Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... F... a demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner l'Etat à lui verser la somme de 40 000 euros en réparation des préjudices subis du fait des agissements de harcèlement moral dont elle estime être victime.
Par un jugement n° 1700706 du 14 février 2019, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des pièces nouvelles, enregistrées respectivement le 17 mai 2019 et les 20 juin et 15 octobre 2020, Mme F..., représentée par Me D... C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 40 000 euros en réparation des préjudices subis du fait des agissements de harcèlement moral dont elle estime être victime ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative..
Elle soutient que :
- elle a subi des manoeuvres de déstabilisation exercées par sa hiérarchie ainsi que des reproches infondés sur sa manière de servir, contenus notamment dans une note du directeur territorial du 8 décembre 2017 et ayant pour but de l'inciter à quitter ses fonctions ;
- elle a subi des pressions de sa hiérarchie afin de la contraindre à solliciter un détachement ;
- ces agissements de sa hiérarchie ont été de nature à altérer sa santé physique et mentale et à compromettre son avenir professionnel ;
- la réduction de son indemnité de fonctions et d'objectifs pour 2017, annulée par le tribunal administratif de la Martinique dans un jugement du 14 février 2019 pour erreur manifeste d'appréciation, est révélatrice du harcèlement moral dont elle a fait l'objet ;
- le refus de reconnaissance de l'imputabilité au service de ses troubles anxio-dépressifs réactionnels, annulé par le tribunal administratif de la Martinique dans un jugement du 11 juin 2020 pour erreur manifeste d'appréciation, participe également à la caractérisation du harcèlement moral dont elle a fait l'objet ;
- l'ensemble de ces agissements est constitutif d'un harcèlement moral exercé à son encontre par sa hiérarchie en méconnaissance de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et, par suite, la responsabilité pour faute de l'Etat doit être engagée.
Par ordonnance du 17 juillet 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 16 octobre 2020.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 octobre 2020, le ministre de la justice demande à la cour de rejeter la requête de Mme F....
Il soutient qu'aucun des moyens qu'elle soulève n'est fondé.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B... A...,
- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteure publique,
Considérant ce qui suit :
1. Mme F..., directrice des services de la protection judiciaire de la jeunesse, exerce les fonctions de directrice d'un établissement de placement éducatif et d'insertion (EPEI) situé en Martinique. Estimant avoir été victime d'agissements répétés de harcèlement moral, elle a adressé une réclamation indemnitaire préalable qui a été réceptionnée par la ministre de la justice le 4 août 2017, puis a demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner l'Etat à réparer les préjudices qu'elle prétendait avoir subis. L'intéressée relève appel du jugement du 14 février 2019 par lequel le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.
Sur les conclusions indemnitaires :
2. Aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ".
3. D'une part, il appartient à un agent public, qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
4. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.
5. En premier lieu, Mme F... soutient qu'elle a subi des manoeuvres de déstabilisation ainsi que des reproches infondés sur sa manière de servir, notamment exprimés par son supérieur hiérarchique dans une note en date du 8 décembre 2017. Toutefois, ainsi que l'ont à bon droit relevé les premiers juges, les reproches qui lui ont été adressés sur sa manière de servir à la suite d'un courrier du 6 novembre 2015 de magistrats du tribunal de grande instance de Fort-de-France alertant sur des dysfonctionnements au sein de l'EPEI qu'elle dirige ne peuvent pas être regardés, au regard notamment de la gravité des faits dénoncés, comme excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. En outre, il résulte de l'instruction que la note du 8 décembre 2017 relative à sa manière de servir ne lui était pas adressée personnellement mais qu'elle constituait un document interne envoyé par son supérieur hiérarchique au directeur interrégional de la protection judiciaire de la jeunesse pour la région Ile-de-France Outre-mer, non diffusée et dont Mme F... n'a pu prendre connaissance que dans le cadre de la première instance. Par suite, cette note n'est en tout état de cause, et quand bien même les reproches qu'elle contient ne seraient pas fondés, pas susceptible de faire présumer l'existence d'agissements de harcèlement moral à l'encontre de Mme F....
