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13/07/2021 | FRANCE | N°19BX02227

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 13 juillet 2021, 19BX02227


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse à lui verser la somme de 188 740 euros

en réparation des préjudices qu'il attribue à des infections consécutives au remplacement

d'une prothèse du genou dans cet établissement le 26 janvier 2010. Après avoir présenté

une réclamation directe au CHU, il a présenté une seconde requête aux mêmes fins.

Dans les mêmes instances, la caisse primaire

d'assurance maladie (CPAM)

du Val-de-Marne, la Banque de France et la Société mutualiste chirurgicale...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse à lui verser la somme de 188 740 euros

en réparation des préjudices qu'il attribue à des infections consécutives au remplacement

d'une prothèse du genou dans cet établissement le 26 janvier 2010. Après avoir présenté

une réclamation directe au CHU, il a présenté une seconde requête aux mêmes fins.

Dans les mêmes instances, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM)

du Val-de-Marne, la Banque de France et la Société mutualiste chirurgicale et complémentaire

du personnel de la Banque de France (SMCC), ont demandé au tribunal de condamner

le CHU de Toulouse à leur verser, respectivement, les sommes de 38 514,27 euros,

177 896 euros et 3 537,42 euros exposées au bénéfice de M. C....

Par un jugement nos 1701832, 1705509 du 21 mars 2019, le tribunal a rejeté

leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 mai 2019, M. C..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le CHU de Toulouse à faire droit à l'intégralité de ses demandes indemnitaires

3°) subsidiairement d'ordonner une expertise avant-dire droit ;

4°) de mettre à la charge du CHU de Toulouse l'intégralité des frais d'expertise.

Il soutient que :

En ce qui concerne la première infection :

- dès lors que les experts retiennent l'origine nosocomiale de l'infection,

la responsabilité du CHU est engagée et il a droit sans condition à la réparation des préjudices

en lien avec cette infection ;

- la conclusion des experts selon laquelle la période de déficit fonctionnel imputable à la complication infectieuse se confondrait avec le déficit fonctionnel lié au seul changement de prothèse n'est pas acceptable ; sur la base de 20 euros par jour, il sollicite la somme

de 2 160 euros au titre de la période du 26 janvier 2010, date de l'intervention au cours de laquelle il a été infecté, au 14 juin 2010, date de consolidation ;

- il sollicite les sommes de 15 000 euros au titre des souffrances endurées de 3,5 sur 7, de 3 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire de 2 sur 7 et de 5 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent de 2 sur 7 ;

- les frais de l'expertise, qui s'élèvent à 4 129,03 euros, doivent être mis à la charge

du CHU ;

En ce qui concerne la seconde infection :

- le médecin qui a réalisé l'analyse critique de l'expertise estime improbable que

le staphylococcus epidermidis ait pu traverser les tissus cutanés et sous-cutanés pour aller coloniser l'hémarthrose, et que la présence de cette bactérie sur la prothèse était possible ; les deux interventions à l'hôpital Rangueil les 8 février et 5 mars 2010 font présumer une infection nosocomiale dès lors que la souche multirésistante ne se trouve qu'en milieu hospitalier ;

la seconde infection au genou gauche est apparue six mois après la première, il n'a pas été rapporté d'infection bactérienne par voie intraveineuse, et la preuve d'une surinfection d'hématome du fait de l'état antérieur n'est pas apportée ; la responsabilité du CHU est ainsi engagée ;

- il sollicite les sommes de 2 860 euros au titre des périodes de déficit fonctionnel retenues par les experts, de 25 000 euros au titre des souffrances endurées de 4 sur 7,

de 5 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire de 4 sur 7, de 9 290 euros au titre

du déficit fonctionnel permanent de 25 %, de 50 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent de 4 sur 7, de 30 000 euros au titre du préjudice d'agrément qui rend impossibles les activités sportives de randonnée, de ski de fond et de natation, de 10 000 euros au titre

du préjudice sexuel et de 25 000 euros au titre du préjudice moral ;

