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18/11/2021 | FRANCE | N°19BX02188

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 18 novembre 2021, 19BX02188


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers à lui verser une somme totale de 457 326,52 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 22 mai 2014 et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices subis du fait de sa prise en charge au sein de cet établissement en 2007.

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Vienne a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner

le CHU de Poitiers à lui verser une somme de 288 381,20 euros au titre des débou...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers à lui verser une somme totale de 457 326,52 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 22 mai 2014 et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices subis du fait de sa prise en charge au sein de cet établissement en 2007.

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Vienne a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le CHU de Poitiers à lui verser une somme de 288 381,20 euros au titre des débours exposés et une somme de 1066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par un jugement n° 1700738 du 26 mars 2019, le tribunal administratif de Poitiers a condamné le CHU de Poitiers, d'une part, à verser à Mme A... une somme de 119 731,66 euros, avant déduction de la provision de 30 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 décembre 2016 et capitalisation des intérêts au 13 décembre 2017, d'autre part, à verser à la CPAM de la Vienne une somme de 115 338,40 euros, assortie des intérêts au taux légal, au titre de ses débours, ainsi qu'une somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, a mis à la charge du CHU de Poitiers les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 5 252,14 euros, ainsi qu'une somme de 1 600 euros au titre des frais exposés par Mme A..., et a rejeté le surplus des demandes des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 27 mai, 30 septembre, 21 novembre 2019, 27 janvier 2020 et 18 mai 2021, le CHU de Poitiers, représenté par Me Le Prado, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 26 mars 2019 du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) de rejeter les demandes de Mme A... et de la CPAM de la Vienne devant le tribunal administratif.

Il soutient que :

- les conclusions incidentes de Mme A... sont irrecevables en ce qu'elles excèdent le quantum de sa demande de première instance ;

- le jugement est insuffisamment motivé au regard des conclusions dont le tribunal a été saisi ;

- c'est à tort que le tribunal administratif de Poitiers a jugé que sa responsabilité devait être engagée en raison d'une prise en charge post-opératoire fautive et d'un diagnostic tardif d'un syndrome douloureux complexe régional de type II ;

- c'est à tort que le tribunal a jugé qu'il y avait lieu de mettre à sa charge 40 % du montant des préjudices indemnisables subis par Mme A... ;

- la demande d'indemnisation de 10 000 euros formulée Mme A... au titre des frais divers liés à son handicap n'est pas justifiée par la nécessité exposée de s'équiper d'ustensiles de cuisine adaptés à l'amputation de son index ;

- Mme A..., qui était sans activité professionnelle au moment de l'accident et qui n'établit pas qu'elle allait ouvrir une crèche d'entreprise trois mois après les faits, ne justifie pas de pertes de gains professionnels actuels ou futurs ; l'intéressée n'est pas inapte à toute activité professionnelle, notamment celle de conseiller service client à distance pour laquelle elle a été formée ;

- Mme A... n'établit pas le caractère certain des dépenses de santé futures qu'elle évalue à 63 793,15 euros ; elle ne démontre pas que le traitement médicamenteux serait rendu nécessaire par les fautes commises dans sa prise en charge, ni encore qu'elle devrait poursuivre ces traitements dans l'avenir ;

- Mme A... ne saurait solliciter une indemnisation au titre des frais d'aménagement d'un véhicule adapté alors qu'elle n'a pas été autorisée à conduire ;

- l'évaluation faite par le tribunal du préjudice d'incidence professionnelle, du déficit fonctionnel temporaire, du déficit fonctionnel permanent, du préjudice esthétique permanent, du préjudice sexuel permanent, dont Mme A... demande la majoration, n'est pas insuffisante ;

- Mme A... n'établit pas avoir subi un préjudice d'agrément et un préjudice d'établissement ; le tribunal a ainsi fait une évaluation excessive de ses préjudices ;

- contrairement à ce que demande la CPAM, en cas de perte de chance, la réparation qui incombe à l'hôpital doit être fixée en proportion de la chance perdue, et non correspondre à la totalité des frais exposés par elle ;

- il s'oppose à toute capitalisation des frais médicaux futurs de Mme A... ;

- le tribunal administratif ne pouvait faire droit aux demandes de la caisse au titre des pertes de gains professionnels actuels et futurs alors qu'il avait constaté l'absence de préjudice de Mme A... au titre de ces mêmes chefs de préjudice ;

- c'est également à tort que le tribunal administratif a fait droit aux demandes de la caisse au titre de la pension d'invalidité servie à Mme A... ; il n'est pas établi que le versement de cette pension serait imputable à la prise en charge de l'accident du 4 janvier 2007, alors que Mme A... avait déjà été victime en juin 2002 d'un accident à l'origine de fractures du membre supérieur droit à la suite duquel elle s'était vue reconnaître le statut de travailleur handicapé catégorie B ; l'attestation d'imputabilité établie par un médecin-conseil ne mentionne d'ailleurs pas cette pension ; en toute hypothèse, l'assiette du recours de la caisse est, faute de perte de gains professionnels, limitée au préjudice d'incidence professionnelle de Mme A... ; ce préjudice ayant été évalué à 50 000 euros, l'assiette du recours de la caisse est limitée à cette somme.

