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14/10/2021 | FRANCE | N°18BX00668

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 14 octobre 2021, 18BX00668


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... et Mme E... D... épouse B... ont demandé

au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Office national d'indemnisation

des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM)

à verser les sommes de 529 475,31 euros à M. B... et de 30 000 euros à Mme B...

en réparation des préjudices en lien avec l'amputation subie par M. B... le 30 juillet 2013.

Par un jugement n° 1604227 du 19 décembre 2017, le tribunal administr

atif

de Bordeaux a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... et Mme E... D... épouse B... ont demandé

au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Office national d'indemnisation

des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM)

à verser les sommes de 529 475,31 euros à M. B... et de 30 000 euros à Mme B...

en réparation des préjudices en lien avec l'amputation subie par M. B... le 30 juillet 2013.

Par un jugement n° 1604227 du 19 décembre 2017, le tribunal administratif

de Bordeaux a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 16 février 2018 et un mémoire enregistré

le 17 octobre 2018, M. et Mme B..., représentés par la SELARL J.C.V.B.R.L., demandent

à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'ONIAM à verser les sommes de 353 609,42 euros à M. B...

et de 30 000 euros à Mme B... ;

3°) de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 2 000 euros au titre

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par des mémoires en défense enregistrés les 24 août 2018 et 19 mars 2019, l'ONIAM, représenté par la SELARL Biraut, Ravaut et Associés, conclut à titre principal au rejet

de la requête, et à titre subsidiaire à ce que les demandes de M. B... soient réduites à de plus justes proportions et à ce que celles de Mme B... soient rejetées comme irrecevables.

Par un mémoire enregistré le 15 octobre 2018, la caisse primaire d'assurance maladie

de la Gironde indique qu'elle n'entend pas intervenir dans l'instance.

Par un arrêt du 12 mai 2020, la cour a rejeté les conclusions de Mme B... et ordonné avant dire droit une expertise médicale afin d'évaluer les risques de complications ischémiques auxquelles M. B... était exposé.

L'expert a déposé son rapport le 24 févier 2021.

Par un mémoire enregistré le 16 mars 2021, M. et Mme B... maintiennent

leurs précédentes conclusions et reprennent les mêmes moyens.

Ils soutiennent en outre que dès lors que les séquelles sont en relation directe

avec un aléa thérapeutique, la condition d'anormalité est remplie, alors même que M. B...

était exposé à un risque de thrombose en raison d'une coagulopathie de consommation.

Par un mémoire enregistré le 26 mars 2021, la ministre des armées demande la mise hors de cause de l'Etat.

Elle fait valoir que la responsabilité de l'hôpital d'instruction des armées Robert Picqué n'est ni engagée, ni même recherchée.

Par un mémoire enregistré le 18 mai 2021, l'ONIAM conclut aux mêmes fins

que précédemment, par les mêmes moyens.

Il fait valoir en outre que , comme l'a relevé son médecin conseil dans son dire,

la participation de l'état antérieur du patient à la réalisation du dommage a été plus importante que les 50 % retenus par l'expert dès lors que l'hypotension majeure et la nécessité d'emploi

de noradrénaline à fortes doses constituaient des facteurs supplémentaires de risque d'ischémie ; au demeurant, quand bien même la cour suivrait les conclusions de l'expert, l'attribution

de l'amputation à l'état antérieur à hauteur de 50 % ne permet pas de faire regarder le dommage comme anormal.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

- l'ordonnance de taxation des frais et honoraires d'expertise de la présidente de la cour du 11 mars 2021 ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Kolia Gallier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Ravaut, représentant l'ONIAM.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... a été pris en charge du 10 au 22 mai 2013 dans le service de réanimation de l'hôpital d'instruction des armées Robert Picqué pour un état de choc septique dû à une péritonite secondaire à un ulcère duodénal perforé bouché, avec une hypotension artérielle majeure engageant son pronostic vital. La gravité de son état a nécessité la surveillance de ses constantes hémodynamiques par un appareil de monitorage de type PiCCO(r), permettant une analyse fine du débit cardiaque par thermo-dilution. Des lésions de nécrose cutanée sont apparues le 13 mai au niveau du membre inférieur droit, et un angioscanner réalisé le 14 mai

a mis en évidence une thrombose de l'artère fémorale superficielle sur 13 cm au dessous

du cathéter du monitorage. L'état respiratoire du patient ne permettant pas d'envisager

une chirurgie de revascularisation, un traitement anticoagulant par héparine a été mis en place. Le 21 mai, un volumineux hématome avec faux anévrisme est apparu à la racine de la cuisse droite, au niveau du retrait du cathéter du monitorage PiCCO(r). M. B..., dont l'état respiratoire et infectieux s'était amélioré, a été transféré le 22 mai dans le service de chirurgie vasculaire du centre hospitalier universitaire de Bordeaux, où les traitements ont seulement permis de stabiliser, et non de faire régresser, les lésions de nécrose. Une amputation de la jambe droite sous le genou a été réalisée le 30 juillet 2013. Les experts désignés par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) d'Aquitaine, saisie par M. B..., ont conclu que la nécrose avait pour origine une thrombose en lien avec

la mise en place dans l'artère fémorale du cathéter du monitorage PiCCO(r) nécessaire

