Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 8 janvier 2019 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixé le pays de renvoi et prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.
Par un jugement n° 1902929 du 20 novembre 2019, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 20 juillet 2020 et le 13 janvier 2021, M. A... B..., représenté par Me Perrin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1902929 du tribunal administratif ;
2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 8 janvier 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir ; subsidiairement d'enjoindre au préfet de réexaminer sa demande dans le même délai en le munissant d'une autorisation provisoire de séjour ;
4°) d'assortir l'injonction prononcée d'une astreinte de 150 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 440 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision en litige méconnait son droit à mener en France une vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 313-11-7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il s'est marié en 2017 avec une compatriote qui a bénéficié de la protection subsidiaire ; sa relation avec cette dernière, qui est bien insérée en France où elle exerce une activité professionnelle, est ancienne ; le couple attend un enfant ; les infractions qui lui sont reprochées sont anciennes dès lors qu'elles remontent à la période 2013, 2015 ;
- le préfet a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- dès lors qu'il a droit à un titre de séjour, la mesure d'éloignement prise à son encontre méconnait les dispositions de l'article L. 313-13-3° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée ; elle est entachée d'erreur de droit, d'erreur de fait et d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 décembre 2020, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 avril 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Frédéric Faïck a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B... est un ressortissant arménien né le 21 août 1987 qui est entré sur le territoire français en janvier 2013 pour y solliciter l'asile. Sa demande a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) par une décision du 29 novembre 2013 confirmée le 25 septembre 2014 par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Le 15 janvier 2016, le préfet de la Gironde pris à l'encontre de M. B... une obligation de quitter le territoire français assortie d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Après son retour en France en mars 2017, M. B... a déposé en préfecture, le 5 octobre 2017, une demande de titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 313-14 du même code. Par un arrêté du 8 janvier 2019, le préfet de la Gironde a rejeté la demande de M. B..., assorti son refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, désigné le pays de renvoi et prononcé à l'encontre de l'intéressé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. M. B... a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Bordeaux. Il relève appel du jugement rendu le 20 novembre 2019 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
Sur les moyens communs à l'ensemble des décisions ;
2. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ". Pour l'application des stipulations et dispositions précitées, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
3. M. B... est entré en France en janvier 2013 pour y déposer, sous la fausse identité russe de Youri Jigour, une demande d'asile qui a été rejetée par l'OFPRA le 29 novembre 2013, la CNDA le 25 septembre 2014 puis à nouveau par l'OFPRA en procédure prioritaire le 22 juillet 2015. Après le rejet définitif de sa demande d'asile, le préfet de la Gironde a pris à l'encontre de M. B... le 15 janvier 2016 une obligation de quitter le territoire français assortie de la fixation du pays de renvoi et d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est revenu irrégulièrement en France au mois de mars 2017 et a, ainsi qu'il a été dit, cherché à régulariser sa situation en déposant en octobre 2017 une demande de titre de séjour en application du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. Pour soutenir que la décision en litige a méconnu les stipulations et dispositions précitées, M. B... se prévaut de son mariage célébré à Bordeaux le 8 juillet 2017 avec une compatriote ayant bénéficié de la protection subsidiaire ainsi que de l'ancienneté de sa relation avec cette dernière. A cet égard, le requérant produit quelques courriers de la caisse d'allocations familiales et d'EDF dont les plus anciens remontent à juin 2016 sur lesquels figurent le nom de son épouse et le nom russe dont il s'était prévalu à l'origine. Sont également versés au dossier quelques courriers d'EDF datés de 2018 et 2019 ainsi que des avis d'imposition pour les mêmes années sur lesquels apparaissent le nom de M. B... et de son épouse. Toutefois, alors qu'il est constant que le requérant a quitté le territoire français en 2016 avant d'y revenir en mars 2017 en dépit de l'interdiction de retour sur le territoire français prononcée à son encontre, ces éléments n'établissent pas de manière suffisamment probante l'ancienneté, la stabilité et l'intensité des liens que le requérant soutient avoir noués avec sa compatriote en dépit de leur mariage et de la naissance d'un enfant le 3 janvier 2021, soit plus d'un an après la décision attaquée. Il ne ressort pas non plus des autres éléments du dossier, et notamment de la promesse d'embauche dont M. B... a bénéficié le 31 juillet 2017, soit bien avant la décision attaquée, que ce dernier aurait tissé d'autres liens privés ou familiaux auxquels le préfet aurait porté une atteinte disproportionnée en prenant la décision en litige. D'autant que M. B... est entré, en dernier lieu, sur le territoire français en mars 2017 à l'âge de 29 ans et avait ainsi passé l'essentiel de son existence dans son pays d'origine où vivent ses parents, son frère et sa sœur. Dans les circonstances de l'espèce, le préfet n'a pas, en prenant l'arrêté en litige, qui répondait à une demande de titre présentée en application du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 313-14 du même code, porté une atteinte disproportionnée au droit de M. B... à une vie privée et familiale normale garanti par les stipulations et dispositions citées au point 2. Pour les mêmes motifs, le préfet n'a pas commis d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle du requérant.
