Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler l'arrêté du 16 août 2017 par lequel le recteur de l'académie de La Réunion l'a suspendue de ses fonctions pour une durée de quatre mois, l'arrêté du 15 décembre 2017 par lequel il a prolongé cette suspension, les décisions du 24 janvier 2018 et du 15 février 2018 par lesquelles il lui a retiré ses fonctions de directrice et a prononcé sa mutation d'office dans l'intérêt du service, et de condamner l'État à lui verser la somme de 90 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.
Par un jugement n° 1700731, 1800176, 1800344, 1800706 du 26 novembre 2019, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 1er mars 2020, Mme B..., représentée par Me Serron, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 26 novembre 2019 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 16 août 2017 et du 15 décembre 2017, ainsi que les décisions du 24 janvier 2018 et du 15 février 2018 du recteur de l'académie de La Réunion ;
3°) d'enjoindre au recteur de l'académie de La Réunion de procéder à la reconstitution de sa carrière, notamment en termes d'indemnités de poste ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il n'a été signé ni par le président, ni par le rapporteur ;
- le recteur de l'académie de La Réunion a méconnu l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 en prorogeant sa suspension après le délai de quatre mois ;
- l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 n'était pas applicable à sa situation, dès lors qu'elle n'a pas commis de " faute grave " au sens de cet article ;
- les dispositions de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 n'étaient pas applicables ;
- les témoignages versés aux débats, dont la véracité n'est pas établie, ne pouvaient justifier les mesures prises à son encontre.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 juin 2020, le recteur de l'académie de La Réunion conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens de Mme B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 89-122 du 24 février 1989 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Charlotte Isoard,
- et les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., professeure des écoles qui exerçait des fonctions de directrice au sein de l'école Lislet-Geoffroy à Saint-Pierre, a été suspendue de ses fonctions pour une durée de quatre mois par un arrêté du 16 août 2017 du recteur de l'académie de La Réunion à compter du 17 août suivant. Par un arrêté du 15 décembre 2017, le recteur a prolongé cette mesure de suspension. Enfin, par un arrêté du 24 janvier 2018, le recteur a retiré à Mme B... son emploi de directrice dans l'intérêt du service, puis, par une décision du 15 février 2018, a décidé sa mutation dans l'intérêt du service. Mme B..., qui présente des moyens à l'encontre des décisions de suspension prises à son encontre, et qui demande l'annulation du jugement qui a rejeté ses conclusions sur ces points, doit être regardée comme relevant appel du jugement du 26 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de La Réunion a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de l'ensemble de ces décisions.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement attaqué a été signée, notamment par le rapporteur et le président. La circonstance que l'ampliation du jugement qui a été notifiée à Mme B... ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur sa régularité.
Sur la légalité de l'arrêté du 16 août 2017 :
3. Aux termes article 30 de la loi du 13 juillet 1983 : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. / Si, à l'expiration d'un délai de quatre mois, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire, le fonctionnaire qui ne fait pas l'objet de poursuites pénales est rétabli dans ses fonctions. S'il fait l'objet de poursuites pénales et que les mesures décidées par l'autorité judicaire ou l'intérêt du service n'y font pas obstacle, il est également rétabli dans ses fonctions à l'expiration du même délai. (...) ". La suspension d'un fonctionnaire, prononcée en application de ces dispositions, est une mesure conservatoire, prise dans l'intérêt du service lorsque les faits imputés à l'intéressé présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité.
4. Il ressort des termes des différents témoignages précis et concordants versés au dossier par le recteur de l'académie de La Réunion, qui émanent de l'inspectrice de la circonscription, du médecin de l'Éducation nationale, d'enseignants et d'aides administratives, que Mme B... entretenait depuis 2013 des rapports conflictuels avec les enseignants de l'école Lislet-Geoffroy, mais également avec la mairie, avec l'ensemble de l'équipe médicale scolaire et avec certains parents. Si des tentatives de médiations ont été initiées par le rectorat pour apaiser les tensions au sein de l'équipe scolaire par le biais de l'organisation de réunions, et par la mise en place d'un " protocole de reprise " élaboré avec la psychologue du travail pour l'année scolaire 2016-2017, ces actions n'ont pas abouti, et le climat de l'école a continué à se détériorer en raison des propos et du comportement de Mme B..., aboutissant à ce que sept enseignants sollicitent le bénéfice de la protection fonctionnelle pour harcèlement moral. Ainsi, les faits reprochés à Mme B... présentaient, à la date de l'arrêté du 16 août 2017, un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité justifiant qu'une mesure de suspension soit prise à son égard.