Par des mémoires, enregistrés les 29 octobre et 5 décembre 2019, 12 février 2020, 7 et 12 mai et 4 juin 2021, Mme A..., représentée par la société d'avocats Giroire-Revalier, conclut au rejet de la requête du CHU de Poitiers et à la mise à la charge de cet établissement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que des dépens, et demande à la cour, par la voie de l'appel incident, que la somme que le CHU de Poitiers a été condamné à lui verser soit portée, dans le dernier état de ses conclusions, au montant total de 592 250,74 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2014, date de sa consolidation, et capitalisation des intérêts à partir du 22 mars 2015.

Elle soutient que :

- ainsi que l'a jugé le tribunal, la responsabilité du CHU de Poitiers est engagée et les fautes commises par cet établissement lui ont fait perdre une chance d'amélioration de son état, dont le taux de 40 % doit être confirmé en appel ;

- elle est recevable à actualiser en appel ses demandes indemnitaires, notamment en se référant au nouveau barème de capitalisation de la Gazette du Palais publié en 2020 ;

- le jugement est insuffisamment motivé s'agissant de l'évaluation des déficits fonctionnels temporaire et permanent ;

- le tribunal lui a alloué à juste titre une somme de 1 799,16 euros au titre des frais de santé temporaires et une somme de 17 836 euros au titre de l'assistance par tierce personne temporaire avant sa consolidation ;

- elle justifie avoir exposé des frais divers avant sa consolidation, rendus nécessaires par son handicap ; une somme de 10 000 euros doit lui être allouée à ce titre ;

- elle devait ouvrir une crèche dans les mois suivant son intervention et a ainsi subi une perte de gains professionnels ; cette perte doit être évaluée, sur une base de 1 300 euros par mois, à 488 280 euros pour les gains futurs ;

- c'est à tort que le tribunal a considéré que les frais de dépenses de santé futures dont il était sollicité l'indemnisation n'étaient pas certains ; son traitement médicamenteux est à sa charge, et représente, à raison de 206 boîtes par an au coût unitaire de 25,26 euros, une dépense annuelle de 5 265,36 euros ; elle doit suivre des séances de kinésithérapie, pour un coût annuel de 600 euros en se basant sur 12 consultations au prix unitaire de 50 euros ; son préjudice doit être évalué, après capitalisation, à 307 356,59 euros au titre de ces dépenses de santé permanentes et futures ;

- au titre des frais d'adaptation d'un véhicule, son préjudice doit être évalué, après capitalisation, à 52 402 euros, en se basant sur un surcoût annuel de 1 000 euros ;

- son préjudice permanent d'assistance par tierce personne doit être réévalué par application du nouveau barème de capitalisation de la Gazette du Palais ; l'expert a évalué son besoin d'assistance par une tierce personne permanente à 30 minutes par jour et son besoin d'aide-ménagère à 2 heures par semaine ; le cout de l'aide-ménagère doit être évalué à 153,60 euros par mois et l'assistance par tierce personne à 18 euros par heure ; son préjudice doit être évalué, après capitalisation, à 291 365,60 euros ;

- c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté sa demande d'indemnisation de sa perte de gains professionnels permanente et future, alors pourtant qu'elle terminait tout juste un contrat de travail et avait un projet professionnel ; en se basant sur une perte de revenus de 1 300 euros par mois, son préjudice doit être évalué, après capitalisation, à 488 280 euros ;

- le tribunal a évalué à juste titre à 50 000 euros son préjudice d'incidence professionnelle ;

- le tribunal a fait une évaluation insuffisante de son déficit fonctionnel temporaire ; ce déficit doit être évalué, sur une base de 25 euros par jour pour un déficit total, à 20 037,50 euros ;

- elle sollicite la confirmation du jugement s'agissant de l'évaluation des souffrances endurées et de son préjudice esthétique temporaire ;

- l'évaluation par les premiers juges de son déficit fonctionnel permanent est insuffisante ; cette évaluation doit être portée à 31 350 euros, en se basant sur le recueil méthodologique commun d'indemnisation des dommages corporels de la conférence des premiers présidents de cours d'appel ;

- son préjudice esthétique permanent, sous-évalué par les premiers juges, doit être indemnisé à hauteur de 5 000 euros ;

- l'indemnisation des préjudices sexuel, d'agrément et d'établissement doit également être rehaussée à 60 000 euros ;

- c'est à tort que le tribunal a refusé de faire droit à sa demande tendant à lui octroyer des intérêts ; elle a droit aux intérêts à compter du 22 mai 2014, date de sa consolidation, et à la capitalisation de ces intérêts à partir du 22 mai 2015.

