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14/10/2021 | FRANCE | N°19BX01439

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 14 octobre 2021, 19BX01439


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... et Mme C... B... épouse E... ont demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner solidairement l'Agence des 50 pas géométriques

de la Martinique et la commune du François à leur verser une indemnité d'un montant total

de 687 894, 45 euros en réparation des préjudices causés à leur propriété lors de la réalisation

de travaux au quartier Mansarde Rancé.

Par un jugement n° 1500309 du 10 janvier 2019, le tribunal a mis la commune du François h

ors de cause, a condamné l'Agence des 50 pas géométriques de la Martinique à leur verser la somme de 19...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... et Mme C... B... épouse E... ont demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner solidairement l'Agence des 50 pas géométriques

de la Martinique et la commune du François à leur verser une indemnité d'un montant total

de 687 894, 45 euros en réparation des préjudices causés à leur propriété lors de la réalisation

de travaux au quartier Mansarde Rancé.

Par un jugement n° 1500309 du 10 janvier 2019, le tribunal a mis la commune du François hors de cause, a condamné l'Agence des 50 pas géométriques de la Martinique à leur verser la somme de 19 509,40 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 5 juin 2018, a mis les frais d'expertise de 2 941,40 euros à la charge de l'Agence, et a rejeté le surplus

de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 avril 2019 et un mémoire enregistré le 12 février 2021, M. et Mme E..., représentés par le cabinet Seban et Associés Occitanie, demandent

à la cour :

1°) de réformer ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leur demande ;

2°) de condamner l'Agence des 50 pas géométriques de la Martinique à leur verser une indemnité de 281 947,13 euros ainsi que les sommes de 200 euros par mois depuis 2009 au titre de l'implantation irrégulière de poteaux électriques et de compteurs d'eau, de 46 388,75 euros par an depuis 2009 au titre des pertes de revenus de leur exploitation agricole, de 200 euros par mois depuis 2016 au titre de l'implantation irrégulière de poteaux téléphoniques et

de 5 000 euros par an à compter de 2010 au titre de leur préjudice moral ;

3°) d'assortir les condamnations prononcées à leur profit des intérêts au taux légal

à compter du 27 janvier 2017 ;

4°) de mettre à la charge de l'Agence des 50 pas géométriques de la Martinique

une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- leur requête est recevable car le jugement leur a été notifié le 12 février 2019 ;

- l'Agence, qui n'a pas été conciliante, a tenté d'imposer ses propres solutions de reprise partielle sans se préoccuper de leur avis ;

En ce qui concerne les préjudices non inclus dans la mission d'expertise :

- contrairement à ce qu'indique le jugement, il n'a jamais existé d'accord sur l'étendue des préjudices à indemniser ; c'est ainsi à tort que les premiers juges ont écarté l'indemnisation des dommages causés aux parcelles C 1155 et C 1442 ;

- les attestations de voisins établissent l'existence de clôtures sur les parcelles 1155 et 1442 antérieurement aux travaux ; ils sont fondés à demander la somme de 143 771,36 euros TTC correspondant à la moyenne des devis qu'ils produisent ;

- ils établissent que les dépôts d'amas de terre lors des travaux de terrassement ont modifié le relief du terrain, et les problèmes d'évacuation des boues sont attestés par un voisin et ont été signalés à l'Agence ; les frais d'évacuation des dégâts correspondants se sont élevés à 1 650 euros ; la détérioration du réseau assurant l'alimentation électrique de leur maison les a contraints à réaliser des travaux de reprise pour un montant total de 1 627,50 euros ; pour évacuer l'eau pluviale provenant de la création de la voie publique, ils ont dû faire réaliser des travaux de mise hors d'eau de leur maison pour un montant total de 6 781,25 euros ; ils ont droit au remboursement de ces sommes qu'ils n'auraient pas exposées sans l'intervention de l'Agence ;

- ils sollicitent en outre 9 540,62 euros de frais de bornage et 491,90 euros de frais d'huissier ;

- en juin 2016, la société France Télécom, autorisée par l'Agence, a implanté sans autorisation des poteaux téléphoniques sur leur terrain ; cette occupation illégale est établie par leur dépôt de plainte ; ils sollicitent à ce titre une indemnité de 200 euros par mois ;

