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31/01/2022 | FRANCE | N°21BX02703

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 31 janvier 2022, 21BX02703


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 18 septembre 2019 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer une autorisation de travail et la décision préfectorale rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n° 2004327 du 17 mars 2021, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 juin 2021, M. B... A..., représenté par Me Chamberland-Poulin, demande à la cour

:

1°) d'annuler ce jugement n° 2004327 du tribunal administratif ;

2°) d'annuler la décision p...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 18 septembre 2019 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer une autorisation de travail et la décision préfectorale rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n° 2004327 du 17 mars 2021, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 juin 2021, M. B... A..., représenté par Me Chamberland-Poulin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 2004327 du tribunal administratif ;

2°) d'annuler la décision préfectorale du 18 septembre 2019 et la décision rejetant son recours gracieux ;

3°) d'enjoindre à la préfète de réexaminer sa demande d'autorisation de travail et de titre de séjour portant la mention " salarié " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ; dans l'attente, d'enjoindre à la préfète de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quarante-huit heures ; d'assortir ces injonctions d'une astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient, en ce qui concerne la régularité du jugement attaqué, que :

- le tribunal a omis de se prononcer sur ses moyens tirés de la méconnaissance de son droit d'être entendu, de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation.

Il soutient que :

- les décisions en litige sont insuffisamment motivées ;

- elles sont intervenues en méconnaissance du droit d'être entendu garanti par l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux ;

- c'est à tort que le tribunal a jugé que ces décisions n'étaient pas intervenues en méconnaissance de l'article 6 de la décision n°1-80 du Conseil d'association du 19 septembre 1980 relative au développement entre la communauté européenne et la Turquie ; dès lors qu'il remplit toutes les conditions prévues par cet article 6, il avait droit à la délivrance du titre de séjour qu'il sollicitait ;

- le préfet a porté atteinte à son droit à une vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il n'a pas tenu compte des circonstances expliquant l'absence de production par son employeur des documents nécessaires à l'instruction de la demande d'autorisation de travail.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 décembre 2021, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 juin 2021.

Vu

les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la décision n° 1/80 du 19 septembre 1980 du conseil d'association entre la Communauté économique européenne et la Turquie ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Frédéric Faïck a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant turc né le 25 mai 1993, est entré en France, selon ses déclarations, en mai 2011. Après le rejet de sa demande d'asile, il a sollicité un titre de séjour pour raison de santé qui lui a été délivré pour un an à compter de juin 2015, puis renouvelé jusqu'au 6 février 2018. Le 7 février 2019, la société Guirobat, avec laquelle M. A... a signé un contrat de travail, a déposé pour celui-ci une demande d'autorisation de travail auprès la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de la Nouvelle-Aquitaine. Cette demande a été rejetée par un arrêté de la préfète de la Gironde du 18 septembre 2019 contre lequel l'employeur de M. A... a exercé un recours gracieux du 23 octobre 2019 que la préfète a rejeté par décision du 29 juin 2020. M. A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les décisions du 18 septembre 2019 et du 29 juin 2020. Il relève appel du jugement rendu le 17 mars 2021 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, il ressort de ses écritures de première instance que M. A... a soutenu que l'arrêté en litige du 18 septembre 2019 a été pris en méconnaissance de son droit d'être entendu garanti par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Toutefois, aux termes de l'article 51 de la charte : " 1. Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions et organes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux États membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l'application, conformément à leurs compétences respectives. / (...) ". Or il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt C-141/12 et C-372/12 du 17 juillet 2014), que l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen de M. A... tiré de la méconnaissance de l'article 41 de la charte était inopérant, de sorte que les premiers juges n'étaient pas tenus d'y répondre. En s'abstenant de le faire, ils n'ont pas entaché leur jugement d'une insuffisance de motivation.

