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14/10/2021 | FRANCE | N°21BX00300

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 14 octobre 2021, 21BX00300


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 12 novembre 2020 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé son transfert aux autorités allemandes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et l'arrêté du même jour par lequel il l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2005769 du 19 novembre 2020, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par

une requête, enregistrée le 25 janvier 2021, M. A..., représenté par Me Pougault, demande à la cour...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 12 novembre 2020 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a décidé son transfert aux autorités allemandes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et l'arrêté du même jour par lequel il l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2005769 du 19 novembre 2020, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 janvier 2021, M. A..., représenté par Me Pougault, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler les arrêtés par lesquels le préfet de la Haute-Garonne a décidé son transfert aux autorités allemande et son assignation à résidence ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale dans le délai de 24 heures sous astreinte de 100 euros par jour de retard ; à défaut de procéder au réexamen de sa demande ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens du procès et une somme de 2 000 euros, à verser à son conseil, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision de transfert est entachée d'un défaut de motivation et d'un défaut d'examen au regard de la mise en œuvre de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 ;

- cette décision est entachée d'une erreur de fait s'agissant du caractère définitif du rejet de sa demande d'asile ;

- elle est entachée d'erreur de droit dès lors que la demande de reprise en charge a été présentée sur le fondement du b) de l'article 18.1 du règlement du 26 juin 2013 alors que le préfet savait que sa demande avait été rejetée ;

- elle est également entachée d'erreur de droit dès lors que le préfet s'est estimé lié par le fait que les autorités allemandes semblaient responsables de sa demande d'asile ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle et dans l'application des articles 17 du règlement du 26 juin 2013 et de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; cette décision méconnaît également l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et du citoyen ;

- la décision d'assignation à résidence est insuffisamment motivée en l'absence de démonstration s'agissant de la perspective raisonnable d'exécution de la décision d'éloignement ;

- elle est entachée d'un défaut de base légale en raison de l'illégalité de la décision de transfert ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en l'absence de démonstration de ce que l'exécution de la décision de transfert demeurerait une perspective raisonnable.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 février 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État-membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États-membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Christelle Brouard-Lucas a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant afghan né le 23 août 1992, est, selon ses déclarations, entré sur le territoire français le 9 octobre 2020, et a déposé une demande d'asile le 12 octobre 2020 auprès du préfet de la Haute-Garonne. Après avoir constaté, à la suite de la consultation du fichier Eurodac, que les empreintes digitales de M. A... avaient été relevées par les autorités allemandes le 7 mars 2018 lors d'une précédente demande d'asile dans ce pays, le préfet de la Haute-Garonne a saisi les autorités allemandes, le 21 octobre 2020 d'une demande de reprise en charge de l'intéressé, qui a fait l'objet d'un accord explicite le 26 octobre suivant. Par deux arrêtés du 12 novembre 2020, le préfet de la Haute-Garonne a ordonné le transfert de l'intéressé aux autorités allemandes pour l'examen de sa demande d'asile et l'a assigné à résidence. M. A... relève appel du jugement du 19 novembre 2020 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande d'annulation de ces deux arrêtés. La décision de transfert vers l'Allemagne a été exécutée le 25 mars 2021.

Sur la légalité de l'arrêté portant transfert aux autorités allemandes :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration : " La motivation (...) doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ". Il ressort de l'examen de l'arrêté contesté portant transfert qu'il fait mention des demandes d'asile déposées en Allemagne en 2016 et 2018, reprend les observations de M. A..., qui souhaite rester en France car sa demande d'asile a été rejetée plusieurs fois en Allemagne et que les autorités veulent le renvoyer dans son pays, et précise, d'une part, que le caractère définitif du rejet n'est pas établi et, d'autre part, que l'existence de ce rejet ne fait pas obstacle à la mise en œuvre de la procédure de transfert et enfin qu'il n'est pas établi que la protection de l'intéressé ne serait pas assurée en Allemagne, où il n'existe pas de défaillance systémique, avant d'écarter l'application des articles 3.2-17.1 et 17.2 du règlement (UE) n° 604/2013. Cet arrêté indique ainsi suffisamment les considérations de fait sur lesquelles il se fonde pour décider le transfert de l'intéressé aux autorités allemandes. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cet arrêté au regard des conditions de mise en œuvre de la clause discrétionnaire doit être écarté.

3. En deuxième lieu, il ressort des termes mêmes de la motivation de l'arrêté contesté, telle qu'elle vient d'être exposée au point précédent, que le préfet a procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. A..., qu'il a examiné, en tenant compte des observations formulées par l'intéressé, la possibilité de mettre en œuvre la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 avant d'ordonner son transfert aux autorités allemandes. Dès lors, le moyen tiré de ce que la décision en litige serait entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle doit être écarté.

