a assigné à résidence et l'a astreint à se présenter du lundi au vendredi, hors jours fériés, au service du commissariat de police de Lourdes.

Par un jugement n° 2101103 du 7 mai 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 juillet 2021, M. D..., représenté par Me Moura demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 7 mai 2021 du tribunal administratif de Pau ;

2°) d'annuler les arrêtés du préfet des Hautes-Pyrénées du 2 mai 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet des Hautes-Pyrénées, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande sous les mêmes conditions ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

En ce qui concerne l'arrêté dans son ensemble portant obligation de quitter sans délai le territoire français, fixant le pays de destination et portant interdiction de retour sur le territoire français :

- il est entaché d'incompétence ; la preuve de la publicité de la délégation de signature n'est pas rapportée ;

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle n'a pas été précédée d'un examen réel et sérieux de sa situation au regard des dispositions de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le préfet s'est estimé lié par l'avis de l'OFPRA, quant à l'application de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le document d'information rédigé dans une langue dont il est raisonnable de penser qu'il le comprend ne lui a pas été remis ;

- en méconnaissance des dispositions des articles L. 742-3, R. 733-20, R. 733-32 et R. 213-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'OFPRA ne lui a pas notifié la décision de rejet de sa demande d'asile dans une langue dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend ;

- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article L. 313-11-7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article L. 611-3 du même code ;

En ce qui concerne la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :

- elle est illégale par exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle est insuffisamment motivée ; il présente des garanties de représentation effectives puisqu'il a un domicile fixe dans lequel il réside avec sa femme et ses deux enfants, étant précisé que son épouse ne fait pas l'objet d'une mesure d'éloignement jusqu'à ce jour ;

- la décision a été prise en méconnaissance du principe général du droit de l'Union européenne du droit d'être entendu ; il pouvait faire valoir des circonstances de nature à justifier la prolongation du délai approprié de retour qui est de sept à trente jours selon l'article 7 de la directive n°2008/115 ;

- elle est illégale ; un délai de trente jours est nécessaire pour lui permettre d'organiser son départ, dans des conditions décentes et correctes alors même qu'un tel départ implique une logistique importante, et une préparation, compte tenu de la présence de sa famille ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

- elle est illégale par exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne la décision d'interdiction de retour sur le territoire français :

- elle est illégale par exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation ;

En ce qui concerne l'arrêté portant assignation à résidence :

- il est entaché d'incompétence de son auteur ;

- il est insuffisamment motivé ;

- il méconnaît les dispositions de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 novembre 2021, le préfet des Hautes-Pyrénées conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 22 novembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 22 décembre 2021 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Nicolas Normand, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant arménien, est entré en France, selon ses déclarations, le 29 mai 2019, accompagné de ses deux enfants mineurs et de son épouse. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 5 août 2019, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 27 novembre 2019. Par un arrêté du 13 février 2020, le préfet des Hautes-Pyrénées l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. La légalité de cette décision a été confirmée par le tribunal administratif de Lyon le 11 juin 2020. Par un arrêté du 2 mai 2021, le préfet des Hautes-Pyrénées a fait obligation à M. D... de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination, a prononcé à son encontre une mesure d'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de dix-huit mois et par arrêté du même jour, cette même autorité l'a assigné à résidence et l'a astreint à se présenter du lundi au vendredi, hors jours fériés, au service du commissariat de police de Lourdes. M. D... relève appel du jugement du 7 mai 2021 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté du 2 mai 2021 par lequel le préfet des Hautes-Pyrénées a obligé M. D... à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de dix-huit mois :

En ce qui concerne l'arrêté dans son ensemble :

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 28 décembre 2020, présentant un caractère réglementaire, publié le même jour au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture des Hautes-Pyrénées, le préfet de ce département a donné délégation à Mme B... C..., sous-préfète de Bagnères de Bigorre, et signataire de l'arrêté attaqué, à l'effet de signer, au cours des permanences qu'elle sera amenée à effectuer au niveau départemental, toutes mesures prévues par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué a été pris par une autorité incompétente faute pour le préfet d'apporter la preuve de la publication de l'arrêté de délégation manque en fait.

3. En second lieu, l'arrêté contesté comporte l'énoncé des motifs de droit et de fait qui en constituent le fondement. Il vise la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 3 et 8, et les dispositions applicables du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en particulier les articles L. 611-1 1°, L. 611-1- 4°, L. 612-2 et L. 721-4. L'arrêté précise ensuite les conditions de l'entrée et du séjour en France du requérant, et notamment qu'il déclare être entré en France le 1er mai 2018, qu'il s'est vu refuser définitivement l'asile, qu'il n'a pas exécuté l'arrêté préfectoral du 5 août 2019 l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, qu'il ne justifie d'aucune circonstance particulière justifiant l'inexécution de cette mesure, que son épouse est également sous le coup d'une mesure d'éloignement, qu'il est père de deux enfants mineurs nés en 2005 et 2013 qui ont vocation à suivre leurs parents et que rien ne s'oppose à ce que sa famille se reconstruise dans leur pays d'origine, l'Arménie où il a vécu jusqu'à l'âge de 39 ans et où il n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales. L'arrêté ajoute que dans l'hypothèse d'un renvoi dans son pays d'origine ou dans tout pays dans lequel il démontrerait être légalement admissible, il n'établit pas qu'il serait soumis à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dès lors, le préfet des Hautes-Pyrénées, qui n'avait pas à mentionner l'ensemble des circonstances de fait caractérisant la situation de l'intéressé, a suffisamment motivé en droit et en fait son arrêté du 2 mai 2021.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

