Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune de Roullet-Saint-Estèphe a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté interministériel du 27 septembre 2017 refusant de reconnaitre l'état de catastrophe naturelle sur son territoire pour les mouvements de terrains différentiels consécutifs aux épisodes de sécheresse et de réhydratation des sols survenus en 2016. La commune a aussi demandé au tribunal d'enjoindre à l'Etat de prendre un arrêté portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle sur son territoire dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir.
Par un jugement n°1800856 du 17 juillet 2020, le tribunal a annulé l'arrêté du 27 septembre 2017 en tant qu'il n'a pas inscrit la commune de Roullet-Saint-Estèphe sur la liste des communes reconnues en état de catastrophe naturelle et a enjoint à l'Etat de procéder à un nouvel examen de la demande de la commune.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 septembre 2020, le ministre de l'intérieur, représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 17 juillet 2020 ;
2°) de rejeter la demande de première instance de la commune ;
3°) de mettre à la charge de la commune la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté en litige n'a pas été pris à la suite d'une procédure irrégulière ; la composition de la commission interministérielle n'a pas vicié la décision en litige du seul fait qu'elle n'a pas respecté les prévisions de la circulaire du 27 mars 1984 ; la seule présence de représentants de la caisse centrale de réassurance ne permet pas de faire présumer que l'avis de la commission aurait été entaché de partialité ;
- la commission examine les dossiers sur la base de tableaux préparés en amont sur la base de données chiffrées communiquées aux membres de la commission qui ont donc disposé des informations nécessaires pour examiner la situation de la commune de Roullet-Saint-Estèphe ; la commission s'est prononcée sur la base d'informations suffisantes collectées par Météo France;
- il n'était pas nécessaire pour le préfet de recueillir d'autres informations, notamment les études prévues par les circulaires du 27 mars 1984 et du 19 mai 1998 relatives à la constitution du dossier de demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle ;
- le moyen tiré de l'incompétence des signataires de l'arrêté doit être écarté dès lors qu'ils bénéficiaient de délégations de signatures régulières les habilitant à signer l'arrêté litigieux ;
- le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la lettre de notification du préfet est inopérant à l'encontre de l'arrêté interministériel en litige ; en tout état de cause, cette lettre est suffisamment motivée en droit et en fait ;
- les ministres ne se sont pas estimés liés par l'avis de la commission interministérielle et n'ont pas méconnu l'étendue de leur compétence ;
- le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté dès lors que les critères utilisés sont pertinents pour examiner les demandes de reconnaissance de catastrophe naturelle au regard de l'article L. 125-1 du code des assurances ;
- ils n'ont pas commis d'erreur de fait ni d'erreur d'appréciation sur la situation de la commune dès lors que l'application des critères permettant de reconnaitre l'état de catastrophe naturelle n'a pas permis de caractériser un agent naturel d'une intensité anormale.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 30 mars 2021 et le 28 mai 2021, la commune de Roullet-Saint-Estèphe, représentée par Me G..., conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) subsidiairement, à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de prendre une nouvelle décision portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle sur le territoire de la commune de Roullet-Saint-Estèphe dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
3°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Par un mémoire distinct présenté le 21 avril 2021, la commune de Roullet-Saint-Estephe demande à la cour en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de ses conclusions tendant au rejet de l'appel du ministre, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 125-1 du code des assurances.
