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04/11/2021 | FRANCE | N°19BX02496

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 04 novembre 2021, 19BX02496


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 1er mars 2017 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Dijon a ordonné la prolongation de sa mise à l'isolement

Par un jugement n°1700633 du 11 avril 2019, le tribunal administratif de Limoges a annulé cette décision et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procéd

ure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 juin 2019, le garde des sceau...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 1er mars 2017 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Dijon a ordonné la prolongation de sa mise à l'isolement

Par un jugement n°1700633 du 11 avril 2019, le tribunal administratif de Limoges a annulé cette décision et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 juin 2019, le garde des sceaux, ministre de la justice demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Limoges.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la décision en litige ne repose pas sur une erreur manifeste d'appréciation ; la circonstance qu'aucune procédure disciplinaire n'ait été engagée à l'encontre de M. C... pour les faits ayant justifié la prolongation de sa mise à l'isolement est sans incidence sur le bien-fondé de cette mesure ; en tout état de cause, M. C... a été sanctionné le 5 juillet 2017 pour avoir refusé de réintégrer sa cellule ; M. C... a été condamné en 2016, puis en 2019, pour des menaces proférées à l'encontre du personnel pénitentiaire ; son comportement s'est révélé particulièrement dangereux durant sa détention au centre pénitentiaire d'Alençon-Condé sur Sarthe , l'intéressé ayant proféré des menaces à l'encontre du personnel pénitentiaire et adopté un comportement prosélyte ; son comportement n'a pas évolué favorablement, l'intéressé limitant la communication avec le personnel pénitentiaire et les autres personnes détenues hormis l'une d'entre elles suivie pour radicalisation ; il a en outre été surpris alors qu'il projetait de troubler la sécurité de l'établissement en bloquant le quartier disciplinaire ; sa dangerosité est d'autant plus inquiétante qu'elle est dissimulée derrière un comportement reclus, d'apparence calme et solitaire, l'intéressé se contentant de rester dans sa cellule et de lire ;

- s'agissant des autres moyens, il s'en remet à ses écritures de première instance.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 août 2021, M. C..., représenté par Me Ciaudo, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision est entachée d'incompétence de son auteur ;

- elle a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière faute de respect du principe des droits de la défense résultant de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 et de l'article R. 57-7-64 du code de procédure pénale ; elle ne vise d'ailleurs aucune procédure contradictoire ;

- la décision repose sur une erreur d'appréciation, aucun élément ne justifiant une prolongation de son isolement.

Par une ordonnance du 1er juillet 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 3 septembre 2021.

M. C... a été admis au maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 septembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F... A...,

- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., condamné par un arrêt de la cour d'assises de l'Hérault du 28 octobre 2008 à une peine de vingt ans de réclusion criminelle assortie d'une période de sûreté de 13 ans pour des faits, notamment, de vols et violences avec armes et de détention illicite d'armes ou munitions, puis condamné, par un jugement du tribunal correctionnel de Montpellier du 16 janvier 2009 à une peine de six mois d'emprisonnement pour des faits de violences sur une personne dépositaire de l'autorité publique, et, par un jugement du 7 juillet 2016 du tribunal correctionnel d'Alençon, à une peine de quatre mois d'emprisonnement pour des faits de menaces de mort ou d'atteinte aux biens dangereuse pour les personnes à l'encontre d'un dépositaire de l'autorité publique, est incarcéré depuis le 24 mars 2006. Compte tenu des incidents survenus lors de son incarcération au centre pénitentiaire d'Alençon-Condé, il a été transféré à la maison centrale de Saint-Maur à compter du 4 octobre 2016. Par une décision du 30 novembre 2016, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Dijon a décidé de placer M. C... à l'isolement. Par une décision du 1er mars 2017, cette même autorité a décidé de prolonger la mesure d'isolement. Le garde des sceaux, ministre de la justice relève appel du jugement du 11 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Limoges a, sur la demande de M. C..., annulé cette décision du 1er mars 2017 de prolongation d'isolement et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au bénéfice de Me Montrichard, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

2. Aux termes de l'article 726-1 du code de procédure pénale : " Toute personne détenue, sauf si elle est mineure, peut être placée par l'autorité administrative, pour une durée maximale de trois mois, à l'isolement par mesure de protection ou de sécurité soit à sa demande, soit d'office. Cette mesure ne peut être renouvelée pour la même durée qu'après un débat contradictoire, au cours duquel la personne concernée, qui peut être assistée de son avocat, présente ses observations orales ou écrites. L'isolement ne peut être prolongé au-delà d'un an qu'après avis de l'autorité judiciaire (...) ". Aux termes de l'article R. 57-7-62 du même code : " La mise à l'isolement d'une personne détenue, par mesure de protection ou de sécurité, qu'elle soit prise d'office ou sur la demande de la personne détenue, ne constitue pas une mesure disciplinaire. La personne détenue placée à l'isolement est seule en cellule. (...) ". Aux termes de l'article R. 57-7-73 du même code : " Tant pour la décision initiale que pour les décisions ultérieures de prolongation, il est tenu compte de la personnalité de la personne détenue, de sa dangerosité ou de sa vulnérabilité particulière, et de son état de santé (...) ".