- le renouvellement de son véhicule à boîte de vitesse automatique devra être mis

à la charge du CHU, ainsi que les frais d'expertise de 4 129,03 euros ;

- à titre subsidiaire, la cour pourra ordonner une expertise si elle estime que le caractère nosocomial de l'infection n'est pas établi ;

En ce qui concerne la recevabilité de ses demandes :

- il était en droit de saisir le tribunal administratif d'un nouveau recours après le rejet implicite de sa demande préalable reçue par le CHU le 13 septembre 2017 ;

En ce qui concerne la demande d'expertise :

- une nouvelle expertise serait de nature à conforter les conclusions de l'analyse critique sur l'imputabilité de la seconde infection nosocomiale, dont les conséquences sont particulièrement graves dès lors qu'une amputation était envisagée le 25 mai 2018.

Par des mémoires en défense enregistrés les 18 septembre et 15 octobre 2019, le CHU de Toulouse, représenté par la SELARL Montazeau et Cara, conclut au rejet de la requête et des demandes de la CPAM du Val-de-Marne, de la Banque de France et de la SMCC, et demande à la cour de mettre une somme de 1 500 euros à la charge solidaire de la CPAM du Val-de-Marne, de la Banque de France et de la SMCC au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

A titre principal :

- la requête est irrecevable en l'absence de toute critique du jugement attaqué ;

- la demande de première instance n° 1701832 était irrecevable en l'absence

de demande préalable et n'a pas été régularisée ;

- la demande de première instance n° 1705509 était irrecevable au regard des dispositions de l'article R. 414-3 du code de justice administrative dès lors que le bordereau

n'a pas été régularisé pour y faire figurer la pièce n° 72, qui est la demande préalable ;

- les conclusions de la Banque de France et de la SMCC sont irrecevables car elles ont été présentées après l'expiration du délai d'appel et relèvent d'un litige distinct de celui qui fait l'objet de l'appel de M. C... ;

A titre subsidiaire :

En ce qui concerne la première infection :

- les prélèvements bactériologiques réalisés lors de l'évacuation de l'hématome le 8 février 2010 sont revenus stériles ; les premiers signes d'infection sont apparus le 26 février 2010, alors que le patient était hospitalisé en centre de rééducation fonctionnelle depuis le 15 février 2010 ; c'est ainsi à bon droit que les premiers juges n'ont pas retenu d'infection nosocomiale ;

En ce qui concerne la seconde infection :

- comme l'ont relevé les experts, l'infection est survenue brutalement, une semaine après la constitution d'un hématome au niveau du genou gauche, après plusieurs mois sans aucune manifestation clinique ou biologique en faveur d'une infection du site opératoire, et la souche multirésistante du staphylococcus epidermidis peut s'expliquer par une modification de la flore bactérienne du patient qui a été hospitalisé dans différents établissements depuis son intervention initiale ; l'analyse critique produite par M. C... ne contredit pas ces conclusions ;

En ce qui concerne la demande d'expertise :

- l'expertise judiciaire contradictoire a présenté des garanties suffisantes de compétence et d'objectivité ; une nouvelle expertise ne serait pas utile à la solution du litige ;

En ce qui concerne les demandes de la Banque de France, de la SMCC et de la CPAM du Val-de-Marne :

- elles ne peuvent qu'être rejetées dès lors que les demandes de M. C..., à les supposer recevables, ne sont pas fondées ; en outre la CPAM ne justifie pas le lien entre ses demandes et des infections nosocomiales.