4. En troisième lieu, contrairement à ce que soutient le requérant, le fait que les autorités allemandes aient accepté de le reprendre en charge sur le fondement du d) de l'article 18-1 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui concerne les demandes d'asile rejetées, n'est pas à lui seul de nature à établir que le rejet de sa demande d'asile par les autorités allemandes soit devenu définitif alors que l'intéressé ne produit aucun élément concernant les conditions de sa notification et l'absence de possibilité de recours. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de fait dont serait entaché l'arrêté contesté quant au caractère définitif du rejet de la demande d'asile par les autorités allemandes doit être écarté.

5. En quatrième lieu, si la demande de reprise en charge a été présentée sur le fondement du b) de l'article 18.1 du règlement (UE) n° 604/2013, alors que, selon M. A..., sa situation relevait du d) de cet article, il ressort toutefois des pièces du dossier qu'à la date où le préfet a saisi les autorités allemandes, M. A... n'avait pas produit, dans le délai de sept jours qui lui avait été donné à cette fin, la décision de rejet de sa demande d'asile par ces autorités. En outre, en cas de rejet de sa demande d'asile, le préfet pouvait décider son transfert sur le fondement du d) de l'article 18.1 du règlement (UE) n° 604/2013, la substitution de cette base légale à celle du b) n'ayant pas pour effet de priver M. A... d'une garantie et l'administration disposant du même pouvoir d'appréciation. Par suite, la circonstance que la demande d'asile de l'intéressé aurait été rejetée en Allemagne reste sans incidence sur la légalité de la décision de transfert en litige. Dès lors, le moyen tiré de l'erreur de droit dont serait entaché, pour ce motif, l'arrêté contesté doit être écarté.

6. En cinquième lieu, il ne ressort pas de la motivation de la décision attaquée ni des autres pièces du dossier que le préfet se serait considéré en situation de compétence liée, au motif que l'Allemagne était responsable de la demande d'asile, pour décider du transfert de M. A... en application du règlement (UE) n° 604/2013.

7. En sixième lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". L'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, devenu les articles L. 571-1 et 573-1, dans sa version applicable au litige, dispose que : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1 mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'Etat responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat ".

8. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

10. M. A... fait état du niveau élevé de violences existant en Afghanistan, en particulier à Kundunz, ville dont il est originaire, du caractère définitif du rejet de sa demande d'asile ainsi que de l'existence d'une obligation de quitter le territoire allemand prise à son encontre. Il ajoute que l'Allemagne pratique une politique d'éloignement systématique. Toutefois, en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe en Allemagne des défaillances systémiques dans le traitement des demandeurs d'asile et alors que l'intéressé ne fait état d'aucun élément particulier et récent susceptible d'établir qu'il serait soumis en Allemagne à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse serait contraire à ces stipulations et entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne peuvent qu'être écartés.

Sur la légalité de la décision d'assignation à résidence :

11. En premier lieu, cette décision précise que M. A... dispose d'une adresse à laquelle il peut être assigné à résidence et que son éloignement demeure une perspective raisonnable en raison de l'accord des autorités allemandes. Dans ces conditions, bien qu'elle n'apporte pas d'éléments complémentaires sur le caractère raisonnable de cette perspective d'éloignement, la décision d'assignation à résidence est suffisamment motivée.

12. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que M. A... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision de transfert aux autorités allemandes à l'encontre de la décision portant assignation à résidence.

13. En troisième lieu, au soutien du moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, M. A... ne se prévaut d'aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l'argumentation développée en première instance et ne critique pas utilement la réponse qui lui a été apportée par le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif. Il y a donc lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs pertinents retenus par le premier juge.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 12 novembre 2020 du préfet de la Haute-Garonne. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, d'astreinte ainsi que celles tendant, d'une part, au paiement des entiers dépens du procès, lequel au demeurant n'en comporte aucun, et, d'autre part, à l'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 16 septembre 2021, à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, présidente,

Mme Fabienne Zuccarello, présidente assesseure,

Mme Christelle Brouard-Lucas, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 octobre 2021.

La rapporteure,

Christelle Brouard-LucasLa présidente,

Marianne Hardy

La greffière,

Sophie Lecarpentier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX00300 3


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21BX00300
Date de la décision : 14/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: Mme Christelle BROUARD-LUCAS
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : POUGAULT

Origine de la décision
Date de l'import : 26/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-10-14;21bx00300 ?
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