- durant trois mois, un passage a été ouvert sans leur autorisation sur leur terrain pour désenclaver la voie principale lors des travaux de bétonnage ; ils sollicitent une indemnité de 4 000 euros au titre de cette occupation illégale ;

- le jugement avant dire droit selon lequel les dommages incluaient la destruction d'arbres fruitiers est revêtu de l'autorité de la chose jugée, de sorte qu'ils sont fondés à demander le remplacement des arbres arrachés selon le devis retenu par l'expert, soit 12 032,65 euros TTC ;

- indépendamment de l'existence d'une exploitation agricole antérieure, la démolition de l'accès bétonné, la présence de déchets et de détritus sur les parcelles et l'implantation de poteaux électriques entravent gravement l'accès à une parcelle d'environ 3,2 ha, qui ne peut plus faire l'objet d'une exploitation agricole dans des conditions normales ; M. E... justifie de sa qualité de chef d'exploitation depuis 2008 ; sur la base de la valorisation foncière de leur exploitation réalisée en août 2015 par la chambre d'agriculture, qui retient une marge brute totale de 46 388,75 euros pour l'exploitation maraîchère, fruitière et d'élevage, ils sont fondés

à demander une indemnité annuelle de 46 388,75 euros depuis 2009, soit 371 110 euros ;

- le constat d'huissier du 4 octobre 2012 établit que des poteaux électriques et des compteurs d'eau ont été implantés sur leur propriété, et le jugement avant-dire droit a tranché la responsabilité de l'agence en ce qui concerne cet empiètement ; c'est à l'Agence d'établir l'existence d'un consentement et le jugement a inversé la charge de la preuve ; ils sollicitent à ce titre une indemnité forfaitaire d'occupation de 200 euros par mois depuis 2009, augmentée

des intérêts à compter de l'année 2009 ;

- l'Agence s'est abstenue de répondre aux courriers et aux relances, elle a multiplié les convocations à des rendez-vous annulés au dernier moment, a cherché à imposer unilatéralement les travaux de reprise qu'elle estimait appropriés sans tenir compte de leurs remarques et a fait durer la procédure amiable jusqu'en 2011 et la procédure contentieuse jusqu'en 2019 pour des dommages survenus en 2011 et 2012 ; ils ont ainsi subi un préjudice moral dont ils sont fondés

à demander la réparation à hauteur de 5 000 euros par an à compter du 1er janvier 2010 ;

En ce qui concerne les préjudices inclus dans la mission d'expertise :

- dès lors que la clôture détruite comportait une " semelle filante en béton ", comme l'a montré le constat d'huissier du 3 avril 2013, l'évaluation du coût des travaux de reprise de la clôture doit être portée à 13 247,50 euros HT ; quand bien même la parcelle C 1334 aurait une vocation maraîchère, la clôture doit être adaptée à cette activité en empêchant la divagation d'animaux d'élevage appartenant aux voisins; ils sont ainsi fondés à demander 27 306,20 euros TTC pour les travaux de reprise de la clôture et du portail de la parcelle C 1334 ;

- en ce qui concerne l'accès à la parcelle par la voie secondaire, l'existence d'une barrière, dont la contestation repose sur une photographie aérienne non datée, est établie par deux attestations ; le coût de la barrière, nécessaire pour empêcher la divagation d'animaux, doit ainsi être admis ; ils sollicitent une somme de 7 737,75 euros TTC pour l'accès par la voie secondaire et l'évacuation des eaux de pluie ;

- le chiffrage par l'expert de l'évacuation des déchets de chantier est insuffisant compte tenu de l'importance de la pollution et de la surface à dégager, alors que le nettoyage nécessite désormais d'intervenir sur une certaine profondeur ; ils ont produit des devis pour un coût moyen de 61 740 euros HT soit 66 987,90 euros TTC ;

- les frais d'expertise doivent être laissés entièrement à la charge de l'Agence

qui est seule responsable des désordres ;

- ils ont demandé les intérêts dans leur mémoire en réplique enregistré

le 27 janvier 2017 et y ont droit à cette date, et non à celle du 5 juin 2018 retenue par le tribunal.

Par un mémoire enregistré le 17 juin 2019, le ministre de la transition écologique

et solidaire fait valoir que le défendeur n'est pas l'Etat, mais l'Agence des 50 pas géométriques de la Martinique, établissement public industriel et commercial chargé de réaliser

des programmes d'équipements en voiries et réseaux divers.