- si un droit de la caisse devait être reconnu sur ses préjudices professionnels, ce ne pourrait être que dans la limite du pourcentage de perte de chance retenu.

Par un mémoire enregistré le 20 janvier 2020, la CPAM de la Vienne, représentée par Me Bardet, conclut au rejet de la requête et à la mise à charge du CHU de Poitiers des dépens, d'une somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et d'une somme de 13 euros au titre du droit de plaidoirie, et demande à la cour, par la voie de l'appel incident, de porter les sommes que le CHU de Poitiers a été condamné à lui verser au titre de ses débours et de l'indemnité forfaitaire de gestion aux montants, respectivement, de 340 118,46 euros et de 1 091 euros.

Elle soutient que :

- la responsabilité du CHU de Poitiers est engagée à raison des fautes commises dans la prise en charge de Mme A... ;

- ses débours exposés et futurs s'élèvent à la somme définitive de 340 118,46 euros ;

- il résulte de l'attestation d'imputabilité établie par un médecin-conseil que l'ensemble des prestations dont il est sollicité le remboursement sont strictement imputables aux fautes retenues.

Par une ordonnance du 7 mai 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 11 juin 2021.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,

- et les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 4 janvier 2007, Mme A..., alors âgée de 26 ans, s'est blessée à l'index gauche lors d'un accident domestique. Elle a été prise en charge au centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers pour une plaie de l'index gauche compliquée d'une section tendineuse du fléchisseur superficiel et du fléchisseur profond associée à une atteinte du pédicule vasculo-nerveux radial, et a subi le 5 janvier 2007 une intervention chirurgicale de réparation du tendon et de la section nerveuse. Présentant des douleurs importantes et un raidissement de l'index, elle a subi le 18 juin 2007, au sein du même établissement, une intervention de libération avec téno-arthrolyse, puis le 17 novembre 2008, au sein d'une clinique privée, une amputation de l'index gauche. A la suite de ces interventions, des douleurs invalidantes ont toutefois persisté et l'intéressée a développé un trouble dépressif majeur. Le 16 juillet 2010, le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers a ordonné une expertise médicale, dont le rapport a été remis le 30 novembre 2011. Cette expertise n'ayant pas permis d'évaluer de manière définitive les préjudices subis par Mme A..., dont l'état n'était alors pas consolidé, le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers a, le 28 mai 2014, ordonné une seconde expertise, dont le rapport a été déposé le 4 septembre 2015. Par une ordonnance du 11 février 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers a accordé à Mme A... une provision de 30 000 euros.

2. Le 13 décembre 2016, Mme A... a sollicité auprès du CHU de Poitiers l'indemnisation des préjudices consécutifs, selon elle, à sa prise en charge dans cet établissement. Cette réclamation ayant été implicitement rejetée, elle a saisi le tribunal administratif de Poitiers d'un recours indemnitaire. Par un jugement du 26 mars 2019, le tribunal a condamné le CHU de Poitiers, d'une part, à verser à Mme A... une somme de 119 731,66 euros, avant déduction de la provision de 30 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 décembre 2016 et capitalisation des intérêts au 13 décembre 2017, d'autre part, à verser à la CPAM de la Vienne une somme de 115 338,40 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 mars 2019, au titre de ses débours, ainsi qu'une somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. Il a mis à la charge du CHU de Poitiers les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 5 252,14 euros, ainsi qu'une somme de 1 600 euros au titre des frais exposés par Mme A..., et a rejeté le surplus des demandes des parties. Le CHU de Poitiers relève appel de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, Mme A... demande à la cour que la somme que le CHU de Poitiers a été condamné à lui verser soit portée au montant total de 592 250,74 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2014, date de sa consolidation, et capitalisation des intérêts à partir du 22 mars 2015. La CPAM de la Vienne demande à la cour de porter les sommes que le CHU de Poitiers a été condamné à lui verser au titre de ses débours et de l'indemnité forfaitaire de gestion aux montants, respectivement, de 340 118,46 euros et de 1 091 euros.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Le CHU de Poitiers n'apporte aucune précision à l'appui de son affirmation selon laquelle la motivation du jugement serait insuffisante.