Par des mémoires enregistrés les 25 septembre et 12 novembre 2019, la Banque de France et la SMCC, représentées par Me H..., demandent à la cour :

1°) de condamner le CHU de Toulouse à verser à la SMCC la somme

de 3 537,42 euros ;

2°) de condamner le CHU de Toulouse à verser à la Banque de France la somme

de 177 986 euros ou à titre subsidiaire de 176 913,09 euros ;

3°) de mettre à la charge du CHU de Toulouse une somme de 3 000 euros au titre

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la Banque de France est recevable à demander au tiers responsable le remboursement des sommes versées à la victime au titre des pertes de gains professionnels en vertu des articles 29, 30 et 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, et en qualité d'employeur, à demander le remboursement des charges sociales en vertu de l'article 32 de la même loi ;

- la demande de la SMCC est également recevable en vertu des articles 29, 30 et 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ;

- leurs interventions n'avaient pas à être présentées dans le délai d'appel ;

En ce qui concerne la première infection :

- c'est à tort que les premiers juges n'ont pas suivi les experts qui ont conclu au caractère nosocomial de l'infection au motif qu'elle n'avait pu être contractée qu'au CHU le 8 février 2010 ;

- les dépenses de santé exposées par la SMCC s'élèvent à 1 462 euros ;

- la Banque de France est fondée à demander la condamnation du CHU à lui rembourser les sommes de 14 469 euros versées à M. C... du 25 janvier au 14 juin 2010 et de 12 635 euros de charges sociales, soit au total 27 104 euros ;

- à titre subsidiaire, la Banque de France est à tout le moins fondée à réclamer les sommes de 13 115,78 euros au titre des salaires et de 11 453,31 euros au titre des charges patronales du 8 février au 14 juin 2010, soit au total 24 569,09 euros ;

En ce qui concerne la seconde infection :

- la critique médicale de l'expertise produite par M. C... considère le caractère nosocomial comme probable en l'absence de lésion de la peau, et les experts ont implicitement admis une origine nosocomiale en précisant que le profil multirésistant du germe est en faveur d'une origine hospitalière ; la vulnérabilité immunitaire du patient ne saurait constituer une cause étrangère ;

- les dépenses de santé exposées par la SMCC s'élèvent à 2 075,42 euros ;

- la Banque de France a versé à M. C... 82 873 euros de salaires à plein traitement du 16 septembre 2010 au 16 août 2012 puis à demi traitement du 17 août 2012 au 25 janvier 2013, et a acquitté les charges sociales correspondantes à hauteur de 68 009 euros ; elle est ainsi fondée à demander la somme de 150 882 euros.

Par un mémoire enregistré le 3 octobre 2019, la CPAM du Val-de-Marne, représentée par la SELARL Kato et Lefebvre Associés, demande à la cour de condamner le CHU de Toulouse à lui verser la somme de 38 514,27 euros avec intérêts au taux légal à compter du 17 mai 2017 et de mettre à la charge du CHU les sommes de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'elle a exposé une somme totale de 38 514,27 euros au titre

des dépenses de santé de M. C....

Par un mémoire en défense enregistré le 14 novembre 2019, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par la SCP UGGC Avocats, demande sa mise hors de cause.

Il fait valoir que : le premier épisode infectieux n'a pas laissé de séquelle fonctionnelle ; la seconde infection n'avait pas de caractère nosocomial, et au surplus, le déficit fonctionnel permanent retenu par les experts n'est pas supérieur à 25 % ; ainsi, les conditions d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'arrêté du 4 décembre 2020 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de Mme Beuve Dupuy, rapporteure publique,