Elle soutient que :
- l'article L. 125-1 du code des assurances est applicable au litige dès lors qu'il constitue la base légale de l'arrêté interministériel contesté ;
- cet article L. 125-1 n'a pas fait l'objet d'une déclaration de conformité à la Constitution par le Conseil Constitutionnel ;
- l'article L. 125-1 traduit une incompétence négative du législateur qui a manqué à son obligation constitutionnelle d'adopter des dispositions suffisamment précises et non équivoques ; la loi s'est bornée à donner une définition large de la notion de catastrophe naturelle sans préciser les critères et les conditions relatives à l'intensité de l'agent naturel caractérisant une telle catastrophe ; de plus, la loi n'a pas habilité le pouvoir règlementaire à prendre les dispositions permettant de définir ces critères ; ces insuffisances ont été soulignées par divers travaux parlementaires (par exemple, le rapport au Sénat n° 628 du 3 juillet 2019) qui ont relevé le manque de transparence de la procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, caractérisée par de nombreuses modifications des critères de reconnaissance en l'espace de quelques années (cinq fois entre 2005 et 2015) ; des propositions de loi ont ainsi été déposées en 2019 et 2020 pour remédier aux insuffisances de l'actuelle législation ;
- l'article L. 125-1 du code des assurances affecte plusieurs droits et libertés garantis par la Constitution ; il en est ainsi pour le principe d'égalité devant la loi, du principe d'égalité devant les charges publiques et du principe de solidarité nationale ;
- il existe ainsi une rupture de l'égalité dans le temps entre les sinistrés ; en raison des modifications successives des critères de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle (cinq fois entre 2005 et 2015), des communes placées dans une situation identique se voient accorder ou refuser la reconnaissance sollicitée parfois dans un intervalle de temps réduit ;
- il existe aussi une rupture de l'égalité dans l'espace entre les communes ; en effet, une commune est reconnue pour la totalité de son territoire en état de catastrophe naturelle si l'une de ses mailles remplit les conditions requises ; cette situation avantage les grandes communes au détriment des petites divisées en un faible nombre de mailles ou comportant une seule maille ; pourtant les sinistrés non reconnus dans ces communes sont dans une situation identique à ceux situés dans une maille ne remplissant pas les conditions de l'état de catastrophe naturelle mais située dans une commune où une autre maille remplit, elle, les conditions ;
- le critère météorologique permettant de déclencher la reconnaissance est calculé par le biais d'une modélisation sans mesures de terrain ; ce critère météorologique est apprécié selon un découpage administratif artificiel en 3 ou 4 périodes et ne permet pas de prendre en compte la réalité de la situation qui dépasse ou chevauche les périodes administratives analysées ; ainsi, le sinistré qui a subi un phénomène chevauchant deux périodes ne sera pas reconnu en état de catastrophe naturelle ;
- le critère géologique traite de la même manière des personnes placées dans des situations différentes ; le maillage réalisé par Météo-France, de 64 km², est trop large pour restituer une image fidèle des conditions météorologiques locales ; le critère géologique ne tient pas compte de la particularité des terrains (pourcentage d'argile des terrains ou type de végétation) et de la topographie des lieux ;
- la loi actuelle méconnaît le principe de solidarité nationale et d'égalité devant les charges qui résultent des calamités nationales ; en ne définissant pas les conditions, critères et procédures permettant de constater l'état de catastrophe naturelle, et de la moindre habilitation de l'autorité réglementaire à le faire, l'article L. 125-1 du code des assurances a privé de garanties légales l'exigence constitutionnelle de solidarité nationale ;
- ainsi, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée n'est pas dépourvue de caractère sérieux, au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance de 1958.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des assurances ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. E... A...,
- les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteure publique,
- et les observations de Me G..., représentant la commune de Roullet-Saint-Estèphe.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Roullet-Saint-Estèphe a adressé au préfet de la Charente une demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle de son territoire au titre des mouvements de terrains différentiels consécutifs aux épisodes de sécheresse et de réhydratation des sols observés entre le 1er janvier et le 30 septembre 2016. Par un arrêté du 27 septembre 2017, le ministre de l'intérieur, le ministre de l'économie et des finances et le ministre de l'action et des comptes publics ont établi la liste des communes faisant l'objet d'une reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle au sein de laquelle la commune de Roullet-Saint-Estèphe ne figure pas. La commune de Roullet-Saint-Estèphe, après que le préfet lui a notifié l'arrêté interministériel par courrier du 23 octobre 2017, a saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté interministériel du 27 septembre 2017 et à ce qu'il soit prescrit à l'Etat de prendre un arrêté portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle sur son territoire. Par un jugement rendu le 17 juillet 2020, dont le ministre de l'intérieur relève appel, le tribunal a fait droit aux conclusions à fin d'annulation de la commune et a prescrit à l'Etat de réexaminer la demande de cette dernière de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
2. Aux termes de l'article LO 771-1 du code de justice administrative : " La transmission par une juridiction administrative d'une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat obéit aux règles définies par les articles 23-1 à 23-3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ". L'article 23-2 de cette ordonnance dispose que : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat (...). Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure (...) ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative (...) aux droits et libertés garantis par la Constitution (...) se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat (...) ".