4. Contrairement à ce que soutient Mme A..., le tribunal a, aux points 6 et 20 du jugement, suffisamment indiqué les éléments pris en compte pour évaluer les déficits fonctionnels temporaire et permanent subis.

Sur la responsabilité du CHU de Poitiers

5. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

6. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, il résulte des expertises ordonnées par le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers, dont les rapports ont été remis les 30 novembre 2011 et 4 septembre 2015, d'une part, qu'à la suite de l'intervention du 4 janvier 2007, la prise en charge de Mme A... a été défaillante, faute de mise en place de séances de kinésithérapie adaptées à son état et de visites de contrôle suffisamment rapprochées, d'autre part, que le diagnostic d'un syndrome douloureux complexe régional de type II a été posé tardivement, dès lors que la première scintigraphie n'a été réalisée que le 31 août 2007 et que l'adressage à un centre antidouleurs n'a été fait que le 5 septembre, la prise en charge adaptée n'ayant pu commencer qu'en novembre 2007, alors qu'une prise en charge précoce diminue le risque de chronicisation de l'algodystrophie. Le CHU de Poitiers ne conteste sérieusement ni le caractère fautif des manquements ainsi relevés, ni leur lien de causalité avec le dommage de Mme A.... Il n'est ainsi pas fondé à soutenir, sans d'ailleurs assortir cette affirmation d'aucune argumentation, que c'est à tort que le tribunal a estimé que sa responsabilité était engagée sur le fondement des dispositions précitées à raison des fautes commises dans la prise en charge de Mme A....

7. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

8. Il résulte de l'instruction, notamment des rapports d'expertise ci-dessus mentionnés, que les fautes commises par le CHU de Poitiers dans le suivi post-opératoire de Mme A..., en particulier l'absence de prescription de séances de kinésithérapie adaptées à son état, ont fait perdre à l'intéressée une chance, évaluée par les experts à 20 %, d'obtenir un meilleur résultat fonctionnel. L'expertise du 4 septembre 2015 indique en outre que l'absence de diagnostic précoce du syndrome douloureux complexe régional de type II présenté par Mme A... a fait perdre à cette dernière une chance, de l'ordre de 20 % selon l'expert, d'évolution favorable de ce syndrome. Dans ces conditions, c'est à juste titre que le tribunal administratif a évalué à 40 % le taux de perte de chance et a condamné le CHU de Poitiers à la réparation de cette fraction des préjudices subis par Mme A....

Sur la réparation des préjudices de Mme A... :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux temporaires :

S'agissant des dépenses de santé actuelles :

9. Le tribunal a évalué les dépenses de santé restées à la charge de Mme A... jusqu'au 22 mars 2014, date de sa consolidation, à la somme de 1 799,16 euros, et a alloué à l'intéressée une indemnité de 719,66 euros après application du taux de perte de chance. Ce montant n'étant pas contesté par les parties en appel, il y a lieu de confirmer le jugement sur ce point.

S'agissant des frais divers :

10. Mme A... persiste à demander, devant la cour, que ses frais divers, en particulier ses frais de transport et d'achat d'accessoires divers en lien avec son dommage corporel, soient évalués à une somme forfaitaire de 10 000 euros. Cependant, si la requérante produit, pour la première fois en appel, des factures d'achat de divers ustensiles de cuisine, d'un repose-bras et d'un lot de mousse, il ne résulte nullement de l'instruction, en particulier des rapports d'expertise, que ces dépenses, au demeurant exposées en 2017 et 2019, auraient été nécessitées par son handicap. Par ailleurs, les autres frais allégués ne sont pas assortis de pièces justificatives. Ses conclusions ne peuvent ainsi être accueillies.

S'agissant des pertes de gains professionnels :

11. Ainsi que l'a relevé le tribunal, la requérante n'exerçait aucune activité professionnelle lors de sa prise en charge, en janvier 2007, par le CHU de Poitiers. Si elle fait valoir qu'elle avait un projet d'ouverture d'une crèche d'entreprise, les seuls éléments versés au dossier, à savoir le rapport d'expertise du 30 septembre 2015, qui se borne sur ce point à reprendre ses déclarations, et une attestation rédigée par sa mère, ne permettent pas d'établir qu'elle aurait perdu une chance sérieuse de mener à bien ce projet professionnel à brève échéance. Dans ces conditions, et alors en outre qu'il résulte de l'instruction que l'intéressée, placée en arrêt de travail, a perçu des indemnités journalières et n'est pas totalement inapte à tout emploi, elle ne démontre pas plus en appel qu'en première instance avoir subi, du fait des fautes commises dans sa prise en charge, une perte de gains professionnels.

