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08/03/2022 | FRANCE | N°18BX02267

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 08 mars 2022, 18BX02267


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Digicel Antilles Françaises Guyane (Digicel AFG) a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision du 21 décembre 2015 par laquelle le ministre chargé du budget a estimé " que la tranche d'investissements de son programme pluriannuel (...) ne remplit pas les conditions d'octroi de l'aide fiscale et de l'agrément prévu à l'article 217 undecies du code général des impôts " et la décision du 21 mars 2016 par laquelle le ministre chargé du budget a rejeté sa demande

d'agrément pour bénéficier d'une réduction d'impôt à raison d'un investissement...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Digicel Antilles Françaises Guyane (Digicel AFG) a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision du 21 décembre 2015 par laquelle le ministre chargé du budget a estimé " que la tranche d'investissements de son programme pluriannuel (...) ne remplit pas les conditions d'octroi de l'aide fiscale et de l'agrément prévu à l'article 217 undecies du code général des impôts " et la décision du 21 mars 2016 par laquelle le ministre chargé du budget a rejeté sa demande d'agrément pour bénéficier d'une réduction d'impôt à raison d'un investissement productif réalisé outre-mer.

Par un jugement n° 1600254, 1600306 du 15 février 2018, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 juin 2018, et un mémoire enregistré le 26 octobre 2018, la société Digicel AFG, représentée par Me Blazy demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 15 février 2018 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 21 mars 2016 ;

2°) d'annuler la décision du 21 mars 2016 ;

3°) d'enjoindre au ministre des finances et des comptes publics, sur le fondement des dispositions de 1'article L. 911-1 du code de justice administrative, de lui délivrer, dans un délai de deux mois, l'agrément prévu à l'article 217 undecies du code général des impôts, subsidiairement de réexaminer sa demande, sur le fondement des dispositions de l'article L. 911-2 du même code, sous les mêmes conditions ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier car il a omis de répondre aux moyens non inopérants tirés de l'erreur de droit et de l'erreur de fait, entachant la décision attaquée en ce qui concerne les conditions permettant de délivrer ou refuser un agrément ;

- la décision attaquée est entachée d'un vice de procédure tenant à la méconnaissance du principe du contradictoire et des droits de la défense dès lors qu'elle a été prise en considération de l'avis du ministre des outre-mer qui ne lui pas été communiqué ; la circonstance qu'elle n'ait pas fait la demande de communication de cet avis dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 1er de l'ordonnance n° 2014-1328 du 6 novembre 2014 relative à la communication des avis préalables n'est pas de nature à rendre le moyen non fondé ; elle n'a pas été informée du contenu de cet avis dans la lettre du 21 décembre 2015 ; le fait qu'il s'agisse d'un avis consultatif ou d'un avis conforme est sans influence ;

- la décision n'est pas suffisamment motivée ;

- en estimant que l'investissement ne présentait pas d'intérêt économique, le ministre a entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation ; la direction générale des finances publiques (DGFIP) a déjà estimé en 2013, pour une précédente tranche, que son programme pluriannuel d'investissements présentait un intérêt économique pour les départements dans lesquels il devait se réaliser ; c'est à tort que le ministre fait valoir que les comptes prévisionnels d'exploitation de la société auraient présenté une baisse importante malgré les aides fiscales déjà accordées, et ce sans pour autant que cette baisse du résultat d'exploitation soit liée à une pratique tarifaire favorable au consommateur ultra-marin ; c'est à tort que le ministre estime qu'il n'aurait pas été établi que les populations et les territoires de la zone seraient mieux couverts après les investissements projetés ;

- la décision est entachée d'erreurs de droit et de fait en ce qui concerne les conditions d'octroi de l'agrément ; il ne résulte pas de 1'article 217 undecies du code général des impôts que les conditions dans lesquelles la déduction fiscale est opérée par le demandeur à l'agrément constituent une condition d'octroi de 1'aide fiscale ; en effet, et comme l'indique la doctrine administrative, pour bénéficier de l'aide fiscale, il est nécessaire que la demande entre dans le champ d'application de l'aide fiscale et qu'elle satisfasse aux conditions d'octroi de l'agrément (BOl 4 H-2-07 n° 15 du 30 janvier 2007) ; les conditions dans lesquelles la déduction fiscale est opérée ne sont ni une condition de droit commun, ni une condition d'octroi de l'agrément ; elles constituent une modalité de sa réalisation effective, la rédaction du point II quater de 1'article 217 undecies du code général des impôts confirmant cette solution ;