Par un mémoire en défense enregistré le 23 décembre 2020, l'Agence des 50 pas géométriques de la Martinique, représentée par Me Keïta Capitolin, conclut au rejet de la requête et demande à la cour, par la voie de l'appel incident, de réduire l'indemnité allouée

à M. et Mme E... et de mettre à leur charge la moitié des frais d'expertise ainsi qu'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- si elle a toujours reconnu sa responsabilité et recherché un règlement amiable du litige, les préjudices dont l'indemnisation est demandée ne sont pas établis de manière indiscutable ;

En ce qui concerne les préjudices non inclus dans la mission de l'expert :

- la demande relative aux arbres fruitiers doit être rejetée en l'absence de preuve

de ce que des arbres présents sur la parcelle C 1334 auraient été détruits ;

- elle a toujours contesté avoir implanté des compteurs d'eau sur la parcelle en litige,

et au demeurant ces ouvrages appartiennent au fermier en charge du service public

de distribution de l'eau ;

- l'installation en 2016 de poteaux téléphoniques et l'ouverture d'un passage sur le terrain des époux E... ne lui sont pas imputables et ne portent d'ailleurs pas sur la parcelle C 1334, seule concernée par l'indemnisation ;

- les requérants ne démontrent aucune perte d'exploitation agricole de la parcelle C 1334 ;

- les travaux de reprise des parcelles C 1155 et C 1442 ne sont pas éligibles

à l'indemnisation, et les frais du constat d'huissier du 3 avril 2013 ne peuvent être admis dès lors qu'ils ne concernent pas la parcelle C 1334, objet du litige ; de même, les frais de bornage ne concernent que partiellement la parcelle C 1334 ;

En ce qui concerne les préjudices inclus dans la mission d'expertise :

- les photographies aériennes qu'elle a produites à l'appui de ses dires démontrent qu'avant travaux, il n'y avait ni clôture, ni muret, mais seulement des arbres ; la " semelle filante en béton " se trouvait sur les parcelle C 1441 et C 1442, comme le montre le constat d'huissier du 3 avril 2013 dont elle n'a pas à supporter les frais ; la parcelle C 1334 ne semble pas concernée par une activité d'élevage, de sorte que la demande relative à la reconstruction d'un muret doit être écartée ;

- le devis de travaux de reprise de 10 497,50 euros HT qu'elle a produit est adapté pour la clôture et le portail de ce qui n'est pas une parcelle à usage d'habitation, mais une propriété agricole occupée par une pelouse rase et un champ labouré ;

- bien que l'évaluation à 4 300 euros par l'expert du reprofilage de l'accès à la parcelle par la voie secondaire excède de 300 euros le coût des travaux nécessaires, elle ne s'y oppose pas, mais il n'y a pas lieu d'y ajouter le coût de la pose d'une barrière inexistante avant les travaux ;

- la visite des lieux le 4 décembre 2017 a permis de constater que le ruissellement des eaux pluviales a pour origine l'accès bétonné jusqu'à la maison de M. et Mme E..., et non les travaux réalisés, de sorte qu'elle ne saurait supporter le coût de la canalisation des eaux issues de la propriété des requérants ;

- la somme de 66 987,90 euros sollicitée au titre de l'évacuation des déchets est manifestement disproportionnée ; une seule journée devrait suffire pour l'évacuation des déchets sur la parcelle C 1334 ; si l'expert a retenu 2 825 euros, il convient de déduire 1 500 euros de nettoyage déjà inclus dans les 4 300 euros de l'accès par la voie secondaire ; à titre subsidiaire, la somme à retenir n'est pas 2 825 euros mais 2 740 euros ;

- compte tenu du comportement de M. et Mme E... qui ont concouru au dommage en faisant obstruction aux travaux complémentaires, elle demande un partage des frais d'expertise pour moitié entre les parties ;

- le préjudice moral invoqué est manifestement surévalué.

Par ordonnance du 15 février 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 16 avril 2021

à 12 h 00.

Un mémoire présenté pour l'Agence des 50 pas géométriques de la Martinique a été enregistré le 16 avril 2021 à 17 h 49.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Denilauler, représentant M. et Mme E..., de M. F..., directeur de l'Agence des 50 pas géométriques de la Martinique et de Me Keïta-Capitolin représentant cette dernière.