3. Aux termes de l'article L. 125-1 du code des assurances " (...) Sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles, au sens du présent chapitre, les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises. (...). ".
4. Selon la commune, l'article L. 125-1 précité révèle une incompétence négative du législateur, lequel s'est borné à donner une définition imprécise de la notion de catastrophe naturelle sans détailler les critères et les conditions relatives à l'intensité de l'agent naturel caractérisant une telle catastrophe et sans prévoir l'intervention du pouvoir règlementaire en vue d'une définition précise et objective de ces critères. De là découle, selon la commune, la méconnaissance par l'article L. 125-1 du code des assurances du principe d'égalité devant la loi, du principe d'égalité des communes et des sinistrés devant les charges publiques, du principe de solidarité nationale et du principe d'égalité des charges devant les calamités nationales dès lors que l'imprécision des critères à l'oeuvre conduit l'administration, lors de l'instruction des demandes, à traiter différemment des communes se trouvant dans la même situation.
5. Les matières qui relèvent de la compétence du législateur sont énumérées à l'article 34 de la Constitution qui distingue, s'agissant de ces matières, entre celles pour lesquelles la loi fixe les règles et celles pour lesquelles elle détermine des principes fondamentaux. En vertu de l'article 34 de la Constitution, le régime de la propriété et des droits réels est au nombre des matières pour lesquelles le législateur détermine des principes fondamentaux.
6. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 125-1 que le législateur, pour définir les effets des catastrophes naturelles, a retenu plusieurs critères cumulatifs liés à la nature matérielle et directe des dommages subis - que les mesures de prévention habituelles lorsqu'elles ont pu être mises en oeuvre n'ont pu empêcher - au caractère non assurable de ces dommages et au fait que ceux-ci ont eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel. Ces dispositions présentent un caractère général, qui s'explique par la grande variété des phénomènes naturels assimilables à une catastrophe naturelle et à la technicité que requiert leur appréciation, laquelle tient compte de l'évolution des connaissances scientifiques pouvant conduire à revoir périodiquement les paramètres scientifiques et la méthodologie mis en oeuvre pour caractériser l'intensité des phénomènes observés. Pour autant, ces dispositions n'en définissent pas moins, à l'aide des critères qu'elles prévoient, la notion de catastrophe naturelle avec une précision qui n'est pas insuffisante au regard de l'article 34 précité de la Constitution, lequel impose au législateur, en matière de droit de propriété et de droits réels, non pas de fixer des règles mais de déterminer des principes fondamentaux. Ainsi, en définissant de la sorte la notion de catastrophe naturelle et en ne prévoyant pas l'intervention du pouvoir règlementaire pour que soient précisées les modalités d'application de l'article L. 125-1 du code des assurances, le législateur n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence au regard de l'article 34 de la Constitution. Par suite, le grief invoqué par la commune à l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité ne présente pas un caractère sérieux justifiant que cette question soit transmise au Conseil d'Etat.
Sur le bien-fondé des moyens d'annulation retenu par le tribunal :
7. Une circulaire du 27 mars 1984 a institué une commission interministérielle relative aux dégâts non assurables causés par les catastrophes naturelles pour donner aux ministres compétents un avis sur les demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle dont ils sont saisis. Par une autre circulaire du 19 mai 1998, l'autorité ministérielle a posé des règles de constitution, de validation et de transmission des dossiers de demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle et a précisé, dans le cas de dommages résultant de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols, que la demande doit être accompagnée d'un rapport géotechnique et d'un rapport météorologique relatif à l'événement.