- et les observations de Me A..., représentant M. C... et de Me F... représentant le CHU de Toulouse.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., né en 1962, atteint d'une hémophilie sévère de type A, a présenté une arthropathie évoluée des deux genoux en raison d'hémarthroses récidivantes en lien avec cette pathologie, ce qui a nécessité la pose de prothèses, à droite en 1998 et à gauche en 1999. Au début de l'année 2009, un descellement de la prothèse du genou gauche a provoqué des douleurs et favorisé la survenue d'hémarthroses. La décision de changer la prothèse a été prise à la fin de l'année 2009 après des avis spécialisés compte tenu des risques de complications infectieuses et hépatiques auxquels le patient, atteint d'une cirrhose évoluée et d'une immunodépression résiduelle en lien avec des contaminations transfusionnelles anciennes par le VHC et le VIH, était exposé. L'intervention a été réalisée le 26 janvier 2010 à l'hôpital Rangueil relevant du CHU de Toulouse. Elle s'est compliquée d'un hématome nécessitant une évacuation chirurgicale le 8 février 2010, d'une décompensation oedémato-ascitique en lien avec la cirrhose et d'une neutropénie. L'évolution a cependant été favorable, et M. C... a quitté l'hôpital pour un centre de rééducation fonctionnelle le 18 février 2010, avec une prescription de pansements à réaliser tous les deux jours au niveau du site opératoire et d'ablation des points de suture au 15ème jour post-opératoire. Il a été réadmis à l'hôpital de Rangueil du 3 au 26 mars 2010 en raison d'un important écoulement séro-purulent avec mise à nu de la prothèse. Une souche d'acinetobacter baumanii a été isolée dans les prélèvements effectués lors de la reprise chirurgicale réalisée

le 5 mars 2010, et une antibiothérapie administrée jusqu'au 28 avril 2010 a permis de traiter efficacement cette première infection. Le 16 septembre 2010, M. C... s'est rendu au service des urgences de l'hôpital Rangueil pour une forte fièvre accompagnant des signes inflammatoires et des douleurs au genou gauche, sur lequel une hémarthrose était survenue

une semaine auparavant. L'évacuation chirurgicale d'un hématome surinfecté a été réalisée le jour même, et les prélèvements bactériologiques ont mis en évidence une souche de staphylococcus epidermidis methi-R multi résistante aux antibiotiques. Cette seconde infection, qui n'a pas pu être jugulée malgré les traitements, a conduit au descellement de la prothèse, constaté sur une radio du 20 juin 2011. L'ablation de la prothèse et une arthrodèse ont été réalisées à Paris le 25 janvier 2012. Par une ordonnance du 18 novembre 2013, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, saisi par M. C..., a ordonné une expertise, réalisée le 4 avril 2014, dont le rapport conclut que seule la première infection avait un caractère nosocomial, la seconde étant en lien exclusif avec l'état antérieur du patient. M. C... relève appel du jugement du 21 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes d'indemnisation des préjudices qu'il attribue aux deux infections au motif qu'aucune n'avait de caractère nosocomial.

Sur les fins de non-recevoir opposées en défense :

En ce qui concerne la recevabilité de la requête d'appel :

2. La requête de M. C... ne constitue pas la seule reproduction littérale de ses écritures de première instance, mais critique le jugement contesté en reprochant aux premiers juges

de ne pas avoir retenu de caractère nosocomial aux infections. Elle est ainsi suffisamment motivée au regard des dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative.

En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :

3. Il résulte des dispositions de l'article R. 414-3 du code de justice administrative,

dans sa rédaction alors applicable, que les pièces jointes produites par voie électronique

au moyen de l'application Télérecours sont présentées conformément à l'inventaire qui en

est dressé.

4. Après avoir reçu communication de la fin de non-recevoir tirée du défaut

de réclamation préalable dans l'instance n° 1701832, qu'il n'a pas régularisée, M. C...

a présenté une réclamation au CHU de Toulouse avant de saisir le tribunal d'une seconde demande enregistrée sous le n° 1705509. Contrairement à ce que soutient le CHU, l'inventaire des pièces produites dans cette dernière instance a été régularisé le 4 décembre 2017 par l'ajout de la pièce n° 72 constituée par cette réclamation.

Sur la responsabilité :

5. Aux termes du second alinéa du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, les professionnels de santé et les établissement, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins " sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ". Doit être regardée, au sens de ces dispositions, comme présentant un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge.

