Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'avis défavorable émis par la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation le 10 mai 2019 à la demande du centre national d'études spatiales (CNES) de Toulouse tendant à son habilitation à l'accès à la zone à régime restrictif, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n° 1905312 du 9 janvier 2020, le tribunal administratif de Toulouse a annulé ces décisions et enjoint à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation de réexaminer la demande du centre national d'études spatiales de Toulouse.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 9 mars 2020, la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. E... devant le tribunal.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier faute d'avoir été signé conformément à l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- l'avis qu'elle émet en application des dispositions de l'article R. 413-5-1 du code pénal ne revêt pas un caractère décisoire et n'est pas susceptible d'être directement contesté par un recours contentieux ; c'est ainsi à tort que le tribunal a fait droit à la demande de M. E..., qui est irrecevable ;
- l'accès de M. E... à la zone à régime restrictif du centre national d'études spatiales de Toulouse constitue une menace pour le potentiel scientifique ou technique de la nation ;
- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, elle a indiqué que certains des faits reprochés à M. E... relevaient du " secret défense " ;
- les premiers juges ont commis une erreur de droit en déniant toute classification " secret défense " aux informations relatives à la mouvance de l'ultra-gauche ;
- il y a lieu, pour le surplus, de se référer aux écritures qu'elle a produites devant le tribunal.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 septembre 2020, M. E..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation ;
2°) de lui enjoindre de rendre un avis favorable à la demande du centre national d'études spatiales de Toulouse tendant à son habilitation à l'accès à la zone à régime restrictif ;
3°) à titre subsidiaire, de saisir avant dire droit, la Commission consultative du secret de la défense nationale d'une demande de déclassification des informations protégées par ce secret le concernant ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa demande est recevable, ainsi que l'a jugé le tribunal, dès lors que l'avis émis par la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation le 10 mai 2019 lui fait grief ; le rejet de sa demande pour irrecevabilité méconnaîtrait le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les moyens soulevés par la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation ne sont pas fondés ; il conteste les éléments figurant dans la " note blanche " produite par la ministre et tout lien avec une mouvance d'ultra-gauche en 2010 et 2017 ; au demeurant, au regard de l'autorisation dont il disposait précédemment, il aurait fallu démontrer que son comportement était devenu incompatible avec ses fonctions depuis 2017 ;
- à titre subsidiaire, la cour pourra saisir la Commission consultative du secret de la défense nationale, selon la procédure prévue à l'article L. 2321-4 du code de la défense, d'une demande de déclassification et de communication des informations qui le concernent ;
- à supposer que la cour annule le jugement du tribunal administratif de Toulouse, l'avis de la ministre est entaché d'un défaut de motivation, il a été pris au terme d'une procédure irrégulière faute de respect de son caractère contradictoire et il méconnaît l'article R. 413-5-1 du code pénal ainsi que l'article L. 114-5 du code de la sécurité intérieure dès lors qu'il n'est pas démontré que son comportement serait devenu incompatible avec les fonctions qu'il exerçait au centre national d'études spatiales de Toulouse.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code pénal ;
- le code de la recherche ;
- le décret n° 2011-1425 du 2 novembre 2011 ;
- l'arrêté du 3 juillet 2012 relatif à la protection du potentiel scientifique et technique de la nation ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B... D...,
- les conclusions de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, rapporteure publique,
- et les observations de Me F..., représentant M. E....
Considérant ce qui suit :
1. Le centre national d'études spatiales de Toulouse a conclu avec la société Coup de puce expansion un marché public pour la réalisation d'activités d'ingénierie des connaissances. M. E..., ingénieur en informatique, intelligence artificielle et linguistique a été recruté par cette société attributaire par un contrat à durée déterminée du 5 décembre 2017 au 30 septembre 2018, ensuite renouvelé, pour assurer des tâches de gestion des ressources termino-ontologiques, de modélisation des connaissances, d'ingénierie des besoins et de recherche d'information. Il a, à cette fin, été autorisé par le chef de la zone à régime restrictif du centre national d'études spatiales de Toulouse à accéder à cette zone, après que la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation ait émis un avis favorable implicite à cette demande, conformément aux dispositions de l'article R. 413-5-1 du code pénal. Un deuxième marché " support aux activités de veille, intelligence économique et ingénierie des connaissances " a été conclu entre le centre national d'études spatiales de Toulouse et la société Coup de puce expansion, pour l'exécution duquel M. E... a poursuivi son activité au sein de cette société en vertu d'un contrat à durée indéterminée prenant effet le 1er avril 2019. Une nouvelle demande d'accès à la zone à régime restrictif a été présentée, laquelle a été rejetée par une décision du 15 mai 2019 du chef de zone, à la suite de l'avis défavorable émis par la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. M. E... a formé un recours gracieux contre cet avis le 14 juin 2019, qui a été rejeté par une décision implicite née du silence gardé par la ministre. M. E... a demandé au tribunal administratif de Toulouse l'annulation de l'avis défavorable émis le 10 mai 2019 par la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation ainsi que celle de la décision rejetant son recours gracieux. La ministre relève appel du jugement du 9 janvier 2020 par lequel le tribunal a fait droit à cette demande.
