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14/06/2021 | FRANCE | N°19BX01864

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3eme chambre (formation a 3), 14 juin 2021, 19BX01864


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Pico Oi a demandé au tribunal administratif de la Réunion par deux requêtes enregistrées sous les n° 1601170 et 170050 d'annuler le marché public de travaux n° 16-164 signé le 5 septembre 2016 entre la communauté intercommunale du nord de La Réunion (CINOR) et la société Ouest BTP pour la réalisation d'un réseau d'assainissement collectif d'eaux usées sur le secteur de la Confiance Les Bas, sur le territoire de la commune de Sainte-Marie, ou, à défaut, de prononcer sa résiliation et d

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Pico Oi a demandé au tribunal administratif de la Réunion par deux requêtes enregistrées sous les n° 1601170 et 170050 d'annuler le marché public de travaux n° 16-164 signé le 5 septembre 2016 entre la communauté intercommunale du nord de La Réunion (CINOR) et la société Ouest BTP pour la réalisation d'un réseau d'assainissement collectif d'eaux usées sur le secteur de la Confiance Les Bas, sur le territoire de la commune de Sainte-Marie, ou, à défaut, de prononcer sa résiliation et de condamner la CINOR à lui verser la somme de 88 742,20 euros au titre de son manque à gagner et de ses frais de présentation de son offre liés à son éviction irrégulière de la procédure de passation du marché précité.

Par un jugement n°1601170 et 1700502 du 8 février 2019, le tribunal administratif de La Réunion a condamné la CINOR à verser à la société Pico Oi la somme de 76 836, 20 euros et la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de la demande de la société Pico Oi.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 7 mai 2019, la CINOR, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) à titre principal, de rejeter la demande de première instance présentée par la société Pico Oi ;

3°) à titre subsidiaire, de limiter l'indemnisation de cette société aux seuls frais de présentation de son offre ;

4°) de mettre à sa charge la somme de 5000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'analyse des offres ne révèle aucune erreur manifeste d'appréciation ;

- la valeur technique des offres a été appréciée selon leur précision et leur pertinence ;

- il n'y a pas de contradiction dans l'analyse des offres entre les appréciations littérales et les notes chiffrées ;

- les qualificatifs utilisés pour apprécier le sous-critère n°1 lié aux moyens mis en oeuvre par les candidats constituent des erreurs de plume ;

- il existe une différence en faveur de l'attributaire sur les moyens humains mis en oeuvre ;

- s'agissant des moyens humains, compte-tenu des mérites respectifs des offres, il a pu être attribué aux candidats la même note au sous-critère n°1 ;

- les qualificatifs utilisés pour apprécier le sous-critère n°3 lié aux moyens mis en oeuvre par les candidats constituent des erreurs de plume ;

- malgré la similitude des offres, elle a pu attribuer une note sensiblement supérieure à la société attributaire du marché ;

- à titre subsidiaire, les incohérences dans le rapport d'analyse des offres ne sont pas en lien avec l'éviction de la société Pico Oi ;

- la société Pico Oi n'avait pas de chances sérieuses de remporter le marché, compte tenu de la note qu'elle a obtenue au titre du critère du prix et que son offre sur le plan technique n'était pas supérieure ;

- elle ne peut donc obtenir l'indemnisation de son manque à gagner ;

- tout au plus, elle peut être indemnisée des frais de présentation de son offre.

Par un mémoire enregistré le 3 septembre 2020, la société Pico Oi, représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la CINOR ;

2°) de condamner la CINOR à lui payer la somme 88 742, 20 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de son éviction irrégulière du marché public de travaux pour la réalisation d'un réseau d'assainissement collectif d'eaux usées sur le secteur de la Confiance Les Bas, sur le territoire de la commune de Sainte-Marie ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise ayant pour mission de présenter au tribunal la qualité respective des offres au vue des critères d'attribution et de fournir tous les éléments afférents à son préjudice ;

4°) de mettre à la charge de la CINOR les dépens de l'instance, ainsi que la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- aucun moyen n'est fondé ;

- la notation du sous-critère 2.1 est l'élément le plus flagrant de l'erreur manifeste d'appréciation ;

- pour le sous-critère 2.2, alors même que son offre a été considérée comme parfaitement décrite, elle a eu une note inférieure à la société attributaire du marché considéré dont l'offre avait été considérée comme " ensemble juste satisfaisant " ;

