Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 20 décembre 2019 au tribunal administratif de Toulouse, renvoyée à la cour sur le fondement de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, par ordonnance du 25 février 2020, M. et Mme A... B... demandent à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 5 novembre 2019 par lequel la préfète de l'Aveyron a délivré à la société Arkolia Invest 38 un permis de construire un parc éolien sur le territoire de la commune de Gaillac d'Aveyron ;
2°) de mettre à la charge de la société Arkolia Invest 38 la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le recours est recevable en ce qu'ils ont intérêt à agir et ont notifié leur recours à la préfète de l'Aveyron et à la société en application de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme ;
- le permis est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il porte atteinte aux paysages et au caractère des lieux avoisinants et l'autorité préfectorale aurait dû tenir compte des avis défavorables rendus à ce sujet.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Elisabeth Jayat,
- les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public,
- et les observations de Me Versini-Campinchi, représentant la société Arkolia Invest 38 et de Me Moly, représentant M. et Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Le 26 janvier 2017, la société Arkolia lnvest 38 a déposé une demande de permis de construire un parc éolien composé de sept aérogénérateurs de 67 mètres de hauteur totale et d'un poste de livraison électrique aux lieux-dits La Devèze et Mazibran sur le territoire de la commune de Gaillac-d'Aveyron. Par arrêté du 21 juin 2017, le préfet de l'Aveyron a refusé le permis demandé sur le fondement de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme au motif que le projet de parc éolien porte atteinte au caractère et à l'intérêt des lieux avoisinants. Saisie par la société Arkolia Invest 38 d'une requête en annulation pour excès de pouvoir, le tribunal administratif de Toulouse, par jugement du 11 juin 2019, a admis l'intervention de M. et Mme B... et celle de l'association Protégeons nos espaces pour l'avenir, de l'association Lévézou en péril, et de 21 autres intervenants, a annulé cet arrêté et a enjoint à la préfète de l'Aveyron de délivrer à la société Arkolia Invest 38 le permis de construire la centrale éolienne dans un délai de quatre mois à compter de la notification du jugement. Par un arrêt n° 19BX03524 du 30 novembre 2021, la cour a rejeté la requête d'appel de la ministre dirigée contre ce jugement.
2. Par arrêté du 5 novembre 2019, la préfète de l'Aveyron a délivré un permis de construire cinq éoliennes et a refusé la construction des aérogénérateurs E5 et E7.
3. M. et Mme B..., qui demandent l'annulation de l'arrêté, doivent être regardés comme demandant l'annulation de cet arrêté en tant qu'il autorise la construction des éoliennes E1, E2, E3, E4 et E6.
4. Aux termes de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales ". Il résulte de ces dispositions que, si les constructions projetées portent atteinte aux paysages naturels avoisinants, l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l'assortir de prescriptions spéciales. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage naturel de nature à fonder le refus de permis de construire ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, il lui appartient d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site. Les dispositions de cet article excluent qu'il soit procédé dans le second temps du raisonnement, pour apprécier la légalité des permis de construire délivrés, à une balance d'intérêts divers en présence, autres que ceux visés à l'article R. 111-27 cité ci-dessus.
