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07/10/2021 | FRANCE | N°19BX02963

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 7ème chambre (formation à 3), 07 octobre 2021, 19BX02963


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée Conseil Aménagement Rénovation Aluminium (CARA) a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision du 27 juin 2018, par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la contribution spéciale pour l'emploi irrégulier d'un travailleur, pour un montant de 17 600 euros, et la contribution forfaitaire représentative de frais de réacheminement de l'étranger vers son pays d'orig

ine, pour un montant de 2 384 euros.

Par un jugement n° 1800452 du 18 juin 2019,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée Conseil Aménagement Rénovation Aluminium (CARA) a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision du 27 juin 2018, par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la contribution spéciale pour l'emploi irrégulier d'un travailleur, pour un montant de 17 600 euros, et la contribution forfaitaire représentative de frais de réacheminement de l'étranger vers son pays d'origine, pour un montant de 2 384 euros.

Par un jugement n° 1800452 du 18 juin 2019, le tribunal administratif de la Martinique a annulé la décision du directeur de l'OFII du 27 juin 2018.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 juillet 2019, l'OFII, représenté par Me de Froment, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique du 18 juin 2019 ;

2°) de rejeter la demande présentée par la SARL CARA ;

3°) de mettre à la charge de la SARL CARA la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

-le vice de procédure tiré de l'irrégularité des procès-verbaux est inopérant ; il en va de même du moyen tiré de ce que les opérations de contrôle n'auraient pas été régulièrement menées ; en effet, il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer sur la légalité des opérations de police judiciaire ;

- par ailleurs, la décision attaquée est suffisamment motivée ;

- aucune disposition n'imposait à l'OFII de répondre explicitement aux observations présentées par la société.

- la matérialité des faits est établie par les procès-verbaux de police, établissant qu'un ressortissant albanais disposait du véhicule de la société, pour laquelle il a travaillé 15 jours en novembre 2015 ; en outre, ce ressortissant a déclaré que ce véhicule ainsi que tous les outils à l'intérieur appartenaient à la société CARA ;

-à la date à laquelle l'OFII a liquidé la sanction en litige, la créance n'était pas prescrite.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 janvier 2020, la société CARA, représentée par Me Constant, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'État sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par l'OFII ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,

- et les conclusions de Mme Florence Madelaigue, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 6 juin 2017, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à la charge de la société Conseil Aménagement Rénovation Aluminium (CARA), qui exerce une activité de maçonnerie, la contribution spéciale pour l'emploi irrégulier d'un travailleur prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, pour un montant de 17 600 euros, et la contribution forfaitaire représentative de frais de réacheminement de l'étranger vers son pays d'origine, pour un montant de 2 384 euros, au motif qu'elle aurait employé, pendant une période de 15 jours en novembre 2015, un ressortissant albanais dépourvu de titre de séjour. Par un jugement du 6 mars 2018, devenu définitif, le tribunal administratif de la Martinique a annulé cette décision, au motif que le procès-verbal de constatation d'infraction du 17 mars 2016 n'avait pas été communiqué à la requérante, malgré sa demande, avant l'édiction de la décision. Le 27 juin 2018, le directeur de l'OFII a repris, à l'encontre de la société, une décision identique que, par un jugement du 18 juin 2019, le même tribunal administratif a, à nouveau, annulé, motif pris de ce que la matérialité des faits n'était pas établie. L'OFII fait appel de ce second jugement.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. / Il est également interdit à toute personne d'engager ou de conserver à son service un étranger dans une catégorie professionnelle, une profession ou une zone géographique autres que celles qui sont mentionnées, le cas échéant, sur le titre prévu au premier alinéa. ". Aux termes de l'article L. 8253-1 dudit code : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger sans titre de travail, une contribution spéciale. (...) ". Aux termes des dispositions de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine.(...) ".

3. Pour annuler la décision attaquée, le tribunal administratif a considéré qu'il résultait du procès-verbal établi le 22 mars 2016, lors de l'audition par les services de police de M. A..., gérant de la société CARA, que celui-ci n'avait pas été informé de ses droits, garantis par les dispositions de l'article 6-1 du code de procédure pénale et que cette circonstance, si elle était sans influence sur la régularité de la procédure administrative qui a conduit à l'adoption des sanctions contestées, faisait en revanche obstacle à ce que l'administration invoquât les déclarations de M. A... lors de cette audition pour établir la matérialité des faits qui lui sont reprochés, à savoir l'emploi d'un travailleur étranger démuni d'autorisation de travail. Il a considéré, d'autre part, que les seules pièces produites par l'administration ne permettaient pas d'apporter la preuve de l'exécution d'un contrat de travail par M. B..., ressortissant albanais, au profit de la société CARA, pour en déduire que la matérialité des faits reprochés à cette société n'était pas établie.

4. Cependant, si la société CARA avait fait valoir devant le tribunal que son gérant n'avait pas bénéficié des garanties prévues par l'article 6-1 du code de procédure pénale, d'une part, le juge administratif n'est pas compétent pour se prononcer sur la régularité des opérations de police judiciaire, si bien que le vice de procédure tiré de l'irrégularité des procès-verbaux à l'origine des sanctions prononcées par l'OFII est inopérant, et, d'autre part, les mentions portée sur les procès-verbaux d'infraction dressés par l'OFII font foi jusqu'à preuve du contraire.