6. En deuxième lieu, Mme F... soutient, comme devant les premiers juges, que sa hiérarchie l'a contrainte à solliciter un détachement afin qu'elle quitte ses fonctions de directrice de l'EPEI. Elle estime que l'inspection menée en 2016 au sein de l'établissement qu'elle dirige a été sciemment dirigée exclusivement contre elle et que sa direction a, à plusieurs reprises, signifié sa volonté de la voir quitter la direction de l'EPEI. Toutefois, quand bien même il serait établi que la hiérarchie de Mme F... aurait effectivement souhaité son départ, il ne résulte pas de l'instruction, et notamment des échanges de mails versés au dossier de première instance, qu'elle ait eu une quelconque intention malveillante à l'égard de l'appelante, souhaitant simplement être tenue au courant de l'avancée de ses démarches de détachement. En outre, il résulte de ses comptes rendus d'entretien professionnel au titre des années 2015 et 2016 que l'intéressée elle-même envisageait cette mobilité. Si elle a pu subir des pressions au cours de l'année 2017, lesquelles ont été reconnues par le tribunal administratif de la Martinique dans un jugement du 11 juin 2020, celles-ci sont en lien avec les difficultés rencontrées dans la gestion de l'EPEI et, par suite, elles ne sauraient être regardées comme excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors, ces agissements ne sont pas susceptibles de faire présumer un harcèlement moral à son encontre.
7. En troisième lieu, Mme F... soutient que la baisse du montant de son indemnité de fonctions et d'objectifs au titre de l'année 2017, annulée par un jugement du tribunal administratif de la Martinique du 14 février 2019, devenu définitif, pour erreur manifeste d'appréciation au regard de son compte-rendu d'entretien professionnel pour l'année 2016, participe du harcèlement moral dont elle s'estime victime. Toutefois, elle n'apporte aucun élément permettant d'apprécier l'importance de la réduction de son indemnité de fonctions et d'objectifs par rapport à celle qu'elle percevait les années précédentes.
8. En quatrième lieu, Mme F... soutient qu'elle souffre d'un syndrome anxio-dépressif, considéré imputable au service par le psychiatre agréé dans son rapport du 23 octobre 2017, et que le refus de l'administration de reconnaitre l'imputabilité au service de sa maladie a d'ailleurs été annulé par un jugement du tribunal administratif de la Martinique du 11 juin 2020.
9. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport du 23 octobre 2017 du psychiatre agréé, que les premières manifestations de ses troubles anxio-dépressifs réactionnels, remontent à l'année 2010 et ont pour origine un conflit objectif d'origine professionnelle opposant Mme F... à sa hiérarchie en dehors de toute situation de harcèlement moral. Si ce rapport médical évoque " un contexte de harcèlement professionnel " en 2016, il se borne à relater les dires et le ressenti de l'agent. Dans ces conditions, le syndrome anxio-dépressif dont souffre Mme F... n'est pas susceptible de faire révéler et de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral dont celle-ci aurait été victime.
10. Enfin, le refus opposé par son administration de reconnaître l'imputabilité au service du syndrome anxio-dépressif de la requérante, alors même qu'il a été annulé par un jugement du 11 juin 2020 du tribunal administratif de la Martinique pour un moyen se rattachant à la légalité interne de cet acte, n'est pas constitutif en lui-même de harcèlement.
11. Dès lors, et nonobstant les circonstances rappelées aux points précédents, Mme F... ne peut être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre. En l'absence de tels agissements, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande indemnitaire.
Sur les frais d'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par Mme F... au titre des frais liés à l'instance.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme F... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... F... et au ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 17 mai 2021 à laquelle siégeaient :
M. Didier Artus, président,
Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseur,
Mme B... A..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 juin 2021.
La rapporteure,
Déborah A... Le président,
Didier Artus
Le greffier,
André Gauchon
La République mande et ordonne au ministre de la transformation et de la fonction publiques en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°19BX02009 2