Une note en délibéré présentée pour M. et Mme E... a été enregistrée

le 14 septembre 2021.

Une note en délibéré présentée pour l'Agence des 50 pas géométriques de la Martinique a été enregistrée le 15 septembre 2021.

Considérant ce qui suit :

1. L'Agence des 50 pas géométriques de la Martinique, maître d'ouvrage, a réalisé entre le 20 octobre 2009 et le 20 décembre 2011 des travaux publics de voirie et réseaux divers pour l'aménagement du quartier d'habitat spontané Mansarde Rancé, délimité sur le territoire

de la commune du François par arrêté préfectoral du 21 février 2003. Les travaux de terrassement ayant empiété sur des propriétés riveraines, dont celle de M. et Mme E..., l'Agence, qui avait mandaté un géomètre pour délimiter l'emprise foncière en cause, a organisé le 21 juin 2011 une première réunion avec les propriétaires concernés. Après de nombreux échanges entre les parties, une réunion du 16 mai 2012 a permis d'aboutir à un accord pour

la réalisation de divers travaux, dont le commencement était prévu pour juillet 2012. Toutefois, M. E... s'est opposé à leur réalisation au motif qu'il estimait qu'ils ne correspondaient

pas à ses demandes. Par un jugement avant dire droit du 21 février 2017, le tribunal administratif de la Martinique, saisi par M. et Mme E... d'une demande de condamnation solidaire

de l'Agence des 50 pas géométriques et de la commune du François à leur verser diverses sommes en réparation des dommages qu'ils estimaient avoir subis, a mis la commune hors de cause et ordonné une expertise afin d'évaluer le coût des travaux sur la parcelle cadastrée C 1334, tels que définis à l'issue de la réunion du 16 mai 2012, relatifs à la pose de clôtures et portails, au traitement de l'écoulement d'eau du terrain, à l'accès à la parcelle par la voie secondaire et à l'évacuation des déchets des suites du chantier. L'expert a rendu son rapport

le 12 mars 2018. Par un jugement du 10 janvier 2019, le tribunal a condamné l'Agence

des 50 pas géométriques de la Martinique à verser à M. et Mme E... une indemnité

de 19 509,40 euros avec intérêts à compter du 5 juin 2018 au titre des préjudices inclus dans la mission de l'expert, rejeté le surplus de la demande, et mis les frais d'expertise à la charge

de l'Agence. M. et Mme E... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit

à la totalité de leur demande. Par son appel incident, l'Agence des 50 pas géométriques

de la Martinique demande à la cour de réduire l'indemnité allouée et de mettre la moitié

des frais d'expertise à la charge des requérants.

2. Même en l'absence de faute, le maître d'ouvrage ainsi que, le cas échéant, le maître d'œuvre et l'entrepreneur chargés des travaux sont responsables vis-à-vis des tiers des dommages causés à ceux-ci par l'exécution de travaux publics, à moins que ces dommages ne soient imputables à un cas de force majeure ou à une faute de la victime. Il appartient au tiers à une opération de travaux publics qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à cette occasion d'établir le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel.

Sur les dommages retenus par l'expert :

En ce qui concerne la reconstruction de la clôture et du portail le long de

la parcelle C 1334 :

3. Le tribunal a alloué à M. et Mme E... la somme de 11 892,50 euros HT pour une reconstruction à l'identique de la clôture et du portail longeant la parcelle C 1334, détruits lors des travaux, en se fondant sur les prix du mètre de clôture et du portail fourni et posé retenus par l'expert sur la base d'un devis présenté par M. E.... Si les requérants demandent le rehaussement de cette somme pour l'ajout d'une " semelle filante en béton " non retenue par l'expert, le constat d'huissier du 3 avril 2013 qu'ils produisent, relatif aux clôtures bordant les parcelles C 1441 et 1442, n'est pas de nature à démontrer que la clôture bordant la parcelle C 1334 aurait comporté un tel ancrage, dont l'utilité ne peut être utilement invoquée dès lors que la réparation d'un dommage de travaux publics a seulement pour objet le rétablissement du bien endommagé, et non son amélioration. Si l'Agence des 50 pas géométriques de la Martinique conteste la qualité du portail coulissant valorisé par le tribunal, suivant l'expert, à 2 820 euros, en estimant qu'une barrière suffirait pour un montant qu'elle a chiffré à 1 425 euros, il ressort des plans des lieux que le portail donne accès non seulement à la parcelle C 1334 potentiellement dédiée à des cultures maraîchères, mais aussi à la parcelle C 1155 voisine sur laquelle se situe la maison des requérants. Par suite l'appel incident sur ce point ne peut qu'être rejeté.