3. Pour annuler la décision du 1er mars 2017 prolongeant le placement de M. C... à l'isolement, le tribunal a estimé que cette décision reposait sur une erreur manifeste d'appréciation. Il ressort toutefois des pièces du dossier que la décision du 22 juillet 2016 de transférer M. C... du centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe à la maison centrale de Saint-Maur a été prise en raison des menaces de mort réitérées formulées par l'intéressé à l'encontre du personnel pénitentiaire, de ses déclarations persistantes selon lesquelles il souhaitait commettre un attentat-suicide en détention, et du réseau amical qu'il avait développé avec ses codétenus suivis pour radicalisation. La décision du 30 novembre 2016 le plaçant, en urgence, à l'isolement, a été prise en raison de son comportement agressif avec le personnel pénitentiaire et de son rapprochement relationnel avec d'autres personnes détenues suivies pour radicalisation. Il ressort du rapport et des observations rédigées par le personnel pénitentiaire entre décembre 2016 et février 2017 qu'à compter de son placement à l'isolement, M. C... a limité tout échange avec les surveillants, refusant de leur adresser la parole et ne communiquant plus que par gestes, et n'a entretenu aucun contact avec ses codétenus affectés au quartier d'isolement. Il a par ailleurs été surpris, le 3 décembre 2016, discutant avec un codétenu d'une méthode pour " obtenir un transfert rapide " consistant à bloquer, par une action collective, le quartier disciplinaire de l'établissement. La tenue de tels propos, dont la matérialité n'est pas contestée, ainsi que l'hostilité révélée par l'attitude de repli délibérément adoptée par M. C..., permettent de considérer que l'intéressé continuait de s'inscrire dans un comportement de rejet violent de l'institution. Dans ces conditions, compte tenu de la gravité des incidents déjà survenus et eu égard à la personnalité et à la dangerosité de M. C..., la décision du 1er mars 2017 maintenant le placement de M. C... à l'isolement n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation. Par suite, c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur ce motif pour annuler cette décision.

4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... à l'appui de sa demande tendant à l'annulation de la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires de Toulouse du 1er mars 2017.

5. M. E... B..., directeur des services pénitentiaires, signataire de la décision en litige, était, en vertu de l'arrêté de délégation de signature du directeur interrégional des services pénitentiaires Centre Est-Dijon du 24 novembre 2016 publié le 2 décembre 2016 au recueil des actes administratifs de la préfecture Bourgogne Franche-Comté, habilité pour signer cette décision. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision doit être écarté.

6. Aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. " Aux termes de l'article L. 122-1 du même code : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix (...) ". Aux termes de l'article R. 57-7-64 du code de procédure pénale : " Lorsqu'une décision d'isolement d'office initial ou de prolongation est envisagée, la personne détenue est informée, par écrit, des motifs invoqués par l'administration, du déroulement de la procédure et du délai dont elle dispose pour préparer ses observations. Le délai dont elle dispose ne peut être inférieur à trois heures à partir du moment où elle est mise en mesure de consulter les éléments de la procédure, en présence de son avocat, si elle en fait la demande. Le chef d'établissement peut décider de ne pas communiquer à la personne détenue et à son avocat les informations ou documents en sa possession qui contiennent des éléments pouvant porter atteinte à la sécurité des personnes ou des établissements pénitentiaires (...) ".

7. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a été informé par écrit, le 22 février 2017, de ce que l'administration envisageait de prolonger la mesure d'isolement édictée le 30 novembre 2016, des raisons conduisant l'administration à envisager une telle décision, et de la possibilité de présenter des observations écrites ou orales, de se faire assister par un avocat et de consulter son dossier. L'intéressé a ainsi bénéficié, dans un délai suffisant pour préparer ses observations, de l'ensemble des informations prévues par les dispositions précitées, et n'établit pas, ni même n'allègue, qu'il aurait été en réalité empêché de présenter ses observations. Le moyen tiré de l'absence de caractère contradictoire de la procédure à l'issue de laquelle a été prise la décision doit dès lors être écarté.

8. Il résulte de ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a annulé la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires de Dijon du 1er mars 2017 et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Les conclusions d'appel de M. C... relatives aux frais de justice ne peuvent, par suite, être accueillies.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Limoges n° 1700633 du 11 avril 2019 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Limoges est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de M. C... présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice, à M. D... C... et à Me Montrichard.

Délibéré après l'audience du 12 octobre 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 novembre 2021.

La rapporteure,

Marie-Pierre Beuve A...

La présidente,

Catherine Girault

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX02496


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX02496
Date de la décision : 04/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

37-05-02-01 Juridictions administratives et judiciaires. - Exécution des jugements. - Exécution des peines. - Service public pénitentiaire.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : AARPI THEMIS AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 17/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-11-04;19bx02496 ?
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