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17/06/2021 | FRANCE | N°19BX02793

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ere chambre - formation a 3, 17 juin 2021, 19BX02793


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision implicite par laquelle la rectrice de l'académie de la Martinique a rejeté sa demande du 21 septembre 2017 tendant à l'octroi de la protection fonctionnelle, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique du 14 décembre 2017.

Par un jugement n° 1800217 du 11 avril 2019, le tribunal administratif de la Martinique a annulé les décisions implicites de rejet nées du silence gardé par la re

ctrice de l'académie de la Martinique et le ministre de l'éducation nationale sur...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision implicite par laquelle la rectrice de l'académie de la Martinique a rejeté sa demande du 21 septembre 2017 tendant à l'octroi de la protection fonctionnelle, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique du 14 décembre 2017.

Par un jugement n° 1800217 du 11 avril 2019, le tribunal administratif de la Martinique a annulé les décisions implicites de rejet nées du silence gardé par la rectrice de l'académie de la Martinique et le ministre de l'éducation nationale sur les demandes de protection fonctionnelle de M. D..., a enjoint au ministre d'accorder à M. D... le bénéfice de la protection fonctionnelle dans un délai d'un mois et a mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 1er juillet 2019 et un mémoire enregistré le 16 mars 2021, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 11 avril 2019 ;

2°) de constater qu'il n'y a pas lieu de se prononcer sur la demande de M. D... ;

3°) ou, à défaut, de rejeter la demande de M. D... tendant à l'annulation des décisions implicites de rejet de la rectrice de l'académie de la Martinique et du ministre de l'éducation nationale.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que les premiers juges auraient dû constater un non-lieu partiel ;

- le tribunal administratif de la Martinique ne pouvait annuler une décision de refus de protection fonctionnelle pour l'engagement d'une procédure de dénonciation calomnieuse ni lui enjoindre l'octroi de cette protection, dès lors qu'à la date où les premiers juges ont été saisis, aucune décision de refus n'était intervenue sur ce point ;

- il n'y avait plus lieu de statuer sur la requête de M. D..., dès lors que par une décision du 7 août 2018 le bénéfice de la protection fonctionnelle lui a été accordé pour la procédure disciplinaire engagée à son encontre, et étendu par une décision du 26 décembre 2018 à la procédure pénale ;

- la procédure pour dénonciation calomnieuse que M. D... souhaitait engager était manifestement dénuée de toute chance de succès, ce qui justifiait un refus sur ce point.

Par des mémoires en défense enregistrés les 26 février et 22 mars 2021, M. D..., représenté par Me E..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable, dès lors qu'elle est tardive ;

- les moyens du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F... C...,

- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., représentant M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., professeur en collège, a été accusé, le 29 mars 2017 par une élève de sixième, d'agression sexuelle. Une procédure pénale a été ouverte pour ces faits, ainsi qu'une procédure disciplinaire. Il a été décidé qu'aucune sanction ne serait prononcée à l'encontre de M. D..., tandis que la procédure pénale a été classée sans suite par le procureur de la République le 27 novembre 2017. Par un courrier du 21 septembre 2017, M. D... a alors sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle auprès de la rectrice de l'académie de la Martinique et, par un courrier du 14 décembre 2017, il a saisi le ministre de l'éducation nationale d'un recours hiérarchique contre le rejet implicite de sa demande. Le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse relève appel du jugement du 11 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de la Martinique a annulé les décisions implicites de rejet nées du silence gardé par la rectrice de l'académie de la Martinique et par le ministre de l'éducation nationale sur les demandes de protection fonctionnelle formées par M. D..., lui a enjoint d'accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle à M. D... et a mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la recevabilité de la requête :

2. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf dispositions contraires, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 et R. 751-4-1 (...) ". Et aux termes de l'article R. 751-4-1 du même code : " (...) Ces parties sont réputées avoir reçu la notification à la date de première consultation de la décision, certifiée par l'accusé de réception délivré par l'application informatique, ou, à défaut de consultation dans un délai de deux jours ouvrés à compter de la date de mise à disposition de la décision dans l'application, à l'issue de ce délai (...). ".

3. Il ressort des pièces du dossier de première instance, et notamment des documents délivrés par l'application Télérecours, que le jugement attaqué a été mis à disposition du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports le 29 avril 2019 à 21 heures 11 et que le ministre en a accusé réception le 30 avril 2019 à 8 heures 51. Par suite, sa requête, qui a été enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel le 1er juillet suivant, soit dans le délai prévu par l'article R. 811-2 du code de justice administrative cité ci-dessus, n'est pas tardive. Dès lors, la fin de non-recevoir opposée par M. D... doit être écartée.