S'agissant de l'assistance par tierce personne temporaire :

12. Le tribunal, se basant sur un besoin d'assistance non médicalisée par tierce personne de 4 heures par semaine avant consolidation, a évalué ce préjudice à la somme de 17 836 euros, et a alloué à l'intéressée une indemnité de 7 134 euros après application du taux de perte de chance. Ce montant n'étant pas contesté par les parties en appel, il y a lieu de confirmer le jugement sur ce point.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux actuels et futurs :

S'agissant des dépenses de santé :

13. Si le rapport d'expertise du 30 septembre 2015 mentionne que Mme A... a signalé à l'expert avoir bénéficié de séances d'ergothérapie, cette dernière n'établit pas avoir poursuivi ces séances après le 22 mars 2014, date de consolidation de son état, et n'établit pas davantage la nécessité de poursuivre un tel suivi à titre viager. Elle ne démontre par ailleurs pas que les séances de kinésithérapie qu'elle affirme avoir suivies n'auraient pas été prises en charge par l'assurance maladie. Il résulte en revanche tant du rapport d'expertise que de l'attestation d'imputabilité établie par le médecin-conseil de la CPAM de la Vienne que le syndrome douloureux régional dont Mme A... reste atteinte l'a conduite à prendre de façon continue un traitement opioïde, l'Actiq, qui ne lui est plus remboursé par la sécurité sociale en raison d'une dépendance constituée. Le médecin-conseil de la caisse a évalué le besoin à 14 boîtes par mois, pour un coût mensuel de 369,46 euros, soit 4 433,52 euros annuellement. Mme A... a indiqué à l'expert qu'elle prenait ce traitement " à la demande ", et a produit des feuilles de soins établies en 2019 et 2020, corroborant l'évaluation du besoin faite par le médecin-conseil. Dans ces conditions, il y a lieu de se baser sur cette évaluation et de fixer les frais de santé restés à sa charge, correspondant à l'achat de ce traitement, à la somme de 33 990,32 euros à la date du présent arrêt. Compte tenu du taux de perte de chance de 40 %, une somme de 13 596,12 euros doit lui être allouée à ce titre. S'agissant de la période postérieure à la date du présent arrêt, le préjudice n'étant susceptible de perdurer que si le médicament n'est durablement pas remboursé par la sécurité sociale ni substitué par un autre, il y a lieu de condamner le CHU de Poitiers à rembourser à Mme A... ces frais futurs dans la limite de 4 500 euros par an et à concurrence de 40 % de leur montant, sur présentation de justificatifs au fur et à mesure qu'ils seront exposés.

S'agissant des frais de véhicule adapté :

14. Il ne résulte pas de l'instruction que Mme A... ait, malgré son traitement médicamenteux, obtenu l'autorisation de passer un permis de conduire " permis handi ". L'intéressée ne justifie ainsi pas de la nécessité d'exposer des frais d'adaptation de son véhicule.

S'agissant de l'assistance d'une tierce personne :

15. Il résulte de l'instruction que les séquelles conservées par Mme A... la handicapent pour effectuer de nombreux actes de la vie courante, tels que la toilette et l'habillage, ainsi que pour assurer les tâches d'intendance, telles que les courses, la préparation des repas, le ménage, la vaisselle et le repassage. L'expert a estimé que, depuis la date de consolidation, l'état de santé de l'intéressée nécessitait une aide non spécialisée par tierce personne d'une demi-heure par jour, ainsi qu'une aide ménagère à raison de 2 heures par semaine, soit un total de 5 heures 30 par semaine. Il y a lieu de retenir un taux horaire de 13 euros correspondant au montant moyen du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) brut augmenté des charges sociales, sur une base annuelle de 412 jours afin de tenir compte des congés payés. Par suite, à la date du présent arrêt, le préjudice peut être évalué à la somme de 30 887 euros, de sorte que Mme A... doit se voir allouer une indemnité de 12 355 euros après application du taux de perte de chance.

16. Il résulte par ailleurs de l'instruction qu'un même besoin d'assistance par tierce personne persistera dans l'avenir. Dans ces conditions, s'agissant de la période postérieure à la date du présent arrêt, il sera fait une juste appréciation du préjudice futur lié à ces frais, en se basant sur un taux horaire de 14 euros, et en tenant compte du barème publié à la Gazette du Palais en 2020 fixant le prix de l'euro de rente viagère à 44, 608 euros pour une femme âgée de 41 ans, en l'évaluant à la somme de 199 770,56 euros, soit une indemnisation de 79 908 euros après application du taux de perte de chance de 40 %.

S'agissant des préjudices professionnels :

17. D'une part, en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, le juge saisi du recours de la victime d'un dommage corporel et du recours subrogatoire d'un organisme de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudices, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime. Il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du taux de perte de chance retenu. Le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale.