- c'est également à tort que la DGFIP a estimé que la déduction est opérée sur le résultat de l'exercice au cours duquel l'investissement est réalisé ; c'est encore par erreurs de droit et de fait que la DGFIP a estimé que la date de réalisation des sites et des dépenses réseau liées, ainsi que la répartition entre les différentes tranches 2013 et 2014 n'est pas suffisamment précisée ; l'ensemble des investissements rejetés dans la décision du 21 mars 2016 à hauteur de 107 166 euros au motif de leur prétendu caractère non éligible doivent être considérés comme éligibles ; c'est à tort que la DGFIP a indiqué qu'il convenait de défalquer du montant des investissements une somme de 23 515 euros correspondant à la TVA perçue non récupérable pour la 2ème tranche du programme ; c'est encore à tort que la DGFIP a refusé la prise en compte des investissements réalisés au titre de l'exercice clos le 31 mars 2013.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 août 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 9 janvier 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 20 avril 2020 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Nicolas Normand,

- et les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La société Digicel AFG a présenté, le 18 juillet 2012, une demande d'agrément pour un programme pluriannuel d'investissements, devant se réaliser sur la période 2013-2016 couvrant ses exercices clos les 31 mars 2013, 31 mars 2014 et 31 mars 2015, ayant pour finalité d'acquérir des équipements de télécommunication destinés à améliorer et étendre son réseau de téléphonie mobile dans les trois départements de la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane, afin de garantir un niveau satisfaisant de concurrence sur ce marché, dans ces départements, portant notamment création de 35 implantations supplémentaires recevant un site 3G, ainsi que les -installations, matériels et équipements, et les logiciels associés. Par une décision du 20 septembre 2013, le ministre en charge du budget, a délivré l'agrément à la société au titre de la tranche couvrant l'exercice clos au 31 mars 2013 de ce programme pluriannuel d'investissements d'un coût de revient égal à 2 512 000 euros HT, pour un montant en base éligible de 1 256 000 euros et a invité la société Digicel AFG à lui faire parvenir certains documents avant le 30 juin 2014, afin de lui permettre de se prononcer sur la seconde tranche des travaux couvrant la période dite 2013-2015. Le 4 juin 2014, la société Digicel AFG a réitéré sa demande tendant au bénéfice d'un agrément sur la période courant du 1er avril 2013 au 31 mars 2014 pour la réalisation d'équipements de télécommunications destinés à améliorer et étendre le réseau de radiotéléphonie mobile (" upgrade " du réseau de la 2G à la 3G) dans les départements de Guadeloupe, de Martinique et de Guyane ainsi qu'à Saint-Martin et Saint Barthélémy, pour un montant de 7 287 178 euros dont 5 933 000 euros éligibles. Elle a complété celle-ci les 26 janvier, 4 mai et 30 octobre 2015. Le ministre chargé du budget l'a informée, le 21 décembre 2015, de ce qu'il envisageait de réserver une suite défavorable à sa demande et qu'elle avait la possibilité de saisir la commission consultative nationale. Par une décision du 21 mars 2016, le ministre a finalement rejeté sa demande d'agrément. Par un jugement du 15 février 2018, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté la demande de la société Digicel AFG tendant à l'annulation de la lettre du 21 décembre 2015 et de la décision du 21 mars 2016. La société Digicel AFG relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 21 mars 2016.

Sur l'objet de la demande ;