5. Or, en l'espèce, il résulte du procès-verbal d'audition du gérant de la société, dont fait mention le procès-verbal d'infraction du 17 mars 2016, que celui-ci a reconnu que M. B... avait été employé par la société CARA au moins quinze jours au mois de novembre 2015, sans que sa situation administrative ait été vérifiée et qu'ainsi, ce ressortissant albanais avait été embauché alors qu'il était en situation irrégulière au regard du droit du travail. Ces déclarations, annexées au procès-verbal d'infraction, suffisent à établir la réalité des infractions mentionnées dans ledit procès-verbal, à savoir l'exécution d'un travail dissimulé, l'emploi d'un étranger non muni d'une autorisation de travail salarié et l'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France, alors en outre qu'il résulte des mentions des différents procès-verbaux que les services de police, qui avaient pris M. B... en filature pendant trois jours en mars 2016 à raison d'un signalement de travail illégal, ont constaté qu'il conduisait, pendant ces trois jours, une camionnette appartenant à la société CARA et contenant de l'outillage de maçonnerie appartenant à ladite société. Dans ces conditions, la matérialité des faits, qui résulte de l'ensemble des éléments figurant dans les procès-verbaux produits par l'OFII, doit être regardée comme établie.

6. Il suit de là que l'OFII est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler la décision de son directeur du 27 juin 2018, le tribunal administratif de la Martinique s'est fondé sur le motif tiré de ce que la procédure judiciaire ayant été irrégulière, la matérialité des faits n'était pas établie.

7. Il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société CARA à l'encontre de la décision du 27 juin 2018 tant en première instance qu'en appel.

Sur la demande présentée par la société CARA :

8. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) doivent être motivées les décisions qui (...) infligent une sanction ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Il résulte de ces dispositions qu'une décision qui met à la charge d'un employeur la contribution spéciale et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui fondent cette sanction.

9. La décision contestée du 27 juin 2018 mentionne les dispositions applicables du code du travail et du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le relevé des infractions par référence au procès-verbal établi le 17 mars 2016 transmis à l'OFII en rappelant l'information qui lui a été précédemment faite par lettre recommandée du 3 avril 2018 à laquelle était joint ce procès-verbal, ainsi que le montant des sommes dues par la société en détaillant les modalités de calcul appliquées pour la contribution spéciale comme pour la contribution forfaitaire représentative de frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine. Elle précise également en annexe le nom du salarié concerné. Par suite, la décision attaquée comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et permettent de la contester utilement et est donc suffisamment motivée au regard des dispositions précitées du code des relations entre le public et l'administration.

10. En deuxième lieu, les dispositions des articles R. 8253-3 du code du travail et R. 626-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoient que le directeur général de l'OFII indique à l'employeur qu'il est susceptible de l'assujettir à la contribution forfaitaire et à la contribution spéciale et qu'il peut présenter des observations dans un délai de quinze jours. De plus, s'agissant des mesures à caractère de sanction, le respect du principe général des droits de la défense, applicable même sans texte, suppose que la personne concernée soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et puisse avoir accès aux pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus, à tout le moins lorsqu'elle en fait la demande.

11. Il résulte de l'instruction et n'est d'ailleurs pas contesté, que, le 3 avril 2018, l'OFII a adressé un courrier à la société CARA auquel était jointe la copie du procès-verbal de police, envisageant de mettre à sa charge la contribution forfaitaire et la contribution spéciale et lui indiquant qu'elle pouvait, dans un délai de 15 jours, présenter ses observations, ce que la société a d'ailleurs fait le 10 avril 2018. Par suite, et alors qu'il n'existait aucune obligation pour l'administration de répondre aux arguments présentés par la société, ni même d'en rappeler la teneur dans sa décision, les droits de la défense de celle-ci n'ont pas été méconnus.

12. En dernier lieu, si la société requérante fait valoir qu'elle n'avait aucune intention d'employer un travailleur en situation irrégulière, l'élément intentionnel n'est pas nécessaire à la caractérisation du manquement sanctionné, la circonstance que ladite société soit respectueuse de la réglementation URSSAF étant également sans incidence.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la demande présentée par la société CARA devant le tribunal administratif doit être rejetée.

Sur les frais de l'instance :

14. Il y a lieu de mettre à la charge de la société CARA une somme de 1 500 euros que demande l'OFII sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'OFII, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société CARA sur le même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1800452 du 18 juin 2019 du tribunal administratif de la Martinique est annulé.

Article 2 : La société CARA versera à l'OFII la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et à la société Conseil Aménagement Rénovation Aluminium.

Délibéré après l'audience du 9 septembre 2021 à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente-assesseure,

Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 octobre 2021.

La rapporteure,

Florence Rey-Gabriac

Le président,

Éric Rey-Bèthbéder

La greffière,

Angélique Bonkoungou

La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX02963


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 7ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 19BX02963
Date de la décision : 07/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-06-02-02 Étrangers. - Emploi des étrangers. - Mesures individuelles. - Contribution spéciale due à raison de l'emploi irrégulier d'un travailleur étranger.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : CONSTANT

Origine de la décision
Date de l'import : 19/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-10-07;19bx02963 ?
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