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15/12/2021 | FRANCE | N°20BX00800

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 15 décembre 2021, 20BX00800


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Savima a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler le titre de recettes n° 212477 émis et rendu exécutoire le 4 décembre 2012 par l'ordonnateur du centre hospitalier de Capesterre-Belle-Eau pour le reversement d'une somme de 446 207,09 euros correspondant à une avance forfaitaire versée dans le cadre du marché de conception-réalisation du nouvel hôpital de Capesterre-Belle-Eau.

Par un jugement n° 1300102 du 19 novembre 2015, le tribunal administratif de

la Guadeloupe a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Savima a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler le titre de recettes n° 212477 émis et rendu exécutoire le 4 décembre 2012 par l'ordonnateur du centre hospitalier de Capesterre-Belle-Eau pour le reversement d'une somme de 446 207,09 euros correspondant à une avance forfaitaire versée dans le cadre du marché de conception-réalisation du nouvel hôpital de Capesterre-Belle-Eau.

Par un jugement n° 1300102 du 19 novembre 2015, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 12 février 2016, la société Savima, représentée par Me Pradines, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1300102 du tribunal administratif de la Guadeloupe du 19 novembre 2015 ;

2°) d'annuler le titre de recettes du 4 décembre 2012 ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Capesterre-Belle-Eau une somme de 10 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

4°) subsidiairement, de constater qu'elle est titulaire d'une créance à hauteur de 47 034,26 euros au titre de la retenue de garantie sur les situations émises à l'occasion de l'exécution du contrat de sous-traitance ; de fixer à 132 414 euros le montant de ses dépenses exposées pour l'exécution du contrat de sous-traitance et la résiliation du marché ; de fixer à 432 584 euros le montant des gains dont elle a été privée du fait de la résiliation du marché ; de constater qu'à la suite de la compensation entre les créances respectives des parties, le titre exécutoire n'a plus d'objet et de condamner le centre hospitalier à lui verser la somme de 165 828,17 euros ainsi que les intérêts légaux afférents au paiement de cette somme.

Elle soutient que :

- le jugement s'est fondé sur un moyen que n'avait pas invoqué le centre hospitalier pour rejeter sa demande, à savoir l'article 1376 du code civil en conséquence de la résiliation du marché intervenue le 10 juin 2011 ; une telle interprétation méconnaît les articles 88 et 115 du code des marchés publics qui prévoient que le remboursement des avances forfaitaires ne peut se faire que sur précompte ; de plus, la jurisprudence judiciaire écarte la possibilité d'une action en répétition de l'indu en cas d'annulation, de résolution ou de résiliation du contrat ;

- le centre hospitalier et le titulaire du marché, la société Alfa Bâtiment, sont convenus de soumettre le remboursement des avances forfaitaires à l'article 88 du code des marchés publics ; en vertu du 2° de l'article 115 de ce code, aucun remboursement n'est possible sur le sous-traitant quand les prestations n'ont pas été exécutées ou lorsqu'elles l'ont été pour un montant inférieur à 65 % du marché ;

- si les conditions prévues aux articles 88 et 115 du code des marchés publics ne sont pas réunies, le pouvoir adjudicateur dispose d'un autre fondement juridique pour justifier l'émission d'un titre exécutoire en vue d'obtenir le remboursement de l'avance :

- il ne peut cependant invoquer la responsabilité contractuelle du sous-traitant en vertu du principe de l'effet relatif des contrats ni la garantie décennale ou quasi-contractuelle ; de même, n'est pas transposable au remboursement des avances régi par les articles 115 et 88 du code des marchés publics, la jurisprudence qui reconnaît au maître de l'ouvrage un droit de contrôle des travaux exécutés lors d'une demande en paiement d'une situation adressée par le sous-traitant à l'entrepreneur principal ou d'une défaillance de cet entrepreneur qui s'est abstenu d'accepter ou de refuser la situation dans le délai de quinze jours prévu à l'article 8 de la loi du 31 décembre 1975.

- s'agissant de la résiliation d'un marché de travaux publics, les effets de cette résiliation sont expressément régis par le cahier des clauses administratives générales (CCAG), lequel ne prévoit aucune dérogation aux règles posées par les articles 88 et 115 du code des marchés publics.

Par un mémoire en défense enregistré le 10 mars 2018, le centre hospitalier de Capesterre-Belle-Eau, représenté par Me Daninthe, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la requérante la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.