2. Il ressort des pièces du dossier et notamment de la lettre du 4 juin 2014 accompagnant une partie du dossier de demande d'agrément déposé par la société requérante que les investissements de la deuxième tranche du programme à l'origine du refus d'agrément attaqué, sont ceux qui portent sur la période courant du 1er avril 2013 au 31 mars 2014. Si les parties désignent parfois, dans leurs écritures, la 2ème tranche comme celle couvrant la période dite 2013-2015, c'est parce que la déductibilité des investissements de cette deuxième tranche qui devait être régie par l'agrément couvrant l'exercice clos au 31 mars 2014 ne peut être prise en compte par la société qu'au titre de son exercice clos le 31 mars 2015 en raison de ce que l'agrément sollicité sur l'exercice clos le 31 mars 2013 n'a été délivré que le 20 septembre 2013 entraînant de la sorte des décalages entre l'exercice de réalisation de l'investissement et l'exercice au titre duquel ces investissements sont déductibles.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Pour rejeter la demande de la société Digiciel AFG, le tribunal a estimé que pour le seul motif tiré de ce que le ministre chargé du budget n'a pas commis " d'erreur manifeste d'appréciation " en estimant que le projet litigieux ne présentait pas un intérêt économique, le ministre était fondé à rejeter la demande d'agrément présentée par la société Digiciel AFG. Il suit de là qu'en ne répondant pas aux moyens dirigés contre des motifs considérés comme surabondants par le tribunal, tirés de ce que la décision attaquée est entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle fait application des conditions prévues au I de l'article 217 du code général des impôts pour refuser le bénéfice de l'agrément alors que ces dispositions se rapporteraient uniquement, selon la requérante, à la réalisation effective de l'aide fiscale, et d'une erreur de fait dans l'application des conditions précitées à sa demande d'agrément, le tribunal n'a pas entaché le jugement d'une irrégularité. Par suite, le moyen doit être écarté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la légalité externe :

4. En premier lieu, aux termes du II quater de l'article 217 undecies du code général des impôts " Les programmes d'investissement dont le montant total est supérieur à 1 000 000 € ne peuvent ouvrir droit à la déduction mentionnée aux I, II et II ter que s'ils ont reçu un agrément préalable du ministre chargé du budget dans les conditions prévues au III. ". Aux termes du III de l'article 217 undecies du même code " (...) Pour ouvrir droit à déduction, les investissements mentionnés au I réalisés dans les secteurs des transports, de la navigation de plaisance, de l'agriculture, de la pêche maritime et de l'aquaculture, de l'industrie charbonnière et de la sidérurgie, de la construction navale, des fibres synthétiques, de l'industrie automobile, ou concernant la rénovation et la réhabilitation d'hôtel, de résidence de tourisme et de village de vacances classés ou des entreprises en difficultés, ou qui sont nécessaires à l'exploitation d'une concession de service public local à caractère industriel et commercial doivent avoir reçu l'agrément préalable du ministre chargé du budget, après avis du ministre chargé de l'outre-mer. L'organe exécutif des collectivités d'outre-mer compétentes à titre principal en matière de développement économique est tenu informé des opérations dont la réalisation le concerne (...). ".

5. La requérante soutient que la décision attaquée est entachée d'un vice de procédure tenant à la méconnaissance du principe du contradictoire et des droits de la défense dès lors qu'elle a été prise en considération de l'avis du ministre des outre-mer qui ne lui a pas été communiqué, pas même à l'appui de la lettre du 21 décembre 2015 par laquelle le ministre chargé du budget l'informait qu'il envisageait de réserver une suite défavorable à sa demande. Toutefois, aucune disposition légale ou règlementaire, ni aucun principe n'imposent que cet avis consultatif rendu en fonction du dossier de demande d'agrément présenté par le contribuable lui-même, soit communiqué à celui-ci. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que la société Digicel AFG a été informée dans le courrier précité du 21 décembre 2015, de ce que le ministre des outre-mer avait émis un doute dans son avis sur le projet et sur le caractère insuffisant de la densification du réseau des motifs pour lesquels il envisageait de rejeter sa demande d'agrément, ce qui permettait au contribuable d'engager un débat contradictoire et de demander la communication de cet avis. Par suite, le moyen doit être écarté.