- les mêmes incohérences de notation existent pour l'appréciation du sous-critère 3 ;

- elle est fondée à demander en plus de son manque à gagner l'indemnisation de ses frais de présentation de l'offre.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de justice des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C... B...,

- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par avis d'appel public à la concurrence publié dans l'édition du journal de l'île de La Réunion du 30 mars 2016, la communauté intercommunale du nord de La Réunion (CINOR) a lancé une procédure adaptée en vue de la conclusion d'un marché public de travaux pour la réalisation d'un réseau d'assainissement collectif d'eaux usées sur le secteur de la Confiance Les Bas, sur le territoire de la commune de Sainte-Marie. Par acte d'engagement signé le 5 septembre 2016, le président de la CINOR a conclu le marché avec la société Ouest BTP. Par courrier du 9 septembre 2016, la CINOR a informé la société Pico Oi du rejet de son offre et lui a indiqué, par courrier du 22 septembre 2016, les motifs du rejet de son offre. Par courrier du 10 février 2017, cette société a présenté une demande indemnitaire préalable. Par deux requêtes enregistrées sous les n° 1601170 et 1700502, la société Pico Oi a saisi le tribunal administratif de La Réunion d'une demande tendant à l'annulation de ce marché et à l'indemnisation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de son éviction irrégulière. Après avoir décidé de joindre les deux affaires, le tribunal administratif de la Réunion a, par un jugement du 8 février 2019, condamné la CINOR à verser à la société Pico Oi la somme de 76 836, 20 euros ainsi que la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de la demande de la société Pico Oi. La CINOR relève appel de ce jugement. La société Pico Oi demande, par la voie de l'appel incident, à ce que le montant de la condamnation soit porté à la somme 88 742, 20 euros.

Sur les conclusions indemnitaires

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'attribution du marché :

2. Lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché. Dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner incluant nécessairement, puisqu'ils sont intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.

3. Il résulte des termes de l'article 5.2 du cahier des clauses administratives particulières applicable au marché litigieux que le marché doit être attribué à l'offre économiquement la plus avantageuse déterminée au regard de trois critères d'attribution que sont le prix, pondéré à 50 %, la valeur technique, pondérée à 45 %, et la performance environnementale, pondérée à 5 %. La valeur technique est appréciée à partir de trois sous-critères, tenant à l'organisation, la description des moyens mis en oeuvre pour l'exécution des prestations, avec détail des tâches principales (durée, phasage et ressources), présenté sous la forme d'un planning dans le respect du délai imposé à l'article 10 du cahier (7/20), la présentation détaillée de la méthodologie d'exécution (6/20) et les mesures prévues pour assurer la sécurité du chantier (7/20). L'appréciation des offres au regard du sous-critère technique relatif à la présentation de la méthodologie se décline au niveau de la méthodologie générale de pose des tuyaux d'assainissement avec indication des matériaux utilisés (3/6), de la méthodologie de pose en cas de fortes surprofondeurs (2/6) et de la méthodologie pour la réalisation des enquêtes de branchements (1/6). La performance environnementale est pour sa part appréciée au regard de deux sous-critères tenant aux dispositions prises pour réduire la production des déchets de chantier (10/20) et aux dispositions prises pour collecter et éliminer les déchets de chantier produits (10/20).

4. Il résulte de l'instruction, et notamment des extraits du rapport d'analyse des offres produits par la CINOR que, pour le sous-critère n° 1 du critère technique, relatif aux moyens, les deux entreprises ont obtenu la même note de 5,5/7, alors que l'offre de la société Pico Oi a été jugée " satisfaisante " et celle de la société Ouest BTP a été jugée seulement " moyenne ". S'agissant du sous-critère 2.1, relatif à la méthodologie générale de pose des tuyaux, l'offre de la société Pico Oi a obtenu la note de 2,8/3, alors qu'elle avait été jugée " parfaitement décrite " et l'offre de la société Ouest BTP a obtenu la note maximale de 3/3 alors que l'appréciation littérale indiquait qu'elle était " satisfaisante ". S'agissant du sous-critère 2.2, relatif à la méthodologie de pose en cas de fortes surprofondeurs, l'offre de la société Pico Oi a obtenu la note de 1,9/2 avec la mention " parfaitement décrite ", alors que l'offre de la société Ouest BTP a obtenu la note maximale de 2/2 avec la mention " ensemble satisfaisant ". Enfin, s'agissant du critère 3, relatif à la sécurité du chantier, l'offre de la société Pico Oi a obtenu la note de 6,1/7 avec la mention " ensemble très satisfaisant ", alors que la société Ouest BTP a obtenu la note supérieure de 6,3 avec la mention " ensemble satisfaisant ".

