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15/06/2021 | FRANCE | N°21BX00115

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2eme chambre (formation a 3), 15 juin 2021, 21BX00115


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 12 juillet 2019 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n° 1901712 du 12 novembre 2020, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 janvier 2021, M. D..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges

;

2°) d'annuler la décision du préfet de la Haute-Vienne du 12 juillet 2019 ;

3°) d'enjoindre au pré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 12 juillet 2019 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n° 1901712 du 12 novembre 2020, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 janvier 2021, M. D..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges ;

2°) d'annuler la décision du préfet de la Haute-Vienne du 12 juillet 2019 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Vienne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, à défaut, de réexaminer sa situation dans le même délai ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- il est père de trois enfants français, et a dû entrer en urgence sur le territoire métropolitain pour venir en aide à sa fille mineure, en abandonnant son travail à Mayotte, où son titre de séjour est désormais périmé ; le refus de séjour méconnaît les dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui excluent la nécessité de production d'un visa ;

- cette décision méconnaît également les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- elle est entachée d'un défaut de motivation en droit faute de viser les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- cette décision est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- l'article L.832-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui impose aux étrangers en situation régulière à Mayotte de bénéficier d'un visa pour se rendre dans un autre département français méconnaît le principe d'égalité, ainsi que les stipulations combinées des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 avril 2021, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 décembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., alors titulaire d'une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " délivrée sur le territoire de Mayotte, est entré sur le territoire métropolitain le 27 février 2019. Il a sollicité, le 14 mai 2019, le renouvellement de son titre de séjour en qualité de parent d'enfant français. Par une décision du 12 juillet 2019, le préfet de la Haute-Vienne le lui a refusé. M. D... relève appel du jugement du 12 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

2. En premier lieu, M. D... reprend en appel, sans apporter d'élément de fait ou de droit nouveau, les moyens soulevés en première instance tirés du défaut de motivation de la décision attaquée et de ce qu'elle serait entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée ; (...) ". Le titulaire d'une telle carte de séjour, ainsi que l'énonce l'article R. 321-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, peut en principe circuler librement " en France ", c'est-à-dire, conformément à ce qui résulte de l'article L. 111-3 du même code, en France métropolitaine, en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à la Réunion, à SaintPierreet-Miquelon, à Saint-Barthélemy, à SaintMartin et à Mayotte. Toutefois, l'article L. 832-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile limite la validité territoriale des titres de séjour délivrés à Mayotte, à l'exception de certains d'entre eux dont ne font pas partie ceux portant la mention " vie privée et familiale ". En vertu du deuxième alinéa de cet article : " (...) Les ressortissants de pays figurant sur la liste, annexée au règlement (CE) n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des Etats membres, qui résident régulièrement à Mayotte sous couvert d'un titre de séjour n'autorisant que le séjour à Mayotte et qui souhaitent se rendre dans un autre département doivent obtenir un visa. Ce visa est délivré, pour une durée et dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat, par le représentant de l'Etat à Mayotte après avis du représentant de l'Etat dans le département où ils se rendent, en tenant compte notamment du risque de maintien irrégulier des intéressés hors du territoire de Mayotte et des considérations d'ordre public. (...) ". L'article R. 832-2 du même code précise : " L'étranger qui sollicite le visa prévu à l'article L. 832-2 présente son document de voyage, le titre sous couvert duquel il est autorisé à séjourner à Mayotte, les documents permettant d'établir les conditions de son séjour dans le département de destination, les moyens d'existence lui permettant de faire face à ses frais de séjour ainsi que les garanties de son retour à Mayotte. / Sauf circonstances exceptionnelles, ce visa ne peut lui être délivré pour une durée de séjour excédant trois mois. (...) ". Sous la qualification de " visa ", ces dispositions instituent une autorisation spéciale, délivrée par le représentant de l'Etat à Mayotte, que doit obtenir l'étranger titulaire d'un titre de séjour délivré à Mayotte dont la validité est limitée à ce département, lorsqu'il entend se rendre dans un autre département. La délivrance de cette autorisation spéciale, sous conditions que l'étranger établisse les moyens d'existence lui permettant de faire face à ses frais de séjour et les garanties de son retour à Mayotte, revient à étendre la validité territoriale du titre de séjour qui a été délivré à Mayotte, pour une durée qui ne peut en principe excéder trois mois. Les dispositions de l'article L. 832-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui subordonnent ainsi l'accès aux autres départements de l'étranger titulaire d'un titre de séjour délivré à Mayotte à l'obtention de cette autorisation spéciale, font obstacle à ce que cet étranger, s'il gagne un autre département sans avoir obtenu cette autorisation, puisse prétendre dans cet autre département à la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions de droit commun et en particulier à la délivrance de plein droit de la carte de séjour temporaire telle que prévue à l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