6. En second lieu, pour rejeter la demande d'agrément, le ministre en charge du budget a relevé en premier lieu, que les conditions d'octroi de l'aide fiscale ne sont pas réunies dès lors que d'une part, en application des dispositions du I de l'article 217 undecies du code général des impôts, les investissements réalisés au cours de l'exercice clos en 2013, pour un montant de 400 057 euros, ne peuvent ouvrir droit à la déduction fiscale sollicitée au titre de l'exercice clos en 2014, que d'autre part, les dépenses au titre des sites (3 000 528 euros) et du réseau (2 760 082 euros) de la deuxième tranche du projet ne peuvent bénéficier de l'aide fiscale au titre de l'exercice clos en 2014 car leur date de réalisation n'est pas précisément justifiée et qu'enfin des investissements éligibles réalisés au 31 mars 2013 ont déjà été déduits fiscalement à hauteur de 1 256 000 euros. Le ministre a relevé en deuxième lieu que des investissements étaient inéligibles à hauteur de 107 166 euros et qu'en application du I de l'article 217 undecies du code général des impôts, la TVA perçue non récupérable, qui s'établit pour la 2ème tranche du programme d'investissement à 23 515 euros, et qui est assimilée à une aide publique, doit être imputée sur le prix de revient des investissements éligibles à l'aide fiscale sollicitée. Le ministre a, en troisième lieu, estimé que l'investissement ne présente pas un intérêt économique pour le territoire dès lors notamment et d'une part, que les comptes prévisionnels d'exploitation révèlent que malgré les aides fiscales à l'investissement outre-mer accordées par le passé (31 285 518 euros d'investissements éligibles entre 2007 et 2013), le résultat prévisionnel d'exploitation de la SAS est en baisse très sensible entre 2015 et 2020, passant de 33 M euros à 18,8 M euros sans qu'il soit démontré que cette baisse du résultat d'exploitation soit principalement liée à une pratique tarifaire plus avantageuse pour le consommateur ultra-marin concerné par le projet d'investissements et propre à caractériser un intérêt économique des outre-mer concernés, d'autre part que les éléments du dossier fourni en dernier lieu le 30 octobre 2015 ne permettent pas d'appréhender l'évolution du taux de couverture tant en termes de couverture de la population qu'en termes de couverture du territoire au moyen des équipements 3 G de cette seconde tranche du programme pluriannuel d'investissement et qu'enfin, pour 15 des 33 sites de la première et deuxième tranche d'investissements du programme pluriannuel, la société n'est pas en mesure de justifier leur exploitation alors que leur mise en service est effective depuis en moyenne six mois. La décision en litige comporte ainsi l'exposé des motifs de fait et de droit qui la fondent. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne :

7. En premier lieu, les dispositions du III de l'article 217 undecies du code général des impôts instituent au profit des sociétés qui remplissent les conditions qu'elles fixent, un droit au bénéfice de l'agrément qu'elles prévoient. Le ministre peut légalement refuser l'agrément prévu au III de cet article en se fondant sur les conditions prévues au I de ce même article. C'est donc à tort que la requérante soutient que ces dispositions ne pouvaient être appliquées que pour apprécier le droit à une aide fiscale. La décision attaquée de refus d'agrément n'est ainsi pas entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle fait application des conditions prévues au I de l'article 217 du code général des impôts pour refuser le bénéfice de l'agrément. La requérante ne saurait davantage invoquer utilement la doctrine exprimée au BOl 4 H-2-07 n° 15 du 30 janvier 2007 dont le ministre n'a pas fait application.

8. En deuxième lieu, aux termes du III de l'article 217 undecies du code général des impôts : " (...) L'agrément est délivré lorsque l'investissement : /a) Présente un intérêt économique pour le département dans lequel il est réalisé ; il ne doit pas porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou constituer une menace contre l'ordre public ou laisser présumer l'existence de blanchiment d'argent (...). ".

9. Pour l'application de ces dispositions, le ministre en charge du budget peut apprécier un programme d'investissements pluriannuel en délivrant un agrément global. Il peut aussi délivrer un agrément au titre d'une première tranche de ce programme pluriannuel d'investissements en estimant que les investissements projetés présentent un intérêt économique pour les départements dans lesquels ils sont réalisés et surseoir à statuer à l'examen des tranches suivantes. Il n'en va autrement que si le découpage du programme retenu par le ministre n'a aucune cohérence économique.

10. Ainsi et contrairement à ce que soutient, au moins implicitement, la requérante, le ministre qui n'était pas placé en situation de compétence liée par l'appréciation qu'il a portée sur l'intérêt économique de la première tranche, pouvait, a priori, alors d'ailleurs que sa décision du 20 septembre 2013 octroyant l'agrément sur le seul exercice clos au 31 mars 2013 et non sur l'ensemble de la période 2013-2016 n'a jamais été attaquée, décider, sans commettre d'erreur de droit, que la seconde tranche du projet couvrant la période du 1er avril 2013 au 31 mars 2014 ne présentait pas un intérêt économique. Le ministre pouvait à ce titre, pour refuser de délivrer l'agrément sur la deuxième tranche du programme, prendre en compte la circonstance que les investissements réalisés par la société au titre de la première tranche n'avaient pas présenté un intérêt économique.