5. Ces incohérences avérées et répétées entre les appréciations littérales et les notes chiffrées attribuées aux candidats ont conduit à ce que, pour la mise en oeuvre de chaque critère précité, la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, rompant ainsi l'égalité entre les candidats. Si la CINOR fait valoir que les qualificatifs employés dans ses appréciations littérales constituent des erreurs de plume et qu'étant face à des offres similaires, elle pouvait choisir l'offre de la société Ouest BTP, toutefois, elle se borne à produire des extraits du rapport d'analyse des offres qui ne permettent pas d'apprécier le contenu des offres. Par suite, elle n'établit pas davantage en appel qu'en première instance, la supériorité de l'offre présentée par la société Ouest BTP sur celle présentée par la société Pico Oi. Dans ces conditions, la CINOR n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a retenu le moyen tiré de l'erreur manifeste dans l'appréciation des offres.

En ce qui concerne l'existence d'un lien de causalité directe :

6. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et les préjudices dont le candidat demande l'indemnisation.

7. Il résulte de tout ce qui précède que, compte tenu que la société Pico Oi a obtenu de meilleures notes que la société Ouest BTP sur les critères du prix et de la performance environnementale, ainsi que de la très faible différence de notation globale des offres de ces deux sociétés, l'irrégularité ayant affectée la procédure de passation du marché public en litige doit être regardée comme la cause de l'éviction de la société Pico Oi qui, classée en deuxième position, avait des chances sérieuses de remporter ce marché si la société Ouest BTP n'avait pas été classée en première position au détriment d'une rupture d'égalité entre les candidats.

Sur l'évaluation du préjudice subi par la société Pico Oi :

8. S'agissant du montant de la réparation, le concurrent irrégulièrement évincé qui a perdu une chance sérieuse d'obtenir le marché a droit à l'indemnisation du manque à gagner, qui doit s'apprécier au regard des bénéfices normalement attendus de l'exécution du contrat et doit être calculé sur la marge nette que les prestations prévues auraient engendrée.

9. Il résulte de l'instruction que le taux de marge de la société Pico Oi s'élève à 7, 73% pour ce type de chantier. Eu égard au montant de son offre, qui s'élevait à 994 000 euros, le tribunal administratif de La Réunion a fait une exacte appréciation de son manque à gagner en le fixant à hauteur de la somme de 76 836,20 euros, cette somme comprenant nécessairement les frais de présentation de l'offre que la société aurait de toute façon déboursés.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Pico Oi n'est pas fondée à demander que son indemnisation fixée à la somme de 76 836, 20 euros soit portée à la somme de 88 742, 20 euros.

Sur les frais d'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la société Pico Oi, qui n'a pas la qualité perdante dans la présente instance, la somme que demande la CINOR au titre de ses frais d'instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la CINOR la somme de 1 500 euros à verser à la société Pico Oi au titre de ces mêmes dispositions.

DECIDE

Article 1er : La requête de la CINOR est rejetée.

Article 2 : Les conclusions d'appel présentées par la société Pico Oi sont rejetées.

Article 3 : La CINOR versera la somme de 1500 euros à la société Pico Oi au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la CINOR, à la société Pico Oi, à la société Ouest BTP et à la communauté intercommunale du nord de La Réunion.

Délibéré après l'audience du 17 mai 2021 à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseur,

Mme C... B..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 juin 2021.

La rapporteure,

Déborah B...Le président,

Didier Artus

Le greffier

André Gauchon

La République mande et ordonne au ministre de de la transformation et de la fonction publiques en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX01864


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3eme chambre (formation a 3)
Numéro d'arrêt : 19BX01864
Date de la décision : 14/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-02-02 Marchés et contrats administratifs. Formation des contrats et marchés. Mode de passation des contrats.


Composition du Tribunal
Président : M. ARTUS
Rapporteur ?: Mme Deborah DE PAZ
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : EARTH AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-06-14;19bx01864 ?
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