Sur la régularité du jugement :

4. Il ressort des pièces du dossier que, par une décision du 7 août 2018, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse a accordé à M. D... le bénéfice de la protection fonctionnelle dans le cadre de la procédure disciplinaire engagée à son encontre et que, par une décision du 26 décembre 2018, produite par le ministre pour la première fois en appel, il a étendu le bénéfice de la protection fonctionnelle à la procédure pénale initiée à l'encontre de M. D.... Ainsi, le ministre doit être regardé comme ayant procédé au retrait des décisions implicites refusant d'accorder à M. D... la protection fonctionnelle à raison de la procédure pénale engagée à son encontre. Dès lors, la demande de M. D... tendant à l'annulation de ces décisions était devenue sans objet à la date du jugement du tribunal administratif de la Martinique du 11 avril 2019. Par suite, comme le soutient le ministre, ce jugement est irrégulier sur ce point et doit, dès lors, être annulé en tant qu'il a statué sur la demande de M. D... tendant à l'annulation des décisions implicites de rejet de sa demande de protection fonctionnelle à raison de la procédure pénale engagée à son encontre.

5. Il y a lieu d'évoquer les conclusions de la demande, devenues ainsi sans objet au cours de la procédure de première instance, et de constater qu'il n'y a pas lieu d'y statuer.

6. En revanche, et contrairement à ce que soutient le ministre, il ressort clairement du courrier du 14 décembre 2017 de M. D... que ce dernier sollicitait également le bénéfice de la protection fonctionnelle afin de faire cesser les diffamations dont il faisait l'objet, alors même qu'il n'avait pas précisé qu'il envisageait d'engager une procédure pénale pour dénonciations calomnieuses. Les décisions des 7 août 2018 et 26 décembre 2018 ayant pour seul objet d'accorder à M. D... le bénéfice de la protection fonctionnelle dans le cadre des procédures disciplinaire et pénale engagées à son encontre, c'est à bon droit que les premiers juges ont statué sur cette partie de la demande. Par suite, le jugement n'est pas entaché d'irrégularité sur ce point.

7. Il y a lieu de statuer sur cette partie des conclusions de M. D... par l'effet dévolutif de l'appel.

Sur le bien-fondé du jugement en tant qu'il concerne les autres conclusions de M. D... :

8. Aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " I. - A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. (...) IV. - La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. ".

9. L'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 cité ci-dessus établit à la charge de la collectivité publique et au profit des agents publics, lorsqu'ils ont été victimes d'attaques à raison de leurs fonctions, sans qu'une faute personnelle puisse leur être imputée, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles le fonctionnaire ou l'agent public est exposé, notamment en cas de diffamation, mais aussi de lui assurer une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en oeuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances.

10. Ainsi qu'il a été dit précédemment, la demande de protection fonctionnelle présentée par M. D... portait également sur les poursuites qu'il souhaitait engager contre, selon les termes qu'il a employés dans sa demande, " toute personne ayant participé à cette ignoble cabale à [son] encontre dans le cadre de [ses] fonctions ". Il est constant qu'aucune mesure n'a été prise par l'administration lui permettant de remplir son obligation de protection vis-à-vis de M. D... au regard des diffamations dont il a été l'objet, notamment en vue de lui assurer une réparation adéquate des torts qu'il a subis. Par ailleurs, l'appréciation portée par le ministre sur les chances de succès des poursuites envisagées par M. D... ne saurait constituer un motif d'intérêt général lui permettant de déroger à l'obligation de protection qui lui incombe. Enfin, la seule circonstance que l'élève ayant accusé M. D... d'agression sexuelle était âgée de douze ans au moment des faits ne peut être regardée comme caractérisant une absence manifeste de chances de succès d'une procédure de dénonciation calomnieuse engagée par l'intéressé, procédure qui ne se limite d'ailleurs pas à cette élève. Par suite, en refusant d'accorder à M. D... le bénéfice de la protection fonctionnelle pour les poursuites qu'il envisageait à l'encontre des auteurs des propos diffamatoires tenus à son encontre, le ministre a méconnu les dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

11. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a annulé les décisions implicites de la rectrice de l'académie de la Martinique et du ministre de l'éducation nationale en tant qu'ils ont rejeté la demande de protection fonctionnelle de M. D... concernant les diffamations dont il a fait l'objet, lui a enjoint de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle pour ces diffamations et a mis à sa charge une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les frais liés au litige :

12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État, qui est la partie principalement perdante dans la présente instance, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. D... et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 11 avril 2019 est annulé en tant qu'il a statué sur la demande de M. D... tendant à l'annulation des décisions implicites de rejet de sa demande de protection fonctionnelle à raison de la procédure pénale engagée à son encontre.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de M. D... tendant à l'annulation des décisions implicites de rejet de sa demande de protection fonctionnelle à raison de la procédure pénale engagée à son encontre présentée devant le tribunal administratif de la Martinique.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse est rejeté.

Article 4 : L'État versera à M. D... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et à M. B... D....

Délibéré après l'audience du 17 mai 2021 à laquelle siégeaient :

Mme F... C..., présidente,

M. Didier Salvi, président-assesseur,

Mme A..., première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juin 2021.

La présidente-rapporteure,

Marianne C...Le président-assesseur,

Didier Salvi

La greffière,

Sophie Lecarpentier

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation, de la jeunesse et sports en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 19BX02793 6


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ere chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 19BX02793
Date de la décision : 17/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Exces de pouvoir

Analyses

36-07-10-005 Fonctionnaires et agents publics. Statuts, droits, obligations et garanties. Garanties et avantages divers. Protection contre les attaques.


Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: Mme Marianne HARDY
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : RONCIN;RONCIN;RONCIN

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-06-17;19bx02793 ?
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