5. En second lieu, il résulte également de ce qui précède que le préfet n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste au regard l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatif à l'admission exceptionnelle au séjour pour des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
6. Aux termes de l'article L. 313-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si leur présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 est délivrée de plein droit : 1° A l'étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire (...) 3° A son conjoint (...) si le mariage (...) est postérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile, à condition que le mariage (...) ait été célébré depuis au moins un an et sous réserve d'une communauté de vie effective entre époux ou partenaires (...) ". M. B... soutient que, dès lors qu'il remplit les conditions prévues par ces dispositions, le préfet ne pouvait légalement prendre à son encontre la mesure d'éloignement en litige.
7. L'autorité administrative ne saurait légalement prendre une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger que si ce dernier se trouve en situation irrégulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour. Mais lorsque la loi prescrit que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une telle mesure d'éloignement.
8. Il ressort des pièces du dossier que l'épouse de M. B... a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire en 2015, que le mariage est postérieur à l'introduction de la demande d'asile et a été célébré depuis plus d'un an à la date de la décision attaquée. S'il est vrai que M. B... a été défavorablement connu des services de police pour avoir en 2013 et 2015 commis des vols simples, à l'étalage, en réunion, détruit ou détérioré le bien d'autrui et conduit un véhicule sans permis de conduire ni assurance, ces faits dont le dernier remonte à mai 2015, soit 4 ans et demi avant la décision attaquée présentent un caractère ancien et ne permettent pas de considérer que l'intéressé présentait, à la date de la décision attaquée, une menace pour l'ordre public. Par suite, M. B... remplissait en sa qualité de conjoint d'une personne bénéficiaire de la protection subsidiaire les conditions pour obtenir un titre de séjour sur le fondement des dispositions précitées du 3° de l'article L. 313-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, le préfet ne pouvait légalement prendre à l'encontre de M. B... l'obligation de quitter le territoire français en litige, laquelle doit être annulée.
Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :
9. Il y a lieu d'annuler, par voie de conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français, l'interdiction de retour sur le territoire français en litige.
10. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de l'obligation de quitter le territoire français et de l'interdiction de retour sur le territoire français en litige et que le surplus de ses conclusions à fin d'annulation doit être rejeté.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision. ". Aux termes de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si l'obligation de quitter le territoire français est annulée (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas (...) ".
12. Le motif d'annulation retenu au présent arrêt n'implique pas nécessairement qu'il soit prescrit à la préfète de délivrer au requérant un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " mais seulement un réexamen du droit au séjour de ce dernier dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte dans les circonstances de l'espèce.
13. Il y a lieu par ailleurs de faire application de l'article L. 512-4 précité en prescrivant à la préfète de délivrer à M. B... une autorisation provisoire de séjour pendant le temps nécessaire à l'examen de son droit au séjour.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37- 2 de la loi du 10 juillet 1991 :
14. M. B... a obtenu l'aide juridictionnelle et son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Perrin, avocat de M. B..., de la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ce versement emportant, conformément à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
DECIDE
Article 1er : L'obligation de quitter le territoire français et l'interdiction de retour sur le territoire français contenus dans l'arrêté du 8 janvier 2019 sont annulées.
Article 2 : Il est prescrit à la préfète de la Gironde d'examiner le droit au séjour de M. B... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. La préfète délivrera à M. B... une autorisation provisoire de séjour pendant le temps de cet examen.
Article 3 : Sous réserve que Me Perrin renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, ce dernier lui versera la somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le jugement n° 1902929 du 20 novembre 2019 du tribunal administratif de Bordeaux du 3 juin 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Perrin et au ministre de l'intérieur. Copie pour information en sera délivrée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 30 août 2021 à laquelle siégeaient :
M. Didier Artus, président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 septembre 2021.
Le rapporteur,
Frédéric Faïck
Le président,
Didier Artus
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 20BX02236 7