Par un arrêt n° 16BX00626 du 21 juin 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par la société Savima à l'encontre du jugement n° 1300102 du tribunal administratif de la Guadeloupe.

Par une décision n° 423443 du 4 mars 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par la société Savima, a annulé l'arrêt n° 16BX00626 et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'Etat :

Par un mémoire enregistré le 12 juin 2020, le centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau, représenté par Me Daninthe, conclut au rejet de la requête de la société Savima et à ce qu'il soit mis à la charge de celle-ci la somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- dans sa décision du 4 mars 2020, le Conseil d'Etat a confirmé la possibilité de fonder le titre exécutoire émis pour obtenir du sous-traitant le remboursement de l'avance forfaitaire sur les articles 88 et 115 du code des marchés publics en cas de résiliation du marché ;

- tous les autres moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.

Par un mémoire enregistré le 4 novembre 2021, la société Savima conclut aux mêmes fins que dans son précédent mémoire. A titre subsidiaire, elle demande à la cour de fixer à 165 828,17 euros le montant de sa créance sur le centre hospitalier.

Elle soulève les mêmes moyens que dans sa requête d'appel.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Faïck,

- les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique,

- et les observations de Me Rozé, représentant la société Savima.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre d'un marché de conception-réalisation passé entre le centre hospitalier de la commune de Capesterre-Belle-Eau (Guadeloupe) et la société Alfa Bâtiment, agissant en qualité de mandataire d'un groupement d'entreprises, pour la construction d'un nouvel hôpital local, le pouvoir adjudicateur a, par un acte spécial du 16 décembre 2008, accepté la société Savima en qualité de sous-traitant pour l'exécution d'une partie du lot 4-4 " Menuiserie extérieure brise soleil " et agréé ses conditions de paiement pour un montant maximum de 2 056 253,86 euros HT. Conformément à sa demande, cette société a obtenu une avance forfaitaire de 20 % du montant des travaux sous-traités, soit la somme de 446 207,09 euros TTC.

2. A la suite de la cession partielle, au profit de la société Saint Landry, des actifs de la société Alfa Bâtiment, qui a été mise en redressement judiciaire, le centre hospitalier a constaté l'absence de reprise du chantier. Par un courrier du 31 août 2011, le directeur du centre hospitalier a informé la société Savima de la résiliation du marché décidée le 10 juin 2011 aux torts de la société Saint Landry. Par un titre de recettes émis et rendu exécutoire le 4 décembre 2012, le centre hospitalier a réclamé à la société Savima la somme de 446 207,09 euros TTC, correspondant au remboursement de l'avance forfaitaire sur travaux qui lui avait été versée. La société Savima a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler le titre de recettes du 4 décembre 2012. Elle relève appel du jugement rendu le 19 novembre 2015 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

3. Aux termes de l'article 87 du code des marchés publics applicable au litige : " I. - Une avance est accordée au titulaire d'un marché lorsque le montant initial du marché ou de la tranche affermie est supérieur à 50 000 euros HT (...) ". Aux termes de l'article 88 du même code : " I - Le remboursement de l'avance s'impute sur les sommes dues au titulaire (...) par précompte sur les sommes dues à titre d'acomptes ou de règlement partiel définitif ou de solde. / Il doit, en tout état de cause, être terminé lorsque le montant des prestations exécutées par le titulaire atteint 80 % du montant toutes taxes comprises des prestations qui lui sont confiées au titre du marché (...) / II. - Dans le silence du marché, le remboursement s'impute sur les sommes dues au titulaire quand le montant des prestations exécutées par le titulaire atteint 65 % des montants mentionnés au I. (...) ". Aux termes de l'article 115 de ce code : " Les dispositions prévues aux articles 86 à 100 s'appliquent aux sous-traitants (...) en tenant compte des dispositions particulières ci-après : 1° Lorsque le montant du contrat de sous-traitance est égal ou supérieur à 600 Euros toutes taxes comprises, le sous-traitant, qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le pouvoir adjudicateur, est payé directement, pour la partie du marché dont il assure l'exécution. (...) 2° Lorsqu'une partie du marché est sous-traitée, l'assiette de l'avance prévue à l'article 87 est réduite, pour le titulaire, au montant correspondant aux prestations lui incombant. / Une avance est versée, sur leur demande, aux sous-traitants bénéficiaires du paiement direct. (...) Le remboursement de cette avance s'effectue selon les modalités prévues à l'article 88. (...) ".