En ce qui concerne la première infection :

6. Il résulte de l'instruction que M. C..., qui a fait l'objet d'une surveillance particulièrement attentive au regard du risque infectieux, ne présentait aucun signe clinique

ou biologique en faveur d'une infection lors de son admission à l'hôpital Rangueil

le 25 janvier 2010, et que les prélèvements réalisés lors des interventions de remplacement de la prothèse le 26 janvier 2010 et d'évacuation de l'hématome le 8 février 2010 étaient stériles. L'infection est apparue le 26 février 2010 lors de l'ablation des points de suture au centre de rééducation fonctionnelle, sous forme d'un écoulement séro-purulent au niveau de la partie inférieure de la cicatrice. Le 2 mars suivant, cet écoulement s'accompagnait d'une déhiscence cutanée et d'une mise à nu de la prothèse. Le diagnostic d'infection sur prothèse a été posé

le 5 mars à l'hôpital Rangueil. Les experts, qui relèvent qu'un délai d'un mois entre l'intervention et les premiers signes d'infection est parfaitement compatible avec une infection du site opératoire et que le caractère multi-résistant de la souche isolée est en faveur d'une origine hospitalière, concluent que l'infection a très vraisemblablement été contractée au cours de l'intervention d'évacuation de l'hématome le 8 février 2010. Contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la majoration du risque infectieux résultant de l'état antérieur du patient n'est pas de nature à mettre en cause le caractère nosocomial de l'infection du site opératoire survenue au décours de la prise en charge du patient.

En ce qui concerne la seconde infection :

7. Il résulte de l'instruction que M. C... a présenté le 9 septembre 2010 une hémarthrose au genou gauche sans signe inflammatoire, en lien avec l'hémophilie, qu'il a indiqué à l'expertise avoir soignée en s'injectant par deux fois du facteur VIII (facteur de coagulation). Le 16 septembre suivant, des signes inflammatoires très marqués avec douleurs et fièvre à 39 ° sont apparus brutalement, ce qui l'a conduit à se rendre à l'hôpital Rangueil. Le chirurgien, qui a réalisé le jour même une intervention de reprise avec lavage prothétique, a posé le diagnostic d'hématome surinfecté. Pour conclure à une infection non nosocomiale en lien exclusif avec l'état antérieur du patient, due à la surinfection de l'hématome avec une souche de staphylococcus epidermidis, les experts relèvent qu'aucune manifestation clinique ou biologique en faveur d'une infection du site opératoire n'avait été constatée depuis plusieurs mois. Ils soulignent que le risque de surinfection est important pour tout hématome qui constitue un milieu très propice à la prolifération bactérienne, et qu'en l'espèce, ce risque a été très fortement majoré par le dysfonctionnement immunitaire présenté par le patient, en lien avec ses multiples pathologies associées. Les experts qualifient de non crédible l'hypothèse selon laquelle l'infection à staphylococcus epidermidis aurait pu être masquée par celle à acinetobacter baumanii car l'antibiothérapie prescrite lors de la première infection aurait alors été inefficace sur la souche de staphylococcus epidermidis methi-R, de sorte que la seconde infection se serait manifestée plus tôt, surtout compte tenu du terrain fragilisé du patient et de son état immunitaire diminué. Ils précisent enfin que si le caractère multi-résistant de la souche de staphylococcus epidermidis est en faveur d'un profil hospitalier, cette bactérie est présente à l'état saprophyte au niveau du revêtement cutané, et la modification de la flore bactérienne du patient peut s'expliquer par des hospitalisations dans différents établissements depuis l'intervention initiale du 26 janvier 2010. L'analyse critique produite par M. C... se borne à s'interroger sur la " porte d'entrée " du staphylococcus epidermidis et à reprendre l'hypothèse d'une présence de ce germe depuis l'une des interventions du 8 février ou du 8 mars 2010 qui aurait été masquée par l'acinetobacter baumanii, sans critiquer sa réfutation par les experts. Ainsi, elle ne contredit pas utilement l'expertise. Par suite, la surinfection de l'hématome par le staphylococcus epidermidis ne présente pas le caractère d'une infection nosocomiale.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'organiser une nouvelle expertise sur l'origine de la seconde infection, que M. C... est seulement fondé à invoquer le caractère nosocomial de la première infection, qui engage la responsabilité du CHU de Toulouse. Celle-ci n'ayant pas été à l'origine d'un déficit fonctionnel permanent et n'ayant pas eu d'incidence sur l'activité professionnelle de l'intéressé, le caractère de gravité fixé par les dispositions des articles L. 1142-1 et D. 1142-1 du code de la santé publique ouvrant droit à la réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale n'est pas atteint, de sorte que l'ONIAM est fondé à demander sa mise hors de cause.