11. Toutefois, lorsqu'un programme d'investissements constitue, comme en l'espèce, un ensemble d'opérations indissociables dotées d'une finalité commune, le ministre doit s'efforcer, dans un souci de sécurité juridique, de se prononcer sur la demande tendant à la délivrance de l'agrément couvrant la seconde tranche de travaux avant le terme de la première tranche de travaux couverte par l'agrément délivré. Si le ministre ne statue pas avant cette date, la société qui a néanmoins poursuivi les travaux couvrant la tranche suivante avant que le ministre ne statue sur sa demande d'agrément, peut se prévaloir, pour justifier l'intérêt économique de ses investissements, non seulement du contenu du dossier qu'elle a présenté à l'appui de sa demande d'agrément mais aussi de l'ensemble des investissements qu'elle a effectivement réalisés sur la période concernée.

12. De première part, alors que les prévisions de réalisation des investissements éligibles à la déduction fiscale étaient respectivement, au titre des exercice clos les 31 mars 2013, 31 mars 2014 et 31 mars 2015, de 20 %, 50 % et 30 %, la société requérante n'établit ni même n'allègue que le découpage en tranches retenu par le ministre présente un caractère artificiel.

13. De seconde part, il ressort des pièces du dossier que la société requérante avait sollicité un agrément dès 2012 en indiquant que les investissements projetés visaient à permettre une augmentation de la couverture de son réseau de téléphonie mobile et une densification de ce réseau, lui permettant de maintenir sa position sur le marché et de garantir ainsi un niveau de concurrence satisfaisant sur le marché de la téléphonie mobile. Elle justifiait en particulier de l'intérêt économique de ces investissements, au regard des bénéfices attendus en termes de concurrence par les prix, au profit du consommateur final. Pour refuser cet agrément, le ministre a notamment pris en compte, comme il en a le droit, la circonstance que les investissements réalisés par la société requérante au titre de la première tranche n'avaient pas été favorables aux consommateurs ultra-marins en ce qu'ils n'ont conduit ni à une baisse du tarif des communications des téléphones mobiles ni à une densification du réseau. La société requérante, dont les premiers investissements étaient couverts par l'agrément délivré le 20 septembre 2013 portant sur l'exercice clos le 31 mars 2013, n'a toutefois été informée que le 21 décembre 2015 de ce que le ministre en charge du budget envisageait de réserver une suite défavorable à sa demande portant sur la tranche suivante et le refus d'agrément est ensuite intervenu le 21 mars 2016. Elle peut donc utilement se prévaloir de l'ensemble des investissements qu'elle a effectivement réalisés sur la période du 1er avril 2013 au 31 mars 2014 correspondant à la seconde tranche de travaux. La requérante fait valoir, à cet égard, que ces investissements lui ont permis à partir de 2013 d'enrichir le contenu de ses offres, proposant notamment des volumes de communication voix, sms et data de plus en plus généreux, et d'améliorer la qualité de ses services, qu'elle a gagné près de 3,5 % de part de marché entre mars 2013 et mars 2017 (38,3 % à 41,8 %). Elle produit, à ce titre, un document intitulé " Evolution des offres Forfaits DIGICEL " qui révèle effectivement une baisse des tarifs sur la période postérieure à la réalisation de la première tranche. La société requérante produit également des cartes de territoires qui révèlent que de nouveaux sites ont été exploités à compter de 2014. La réalisation de la seconde tranche a ainsi permis une évolution positive du taux de couverture, une densification du réseau et une baisse du tarif des communications dans ces territoires ultra-marins. Il suit de là que le ministre chargé du budget a commis une erreur d'appréciation en estimant que l'investissement envisagé pour la réalisation de la seconde tranche de travaux ne présentait pas un intérêt économique.

