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13/07/2021 | FRANCE | N°19BX01442

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 13 juillet 2021, 19BX01442


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner la commune des Abymes à lui verser une indemnité de 86 556,84 euros en réparation des préjudices résultant de la chute dont il a été victime le 2 décembre 2014.

Par un jugement n° 1700919 du 31 janvier 2019, le tribunal a condamné la commune des Abymes à lui verser la somme de 5 111,42 euros et rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 avril 2019 et

des mémoires enregistrés le 21 mai et 20 décembre 2019, M. D..., représenté par Me G..., demande...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner la commune des Abymes à lui verser une indemnité de 86 556,84 euros en réparation des préjudices résultant de la chute dont il a été victime le 2 décembre 2014.

Par un jugement n° 1700919 du 31 janvier 2019, le tribunal a condamné la commune des Abymes à lui verser la somme de 5 111,42 euros et rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 avril 2019 et des mémoires enregistrés le 21 mai et 20 décembre 2019, M. D..., représenté par Me G..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner la commune des Abymes à lui verser une indemnité d'un montant total de 86 101 euros ;

3°) de mettre à la charge de la commune des Abymes une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le regard de fabrication artisanale n'est pas homologué ; il est particulièrement dangereux pour les cyclistes en raison de sa grille placée dans le sens de la circulation, avec un espace de 3 à 4 cm entre les barres ;

- c'est pour éviter une automobile venant en sens inverse qu'il a été contraint de rouler sur le regard litigieux, les éléments retenus par le tribunal sont insuffisants pour caractériser une faute de la victime, la route n'était pas interdite aux vélos de course, et il n'est pas démontré qu'il aurait roulé à une vitesse excessive, de sorte que l'entière responsabilité de la commune doit être retenue ;

- il est fondé à demander les sommes de 667 euros au titre des frais d'ostéopathie restés à sa charge, de 1 594 euros au titre de l'assistance d'une tierce personne dont 540 euros au titre de l'aide personnelle d'une heure par jour et le surplus au titre de l'aide-ménagère, de 2 000 euros au titre des périodes de déficit fonctionnel temporaire retenues par l'expert, de 10 000 euros au titre des souffrances endurées évaluées à 2 sur 7, de 10 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire de 3 sur 7, de 10 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent de 2 %, de 30 000 euros au titre du préjudice d'agrément, ainsi que le remboursement des frais d'expertise de 1 500 euros et des frais d'huissier de 340 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 20 décembre 2019, la commune des Abymes, représentée par la SCP DGD, conclut au rejet de la requête et demande à la cour, à titre principal d'annuler le jugement en tant qu'il a retenu sa responsabilité, à titre subsidiaire de réduire les indemnités allouées à M. D... à de plus justes proportions, et dans tous les cas de mettre à la charge de M. D... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la contradiction entre le point 6 selon lequel la configuration des lieux n'imposait pas une signalisation, et le point 7 qui retient un danger excédant ceux auxquels peuvent s'attendre les usagers, est de nature à entraîner l'annulation du jugement ;

- l'accident est imputable à l'étroitesse des pneus de la bicyclette ; M. D..., qui est un cycliste expérimenté, connaissait les lieux et circulait à une vitesse excessive, aurait dû faire preuve d'une vigilance accrue ; quand bien même il se serait trouvé face à un véhicule, il avait la possibilité de s'arrêter pour ne pas s'engager sur le regard ; ainsi, l'accident est exclusivement imputable à la faute de la victime ;

- à titre subsidiaire, les frais d'ostéopathie ne sont justifiés qu'à hauteur de 383,50 euros, l'assistance d'une tierce personne doit être évaluée à 806 euros, et il pourrait être alloué des sommes de 140 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, de 1 560 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, de 1 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire, et de 2 200 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ; l'existence d'un préjudice d'agrément n'est pas établie ; le préjudice esthétique permanent pourrait être évalué à 500 euros ;

- sa responsabilité n'étant pas engagée, il n'y a pas lieu de mettre les dépens à sa charge.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Beuve Dupuy, rapporteure publique,

- et les observations de Me F..., représentant la commune des Abymes.

Considérant ce qui suit :

1. Le 2 décembre 2014 vers 10 h 45, M. D... a fait une chute rue René Ulysse sur le territoire de la commune des Abymes, la roue avant de sa bicyclette s'étant fichée entre deux barres de la grille d'un regard d'évacuation des eaux pluviales. Par un jugement du 31 janvier 2019, le tribunal administratif de la Guadeloupe a retenu, d'une part, un défaut d'entretien normal à raison de l'incorporation dans la voirie communale d'un regard dont le positionnement parallèlement au sens de la circulation constituait un danger excédant ceux auxquels peuvent s'attendre les usagers, en particulier les cyclistes, d'autre part, un défaut de vigilance de la victime à l'origine de 50 % de ses préjudices, et a condamné la commune à verser à M. D... une indemnité d'un montant total de 5 111,42 euros. M. D... relève appel de ce jugement et demande la condamnation de la commune à lui verser une somme de 86 101 euros en réparation de son entier préjudice. Par son appel incident, la commune des Abymes conteste toute part de responsabilité et fait valoir que l'accident est entièrement imputable à la faute de la victime.

Sur la régularité du jugement :

2. Le point 6 du jugement selon lequel la configuration des lieux n'imposait pas de signalisation spécifique du regard, qui était visible sur une portion de route en ligne droite, ne présente, contrairement à ce que soutient la commune des Abymes, aucune contradiction avec le point 7 selon lequel le positionnement de ce regard parallèlement au sens de la circulation constituait un danger excédant ceux auxquels peuvent s'attendre les usagers, en particulier les cyclistes. Par suite, le moyen tiré d'une contrariété de motif, qui au demeurant n'affecterait que le bien-fondé du jugement, ne peut qu'être écarté.