Sur les préjudices de M. C... :

9. Il résulte de l'instruction que l'infection à acinetobacter baumanii, dont les premiers signes sont apparus le 26 février 2010, a nécessité deux interventions chirurgicales, l'une pour

le lavage de la prothèse le 5 mars 2010 et l'autre pour une greffe de peau le 12 mars 2010, ainsi qu'une antibiothérapie jusqu'au 28 avril 2010. A cette dernière date, et alors même que

les experts ont retenu le 14 juin 2010 comme date de consolidation de l'état de santé en lien avec l'infection, celle-ci était jugulée et l'état fonctionnel du patient normalisé. Selon les experts,

le changement de la prothèse du genou le 26 janvier 2010 aurait été à l'origine, en l'absence

de complication infectieuse, de trois mois de déficit fonctionnel temporaire total, soit jusqu'au 26 avril 2010, suivis de trois mois de déficit fonctionnel temporaire partiel jusqu'au 26 juillet 2010. Dans ces circonstances, il ne résulte pas de l'instruction que l'infection serait

à l'origine d'un déficit fonctionnel temporaire distinct de celui que M. C... aurait subi

du seul fait du changement de prothèse, de sorte que la demande présentée à ce titre ne peut

être accueillie.

10. Les souffrances endurées ont été évaluées à 3,5 sur 7 en raison des douleurs, des interventions des 5 et 12 mars 2010 et de l'antibiothérapie. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en fixant son indemnisation à la somme de 5 000 euros.

11. Les experts ont retenu un préjudice esthétique temporaire puis permanent de 2 sur 7, le second correspondant à une cicatrice en zone habituellement cachée par les vêtements et à une cicatrice de prélèvement de lambeau. Il y a lieu d'allouer à ce titre une somme globale de 2 500 euros.

12. Il résulte de ce qui précède que M. C... est seulement fondé à demander la condamnation du CHU de Toulouse à lui verser une indemnité de 7 500 euros.

Sur les demandes de la Banque de France et de la SMCC :

13. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 que la responsabilité du CHU de Toulouse n'est pas engagée en ce qui concerne la seconde infection.

14. En ce qui concerne la première infection, la Banque de France sollicite le remboursement des rémunérations qu'elle a versées à M. C..., ainsi que des charges sociales correspondantes, au titre de la période du 25 janvier au 14 juin 2010. Toutefois, le congé

de maladie de M. C... était en lien avec l'intervention de changement de la prothèse à partir

du 25 janvier 2010. La Banque de France ne conteste pas utilement les périodes de déficit fonctionnel temporaire prévisibles en lien avec l'intervention, retenues par les experts en tenant compte du cas particulier du patient, en se bornant à produire une plaquette d'information d'un établissement de chirurgie orthopédique décrivant la récupération habituellement acquise, dans le cas général, après 60 jours. Pour les motifs exposés au point 9, il ne résulte pas de l'instruction qu'un déficit fonctionnel temporaire, et par voie de conséquence une incapacité de travail, serait imputable à l'infection.