En ce qui concerne l'accès à la parcelle C 1334 par la voie secondaire :

4. Il résulte de l'instruction que lors de la visite contradictoire organisée le

4 décembre 2017, l'expert a estimé que l'accès secondaire à la parcelle C 1334 demandé

par M. E... ne semblait pas réalisable compte tenu d'un manque de visibilité avec une sortie en pente et une implantation à 90 degrés. M. E... a précisé que cet accès n'était pas destiné aux engins agricoles mais seulement aux personnes. L'expert a alors évalué les travaux nécessaires à 4 000 euros incluant le nettoyage du terrain, un décaissement ainsi que la pose d'un géotextile, d'une fondation et d'une cunette pour récupérer les eaux pluviales et les renvoyer vers le regard existant. Le tribunal a alloué à ce titre une somme de 4 300 euros à laquelle l'Agence ne s'oppose pas. M. et Mme E... sollicitent le rehaussement de cette somme afin de tenir compte du coût d'une barrière destinée à empêcher la divagation d'animaux sur leur propriété. Toutefois, les attestations produites, rédigées en termes imprécis et non accompagnées d'un plan permettant d'identifier l'endroit où se serait trouvée la barrière en cause, laquelle n'apparaît pas sur l'unique photographie avant travaux disponible, intégrée au rapport d'expertise, ne suffisent pas à en établir l'existence. Par suite, cette demande ne peut être accueillie.

En ce qui concerne l'évacuation des déchets de chantier :

5. L'expert, qui a constaté lors de la visite du 4 décembre 2017 que les déchets déversés lors des travaux sur le terrain de M. et Mme E... étaient désormais enfouis sous la végétation, a admis qu'il s'agissait de quelques blocs de béton apparaissant sur les photographies annexées à un constat d'huissier du 4 octobre 2012. Le constat en cause mentionne également le dépôt de " tas de terre " et de gravillons. L'expert n'a pas admis les déchets automobiles constatés par un huissier le 3 novembre 2016 au motif qu'ils étaient sans lien avec le chantier pour avoir été déposés postérieurement au départ de l'entreprise. Le tribunal a fixé le coût de l'évacuation des déchets de chantier à la somme de 2 825 euros retenue par l'expert. Contrairement à ce que soutient l'Agence des 50 pas géométriques de la Martinique, ces travaux ne font pas double emploi avec le nettoyage du terrain de l'entrée secondaire mentionné au point précédent. Dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'expert aurait commis une erreur de calcul pour aboutir au montant de 2 825 euros sur la base de deux jours d'intervention avec trois camions, celui de 2 740 euros revendiqué par l'Agence ne peut être retenu. M. et Mme E..., qui sollicitent une somme de 61 740 euros correspondant au montant moyen des trois devis qu'ils produisent, relatifs à un décapage et un curage de 3 500 m² de terrain sur une profondeur de 30 cm et une remise en terre, ne peuvent utilement se prévaloir de l'attestation d'un témoin faisant état en 2015 de déversements sur leur terrain de plusieurs dizaines de chargements de terre lors de la construction de la station d'épuration sous maîtrise d'ouvrage de l'Agence, ces travaux n'étant pas l'objet du présent litige. Par ailleurs, le constat d'huissier du 4 octobre 2012 qu'ils invoquent, auquel aucun plan n'est annexé, ne fait apparaître que quelques dépôts de terre et de gravats isolés ne nécessitant pas des travaux d'évacuation excédant ceux retenus

par l'expert. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont fixé à la somme

de 2 825 euros le montant de l'indemnité à la charge de l'Agence.