5. Il ressort des pièces du dossier que l'implantation de la centrale éolienne litigieuse, composée de sept aérogénérateurs de 67 mètres de hauteur en bout de pales, dont cinq sont autorisés par le permis contesté, et d'un poste de livraison, est prévue sur un coteau situé au sud du bourg de Gaillac-d'Aveyron, en léger contrebas d'une ligne de crête de la commune voisine de Vezins-de-Lévézou, à des altitudes comprises entre 860 mètres et 944 mètres. Le site ainsi envisagé domine le fond de la vallée de la rivière Aveyron, le long de laquelle est implantée la route nationale 88 reliant Rodez au réseau autoroutier via Séverac-le-Château. Il est situé au cœur d'un paysage semi-ouvert et boisé assurant la transition entre le plateau de l'Aubrac au nord et les monts du Lévézou au sud, à proximité de la limite ouest du Parc naturel régional des Grands causses. Il ressort, en outre, des pièces du dossier que la zone d'étude abrite un nombre significatif de sites et de monuments d'intérêt patrimonial. Si le schéma régional éolien a effectivement classé le secteur en zone favorable au développement éolien, le même document a aussi précisé que cette zone présentait des contraintes moyennes en termes de patrimoine paysager et architectural et la " réflexion-cadre " menée sur l'énergie éolienne dans le département a considéré la vallée de l'Aveyron comme un axe touristique à fort trafic et forte sensibilité. Le site d'implantation projeté par la société Arkolia Invest 38 doit donc être regardé comme revêtant un intérêt paysager certain.
6. S'agissant des lieux d'habitation avoisinants, il ressort des pièces du dossier que onze bourgs présentant un enjeu paysager sont situés dans un rayon de 15 kilomètres autour du projet et que dix hameaux habités sont situés dans un rayon de deux kilomètres. Parmi les onze villages recensés dans l'aire d'étude intermédiaire, deux sont considérés dans l'étude d'impact comme exposés à un impact visuel fort du fait du projet : le bourg-centre de Gaillac-d'Aveyron, situé à 2,6 km en contrebas face au coteau et le bourg de Recoules-Prévinquières. Toutefois, si le parc sera visible du bourg, compte tenu de l'alignement régulier des éoliennes et de leur taille de 67 mètres en haut de pale, il ne peut être considéré que les habitants du centre-bourg de Gaillac-d'Aveyron seraient exposés à une sensation d'écrasement propre à dénaturer la perception du paysage alentour. De même, s'agissant du bourg de Recoules-Prévinquières, la perception du projet éolien est atténuée par la distance de 5 km et par la végétation boisée séparant le site de ce village, de même que pour le bourg de Buzeins, situé à 6 km sur la face nord de la vallée, pour lequel l'étude d'impact mentionne un impact moyen. S'agissant des autres villages, l'incidence du parc projeté est estimée faible ou nulle par l'étude d'impact, aucun élément du dossier ne permettant de retenir que cette appréciation serait faussée ou erronée. Parmi les dix hameaux habités présents dans l'aire d'étude rapprochée, cinq lieux-dits présentent un impact fort et quatre autres un impact moyen. Pour ce qui est des lieux-dits Favars, la Montade, Lespinasse et le Mannap, situés à une distance entre 0,9 et 1,9 km du projet, les éléments du dossier ne permettent pas de retenir un effet d'écrasement ou de saturation visuelle eu égard à la configuration des lieux et notamment des étendues boisées séparant ces hameaux du projet. Pour ce qui est des lieux-dits Vaysse-Rodier et le Malissart, bien que situés à une distance de 600 à 700 mètres du projet, aucune dénaturation de la perception paysagère ne peut davantage être retenue dès lors que la perception du parc est partielle et atténuée par la végétation. S'agissant du hameau de Mazibran situé à moins de 400 mètres du site éolien, trois des éoliennes seront particulièrement visibles du hameau. Toutefois, cette vue sur une partie du parc à une faible distance, bien que générant indiscutablement une gêne, ne constitue pas une atteinte à un paysage naturel de nature à fonder le refus de permis de construire contesté dès lors qu'elle est partielle et ne crée pas d'effet d'écrasement ni de saturation.