18. D'autre part, aux termes de l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale : " L'assuré a droit à une pension d'invalidité lorsqu'il présente une invalidité réduisant dans des proportions déterminées, sa capacité de travail ou de gain, c'est-à-dire le mettant hors d'état de se procurer, dans une profession quelconque, un salaire supérieur à une fraction de la rémunération normale perçue dans la même région par des travailleurs de la même catégorie, dans la profession qu'il exerçait avant la date de l'interruption de travail suivie d'invalidité ou la date de la constatation médicale de l'invalidité si celle-ci résulte de l'usure prématurée de l'organisme ". Eu égard à la finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail qui lui est assignée par ces dispositions législatives et à son mode de calcul, en fonction du salaire, fixé par l'article R. 341-4 du code de la sécurité sociale, la pension d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de revenus professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité.

19. Pour se conformer aux règles rappelées ci-dessus, il y a lieu de déterminer, en premier lieu, si l'incapacité permanente conservée par Mme A... en raison des fautes commises par le centre hospitalier de Poitiers entraînait des pertes de revenus professionnels et une incidence professionnelle et, dans l'affirmative, d'évaluer ces postes de préjudice sans tenir compte, à ce stade, du fait qu'ils donnaient lieu au versement d'une pension d'invalidité. Pour déterminer ensuite dans quelle mesure ces préjudices étaient réparés par la pension, il y a lieu de regarder cette prestation comme réparant prioritairement les pertes de revenus professionnels et, par suite, comme ne réparant tout ou partie de l'incidence professionnelle que si la victime ne subissait pas de pertes de revenus ou si le montant de ces pertes était inférieur au capital représentatif de la pension.

20. En premier lieu, et ainsi qu'il a été dit, à la date de sa prise en charge par le CHU de Poitiers, Mme A... n'avait pas d'activité professionnelle, et cette dernière ne justifie pas d'une chance sérieuse de bénéficier de revenus professionnels dans un cadre de projet de création d'une crèche d'entreprise. Ainsi que l'ont estimé les premiers juges, le préjudice de perte de gains professionnels futurs dont elle sollicite la réparation ne présente ainsi pas un caractère certain.

21. En second lieu, Mme A... subit, du fait des séquelles qu'elle conserve, une dévalorisation sur le marché du travail. Son préjudice d'incidence professionnelle a été justement évalué par le tribunal à la somme, qui n'est pas contestée par les parties, de 50 000 euros, soit 20 000 euros après application du taux de perte de chance. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment des pièces versées par la CPAM de la Vienne, que l'intéressée a perçu une pension d'invalidité dont le montant total excède celui de son préjudice professionnel. En application des principes ci-dessus rappelés, et contrairement à ce que soutient Mme A..., le centre hospitalier est fondé à soutenir qu'elle ne peut prétendre à une indemnisation à ce titre.

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux temporaires:

S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :

22. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise du 4 septembre 2015, que, avant sa consolidation, Mme A... a subi un déficit fonctionnaire temporaire total durant 202 jours, correspondant aux périodes auxquelles a elle a été hospitalisée, et un déficit temporaire partiel de 25 % durant 2 398 jours. Les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à 12 000 euros et en allouant à l'intéressée une somme de 4 800 euros après application du taux de perte de chance.

S'agissant des souffrances endurées :

23. Les douleurs endurées par Mme A... ont été estimées par l'expert à 6 sur une échelle allant de 1 à 7, en tenant compte des 10 interventions, des douleurs physiques intenses et de leur retentissement psychologique. Les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 27 000 euros, qui n'est pas contestée en appel, et en allouant à Mme A... une indemnité de 10 800 euros après application du taux de perte de chance de 40 %.

S'agissant du préjudice esthétique temporaire :

24. Le tribunal a évalué le préjudice esthétique temporaire de Mme A..., estimé à 2,5 sur 7 par l'expert, à 2 500 euros, et a alloué à l'intéressée une indemnité de 1 000 euros après application du taux de perte de chance. Ce montant n'étant pas contesté par les parties en appel, il y a lieu de confirmer le jugement sur ce point.

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux permanents :

S'agissant du déficit fonctionnel permanent :

25. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du 4 septembre 2015, que le déficit fonctionnel permanent de Mme A... doit être évalué à 15 %. Les premiers juges se sont livrés à une juste appréciation du préjudice ainsi subi par Mme A..., âgée de 33 ans à la date de consolidation de son état, en l'évaluant à 23 000 euros, et en lui allouant une somme de 9 200 euros après application du taux de perte de chance.