4. Les avances accordées et versées au titulaire d'un marché sur le fondement des dispositions de l'article 87 précité du code des marchés publics ont pour objet de lui fournir une trésorerie suffisante destinée à assurer le préfinancement de l'exécution des prestations qui lui ont été confiées. Le principe et les modalités de leur remboursement sont prévus par les dispositions de l'article 88 précitées de ce code qui permettent au maître d'ouvrage d'imputer le remboursement des avances par précompte sur les sommes dues au titulaire du marché à titre d'acomptes, de règlement partiel définitif ou de solde. L'article 115 du même code prévoit que ces dispositions s'appliquent aux sous-traitants bénéficiaires du paiement direct.

5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que lorsque le marché est résilié avant que l'avance puisse être remboursée par précompte sur les prestations dues, le maître d'ouvrage peut obtenir le remboursement de l'avance versée au titulaire du marché ou à son sous-traitant sous réserve des dépenses qu'ils ont exposées et qui correspondent à des prestations prévues au marché et effectivement réalisées. En cas de résiliation pour faute du marché, le remboursement de l'avance par le sous-traitant ne fait pas obstacle à ce que celui-ci engage une action contre le titulaire du marché et lui demande, le cas échéant, réparation du préjudice que cette résiliation lui a causé à raison des dépenses engagées en vue de l'exécution de prestations prévues initialement au marché. Il s'ensuit que le fondement du remboursement des avances par le sous-traitant, à raison d'une absence totale ou partielle de réalisation de ses prestations, repose sur les articles 88 et 115 du code des marchés publics applicable au litige alors même que le marché résilié n'aurait pas été exécuté.

6. Il est constant que, fin 2009, le centre hospitalier de Capesterre-Belle-Eau a versé à la société Savima une avance forfaitaire d'un montant de 446 207,09 euros. Il est également constant, d'une part, que le centre hospitalier a résilié le 10 juin 2011 le marché de construction du nouvel hôpital local aux torts de la société Saint Landry, repreneur du mandataire du groupement d'entreprises constitué pour la conclusion du marché, et, d'autre part, que cette résiliation est intervenue avant que le centre hospitalier ait pu obtenir le remboursement de l'avance consentie par précompte sur les sommes dues à la société Savima.

7. Dans ces conditions, et ainsi qu'il a été dit aux points 4 et 5, il appartenait au centre hospitalier de Caspeterre-Belle-Eau d'établir un décompte de résiliation du marché à l'occasion duquel il serait procédé, pour faire apparaître une créance certaine et exigible, au mécanisme du précompte prévu aux articles 88 et 115 du code des marchés publics afin d'obtenir le remboursement de l'avance forfaitaire consentie. Par suite, en recourant au titre exécutoire pour le remboursement de l'avance, le centre hospitalier de Capesterre- Belle-Eau a méconnu les dispositions des articles 88 et 115 du code des marchés publics.

8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, que la société Savima est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande. Dès lors, ce jugement doit être annulé ainsi que le titre de recettes en litige du 4 décembre 2012.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Il y a lieu de faire application de ces dispositions en mettant à la charge du centre hospitalier de Capesterre-Belle-Eau la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Savima et non compris dans les dépens. En revanche, les conclusions présentées par le centre hospitalier défendeur sur ce même fondement doivent être rejetées dès lors qu'il n'est pas la partie gagnante à l'instance d'appel.

DECIDE

Article 1er : Le jugement n° 1300102 du tribunal administratif de la Guadeloupe du 19 novembre 2015 et le titre de recettes du 4 décembre 2012 sont annulés.

Article 2 : Le centre hospitalier de Capesterre-Belle-Eau versera à la société Savima la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de Capesterre-Belle-Eau au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Savima et au centre hospitalier de Capesterre-Belle-Eau.

Délibéré après l'audience du 29 novembre 2021 à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le15 décembre 2021.

Le rapporteur,

Frédéric Faïck

Le président,

Didier Artus

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 20BX00800 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX00800
Date de la décision : 15/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Fin des contrats.

Marchés et contrats administratifs - Fin des contrats - Résiliation.

Marchés et contrats administratifs - Fin des contrats - Résiliation - Effets.

Marchés et contrats administratifs - Exécution financière du contrat.


Composition du Tribunal
Président : M. ARTUS
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : SCP PAYEN - PRADINES

Origine de la décision
Date de l'import : 21/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-12-15;20bx00800 ?
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