7. S'agissant des sites et des monuments protégés, il ressort des pièces du dossier et notamment de l'étude d'impact qu'aucun de ces sites ou monuments n'est implanté à moins de 2 km du projet et treize, parmi les 43 recensés au sein des aires d'étude intermédiaire et éloignée, sont considérés par les auteurs de l'étude comme susceptibles d'être affectés par la centrale éolienne, dont cinq pour lesquels l'impact serait fort ou moyen. Les abords du château de Lugans, à 3,2 km du site litigieux, présentent des vues ouvertes sur l'ensemble des éoliennes, mais le monument lui-même est entouré d'un parc boisé et la ligne des éoliennes est cohérente à l'échelle du paysage et les châteaux de Recoules et de Galinières resteraient, selon l'étude paysagère, faiblement affectés par le projet, ce qui ne paraît pas injustifié au regard de la configuration des lieux et de leur éloignement du site éolien, à respectivement 4,9 et 9,5 km. Si de nombreux dolmens sont présents dans le secteur et notamment ceux de la Vernhiette et Saplous II, à 4,9 km, de Restous, à 5,9 km, et de Lespinasse, à 2,2 km, il ressort des pièces du dossier que les éoliennes seront visibles depuis ces vestiges, mais que le parc n'aura pas d'effet dominant par rapport aux sites. Il en va de même s'agissant de la " maison des dolmens ", site touristique aménagé sur le coteau de Buzeins, à 5,9 km en face du parc éolien. Ainsi, le projet contesté, qui a d'ailleurs reçu un avis favorable de la direction régionale des affaires culturelles, ne peut être regardé comme de nature à porter une atteinte significative à l'intérêt patrimonial des lieux avoisinants.
8. A l'échelle du paysage lointain, il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet aurait pour effet une dénaturation des perspectives paysagères depuis les points hauts environnants et notamment depuis les sites patrimoniaux emblématiques de Séverac-le-Château, à 11,9 km à l'est du projet et Montrozier, à 14 km à l'ouest, ou depuis le sommet du Mont-Seigne culminant à 1 128 mètres d'altitude, à 13,3 km au sud. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la présence du parc éolien serait susceptible de perturber de façon significative les perspectives visuelles depuis les axes routiers du secteur, y compris depuis la route nationale 88 longeant la vallée de l'Aveyron, itinéraire de découverte de la vallée de l'Aveyron et des Monts du Lévézou, ni d'engendrer un phénomène de mitage ou de saturation du paysage, malgré son interaction visuelle avec la centrale éolienne de Séverac-le-Château, perceptible depuis le coteau nord de la vallée.
9. Il ressort par ailleurs de l'ensemble des photomontages produits que le paysage du secteur restera en grande partie dégagé et qu'il n'y aura que très peu de co-visibilité avec d'autres parcs éoliens existants dans le secteur.
10. Enfin, s'agissant des impacts des structures annexes, si la réalisation du parc éolien comporte notamment l'aménagement de plateformes nécessitant des remblais conséquents et l'élargissement d'un chemin rural de 3 à 5 mètres, ainsi que la création de 1,91 km de voies supplémentaires, la société pétitionnaire a toutefois prévu certaines mesures destinées à réduire l'impact de ces travaux, notamment la répartition des déblais, la préservation des haies et l'enherbement des surfaces empierrées. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les inconvénients paysagers résiduels liés à ces travaux auraient justifié à eux seuls un refus du permis de construire.
11. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que le permis de construire délivré à la société Arkolia Invest 38 est entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme, alors même que la commission départementale de la nature, des paysages et des sites, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement, la direction départementale des territoires et l'unité départementale de l'architecture et du patrimoine ont émis des avis défavorables au projet.
12. Ainsi, M. et Mme B... ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêté attaqué en tant qu'il autorise la construction des éoliennes E1, E2, E3, E4 et E6.
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administratif font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Arkolia Invest 38, qui n'est pas la partie perdante dans la présente affaire, le versement aux requérants de la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... B..., à la ministre de la transition écologique et à la société Arkolia Invest 38.
Une copie en sera adressée à la préfète de l'Aveyron.
Délibéré après l'audience du 2 novembre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
Mme Laury Michel, première conseillère,
Mme Birsen Sarac-Deleigne, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 décembre 2021.
La première assesseure, La présidente-rapporteure,
Laury Michel Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX00759