14. En troisième lieu, aux termes du I de l'article 217 undecies du code général des impôts : " La déduction [...] s'applique aux investissements mentionnés au premier alinéa du I ter de l'article 199 undecies B à à hauteur de la moitié de leur coût de revient [...] La déduction est opérée sur le résultat de l'exercice au cours duquel l'investissement est réalisé, le déficit éventuel de l'exercice étant reporté dans les conditions prévues au 1 de l'article 209 ". Aux termes du I ter de l'article 199 dans sa rédaction alors applicable du code général des impôts " Le I s'applique aux équipements et opérations de pose de câbles sous-marins de communication desservant pour la première fois la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, la Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis et Futuna, la Nouvelle-Calédonie ou les Terres australes et antarctiques françaises lorsque, parmi les options techniques disponibles pour développer les systèmes de communication outre-mer, le choix de cette technologie apparaît le plus pertinent. ".

15. De première part, en application des dispositions précitées du I de l'article 217 undecies du code général des impôts en vertu duquel la déduction est opérée sur le résultat de l'exercice au cours duquel l'investissement est réalisé, les investissements réalisés par la SAS Digiciel AFG au cours de l'exercice clos le 31 mars 2013, pour un montant de 400 057 euros et l'investissement éligible de 2 512 000 euros réalisé au 31 mars 2013 déjà déduit fiscalement à hauteur de 1 256 000 euros, ne peuvent ouvrir droit à la déduction fiscale sollicitée au titre de l'exercice clos en 2014 et par suite être pris en compte dans l'agrément. Le ministre pouvait donc, dans cette limite, refuser le bénéfice de l'agrément sollicité.

16. De deuxième part, il ne ressort pas des pièces du dossier que les investissements rejetés dans la décision du 21 mars 2016 à hauteur de 107 166 euros libellés " Sites/Hors Plancelle ", " Stockage pylones et matériels ", " Mise en service site 2G " " Détecteur de fumée ", " Clôture et portail " pour lesquels la société requérante se borne à énoncer, sans autre précision, qu'ils se rattachent au règlement du comité de la réglementation comptable n ° 99-03 du 29 avril 1999 tel que modifié par le règlement n° 2004-06 du 23 novembre 2004, abrogé depuis lors et repris par le règlement de l'autorité des normes comptables n° 2014-03 du 5 juin 2014, constituent des investissements productifs ou se rattachent aux investissements productifs en lien avec l'amélioration d'un réseau de communication 3 G pour lequel l'agrément a été sollicité. Le ministre pouvait donc, dans cette limite, refuser le bénéfice de l'agrément sollicité.

17. De troisième part, la société requérante a demandé la prise en compte, dans l'assiette de l'agrément couvrant la deuxième tranche de travaux, des dépenses qu'elle a supportées pour un montant de 3 000 528 euros au titre de ces sites et pour un montant de 2 760 082 euros au titre de son réseau. Le ministre a refusé de prendre en compte ces sommes au seul motif qu'en méconnaissance des dispositions du I de l'article 217 undecies du code général des impôts en vertu duquel la déduction est opérée sur le résultat de l'exercice au cours duquel l'investissement est réalisé, la date de réalisation des sites et des dépenses réseau liées, ainsi que leur répartition entre les différentes tranches de 2013 et 2014 du programme d'investissements n'est pas précisément justifiée. Au soutien de sa position, il a relevé qu'alors que la majorité des investissements correspondant à des sites (18/33) a été effectuée au cours du premier exercice, la société prétend avoir dépensé 2 512 000 euros sur la première tranche et 3 000 528 euros sur la suivante, une telle discordance entre la répartition par tranche du calendrier de réalisation des investissements correspondant à l'installation des sites et la même répartition du coût de revient de ces investissements, conduisant à douter du bon rattachement des dépenses afférentes aux sites et au réseau. Pourtant, la requérante a justifié, au fur et à mesure de l'instruction de son dossier, le rythme des travaux envisagés sur cette seconde tranche, produisant notamment les cartes de couverture des sites concernés ainsi, qu'à l'appui de son courrier du 2 avril 2014 adressé au ministre, des éléments révélant que si elle avait dépensé au cours de l'exercice 2012/2013 la somme de 2 512 000 euros en sites et réseaux, aucune de ces dépenses n'a pu être retenue en base éligible au 31 mars 2013 du fait qu'aucun des nouveaux sites du programme ne réunissait l'ensemble des conditions requises en l'absence de purge de tous les recours possibles nécessaire à leur entrée en actif immobilisé. Au demeurant, la société explique qu'à l'issue des travaux réalisés la valeur éligible définitive, toute TVA non perçue récupérable dûment défalquée, des dépenses relatives aux sites exclusivement rattachables à 1'exercice clos le 31 mars 2014, est de 2 241 387,02 euros. Il suit de là que le ministre ne pouvait pas, sans commettre d'erreur d'appréciation, refuser de prendre en compte les sommes effectivement supportées par la société sur son exercice clos le 31 mars 2014, au titre de la création de sites et de réseaux.