2. Aux termes de l'article R. 413-5 du code pénal : " L'autorisation de pénétrer dans la zone protégée est donnée par le chef du service, de l'établissement ou de l'entreprise, selon les directives et sous le contrôle du ministre ayant déterminé le besoin de protection. (...) / Dans tous les cas, l'autorisation est délivrée par écrit. Elle peut être retirée à tout moment dans les mêmes formes. " Aux termes de l'article R. 413-5-1 du même code : " I. - Sont dites " zones à régime restrictif " celles des zones, mentionnées à l'article R. 413-1, dont le besoin de protection tient à l'impératif qui s'attache à empêcher que des éléments essentiels du potentiel scientifique ou technique de la nation : / 1° Fassent l'objet d'une captation de nature à affaiblir ses moyens de défense, à compromettre sa sécurité ou à porter préjudice à ses autres intérêts fondamentaux ; / 2° Ou soient détournés à des fins de terrorisme, de prolifération d'armes de destruction massive et de leurs vecteurs ou de contribution à l'accroissement d'arsenaux militaires. / Les zones à régime restrictif peuvent inclure, dans leur périmètre, des locaux dont la protection renforcée est justifiée par l'entreposage de produits ou par l'exécution d'activités comportant des risques particuliers au regard des impératifs mentionnés aux trois premiers alinéas. / II. - Par dérogation aux deux premiers alinéas de l'article R. 413-5, l'accès à une zone à régime restrictif pour y effectuer un stage, y préparer un doctorat, y participer à une activité de recherche, y suivre une formation, y effectuer une prestation de service ou y exercer une activité professionnelle est soumis à l'autorisation du chef du service, d'établissement ou d'entreprise, après avis favorable du ministre chargé d'en exercer la tutelle ou, à défaut de ministre de tutelle, du ministre qui a déterminé le besoin de protection en application de l'article R. 413-2. / La demande d'avis est adressée par le chef de service, d'établissement ou d'entreprise au ministre mentionné au précédent alinéa. Le silence gardé par le ministre au cours des deux mois suivant la réception de la demande vaut avis favorable. / Le refus d'autorisation d'accès n'est pas motivé. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. E... s'est vu accorder l'accès à la zone à régime restrictif du centre national d'études spatiales de Toulouse jusqu'au 13 février 2023, à la suite de l'avis réputé favorable de la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, dans le cadre du marché 141193 conclu entre ce centre et son employeur pour la prise en charge de tâches de gestion des ressources termino-ontologiques, de modélisation des connaissances, d'ingénierie des besoins et de recherche d'information. La nouvelle demande d'autorisation d'accès présentée par M. E... à la suite de l'obtention par son employeur d'un deuxième marché de prestations de support aux activités de veille, intelligence économique et ingénierie des connaissances, à laquelle la ministre a émis un avis défavorable le 10 mai 2019, a été rejetée par une décision du 15 mai suivant du chef de la zone à régime restrictif, précisant que l'habilitation en cours jusqu'au 13 février 2023 était annulée et le badge d'accès de M. E... invalidé. La décision du 15 mai 2019 du chef de zone doit ainsi être regardée à la fois comme une décision de refus d'autorisation et de retrait de l'autorisation en cours. Il résulte des dispositions précitées de l'article R. 413-5 du code pénal qu'une telle décision de retrait a été prise, ainsi qu'elle devait nécessairement l'être, par écrit, par le chef de zone. Ainsi, le dispositif réglementaire applicable en l'espèce permet de garantir le caractère systématique de la décision du chef de service après l'avis émis par le ministre. Cette décision est susceptible d'un recours en excès de pouvoir à l'occasion duquel il peut être excipé de l'illégalité de l'avis défavorable émis par le ministre, de telle sorte que le droit à un recours juridictionnel effectif, tel qu'il résulte de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est garanti. Dans ces conditions, la ministre est fondée à soutenir que l'avis défavorable qu'elle a émis le 10 mai 2019 présente un caractère préparatoire et n'est pas susceptible de recours.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement ni de saisir la Commission consultative du secret de la défense nationale, que la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'avis défavorable qu'elle a émis le 10 mai 2019 à la demande d'accès de M. E... à la zone à régime restrictif du centre national d'études spatiales de Toulouse, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux. Par suite, les conclusions présentées par M. E... à fin d'injonction et celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 9 janvier 2020 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif de Toulouse et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, à M. C... E... et au Centre national d'études spatiales de Toulouse.
Délibéré après l'audience du 29 juin 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Brigitte Phémolant, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme B... D..., conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 juillet 2021.
La rapporteure,
Kolia D...
La présidente,
Brigitte Phémolant
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX00846