8. Il ressort des pièces du dossier que la commission interministérielle qui s'est réunie le 19 septembre 2017 pour examiner les demandes de reconnaissance de catastrophe naturelle a rendu son avis sur la base d'un tableau établi par Météo France. Ce tableau distingue, pour chaque commune, la période concernée par la demande ainsi que la maille territoriale de rattachement. Les critères définis par Météo France pour apprécier l'existence d'un état de catastrophe naturelle y sont reportés et font l'objet d'une application pour chacune des communes concernées. Même si le préfet n'a pas demandé à la commune de Roulet-Saint-Estèphe de lui adresser des éléments sur l'épisode climatique considéré avant de transmettre son dossier à l'autorité ministérielle, contrairement aux prévisions des circulaires du 27 mars 1984 et du 19 mai 1998, les membres de la commission et les ministres décisionnaires ont disposé des données fournies par Météo-France qu'ils ont comparées aux critères servant à apprécier l'état de catastrophe naturelle. Ils ont ainsi été en mesure de connaître avec une précision suffisante les conditions climatiques propres à chaque commune et aucun élément au dossier ne permet d'estimer qu'ils se seraient abstenus de procéder à un examen de chaque demande en se bornant à entériner le tableau établi par Météo France. Enfin, eu égard au travail préparatoire effectué par les services de Météo-France antérieurement à la réunion du 19 septembre 2017, la circonstance que la commission ait examiné au cours de cette séance la situation d'un grand nombre de communes n'est pas, à elle seule, de nature à établir que cette commission n'aurait pas rendu son avis et les ministres compétents ne se seraient pas prononcés sur la situation particulière de la commune de Roulet-Saint-Estèphe.
9. Par ailleurs, selon la circulaire du 27 mars 1984, la commission interministérielle relative aux dégâts non assurables causés par les catastrophes naturelles est composée d'un représentant du ministère de l'intérieur appartenant à la direction de la sécurité civile, d'un représentant du ministère de l'économie et des finances appartenant à la direction des assurances et d'un représentant du ministère chargé du budget membre de la direction du budget, le secrétariat de la commission étant assuré par la Caisse centrale de réassurance. Lors de sa réunion du 19 septembre 2017, la commission interministérielle était composée de quatre représentants du ministre de l'intérieur, un représentant du ministre de l'économie et des finances, un représentant du ministre de l'action et des comptes publics, deux représentants du ministre de la transition écologique et solidaire, deux représentants du ministre des outre-mer et deux membres de la Caisse centrale de réassurance. Ainsi, la commission était composée de plus de trois membres et de plus d'un secrétaire, contrairement aux prévisions de la circulaire du 27 mars 1984.
10. Toutefois, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.
11. En l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que, par elle-même, la composition de la commission aurait privé la commune d'une garantie qui tiendrait notamment à l'impartialité de cette instance ou à l'obligation qui incombe à celle-ci de procéder à un examen circonstancié de chaque demande. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que cette composition a été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision prise. En particulier, et contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la seule présence, au sein de la commission, de représentants de la caisse centrale de réassurance, société détenue à 100 % par l'État proposant avec la garantie de ce dernier la couverture assurantielle des catastrophes naturelles, ne suffit pas à entacher d'irrégularité la composition de la commission au regard du principe d'impartialité. Par suite, cet arrêté n'est pas irrégulier du fait que des personnalités non prévues par la circulaire du 27 mars 1984 ont siégé et participé aux travaux ainsi qu'au vote de la commission interministérielle, laquelle est investie d'une mission purement technique et consultative.
12. Dans ces conditions, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a annulé l'arrêté du 27 septembre 2017 en tant qu'il a refusé de reconnaître l'état de catastrophe naturelle sur le territoire de la commune de Roullet-Saint-Estèphe au motif que cet arrêté était entaché de vices de procédure.
13. Il y a lieu pour la cour, saisie du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance par la commune.
Sur les autres moyens :
14. En premier lieu, aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions (...) peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : (...) 1° Les secrétaires généraux des ministères, les directeurs d'administration centrale, les chefs des services à compétence nationale mentionnés au premier alinéa de l'article 2 du décret du 9 mai 1997 susvisé et les chefs des services que le décret d'organisation du ministère rattache directement au ministre ou au secrétaire d'Etat ; 2° Les chefs de service, directeurs adjoints, sous-directeurs, les chefs des services à compétence nationale mentionnés au deuxième alinéa de l'article 2 du décret du 9 mai 1997 susvisé (...) ".
15. L'organisation et les attributions de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, l'organisation de la direction générale du trésor et celle de la direction du budget ont été définies, respectivement, par les arrêtés ministériels du 23 novembre 2016, du 11 décembre 2015 et du 27 mars 2007. En vertu des dispositions précitées du décret du 27 juillet 2005, le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises du ministère de l'intérieur, le sous-directeur des assurances au ministère de l'économie et le sous-directeur de la 5ème sous-direction de la direction du budget au ministère du budget, dont les actes de nomination ont été publiés au Journal officiel de la République française respectivement les 25 février 2017, 14 octobre 2016 et 15 juin 2017, avaient qualité pour signer au nom des ministres compétents l'arrêté du 27 septembre 2017 dont l'édiction est au nombre des attributions relevant de leurs directions et sous-directions respectives. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence des auteurs de l'arrêté en litige doit être écarté.