Sur la responsabilité :

3. Il appartient à l'usager d'un ouvrage public qui demande réparation d'un préjudice qu'il estime imputable à cet ouvrage de rapporter la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice invoqué et l'ouvrage. Le maître de l'ouvrage ne peut être exonéré de l'obligation d'indemniser la victime qu'en rapportant, à son tour, la preuve soit de l'absence de défaut d'entretien normal, soit que le dommage est imputable à une faute de la victime ou à un cas de force majeure.

4. Le lien de causalité entre la grille du regard d'évacuation des eaux pluviales et l'accident n'est plus contesté en appel. Il résulte de l'instruction que cette grille, dont les dimensions sont d'environ 1,20 m sur 1 m, est constituée de barres métalliques parallèles dont l'écartement est de l'ordre de 3 à 4 cm. Comme l'ont estimé les premiers juges, son positionnement dans le sens de la circulation constitue un danger excédant ceux que les usagers de la voie publique, et en particulier les cyclistes, peuvent normalement s'attendre à rencontrer.

5. Ainsi qu'il est exposé dans la réclamation préalable du 26 février 2015 et dans la déclaration de main courante du 20 février 2015, ce qui est corroboré par l'attestation d'un témoin datée du 23 décembre 2014, M. D... a roulé sur la grille en faisant un écart par rapport au bord droit de la chaussée, sur lequel les cyclistes doivent en principe circuler, pour éviter une pierre qui se trouvait sur son passage. La réclamation préalable précise en outre qu'une automobile arrivait alors en sens inverse. Dans ces circonstances, et alors qu'il n'est pas établi que M. D... aurait roulé à une vitesse excessive, aucune faute d'imprudence ou d'inattention ne peut lui être reprochée. Par suite, il y a lieu de retenir l'entière responsabilité de la commune des Abymes.

Sur les préjudices :

6. Il y a lieu d'admettre, au titre des frais divers restés à la charge de M. D...,

la somme de 340 euros qu'il a exposée afin de faire constater par un huissier les caractéristiques de la grille en litige.

7. Selon l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, seuls les frais d'ostéopathie engagés en janvier et février 2015 pour un montant de 215 euros, non pris en charge par les organismes sociaux ou les mutuelles, sont en lien avec l'accident, de sorte que les séances d'ostéopathie réalisées à partir de janvier 2016 ne peuvent être admises. La nécessité des compléments alimentaires admis à hauteur de 55,84 euros par les premiers juges n'est par ailleurs pas établie.

8. Il résulte de l'instruction que la chute de M. D... a été à l'origine d'une impotence fonctionnelle temporaire des membres inférieur et supérieur droits, nécessitant une aide personnelle à raison d'une heure par jour tous les jours du 2 au 31 décembre 2014, ainsi qu'une aide ménagère à raison de six heures par semaine du 2 au 31 décembre 2014, et de 4 heures par semaine du 1er janvier au 19 février 2015, soit au total 81 heures. Cette aide n'étant pas spécialisée, il y a lieu de l'évaluer sur la base du salaire minimum interprofessionnel de croissance brut augmenté des charges sociales, qui s'élevait à 13,34 euros par heure en 2014, majoré afin de tenir compte des congés, dimanches et jours fériés. Par suite, le préjudice correspondant doit être fixé à 1 220 euros.

9. Les premiers juges ont fait une juste appréciation des préjudices de M. D... en évaluant l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire de 30 % du 2 au 31 décembre 2014 et de 10 % du 1er janvier au 19 février 2015 à 200 euros, celle des souffrances endurées de 2 sur 7 à 1 560 euros, celle du préjudice esthétique temporaire modéré à 1 000 euros, celle du déficit fonctionnel permanent de 2 % à 2 200 euros dès lors que M. D... était âgé de 67 ans à la date de consolidation de son état de santé fixée au 19 février 2015, et celle du préjudice esthétique permanent à 1 500 euros.

10. Dès lors qu'il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise, que M. D... reste en capacité physique de pratiquer le cyclisme et qu'il n'a conservé de sa chute qu'un " très modéré syndrome de stress post-traumatique avec peur des longs parcours à vélo ", l'existence d'un préjudice d'agrément n'est pas établie.

11. Il résulte de ce qui précède que la commune des Abymes doit être condamnée à verser à M. D... une indemnité d'un montant total de 8 235 euros.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

12. Les dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative posent le principe que les dépens, tels que les frais d'expertise, sont mis à la charge de toute partie perdante. Elles permettent au juge d'y déroger " si les circonstances de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties ". La commune des Abymes, dont l'entière responsabilité est engagée, n'est pas fondée à demander la réformation du jugement en tant qu'il a mis à sa charge la totalité des frais d'expertise.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune des Abymes une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. D... à l'occasion du présent litige. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'allocation d'une somme à la commune, qui est la partie perdante.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme que la commune des Abymes a été condamnée à verser à M. D... est portée de 5 111,42 euros à 8 235 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe n° 1700919 du 1 janvier 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La commune des Abymes versera à M. D... une somme de 1 500 euros au titre

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., à la commune des Abymes

et à la Caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe.

Délibéré après l'audience du 29 juin 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne B..., présidente-assesseure,

Mme A... E..., conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juillet 2021.

La rapporteure,

Anne B...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au préfet de la Guadeloupe en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX01442


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX01442
Date de la décision : 13/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice.

Travaux publics - Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics - Causes d'exonération - Faute de la victime - Absence de faute.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme BEUVE-DUPUY
Avocat(s) : SCP DELAVALLADE - GELIBERT - DELAVOYE

Origine de la décision
Date de l'import : 03/08/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-07-13;19bx01442 ?
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