Sur la légalité de l'arrêté du 15 décembre 2017 :
5. Ainsi qu'il a été dit, la suspension d'un fonctionnaire au titre de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires est une mesure à caractère conservatoire, prise dans le souci de préserver l'intérêt du service. En l'absence de poursuites pénales, son maintien en vigueur ou sa prorogation sont subordonnés à l'engagement de poursuites disciplinaires après son édiction.
6. Il ressort de la lettre du 15 décembre 2017 de notification de l'arrêté litigieux que la mesure de suspension de Mme B... a été prolongée " dans l'attente de l'avis de la commission administrative paritaire départementale concernant les procédures de retrait d'emploi de directrice d'école et de mutation dans l'intérêt du service " de l'intéressée. Ainsi, à la date à laquelle il a prolongé la mesure de suspension, le recteur de l'académie de La Réunion n'envisageait pas d'engager de procédure disciplinaire à raison des faits ayant justifié cette suspension et Mme B... ne faisait pas l'objet de poursuites pénales. Dans ces conditions, et à cette date, la prorogation de la mesure suspension de Mme B... n'était plus justifiée. Par suite, le recteur ne pouvait pas, en application de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983, prolonger, par l'arrêté du 15 décembre 2017, la suspension de l'intéressée.
Sur la légalité des décisions du 24 janvier 2018 et du 15 février 2018 :
7. En premier lieu, si Mme B... soutient que le tribunal administratif de La Réunion ne pouvait appliquer les dispositions de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État comme il l'a fait, ce moyen n'est pas assorti de précisions suffisantes pour en apprécié le bien-fondé.
8. En second lieu, aux termes de l'article 11 du décret du 24 février 1989 relatif aux directeurs d'école : " Les instituteurs nommés dans l'emploi de directeur d'école peuvent se voir retirer cet emploi par le directeur académique des services de l'éducation nationale agissant sur délégation du recteur d'académie, dans l'intérêt du service, après avis de la commission administrative paritaire départementale unique compétente, à l'égard des instituteurs et des professeurs des écoles. ".
9. Ainsi qu'il a été dit au point 4, les nombreux témoignages versés au dossier par le recteur, qui émanent de différentes sources, et notamment de l'inspectrice de la circonscription académique ainsi que du médecin de l'Éducation nationale, décrivent tous, en des termes précis et concordants, outre les défaillances de Mme B... dans l'exercice de ses fonctions de directrice, l'instauration d'un climat délétère au sein de l'école Lislet-Geoffroy en raison du comportement de l'intéressée. Si ces témoignages ont pour la plupart été établis au mois de juillet 2017, il ressort des pièces du dossier que les enseignants de cette école avaient exprimé leurs difficultés à plusieurs reprises auprès du rectorat, et qu'une action avait d'ailleurs été mise en place pour y remédier avant la rentrée de l'année scolaire 2016-2017 avec une psychologue du travail afin de résoudre les conflits existant au sein de l'école. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que la matérialité des faits décrits dans ces documents circonstanciés ne pouvait être remise en cause. Par suite, les éléments sur lesquels s'est fondé le recteur de La Réunion décrivant le climat conflictuel et dégradé au sein de l'école Lislet-Goeffroy, qui affectait le fonctionnement de cette école, étaient de nature à justifier les décisions, qui n'ont pas de caractère disciplinaire, de retrait de fonctions de directrice et de mutation dans l'intérêt du service, prises à l'encontre de Mme B....
10. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de La Réunion en tant qu'il rejette sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 décembre 2017 par lequel le recteur de l'académie de La Réunion a prolongé la mesure de suspension prise à son encontre.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. L'exécution du présent arrêt n'implique pas que la cour ordonne au recteur d'accorder à Mme B... le bénéfice des indemnités et primes attachées aux fonctions de directrice d'école, dès lors qu'elle n'a pas exercé effectivement ces fonctions. Les conclusions présentées à cette fin doivent donc être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
12. Il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'État, qui n'est par la partie perdante pour l'essentiel du litige, la somme que demande Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : L'arrêté du 15 décembre 2017 est annulé.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de La Réunion du 26 novembre 2019 est annulé en tant qu'il est contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Copie en sera adressée au recteur de l'académie de La Réunion.
Délibéré après l'audience du 18 novembre 2021, à laquelle siégeaient :
Mme Fabienne Zuccarello, présidente,
Mme Christelle Brouard-Lucas, première conseillère,
Mme Charlotte Isoard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 décembre 2021.
La rapporteure,
Charlotte Isoard
La présidente,
Fabienne Zuccarello
La greffière,
Sophie Lecarpentier
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 20BX00754 2