Sur les autres dommages :

6. La circonstance que le jugement avant dire droit du 21 février 2017 a circonscrit

le champ de l'expertise à la parcelle C 1334 n'est pas de nature, contrairement à ce que soutient l'Agence des 50 pas géométriques de la Martinique, à faire obstacle à l'examen des autres conclusions de M. et Mme E.... En vertu de l'article R. 811-6 du code de justice administrative, les requérants sont recevables à contester, dans le délai d'appel contre

le jugement mettant fin à l'instance, le rejet de certaines conclusions, motivé par le jugement avant dire droit, mais qui n'a pas fait l'objet d'un article du dispositif, lequel s'est borné

à réserver les droits des parties jusqu'en fin d'instance. Dès lors, c'est à bon droit que

le jugement du 10 janvier 2019 a statué sur l'ensemble des conclusions indemnitaires

de M. et Mme E..., sans s'estimer lié par le compte-rendu d'une réunion amiable

du 16 mai 2012 actant certains travaux acceptés par l'Agence, lequel ne pouvait valoir transaction ni renonciation aux autres prétentions.

En ce qui concerne les autres dommages aux biens :

S'agissant du ruissellement des eaux pluviales :

7. M. et Mme E... sollicitent le remboursement des sommes de 1 650 euros

et 6 781,25 euros correspondant à des factures du 22 avril 2013 pour l'enlèvement de terre dont ils soutiennent qu'il s'agirait de boue, et du 16 novembre 2013 pour la fouille d'un canal d'évacuation des eaux pluviales et l'édification d'un muret le long de la voie d'entrée de leur maison. L'expert, qui a seulement admis la cunette d'évacuation des eaux pluviales mentionnée au point 4, n'a pas retenu d'autre coût à la charge de l'Agence au titre de cette évacuation.

En se bornant à produire l'attestation d'un voisin relative à l'écoulement d'une grande quantité d'eaux pluviales ainsi que leur lettre du 2 mai 2013 au directeur de l'Agence invoquant une modification de relief de l'entrée de leur maison qui serait à l'origine de déversements d'eaux boueuses par temps de pluie, sans aucun plan, les requérants ne démontrent pas l'existence

d'un lien de causalité entre les travaux publics en litige et les dépenses en cause.

8. Si M. et Mme E... demandent également le remboursement de la somme

de 1 627,50 euros correspondant à une facture du 1er octobre 2013 relative à la pose

et au raccordement d'un câble électrique, l'existence d'un lien entre les travaux réalisés par l'Agence des 50 pas géométriques de la Martinique et une prétendue détérioration du réseau assurant l'alimentation électrique de leur maison n'est pas davantage établie.

S'agissant des clôtures :

9. Ainsi qu'il a été dit au point 3, la reconstruction d'une clôture et d'un portail le long de la parcelle C 1334 a été retenue par l'expert à l'issue d'une visite contradictoire sur les lieux. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, les attestations de voisins qu'ils produisent, rédigées en termes imprécis et non accompagnées de plans, ne sont pas de nature à établir la destruction, lors des travaux en litige, d'autres clôtures dont ils sollicitent le remplacement pour un coût de 143 771,36 euros.

S'agissant des arbres fruitiers :

10. Il résulte de témoignages de voisins que l'élargissement de la voie de desserte a entraîné l'arrachage d'arbres sur les parcelles appartenant aux époux E.... Ceux-ci ont fait établir des devis pour le remplacement de 24 arbres fruitiers, dont il ressort qu'il peut y être procédé pour un coût, incluant les frais de plantation, de 11 090 euros HT. Les requérants, qui n'ont au demeurant pas critiqué le jugement en tant qu'il leur a alloué sur d'autres points des sommes hors taxes, n'apportent aucun élément de nature à justifier que ces frais relatifs à leur exploitation agricole soient indemnisés TVA incluse. Par suite, il y a lieu de mettre à la charge de l'Agence la somme de 11 090 euros.

En ce qui concerne les pertes de revenus agricoles :

11. D'une part, aucune précision n'est apportée sur les revenus de l'exploitation agricole de M. E..., inscrit à la Mutualité sociale agricole depuis 2008, avant les travaux en litige. D'autre part, il n'est pas démontré que les dommages causés par ces travaux auraient rendu les terres inexploitables ou auraient fait obstacle à la réalisation d'un projet, au demeurant hypothétique, de maraîchage, d'arboriculture fruitière et d'élevage de coqs de chair ayant fait l'objet, en août 2015, d'une étude de valorisation foncière par la chambre d'agriculture de la Martinique. Par suite, aucune perte d'exploitation imputable aux travaux ne peut être retenue.