S'agissant du préjudice sexuel :

26. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du 4 septembre 2015, que Mme A... subit un préjudice sexuel. Il sera fait une juste évaluation de ce préjudice en l'évaluant à 2 000 euros et en allouant à l'intéressée, après application du taux de perte de chance, une réparation de 800 euros.

S'agissant du préjudice d'établissement :

27. Si l'expert a retenu un préjudice d'établissement, il n'a assorti cette affirmation d'aucune précision, et il ne résulte pas de l'instruction que les séquelles présentées par Mme A... compromettraient ses chances de fonder une famille. Dans ces conditions, et comme le soutient le CHU de Poitiers, c'est à tort que le tribunal lui a alloué une indemnisation à ce titre.

S'agissant du préjudice d'agrément :

28. Il résulte de l'instruction, notamment des attestations versées au dossier, que, du fait des séquelles qu'elle conserve, Mme A... ne peut plus pratiquer des activités de loisirs auxquelles elle s'adonnait régulièrement, en particulier la natation et la pratique de la guitare. Elle justifie ainsi d'un préjudice d'agrément, dont il sera fait une juste appréciation en l'évaluant à 4 000 euros. Une somme de 1 600 euros doit ainsi lui être allouée après application du taux de perte de chance.

S'agissant du préjudice esthétique permanent :

29. Le tribunal ne s'est pas livré à une insuffisante évaluation du préjudice esthétique permanent de Mme A..., estimé à 2/7 par l'expert, en lui allouant une somme de 800 euros après application du taux de perte de chance.

30. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le CHU de Poitiers et tirée de ce que les conclusions indemnitaires de Mme A... excèdent le montant total de la somme demandée en première instance, que cette dernière est seulement fondée à demander que la somme que le tribunal lui a allouée en réparation de ses préjudices soit portée à 177 782,82 euros, sous déduction de la provision de 30 000 euros accordée par le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers, ainsi que la condamnation du centre hospitalier à lui rembourser ses dépenses de santé futures dans les conditions définies ci-dessus.

En ce qui concerne les intérêts et la capitalisation des intérêts :

31. D'une part, les intérêts moratoires, dus en application de l'article 1153 du code civil, lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue à l'administration ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine. D'autre part, pour l'application des dispositions de l'article 1154 du code civil, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière, sans qu'il soit toutefois besoin d'une nouvelle demande à l'expiration de ce délai. De même, la capitalisation s'accomplit à nouveau, le cas échéant, à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande.

32. Il résulte de ce qui vient d'être dit que la somme de 177 782,82 euros doit être assortie des intérêts au taux légal à compter, non pas de la consolidation de l'état de santé de Mme A... comme elle le demande, mais de la réception de sa réclamation préalable indemnitaire par le CHU de Poitiers, soit le 16 décembre 2016. Elle a demandé la capitalisation de ces intérêts devant le tribunal le 21 mars 2017. Cette demande prend effet à compter du 16 décembre 2017, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière.

Sur les droits de la CPAM de la Vienne :

En ce qui concerne la créance de la caisse :

S'agissant des dépenses exposées à la date de l'arrêt :

33. En premier lieu, la CPAM de la Vienne produit en appel un relevé des débours exposés au profit de Mme A... au titre des frais hospitaliers, médicaux, infirmiers, pharmaceutiques, de rééducation et de transport, ainsi qu'une attestation d'imputabilité de son médecin-conseil. Il convient toutefois, ainsi que le relève le rapport d'expertise du 4 novembre 2015, de déduire les frais hospitaliers correspondant à l'intervention chirurgicale initiale du 4 janvier 2017, d'un montant de 3 526 euros. Dans ces conditions, compte tenu du taux de perte de chance de 40 % ci-dessus retenu, la CPAM de la Vienne est seulement fondée à obtenir le remboursement par le CHU de la somme de 60 251,86 euros au titre des dépenses de santé exposées au profit de son assurée en lien avec les fautes commises par cet établissement.

34. En deuxième lieu, la circonstance que Mme A... était sans emploi durant la période concernée n'est pas de nature à rompre le lien de causalité entre les fautes commises par le centre hospitalier et le versement d'indemnités journalières par la CPAM de la Vienne dès lors que, dans une telle configuration, les indemnités journalières servies par la caisse d'assurance maladie se substituent aux allocations chômage. La CPAM de la Vienne est ainsi fondée à obtenir, après application du taux de perte de chance de 40 %, le remboursement par le CHU de Poitiers d'une somme de 8 802,73 euros au titre des indemnités journalières versées à Mme A... du 8 avril 2007 au 31 décembre 2009.

35. Enfin, et comme il a été dit, la pension d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de revenus professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité. Dès lors, le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une pension d'invalidité ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice.

36. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise du 4 septembre 2015, que si Mme A... était reconnue travailleuse handicapée avant sa prise en charge par le CHU de Poitiers, son incapacité de travail permanente ayant justifié l'octroi, à compter du 1er janvier 2010, d'une pension d'invalidité de catégorie II est imputable au dommage corporel subi à la suite des fautes commises lors de cette prise en charge. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, Mme A... ne justifie pas avoir subi de pertes de revenus professionnels, et son préjudice d'incidence professionnelle doit être évalué à 50 000 euros, soit 20 000 euros après application du taux de perte de chance. La CPAM de la Vienne, qui justifie d'arrérages se montant à 57 338, 54 euros, est seulement fondée, en application des règles rappelées ci-dessus, à obtenir le remboursement de ces dépenses à concurrence d'une somme de 20 000 euros.

37. Il résulte de ce qui précède que la somme allouée par le tribunal à la CPAM de la Vienne en remboursement des débours exposés au profit de son assurée doit être ramenée à 89 054,59 euros.

S'agissant des débours futurs :

38. Compte tenu de ce qui vient d'être dit, la CPAM de la Vienne n'est pas fondée à obtenir le remboursement de ses débours futurs afférents à la pension d'invalidité versée à Mme A....

39. Par ailleurs, la CPAM de la Vienne fait valoir que, compte tenu de l'état de santé de Mme A..., elle devra lui servir des prestations de santé continues correspondant, d'une part, chaque année, à douze consultations médicales spécialisées et douze consultations médicales chez son médecin traitant, d'autre part, tous les huit ans, à une hospitalisation en ambulatoire pour un changement du dispositif de stimulation ainsi qu'une consultation anesthésie, un bilan préopératoire et une radiographie de contrôle. Il résulte de l'instruction, en particulier de l'expertise du 4 septembre 2015 et de l'attestation d'imputabilité du médecin-conseil de la caisse, que ces dépenses de santé futures présentent un caractère certain et sont en lien, dans la limite de la perte de chance ci-dessus retenue, avec les fautes du CHU de Poitiers. La caisse a fait une estimation prévisionnelle du capital correspondant, qu'elle évalue à 25 357,95 euros. Le remboursement demandé par la caisse ne peut toutefois pas lui être accordé par le versement immédiat d'un capital représentatif de ses frais futurs, faute d'accord pour un tel versement par le CHU de Poitiers. Dans ces conditions, il y a lieu de condamner le CHU de Poitiers à rembourser à la CPAM de la Vienne ces frais futurs à concurrence de 40 % de leur montant, dans la limite du capital demandé de 25 357,95 euros, sur présentation de justificatifs au fur et à mesure qu'ils seront exposés.

S'agissant de l'indemnité forfaitaire de gestion :

40. Aux termes du neuvième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget (...) ".

41. La CPAM de la Vienne, qui n'obtient pas en appel une majoration de la somme allouée par les premiers juges au titre de ses débours, n'est pas fondée à demander une actualisation du montant de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Sur les dépens :

42. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. ".

43. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de maintenir les frais des expertises ordonnées par le tribunal administratif de Poitiers, taxés et liquidés à la somme totale de 5 252,14 euros, à la charge définitive du CHU de Poitiers.

Sur les frais d'instance :

44. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHU de Poitiers une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'accueillir les conclusions présentées par le CHU de Poitiers et la CPAM de la Vienne au titre des frais d'instance et du droit de plaidoirie.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 119 731,66 euros que le CHU de Poitiers a été condamné à verser

à Mme A... est portée à 177 782,82 euros, sous déduction de la provision de 30 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 13 décembre 2016. Les intérêts échus à la date du 13 décembre 2017, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le CHU de Poitiers remboursera à Mme A... ses dépenses de santé futures dans les conditions fixées au point 13 du présent arrêt.

Article 3 : La somme de 115 338,40 euros que le CHU de Poitiers a été condamné à verser à la CPAM de la Gironde au titre des débours exposés au profit de Mme A... est ramenée à 89 054,59 euros.

Article 4 : Le CHU de Poitiers remboursera à la CPAM de la Vienne ses débours futurs dans les conditions fixées au point 39 du présent arrêt.

Article 5 : Le jugement n° 1700738 du 26 mars 2019 du tribunal administratif de Poitiers est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 6 : Le CHU de Poitiers versera à Mme A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier universitaire de Poitiers, à Mme B... A... et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne.

Délibéré après l'audience du 26 octobre 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 novembre 2021.

La rapporteure,

Marie-Pierre Beuve Dupuy

La présidente,

Catherine Girault

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

15

N° 19BX02188


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX02188
Date de la décision : 18/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : CABINET BARDET ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 30/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-11-18;19bx02188 ?
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