4. Il est constant que M. D... n'a ni sollicité ni obtenu l'autorisation spéciale prévue par les dispositions précitées pour pouvoir légalement se rendre de Mayotte à un département métropolitain du territoire national. Dans ces conditions, alors qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'ont ni pour objet ni pour effet de soustraire le parent étranger d'un enfant français à l'obligation d'obtenir une telle autorisation spéciale, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu que la décision en cause ne méconnaissait pas ces dispositions.

5. En troisième lieu, M. D... n'ayant pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et le préfet de la Haute-Vienne n'ayant pas examiné d'office la possibilité de lui délivrer un titre de séjour sur ce fondement, le requérant ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance de ces dispositions.

6. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne prévoit également que : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications ".

7. Il ressort des pièces du dossier que M. D... est entré sur le territoire métropolitain le 27 février 2019 soit moins de cinq mois avant la décision attaquée. Il indique être hébergé par le centre communal d'action sociale de Limoges et ne justifie d'aucune attache privée ou familiale en France métropolitaine à l'exception de sa fille, de nationalité française, qu'il soutient avoir rejointe pour la soustraire à la connaissance de la famille à laquelle elle avait été confiée à Angoulême pour poursuivre sa scolarité dans de meilleures conditions qu'à Mayotte. A supposer même établies les violences subies par sa fille lorsqu'elle était scolarisée à Mayotte dont se prévaut le requérant, il ne ressort des pièces du dossier aucun obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue à Mayotte, où vivent deux autres enfants mineurs du requérant. Compte tenu de la très faible durée et des conditions de séjour en France métropolitaine de M. D..., la décision de refus de séjour attaquée ne porte pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts qu'elle poursuit et ne méconnaît pas, par suite, les stipulations précitées.

8. En cinquième lieu, aux termes de l'article 14 de la même convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ". Une distinction entre des personnes situées dans une situation analogue est, au sens de ces stipulations, discriminatoire, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne vise pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la loi.

9. Il résulte des dispositions précitées au point 3, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers ratifiant en son article 34 l'ordonnance n° 2014-464 du 7 mai 2014 portant extension et adaptation à Mayotte du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'elles ont notamment pour objet d'intégrer le territoire de Mayotte dans le champ d'application du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile tout en prenant en compte les particularités locales et notamment la " pression migratoire exceptionnelle à laquelle est soumise Mayotte ", ainsi que la nécessité de " réduire l'attractivité de Mayotte en termes de droit au séjour ". Dans ces conditions, les dispositions de l'article L. 832-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile instaurant une autorisation spéciale pour l'étranger titulaire d'un titre de séjour délivré à Mayotte lorsqu'il entend se rendre dans un autre département français poursuivent un objectif d'utilité publique en étant fondées sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la loi. Ainsi, la différence de traitement instaurée par la loi entre un ressortissant étranger titulaire d'un titre de séjour à Mayotte et un ressortissant étranger n'étant pas titulaire d'un tel titre, de portée limitée, relève de la marge d'appréciation que les stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales réservent au législateur national. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que les dispositions qui lui ont été appliquées seraient incompatibles avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande. Sa requête ne peut, par suite, qu'être rejetée, y compris les conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Vienne.

Délibéré après l'audience du 1er juin 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

Mme A... B..., conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 juin 2021.

La rapporteure,

Kolia B...

La présidente,

Catherine Girault

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

6

N° 21BX00115


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2eme chambre (formation a 3)
Numéro d'arrêt : 21BX00115
Date de la décision : 15/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Exces de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Kolia GALLIER
Rapporteur public ?: Mme BEUVE-DUPUY
Avocat(s) : CABINET AVOC'ARENES

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-06-15;21bx00115 ?
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