En ce qui concerne les emprises irrégulières sur la propriété privée :

12. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, ni le constat d'huissier

du 4 octobre 2012 montrant deux coffrets de compteur d'eau et des poteaux électriques sans indiquer leur implantation par rapport à la limite de propriété, ni le dépôt de plainte

de M. E... le 1er juillet 2016 pour une intrusion, sur la parcelle C 1334, d'agents de France Télécom dont l'un aurait déclaré qu'il était autorisé à installer des poteaux téléphoniques par l'Agence des 50 pas géométriques de la Martinique, ne sont de nature à établir la réalité d'une occupation irrégulière de leur propriété. Il en va de même de l'invocation, qui n'est assortie d'aucune autre précision ni d'aucune pièce, de l'ouverture d'un passage sur leur propriété durant trois mois. Par suite, les demandes relatives à des indemnités d'occupation ne peuvent

qu'être rejetées.

En ce qui concerne les frais divers :

13. Ainsi qu'il a été dit au point 1, l'Agence des 50 pas géométriques de la Martinique

a mandaté un géomètre, préalablement à l'engagement de la procédure amiable, pour délimiter l'emprise foncière concernée par l'empiètement des travaux publics sur les propriétés privées.

La nécessité d'un nouveau bornage n'étant pas démontrée, la demande relative à des frais

de bornage pour un montant total, nettoyage préalable compris, de 9 540,62 euros, ne peut qu'être rejetée.

14. Les premiers juges ont admis les frais relatifs aux constats d'huissier

des 4 octobre 2012 et 3 avril 2013. Toutefois, l'Agence des 50 pas géométriques

de la Martinique est fondée à invoquer l'absence de lien avec le litige du second constat

d'un coût de 171,90 euros, relatif à l'effondrement, après la fin des travaux, d'une clôture grillagée le long des parcelles C 1441 et C 1442. Par suite, les frais d'huissier doivent être ramenés de 491,90 euros à 320 euros.

En ce qui concerne le préjudice moral :

15. Si l'Agence des 50 pas géométriques de la Martinique et les époux E... n'ont pu faire aboutir la démarche amiable qu'ils avaient engagée, la longueur de la procédure et les difficultés à faire aboutir leurs demandes quant à l'indemnisation de préjudices que l'Agence avait pour partie reconnus dès l'origine ont causé à M. et Mme E... un préjudice moral dont il sera fait une suffisante appréciation en leur allouant une somme de 500 euros.

16. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme E... sont seulement fondés

à demander que la somme de 19 509,40 euros que l'Agence des 50 pas géométriques

de la Martinique a été condamnée à leur verser soit portée à 30 927,50 euros.

Sur les intérêts :

17. M. et Mme E... ont demandé les intérêts à compter du 27 janvier 2017. Il y a lieu de faire droit à leur demande sur ce point.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

18. Les dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative posent

le principe que les dépens, tels que les frais d'expertise, sont mis à la charge de toute partie perdante. Elles permettent au juge d'y déroger " si les circonstances de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties ". En l'espèce, les circonstances de l'affaire ne justifient pas le partage, demandé par l'Agence des 50 pas géométriques de la Martinique, des frais de l'expertise qui a évalué les travaux qu'elle devait prendre en charge.

19. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Agence des 50 pas géométriques de la Martinique une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. L'Agence, qui est la partie perdante, n'est pas fondée à demander l'allocation d'une somme au titre des frais qu'elle a exposés à l'occasion du présent litige.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme que l'Agence des 50 pas géométriques de la Martinique a été condamnée à verser à M. et Mme E... est portée de 19 509,40 euros à 30 927,50 euros avec intérêts au taux légal à compter du 27 janvier 2017.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de la Martinique n° 1500309 du 19 janvier 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Agence des 50 pas géométriques de la Martinique versera à M. et Mme E... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E... et Mme C... B... épouse E..., et à l'Agence des 50 pas géométriques de la Martinique. Une copie en sera adressée à la commune du François et au ministre de la transition écologique et solidaire.

Délibéré après l'audience du 14 septembre 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 octobre 2021.

La rapporteure,

Anne A...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au préfet de la Martinique et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

4

N° 19BX01439


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX01439
Date de la décision : 14/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-04 Travaux publics. - Différentes catégories de dommages. - Dommages créés par l'exécution des travaux publics.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : KEITA-CAPITOLIN YASMINA

Origine de la décision
Date de l'import : 26/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-10-14;19bx01439 ?
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