4. En premier lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 3 du présent arrêt, le moyen tiré de ce que la décision est entachée d'un examen réel et sérieux de la situation du requérant ne peut qu'être écarté. En outre, il résulte des énonciations même de l'arrêté contesté que le préfet ne s'est pas estimé lié par l'avis de l'OFPRA, quant à l'application de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Si le requérant soutient, encore, que sa situation n'a pas été examinée au regard des dispositions de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il n'a toutefois présenté aucune demande de titre de séjour sur ce fondement et l'arrêté précise que l'intéressé n'entre dans aucun cas d'attribution d'un titre de séjour de plein droit.

5. En deuxième lieu, en vertu des dispositions de l'article R. 741-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France, édictées afin d'assurer la transposition en droit français des objectifs fixés par l'article 10 de la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres, l'étranger présent sur le territoire français qui, n'étant pas déjà admis à séjourner en France, sollicite son admission au séjour au titre de l'asile, est informé par les services de la préfecture des pièces à fournir en vue de cette admission et se voit remettre un document d'information sur ses droits et obligations, ainsi que sur les organisations susceptibles de lui procurer une assistance juridique, de l'aider ou de l'informer sur les conditions d'accueil offertes aux demandeurs d'asile, cette information devant être faite dans une langue dont il est raisonnable de penser que l'intéressé la comprend. Eu égard à l'objet de ce document d'information, sa remise doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asiles, ainsi que le prévoit l'article R. 741-2 du code précité, pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, dans le respect notamment des délais prévus. Si le défaut de remise de ce document à ce stade est de nature à faire obstacle au déclenchement du délai dont dispose l'étranger pour saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, il ne peut, en revanche, être utilement invoqué à l'appui d'un recours mettant en cause la légalité de la décision par laquelle le préfet statue, en fin de procédure, après intervention de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et, le cas échéant, après celle de la Cour nationale du droit d'asile, sur le séjour en France au titre de l'asile ou à un autre titre. Ainsi, le moyen tiré de ce que M. D... n'aurait pas bénéficié de la garantie susvisée doit, en tout état de cause, être écarté comme inopérant.

6. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le moyen tiré de ce qu'en méconnaissance des dispositions des articles L. 742-3, R 733-20, R 733-32 et R 213-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'OFPRA ne lui a pas notifié la décision de rejet de sa demande d'asile dans une langue dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend, manque en fait.

7. En quatrième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.

8. En cinquième lieu, aux termes de stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " et aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ".

9. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté attaqué, M. D..., ne résidait en France que depuis deux ans environ alors qu'il a vécu en Arménie jusqu'à l'âge de 39 ans, que son épouse faisait également l'objet d'une mesure d'éloignement édictée le 13 février 2020, et que leurs deux enfants mineurs nés en 2005 et 2013 ont vocation à suivre leurs parents de sorte que rien ne s'oppose à ce que la famille du requérant se reconstruise dans son pays d'origine, l'Arménie. Par suite, alors même que les enfants de l'intéressé sont bien intégrés à la société française, les moyens tirés de la violation de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peuvent qu'être écartés.

En ce qui concerne la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :

10. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire serait illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français qui la fonde.

11. En deuxième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union ". Aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Ce droit comporte notamment : / le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 51 de la charte : " Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. (...) ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que ces articles s'adressent non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union.

12. Toutefois, lorsque le préfet fait obligation à un étranger de quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les dispositions sont issues de la transposition en droit interne de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, le préfet doit être regardé comme mettant en œuvre le droit de l'Union européenne. Il lui appartient, dès lors, d'en appliquer les principes généraux, qui incluent le droit à une bonne administration. Parmi les principes que sous-tend ce dernier, figure celui du droit de toute personne à être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre, tel qu'il est énoncé notamment au 2 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de 1'Union européenne, ce droit se définit comme le droit de toute personne à faire connaître, de manière utile et effective, ses observations écrites ou orales au cours d'une procédure administrative, avant l'adoption de toute décision susceptible de lui faire grief. Ce droit n'implique pas systématiquement obligation, pour l'administration, d'organiser, de sa propre initiative, un entretien avec l'intéressé, ni même d'inviter ce dernier à produire ses observations, mais suppose seulement que, informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, il soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de solliciter un entretien pour faire valoir ses observations orales. Enfin, une atteinte à ce droit n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle la décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision, ce qu'il lui revient, le cas échéant, d'établir devant la juridiction saisie.