16. En deuxième lieu, à supposer que les représentants du ministère de l'économie et des finances et les représentants du budget ayant siégé à la commission interministérielle du 19 septembre 2017 n'étaient pas " régulièrement habilités ", comme l'allègue la commune, aucun élément du dossier ne permet d'estimer que cette circonstance aurait privé cette dernière d'une garantie ou aurait été susceptible d'exercer une influence sur le sens de l'arrêté contesté.
17. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 125-1 du code des assurances : " Les contrats d'assurance, souscrits par toute personne physique ou morale autre que l'Etat et garantissant les dommages d'incendie ou tous autres dommages à des biens situés en France (...) ouvrent droit à la garantie de l'assuré contre les effets des catastrophes naturelles (...) Sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles (...) les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises. L'état de catastrophe naturelle est constaté par arrêté interministériel qui détermine les zones et les périodes où s'est située la catastrophe ainsi que la nature des dommages résultant de celle-ci couverts par la garantie visée au premier alinéa du présent article. Cet arrêté précise, pour chaque commune ayant demandé la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, la décision des ministres. Cette décision est ensuite notifiée à chaque commune concernée par le représentant de l'Etat dans le département, assortie d'une motivation. (...) ".
18. Si les dispositions précitées exigent que la décision des ministres, assortie de sa motivation, soit, postérieurement à la publication de l'arrêté, notifiée par le représentant de l'État dans le département à chaque commune concernée, elles ne sauraient être interprétées comme imposant une motivation en la forme de l'arrêté de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle qui serait une condition de légalité de ce dernier. Ainsi, la circonstance que la lettre du 26 octobre 2017 par laquelle le préfet a notifié à la commune de Roullet-Saint-Estèphe l'arrêté du 27 septembre 2017 en litige ne serait pas motivée est sans incidence sur la légalité de cet arrêté.
19. En quatrième lieu, la commission interministérielle a pour seule mission, ainsi qu'il a été dit, d'éclairer les ministres sur l'application à chaque commune des méthodologies et paramètres scientifiques permettant de caractériser les phénomènes naturels en cause, les avis qu'elle émet ne liant pas les autorités compétentes. Il est donc loisible aux ministres décisionnaires de s'appuyer sur l'avis de la commission et même de s'en approprier le contenu dans leur appréciation de l'existence d'un état de catastrophe naturelle au sein des communes concernées. En l'espèce, il ne ressort ni des motifs de l'arrêté en litige du 27 septembre 2017 ni des pièces du dossier que les ministres se seraient sentis tenus de suivre la position adoptée par la commission interministérielle en méconnaissant ainsi l'étendue de leur compétence. Par suite, le moyen soulevé doit être écarté.
20. En cinquième lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 125-1 du code des assurances que le législateur a entendu confier aux ministres concernés la compétence pour se prononcer sur les demandes des communes tendant à la reconnaissance sur leur territoire de l'état de catastrophe naturelle. Il leur appartient, à cet effet, d'apprécier l'intensité et l'anormalité des agents naturels en cause sur le territoire des communes concernées. Ils peuvent légalement, même en l'absence de dispositions législatives ou réglementaires le prévoyant, s'entourer, avant de prendre les décisions relevant de leurs attributions, des avis qu'ils estiment utile de recueillir et s'appuyer sur des méthodologies et paramètres scientifiques, sous réserve que ceux-ci apparaissent appropriés, en l'état des connaissances, pour caractériser l'intensité des phénomènes en cause et leur localisation, qu'ils ne constituent pas une condition nouvelle à laquelle la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle serait subordonnée ni ne dispensent les ministres d'un examen particulier des circonstances propres à chaque commune. Il incombe enfin aux ministres concernés de tenir compte de l'ensemble des éléments d'information ou d'analyse dont ils disposent, le cas échéant à l'initiative des communes concernées.
21. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties sans aller jusqu'à exiger de l'auteur du recours d'apporter la preuve des faits qu'il avance.