18. En quatrième lieu, aux termes du I de l'article 217 undecies du code général des impôts : " Les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés peuvent déduire de leurs résultats imposables une somme égale au montant, hors taxes et hors frais de toute nature, notamment les commissions d'acquisition, à l'exception des frais de transport, d'installation et de mise en service amortissables, des investissements productifs, diminuée de la fraction de leur prix de revient financée par une subvention publique ".

19. Le mécanisme de taxe sur la valeur ajoutée non perçue récupérable codifié à l'article 295 A du code général des impôts prévoit que les livraisons ou importations en Guadeloupe, en Martinique ou à la Réunion de biens d'investissement neufs, exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée en application du 5° du 1 de l'article 295 du CGI, donnent lieu à une déduction calculée, selon le cas, sur le prix d'achat ou de revient, ou sur la valeur en douane des biens, lorsque le destinataire de la livraison ou l'importateur est un assujetti qui dispose dans ces départements d'un établissement stable et y réalise des activités ouvrant droit à déduction en application de l'article 271 du CGI. Pour l'application du I de l'article 217 undecies du code général des impôts, ce mécanisme doit être regardé comme une subvention publique exclue du régime de déduction du résultat de l'entreprise. Il suit de là que c'est à juste titre que le ministre en charge du budget a estimé que la TVA non perçue récupérable, qui s'établit pour la 2ème tranche du programme d'investissement à 23 515 euros devait être imputée sur le prix de revient des investissements éligibles à l'aide fiscale sollicitée. La société requérante démontre toutefois qu'elle avait retiré cette somme de sa demande de sorte que le reproche que lui adresse le ministre est inopérant.

20. Il suit de ce qui précède que le ministre en charge du budget n'était fondé à refuser la délivrance de l'agrément demandé sur la période courant du 1er avril 2013 au 31 mars 2014 que dans la limite de la somme de 1 763 223 euros. Pour le surplus, c'est à tort qu'il a refusé, par les motifs qu'il invoque, de délivrer l'agrément demandé.

21. Il résulte de tout ce qui précède, que la société Digicel AFG est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Martinique a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 21 mars 2016 en tant que cette décision n'a pas limité le refus de délivrance de l'agrément à la somme de 1 763 223 euros.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

22. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. " Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision. ".

23. Eu égard aux motifs d'annulation retenus, il y a seulement lieu d'enjoindre au ministre de l'économie, des finances et de la relance, de réexaminer la demande de la société Digiciel AFG tendant à la délivrance de l'agrément prévu à l'article 217 undecies du code général des impôts sur la période courant du 1er avril 2013 au 31 mars 2014, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

24. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à la société Digiciel AFG en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de La Martinique du 15 février 2018 est annulé en tant qu'il a rejeté entièrement la demande de la société Digiciel AFG tendant à l'annulation de la décision du 21 mars 2016.

Article 2 : La décision du 21 mars 2016 par laquelle le ministre chargé du budget a rejeté la demande d'agrément est annulée en tant que ce refus n'a pas été limité à la somme de 1 763 223 euros.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'économie, des finances et de la relance de réexaminer la demande de la société Digiciel AFG tendant à la délivrance de l'agrément prévu à l'article 217 undecies du code général des impôts sur la période courant du 1er avril 2013 au 31 mars 2014, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à la société Digiciel AFG sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Digicel AFG et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l'audience du 1er février 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

M. Nicolas Normand, premier conseiller,

M. Michaël Kauffmann, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 mars 2022.

Le rapporteur,

Nicolas Normand La présidente,

Evelyne BalzamoLe greffier,

Fabrice Phalippon La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX02267


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX02267
Date de la décision : 08/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-09 Contributions et taxes. - Incitations fiscales à l'investissement.


Composition du Tribunal
Président : Mme PHEMOLANT
Rapporteur ?: Mme Sylvie CHERRIER
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : BLAZY SOPHIE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-03-08;18bx02267 ?
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