3. En deuxième lieu, la décision en litige répond à une demande d'autorisation de travail présentée par l'employeur de M. A... et ne peut, par suite, être regardée comme susceptible de porter atteinte au droit de ce dernier à mener en France une vie privée et familiale ou comme entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation médicale et familiale. En ne répondant pas à ces moyens, qui étaient inopérants, les premiers juges n'ont pas davantage entaché leur jugement d'une insuffisance de motivation.

4. En troisième lieu, M. A... soutient que le tribunal n'a pas répondu à son moyen tiré de ce que le refus d'autorisation de travail était entaché d'une erreur manifeste pour ne pas avoir tenu compte de la brièveté du délai imparti à son employeur pour compléter la demande. Toutefois, les motifs du point 6 du jugement attaqué montrent que les premiers juges, pour fonder leur décision, ont pris en considération le délai dont l'employeur a disposé pour compléter sa demande entre le refus initial et la décision de rejet du recours gracieux. Ce faisant, les premiers juges ont répondu implicitement et nécessairement à l'insuffisance du délai pour constituer la demande dont se prévalait le requérant.

5. Il résulte de ce qui précède que le jugement n'est pas entaché des irrégularités alléguées.

Sur la légalité des décisions en litige :

6. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 2 que M. A... ne peut utilement invoquer l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne à l'encontre de la décision en litige qui, en rejetant la demande d'autorisation de travail au motif que le dossier présenté est incomplet, ne met pas en œuvre, par elle-même, le droit de l'Union.

7. En deuxième lieu, à l'appui de son moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté en litige, le requérant ne se prévaut devant la cour d'aucun élément de droit ou de fait nouveau par rapport à son argumentation devant les premiers juges. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs pertinents du jugement.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 6 de la décision n° 1/80 du Conseil d'association du 19 septembre 1980 relative au développement entre la Communauté économique européenne et la Turquie : " (...) le travailleur turc, appartenant au marché régulier de l'emploi d'un État membre : / - a droit, dans cet État membre, après un an d'emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur, s'il dispose d'un emploi ; (...) 3. Les modalités d'application des paragraphes 1 et 2 sont fixées par les réglementations nationales. ".

9. Il résulte de l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes en date du 16 décembre 1992, que l'article 6 premier paragraphe, premier tiret, de la décision du 19 septembre 1980 du conseil d'association, qui a un effet direct en droit interne, doit être interprété en ce sens que, d'une part, un ressortissant turc qui a obtenu un permis de séjour sur le territoire d'un Etat membre et y a travaillé depuis plus d'un an auprès du même employeur sous le couvert d'un permis de travail valide a droit au renouvellement de son permis de travail en vertu de cette disposition et que, d'autre part, un travailleur turc qui remplit les conditions de l'article 6, premier paragraphe, premier tiret, de la décision du 19 septembre 1980 peut obtenir, outre la prorogation du permis de travail, celle du permis de séjour, le droit de séjour étant indispensable à l'accès et à l'exercice d'une activité salariée.

10. Comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges, les dispositions précitées de l'article 6 de la décision n° 1/80 ne dispensent pas les ressortissants turcs qui souhaitent exercer une activité professionnelle en France de respecter la règlementation française en matière d'emploi des étrangers.