22. Pour apprécier, afin de mettre en application les dispositions précitées de l'article L. 125-1 du code des assurances, si la sécheresse constatée en 2016 sur le territoire de Roullet-Saint-Estèphe présentait un caractère anormal et intense, conditions nécessaires à la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, l'administration s'est fondée sur les données météorologiques de Météo France et l'outil SIM (Safran/Isba/Modcou) mis au point par cet établissement public pour modéliser, à l'aide des données pluviométriques conservées dans 4 500 postes d'observation, le bilan hydrique du territoire français. Cette modélisation a conduit à couvrir le territoire français métropolitain d'une grille composée de 9 000 mailles de 8 km de côté. Le modèle Safran est un système d'analyse à mésoéchelle de variables atmosphériques qui utilise des observations de surface, combinées à des données d'analyse de modèles météorologiques pour produire les paramètres horaires nécessaires au fonctionnement d'ISBA au pas de temps horaire. Ces paramètres (température, humidité, vent, précipitations solides et liquides, rayonnement solaire et infrarouge incident), sont analysés par pas de 300 m d'altitude puis interpolés sur une grille de calcul régulière (8 x 8 km). Le modèle ISBA (Interaction sol-biosphère-atmosphère) simule les échanges d'eau et d'énergie entre le sol et l'atmosphère en tenant compte de trois couches de sol (surface, zone racinaire, zone profonde) et de deux températures (température de surface globale du continuum sol-végétation et température profonde) pour modéliser les flux d'eau avec l'atmosphère (interception, évaporation, transpiration) et avec le sol (ruissellement des précipitations et drainage dans le sol). Son pas de temps est de 5 mn. Le modèle Modcou est un modèle hydrologique distribué qui utilise en entrée les données de ruissellement et de drainage d'ISBA pour calculer l'évolution des nappes et le débit des rivières. Sa maille de calcul varie en fonction de la limite des bassins versants et du réseau hydrographique et son pas de temps est de trois heures. La grille mise au point à l'aide de l'outil SIM doit permettre d'apprécier pour chaque maille le niveau d'intensité de l'aléa naturel en fonction de critères permettant d'étudier le bilan hydrique des sols argileux, lequel ne s'arrête pas à la seule prise en compte de données strictement météorologiques de pluviométrie, afin d'apprécier avec une plus grande précision que les anciens modèles les mouvements de terrains différentiels consécutifs à la succession d'épisodes de sécheresse et de réhydratation des sols.
23. Les outils élaborés permettent d'intégrer dans le bilan hydrique un paramètre de teneur en eau des sols, laquelle est mesurée par l'index SWI (Soil Wetness Index). Cet index fournit des moyennes d'humidité du sol par rapport auxquelles est comparée la période concernée par la demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle. Les données de mesure sont fournies par les 4 500 postes d'observation répartis sur l'ensemble du territoire et sont disponibles depuis 1958. Ainsi, la sécheresse hivernale est considérée comme revêtant une intensité anormale lorsque l'indice d'humidité du sol superficiel moyen est inférieur à la normale sur les quatre trimestres de l'année et qu'une décade du trimestre de fin de recharge (janvier à mars) est inférieure à 80% de la normale. La sécheresse printanière est retenue comme catastrophe naturelle lorsque la moyenne de l'index SWI, calculée sur les trois mois du second trimestre est si faible que la durée de retour d'un tel épisode est au moins de 25 années, correspondant à une année de sécheresse de rang 1 ou 2 sur la période courant de 1959 à 2015. Quant à l'intensité anormale de la sécheresse estivale, elle est retenue lorsque la teneur en eau des sols est inférieure à 70 % de son niveau habituel durant le 3ème trimestre de l'année considérée et que le nombre de décades au cours desquelles le niveau d'humidité du sol superficiel mesuré par l'index SWI est inférieur à 0,27, soit l'une des trois périodes les plus longues sur la période 1989-2016. L'intensité anormale de la sécheresse estivale peut aussi être retenue lorsque l'index SWI des neuf décades composant la période de juillet à septembre de l'année considérée est si faible que le temps de retour à la normale de la moyenne SWI représente au moins 25 années.