15. La SMCC, qui se borne à produire une attestation de son médecin conseil selon laquelle " les prestations servies à la suite des accidents du 28/01/2010 et du 16/09/2010 " dont

a été victime M. C... s'élèvent à 3 537,42 euros, n'apporte aucune précision quant à la nature des prestations en lien avec la première infection dont elle demande le remboursement à hauteur de 1 462 euros.

16. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins

de non-recevoir opposées par le CHU de Toulouse, que les demandes de la Banque de France

et de la SMCC ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les demandes de la CPAM du Val-de-Marne :

17. Il résulte de l'instruction que les débours dont le remboursement est demandé correspondent à 34 178 euros de frais d'hospitalisation du 3 au 26 mars 2010, 2 188,27 euros

de soins infirmiers et 2 148 euros de frais pharmaceutiques du 26 mars au 26 avril 2010, tous en lien exclusif avec le traitement de la première infection. Par suite, la CPAM du Val-de-Marne

est fondée à demander la condamnation du CHU de Toulouse à lui verser la somme

de 38 514,27 euros.

Sur les intérêts :

18. Lorsqu'ils sont demandés, les intérêts au taux légal sur le montant de l'indemnité allouée sont dus, quelle que soit la date de la demande préalable, à compter du jour où cette demande est parvenue à l'autorité compétente ou, à défaut, à compter de la date d'enregistrement au greffe du tribunal administratif des conclusions tendant au versement de cette indemnité.

La CPAM du Val-de-Marne justifie que sa demande préalable a été reçue par le CHU de Toulouse le 19 mai 2017. Par suite, elle a droit aux intérêts sur la somme de 38 514,27 euros

à compter de cette date.

Sur les frais d'expertise :

19. Les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés, liquidés et taxés à la somme de 4 129,03 euros, doivent être mis à la charge du CHU de Toulouse.

20. Il résulte de tout ce qui précède que les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 21 mars 2019 rejetant les demandes de M. C... et de la CPAM

du Val-de-Marne ainsi que l'article 4 mettant les frais d'expertise à la charge de M. C... doivent être annulés, et que la Banque de France et la SMCC ne sont pas fondées à se plaindre

de ce que le tribunal a rejeté leurs demandes.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

21. La CPAM du Val-de-Marne a droit à l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale pour le montant de 1 098 euros auquel elle a été fixée par l'arrêté interministériel du 4 décembre 2020.

22. Le CHU de Toulouse, la Banque de France et la SMCC, qui sont

les parties perdantes, ne sont pas fondés à demander l'allocation d'une somme au titre

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

23. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du CHU de Toulouse une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par la CPAM du Val-de-Marne

à l'occasion du présent litige.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ONIAM est mis hors de cause.

Article 2 : Les articles, 1er, 2 et 4 du jugement du tribunal administratif de Toulouse nos 1701832, 1705509 du 21 mars 2019 sont annulés.

Article 3 : Le CHU de Toulouse est condamné à verser une indemnité de 7 500 euros à M. C....

Article 4 : Le CHU de Toulouse est condamné à verser à la CPAM du Val-de-Marne une somme de 38 514,27 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 19 mai 2017.

Article 5 : Les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés, liquidés et taxés à la somme de 4 129,03 euros, sont mis à la charge du CHU de Toulouse.

Article 6 : Le CHU de Toulouse versera à la CPAM du Val-de-Marne les sommes de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., au centre hospitalier universitaire de Toulouse, à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, à la Banque de France, à la Société mutualiste chirurgicale et complémentaire du personnel de la Banque de France et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 29 juin 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne E..., présidente-assesseure,

Mme D... G..., conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juillet 2021.

La rapporteure,

Anne E...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 19BX02227


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX02227
Date de la décision : 13/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme BEUVE-DUPUY
Avocat(s) : DANA ; DANA ; DANA

Origine de la décision
Date de l'import : 03/08/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-07-13;19bx02227 ?
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