à la surveillance du patient en réanimation, ce qui relève d'un accident médical non fautif. L'ONIAM n'ayant pas donné suite à l'avis de la CCI du 14 octobre 2015 selon lequel

la réparation des préjudices en lien avec cet accident médical lui incombait, M. et Mme B... ont saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande de condamnation de l'Office à leur verser les sommes respectives de 529 475,31 euros et de 30 000 euros en réparation de leurs préjudices. Par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté leur demande au motif que l'accident médical, dont la survenue ne présentait pas en l'espèce une probabilité faible au regard de l'état de santé de M. B... et de son évolution prévisible, n'ouvrait pas droit à la réparation au titre de la solidarité nationale prévue par les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code

de la santé publique. Par un arrêt avant dire droit du 12 mai 2020, la cour a rejeté pour irrecevabilité la demande indemnitaire de Mme B... et ordonné une expertise médicale sur l'évaluation du risque de complications ischémiques auquel M. B... était exposé.

Sur la demande de mise hors de cause de l'Etat :

2. Dès lors que les complications ischémiques n'ont pas pour origine une faute

de l'hôpital d'instruction des armées Robert Picqué, l'Etat, contre lequel aucune demande

n'est dirigée, est fondé à demander sa mise hors de cause.

Sur l'indemnisation des préjudices de Mme B... :

3. Ainsi qu'il a été dit au point 1, les conclusions à fin d'indemnisation des préjudices propres de Mme B... ont été rejetées pour irrecevabilité par l'arrêt avant dire droit

du 12 mai 2020.

Sur l'indemnisation des préjudices de M. B... :

4. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. " Aux termes de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. / (...). " Il résulte de ces dispositions que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles

le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible.

5. Ainsi qu'il a été dit dans l'arrêt avant dire droit, l'accident médical a eu pour conséquence une amputation génératrice d'un déficit fonctionnel permanent de 30 %, laquelle n'est pas notablement plus grave que le risque de décès auquel M. B... était exposé

de manière suffisamment probable en l'absence de la surveillance par un monitorage PiCCO(r), nécessaire au regard de l'état d'urgence vitale dans lequel il se trouvait.

6. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise, qu'en raison du choc septique, M. B... a présenté le 12 mai 2013 une chute des plaquettes à 32 000 par mm3 pour une normale à 150 000, caractérisant une coagulopathie de consommation. Ce syndrome, qui associe des hémorragies locales et disséminées de sang incoagulable et des thromboses disséminées entraînant une ischémie des extrémités, exposait le patient à un risque majeur de thrombose.

Une autre thrombose sans conséquence est d'ailleurs survenue au niveau de la voie veineuse centrale. Dans ces circonstances, la survenance du dommage pour M. B... ne peut être regardée comme présentant une probabilité faible.

7. Il résulte de ce qui précède que les préjudices de M. B... n'ouvrent pas droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale. Par suite, M. et Mme B... ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

8. Les dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative posent

le principe que les dépens, tels que les frais d'expertise, sont mis à la charge de toute partie perdante. Elles permettent au juge d'y déroger " si les circonstances de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties ". En l'espèce,

les circonstances de l'affaire justifient que les frais et honoraires de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 800 euros par une ordonnance de la présidente de la cour du 11 mars 2021, soient mis à la charge de M. et Mme B... à hauteur de 900 euros et de l'ONIAM à hauteur

de 900 euros.

9. M. et Mme B..., qui sont la partie perdante, ne sont pas fondés à demander l'allocation d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'Etat (ministère des armées) est mis hors de cause.

Article 2 : La requête de M. et Mme B... est rejetée.

Article 3 : Les frais et honoraires de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 800 euros,

sont mis à la charge de M. et Mme B... à hauteur de 900 euros et de l'ONIAM à hauteur

de 900 euros.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et Mme E... B...,

à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes

et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde, à la compagnie d'assurance Pacifica et à la ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 14 septembre 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 octobre 2021.

La rapporteure,

Anne A...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX00668


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX00668
Date de la décision : 14/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-005-02 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité sans faute. - Actes médicaux.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : JCVBRL SELARL

Origine de la décision
Date de l'import : 26/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-10-14;18bx00668 ?
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