24. La commune de Roullet-Saint-Estèphe fait valoir que les critères utilisés par les autorités ministérielles ne sont ni adéquats, ni fiables, ni complets. Ces critères, qui ne reposent pas exclusivement sur des données météorologiques de pluviométrie, ont été adaptés au cours des années 2000 pour tenir compte de l'évolution des connaissances scientifiques à la disposition des ministres décisionnaires lorsqu'ils ont pris l'arrêté en litige du 27 septembre 2017. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la méthode employée empêcherait la prise en compte de la situation particulière de chaque commune ni qu'elle serait inappropriée pour apprécier de manière suffisamment objective, précise et conforme aux buts poursuivis par l'article L. 125-1 du code des assurances, l'intensité anormale du phénomène à l'origine des mouvements de terrains différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols durant l'année 2016. La circonstance que les demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, présentées à partir de l'année 2018, soient instruites à l'aide des " outils de modélisation hydrométéorologique de Météo-France les plus performants " tenant compte des " progrès les plus récents accomplis dans la connaissance de cet aléa ", selon les termes de la circulaire ministérielle du 10 mai 2019 sur la révision des critères de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, ne permet pas d'estimer, non plus que les nouvelles recommandations du service " Drias les futurs du climat " de Météo France, que les outils et critères précédents, utilisés en l'espèce par l'administration, présentaient un caractère imprécis au point d'aboutir à une appréciation erronée de l'intensité et de l'anormalité de la sécheresse observée en 2016 sur le territoire de Roullet-Saint-Estèphe à l'origine de la demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle.
25. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que les informations associées aux mailles auxquelles la commune de Roullet-Saint-Estèphe a été rattachée, alors même que la superficie de ces mailles excède le territoire communal, ne permettraient pas d'appréhender avec une pertinence et une précision suffisantes l'intensité de l'aléa naturel observé au cours de la période de l'année 2016 en cause. Les critères pris en compte par l'administration pour apprécier l'existence d'un aléa d'intensité anormale n'étaient pas remplis ainsi que l'établit suffisamment la fiche de notification des motivations de l'arrêté interministériel en litige produite au dossier. Si la commune fait valoir que les indices SWI utilisés par l'administration pour se prononcer sur l'existence d'un état de catastrophe naturelle sont supérieurs à ceux qu'elle a pu consulter sur le site de Météo-France, à elle seule cette circonstance ne révèlerait pas l'illégalité de l'arrêté en litige dès lors que la valeur absolue d'un indice ne suffit pas à caractériser un épisode de catastrophe naturelle, qui s'apprécie en fonction des critères rappelés au point 23, lesquels prennent en compte l'intensité et l'anormalité de l'évènement et ne sont pas remplis pour la commune de Roullet-Saint-Estèphe.
26. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé les décisions en litige et a prescrit à l'Etat de réexaminer la demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle présentée par la commune. Ce jugement, dès lors, doit être annulé et la demande de première instance ainsi que les conclusions présentées en appel par la commune doivent être rejetées.
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
27. Il y a lieu de faire application de ces dispositions en mettant à la charge de la commune de Roullet-Saint-Estèphe une somme de 100 euros au titre des frais exposés par le ministre de l'intérieur et non compris dans les dépens. Ces mêmes dispositions font obstacle aux conclusions présentées par la commune qui est la partie perdante.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.
Article 2 : Le jugement n° 1800856 du tribunal administratif de Poitiers du 17 juillet 2020 est annulé.
Article 3 : La demande de première instance de la commune de Roullet-Saint-Estèphe et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 4 : La commune de Roullet-Saint-Estèphe versera à l'Etat la somme de 100 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Roullet-Saint-Estèphe, au ministre de l'intérieur, au ministre de l'économie, des finances et de la relance et au ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Copie pour information en sera délivré à la préfète de la Charente.
Délibéré après l'audience du 1er juin 2021 à laquelle siégeaient :
M. E... A..., président,
Mme D... F..., première conseillère,
Mme B... H..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 juin 2021.
L'assesseure la plus ancienne,
Caroline F...
Le président-rapporteur,
Frédéric A...La greffière,
Virginie SantanaL'assesseure la plus ancienne,
Caroline F...
Le président-rapporteur,
Frédéric A...
La greffière,
Virginie Santana La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, au ministre de l'économie, des finances et de la relance et au ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance chargé des comptes publics, chacun en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 20BX03042 4