13. Il ressort des pièces du dossier que lors de son audition par un officier de police judiciaire le 2 mai 2021 à 11h10, M. D... a été informé, par l'intermédiaire d'un interprète en langue arménienne, que la préfecture envisageait de prendre à son encontre une obligation de quitter le territoire français. M. D... qui a alors demandé à rentrer chez lui n'est donc pas fondé à soutenir qu'il n'a pas eu, avant l'édiction de la décision portant obligation de quitter le territoire français, la possibilité de faire valoir des circonstances de nature à justifier la prolongation du délai approprié de retour.

14. En troisième lieu, aux termes du troisième alinéa de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ;

2° L'étranger s'est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour au motif que sa demande était manifestement infondée ou frauduleuse ;

3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. "

15. Ainsi qu'il a été dit précédemment, M. D... a fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement qu'il n'a pas exécutée. Cette circonstance était de nature à justifier le refus d'octroi d'un délai de départ volontaire. En se bornant à faire état de la présence de sa famille, l'intéressé ne justifie d'aucune circonstance particulière de nature à justifier qu'en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, le préfet aurait fait une inexacte application des dispositions précitées.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

16. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination serait illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français qui la fonde.

17. En second lieu, le requérant dont la demande d'asile a été définitivement rejetée par l'OFPRA n'apporte aucun élément autre que des certificats médicaux, qui seraient de nature à démontrer que la décision fixant le pays de destination méconnaîtrait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales proscrivant les traitements inhumains ou dégradants. Par suite le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

18. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de 18 mois serait illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai qui la fonde.

19. En second lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. " et aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11. ".

20. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour fixer la durée de l'interdiction de retour prononcée à l'encontre d'un étranger soumis à une obligation de quitter le territoire français sans délai, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que certains d'entre eux.

21. Comme il a été dit précédemment, la présence de M. D... en France est récente et il n'établit pas qu'il dispose d'attaches personnelles anciennes en France. En outre, il a déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement qu'il n'a pas exécutée. Eu égard à ces circonstances, et en dépit du fait que sa présence sur le territoire français ne représenterait pas une menace pour l'ordre public, le préfet n'a commis aucune erreur d'appréciation en prononçant à son encontre, une mesure d'interdiction de retour sur le territoire pendant une durée de 18 mois.

Sur les conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté du 2 mai 2021 par lequel le préfet des Hautes-Pyrénées a assigné M. D... à résidence :

22. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 28 décembre 2020, présentant un caractère réglementaire, publié le même jour au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture des Hautes-Pyrénées, le préfet de ce département a donné délégation à Mme B... C..., sous-préfète de Bagnères de Bigorre, et signataire de l'arrêté attaqué, à l'effet de signer, au cours des permanences qu'elle sera amenée à effectuer au niveau départemental, toutes mesures prévues par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué a été pris par une autorité incompétente faute pour le préfet d'apporter la preuve de la publication de l'arrêté de délégation manque en fait.

23. En deuxième lieu, la décision attaquée qui a assigné à résidence le requérant, à son domicile, dans le département des Hautes-Pyrénées, pour une durée de quarante-cinq jours à compter du 2 mai 2021 à 12h00, vise l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et se fonde sur ce que M. D... fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai assortie d'une interdiction de retour de dix-huit mois, qu'il s'est précédemment soustrait à une même obligation de quitter le territoire, qu'il n'a réalisé aucune démarche afin de régulariser sa situation administrative au regard de son droit au séjour sur le sol français et que l'exécution de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet demeure une perspective raisonnable. Par suite, cette décision satisfait à l'exigence de motivation en droit et en fait.

24. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile " l'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins d'un an auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé ;[...] ".

25. La décision contestée, qui assigne à résidence M. D... dans le département des Hautes-Pyrénées pour une durée de quarante-cinq jours prévoit une obligation de présentation de l'intéressé au commissariat central de Lourdes, chaque jour à 08h00, du lundi au vendredi (hors jours fériés). Il n'est pas établi qu'il n'existerait pas une perspective raisonnable à l'éloignement du requérant vers l'Arménie. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la mesure prise ne serait pas adaptée, nécessaire et proportionnée aux finalités qu'elle poursuit alors que le requérant s'est déjà soustrait à une mesure d'éloignement. Cette assignation à résidence ne porte donc ni une atteinte illégale à la liberté d'aller et venir du requérant ni une atteinte disproportionnée à sa situation personnelle et n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

26. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fins d'injonction, d'astreinte et celles tendant à ce que l'Etat soit condamné au versement d'une somme d'argent au titre des frais de justice ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet des Hautes-Pyrénées.

Délibéré après l'audience du 1er février 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

M. Nicolas Normand, premier conseiller,

M. Michaël Kauffmann, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 mars 2022.

Le rapporteur,

Nicolas Normand La présidente,

Evelyne Balzamo Le greffier,

Fabrice Phalippon

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 21BX02953


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX02953
Date de la décision : 08/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. - Séjour des étrangers. - Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: M. Nicolas NORMAND
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : MOURA

Origine de la décision
Date de l'import : 15/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-03-08;21bx02953 ?
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