Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Jean-Pierre E... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler le titre exécutoire émis à son encontre par le maire de Lacropte le 27 avril 2018 afin de recouvrer la somme de 134 849 euros.
Par un jugement n° 1802606 du 15 avril 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a fait droit à cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 1er juillet 2019 et 11 février 2021, la commune de Lacropte, représentée par Me Gaultier, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 15 avril 2019 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) de rejeter la demande de Jean-Pierre E... ;
3°) de mettre à la charge de Jean-Pierre E... la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en s'abstenant de procéder aux vérifications qu'imposent ses fonctions, Jean-Pierre E..., alors maire de la commune, a fait perdre à celle-ci une chance d'éviter le détournement de fonds ; le titre exécutoire en litige n'a pas pour objet d'obtenir la réparation du préjudice financier pour lequel le frère de Jean-Pierre E... a été condamné par le tribunal correctionnel ;
- Jean-Pierre E... a fait preuve de graves négligences dans le cadre de son mandat ; il a été condamné par le tribunal correctionnel pour des faits de détournement de fonds publics ; il n'a pas exercé le contrôle auquel il était tenu sur l'engagement des dépenses de la commune ; les fautes ainsi commises ont permis à son frère de détourner la somme de 269 698 euros dont il lui est demandé de rembourser la moitié.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 septembre 2019, Jean-Pierre E..., représenté par Me Gaultier, conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la mise à la charge de la commune de Lacropte de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par la commune n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B... C...,
- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public,
- et les observations de Touche représetnant la commune de Lacropte.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 16 mars 2016 devenu définitif, le tribunal correctionnel de Périgueux a déclaré M. Joël Saint-Amand, secrétaire de mairie de la commune de Lacropte, coupable de détournement de fonds publics et, dans le cadre de l'action civile, l'a condamné à verser à cette commune les sommes de 269 698 euros en réparation du préjudice matériel et de 1 euro en réparation du préjudice moral. Jean-Pierre E..., son frère, qui était maire de la commune au moment des faits, a été reconnu coupable d'avoir permis, par sa négligence, le détournement, par son frère, de fonds publics. Le tribunal correctionnel a toutefois rejeté la demande de la commune, partie civile, tendant à ce que Jean-Pierre E... soit condamné, solidairement avec son frère, à lui verser les sommes de 269 698 euros en réparation du préjudice matériel et de 1 euro en réparation du préjudice moral, au motif que les fautes qu'il avait commises étaient non détachables du service et que le juge administratif était seul compétent pour se prononcer sur une action en responsabilité de la commune à son encontre. Par un titre exécutoire du 27 avril 2018, la somme de 134 849 euros a été mise à la charge de Jean-Pierre E.... La commune de Lacropte relève appel du jugement du 15 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé ce titre exécutoire à la demande de Jean-Pierre E..., décédé au cours de l'instance d'appel.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Lorsqu'une commune entend affirmer l'existence d'une créance à l'égard d'un tiers, il lui appartient, en dehors du cas, qui n'est pas celui de l'espèce, du recouvrement de créances contractuelles, d'émettre un titre de recettes. Le fondement de la créance ainsi constatée doit cependant se trouver dans les dispositions d'une loi, d'un règlement ou d'une décision de justice, ou dans les obligations contractuelles ou quasi-délictuelles du débiteur.
3. Il résulte de l'instruction que, par un jugement du 16 mars 2016, devenu définitif, le tribunal correctionnel de Périgueux a notamment condamné M. A... E... à verser à la commune de Lacropte, constituée partie civile, la somme de 269 698 euros en réparation du préjudice matériel qu'elle a subi, correspondant au montant total détourné à son profit personnel par l'intéressé au moyen de confection de fausses factures et de fausses délibérations du conseil municipal, présentées pour paiement au comptable public entre le 9 juillet 2008 et le 30 novembre 2011. Au cours de cette période, M. A... E... a en effet établi à douze reprises des faux procès-verbaux de délibérations portant sur l'achat, par la commune, de matériels agricoles censés lui appartenir, qu'il n'a toutefois jamais livrés à celle-ci. Ces procès-verbaux ont été présentés pour signature à un adjoint au maire, titulaire d'une délégation de signature, qui les a signés sans en vérifier le contenu.
4. Dans le courrier du 27 avril 2018 qui accompagnait le titre exécutoire litigieux, il est reproché à Jean-Pierre E..., alors maire de la commune, d'avoir fait preuve de graves négligences dans l'exercice de sa fonction et d'avoir ainsi permis le détournement de fonds publics par son frère, ces négligences étant analysées " comme des fautes personnelles particulièrement inexcusables ". L'auteur de ce courrier en déduit que " la commune est bien fondée à solliciter le versement d'une indemnité égale à 50 % des sommes détournées pour un montant total de 269 698 euros. Tels sont les motifs pour lesquels le titre exécutoire n° 37 est émis à votre encontre pour un montant de 134 849 euros ".
5. Il résulte de ce courrier que la commune a ainsi entendu réclamer à Jean-Pierre E... le paiement de la moitié de la somme détournée par son frère, alors que, par le jugement susmentionné du 16 mars 2016, le tribunal correctionnel de Périgueux a condamné M. A... E... à acquitter seul la totalité de cette somme et donc à réparer l'intégralité du préjudice en étant résulté pour la commune. Dans la mesure où ce jugement était devenu irrévocable à la date à laquelle le tribunal administratif de Bordeaux s'est prononcé sur la validité du titre exécutoire en litige, et alors même que M. A... E... n'aurait pas, à cette date, acquitté la somme sur laquelle il portait, la commune de Lacropte ne justifiait alors plus d'un préjudice direct et certain. Par suite, ladite commune n'établissant pas l'existence de la créance qu'elle prétend détenir à l'égard de Jean-Pierre de E..., elle ne pouvait légalement émettre le titre exécutoire en litige.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Lacropte n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a fait droit à la demande de M. D... E... et a annulé le titre exécutoire du 27 avril 2018.
Sur les frais liés à l'instance :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Jean-Pierre de E..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Lacropte demande au titre des frais qu'elle a exposés, non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de cette commune une somme de 1 500 euros au titre des mêmes frais engagés par Jean-Pierre E....
DECIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Lacropte est rejetée.
Article 2 : Le commune de Lacropte versera aux ayants-droits de Jean-Pierre E..., décédé en cours d'instance, une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Lacropte et aux ayants-droits de Jean-Pierre E....
Délibéré après l'audience du 13 décembre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Karine Butéri, présidente,
Mme Sylvie Cherrier, première conseillère,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 décembre 2021.
La rapporteure,
Sylvie C...
La présidente,
Karine Butéri
La greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au préfet de la Dordogne, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
No 19BX02782