11. Aux termes de l'article L. 5221-5 du code du travail : " Un étranger autorisé à séjourner en France ne peut exercer une activité professionnelle salariée en France sans avoir obtenu au préalable l'autorisation de travail mentionnée au 2° de l'article L. 5221-2. (...) ". Aux termes de l'article L. 5221-2 du même code : " Pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée, l'étranger présente : (...) 2° Un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail. ". Aux termes de l'article R. 5221-3 de ce code : " L'autorisation de travail peut être constituée par l'un des documents suivants : (...) 8° La carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", délivrée en application du 1° de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (...) 14° L'autorisation provisoire de travail, d'une durée maximale de douze mois renouvelable, délivrée (...) à l'étranger salarié qui, par la nature de son séjour ou de son activité, ne relève pas du champ d'application des autorisations de travail précitées (...) ". Aux termes de l'article R. 5221-11 du code du travail : " La demande d'autorisation de travail relevant des (...) 8° (...) et 14° de l'article R. 5221-3 est faite par l'employeur (...) ". Aux termes de l'article R. 5221-20 du code : " Pour accorder ou refuser l'une des autorisations de travail mentionnées à l'article R. 5221-11, le préfet prend en compte les éléments d'appréciation suivants : / 1° La situation de l'emploi dans la profession et dans la zone géographique pour lesquelles la demande est formulée, compte tenu des spécificités requises pour le poste de travail considéré, et les recherches déjà accomplies par l'employeur auprès des organismes concourant au service public de l'emploi pour recruter un candidat déjà présent sur le marché du travail ; / 2° L'adéquation entre la qualification, l'expérience, les diplômes ou titres de l'étranger et les caractéristiques de l'emploi auquel il postule ; (...) / 3° le respect par l'employeur, l'utilisateur mentionné à l'article L. 1251-1 ou l'entreprise d'accueil de la législation relative au travail et à la protection sociale ; /4° Le cas échéant, le respect par l'employeur, l'utilisateur, l'entreprise d'accueil ou le salarié des conditions réglementaires d'exercice de l'activité considérée ; / 5° Les conditions d'emploi et de rémunération offertes à l'étranger, qui sont comparables à celles des salariés occupant un emploi de même nature dans l'entreprise ou, à défaut, conformes aux rémunérations pratiquées sur le marché du travail pour l'emploi sollicité ; / 6° Le salaire proposé à l'étranger qui, même en cas d'emploi à temps partiel, est au moins équivalent à la rémunération minimale mensuelle mentionnée à l'article L. 3232-1 ; (...) ".

12. Pour rejeter la demande d'autorisation de travail, la préfète de la Gironde a relevé qu'elle n'avait pas été accompagnée des pièces permettant de l'instruire au regard, notamment, des critères de l'article R. 5221-20 du code du travail, et dont la production avait été sollicitée par la DIRECCTE dans son courrier du 22 juillet 2019. A l'occasion de son recours gracieux du 23 octobre 2019, l'employeur de M. A... a reconnu qu'il ne disposait pas de ces pièces compte tenu du délai mis par les administrations à répondre à ses demandes. Dans sa décision du 28 juin 2020, valant rejet du recours gracieux de l'employeur de M. A... huit mois après sa présentation, la préfète a retenu que les pièces demandées n'avaient toujours pas été produites, ce qui faisait obstacle à l'instruction de la demande. Il ne ressort pas des pièces du dossier que ce motif est entaché d'une inexactitude matérielle. Par suite, la préfète de la Gironde a pu légalement rejeter la demande d'autorisation de travail, qui ne respectait pas la règlementation française relative à l'instruction d'une telle demande, sans méconnaitre l'article 6 précité de la décision n° 1/80, alors que M. A... avait de plus cessé de séjourner régulièrement sur le territoire français depuis février 2018, date d'expiration de son dernier titre de séjour.

13. En quatrième lieu, ni la décision du 18 septembre 2019 ni celle du 28 juin 2020 ne mettent en doute, dans leurs motifs, la réalité du travail de M. A... au sein de la société Guirobat. Par suite, le moyen tiré de l'erreur manifeste qui entache un tel motif est inopérant.

14. En cinquième et dernier lieu, il résulte du point 3 ci-dessus que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37- 2 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.

DECIDE

Article 1er : La requête n° 21BX02703 de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur. Copie pour information en sera délivrée à la préfète de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 10 janvier 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Brigitte Phémolant, présidente de la cour,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 janvier 2022.

Le rapporteur,

Frédéric Faïck

La présidente,

Brigitte Phémolant

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX02703 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX02703
Date de la décision : 31/01/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme PHEMOLANT
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : CHAMBERLAND POULIN

Origine de la décision
Date de l'import : 15/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-01-31;21bx02703 ?
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