Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SCP Delphine Raymond, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Les Tamaris a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner la commune de Rivedoux-Plage à lui verser la somme de 978 168 euros en réparation des divers préjudices qu'elle estime avoir subis en raison des fautes commises par la commune, ayant entraîné la liquidation judiciaire de la société Les Tamaris.
Par un jugement n° 1701692 du 28 février 2019, le tribunal administratif de Poitiers a condamné la commune de Rivedoux-Plage à verser une indemnité de 329 270 euros à la SCP Delphine Raymond.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des pièces complémentaires enregistrées les 26 avril et 10 mai 2019, la commune de Rivedoux-Plage, représentée par la SELARL MBA Avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 28 février 2019 et de rejeter la demande de première instance de la SCP Delphine Raymond, en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Les Tamaris ;
2°) de mettre la somme de 3 000 euros à la charge de la SCP Delphine Raymond, en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Les Tamaris, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Elle soutient que :
- les points 11 et 12 du jugement, par lequel le tribunal a retenu l'existence d'une faute tirée d'un détournement de pouvoir sont insuffisamment motivés ; les premiers juges ne font pas état de ce que la délibération du 30 avril 2014 aurait été adoptée dans un but étranger à l'urbanisme et/ou dans l'unique intention de nuire à la SARL Les Tamaris ;
Sur la faute retenue :
- elle n'a commis aucun détournement de pouvoir ; la délibération du 30 avril 2014 respecte les prescriptions de l'article L. 111-5-2 du code de l'urbanisme ; cette délibération n'a pas été adoptée dans un but étranger à l'urbanisme et/ou dans l'unique intention de nuire à la SARL Les Tamaris ; le terrain d'assiette du camping était alors classé en zone NA à dominante naturelle comme tous les terrains de camping de la commune et n'était pas le seul visé par la délibération ; il se situe à quelques mètres du rivage et constitue donc un enjeu paysager réel ; la seule circonstance que ce vaste secteur soit inscrit dans en coeur d'urbanisation ne le privait pas de la qualification d'espace naturel ; la société n'a pas contesté l'inclusion de son terrain dans les zones visées par la délibération du 30 avril 2014 ; le secteur d'aménagement prévu depuis 1997 prévoit dans certaines parties du périmètre de maintenir la dominante végétale préexistante et la volonté de préserver les paysages n'est pas incompatible avec le projet d'aménagement du secteur du Château ; la circonstance que la parcelle voisine classée en zone 2NA serait passée en zone U à la faveur de la modification du P.O.S. de 2015 est inopérante ;
- le sursis à statuer n'est donc pas illégal par voie de conséquence de l'illégalité de la délibération du 30 avril 2014, en l'absence de démonstration d'une telle illégalité ; le sursis à statuer n'est en tout état de cause pas illégal car il reposait sur deux fondements que sont la prise en considération de l'opération d'aménagement du secteur par la délibération du 8 novembre 2007 et l'élaboration en cours du PLU de la commune ; l'opération de la SARL Les Tamaris, qui avait pour objet de multiplier les titulaires de droits réels immobiliers sur l'assiette du projet d'opération d'aménagement (75 lots destinés à recevoir des mobile-home), était de nature à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan local d'urbanisme comme de l'opération d'aménagement sur laquelle il avait été délibéré le 8 novembre 2007 par le conseil municipal ; l'élaboration du plan local d'urbanisme était suffisamment avancée pour motiver un sursis à statuer ; le projet d'aménagement et de développement durable du futur PLU avait été débattu tandis qu'une orientation d'aménagement sur le secteur du Château avait déjà été élaborée ; la délibération du 8 novembre 2007 étant devenue exécutoire le 22 janvier 2008, elle pouvait opposer un sursis à statuer sur le fondement des dispositions de l'article L. 111-10 du code de l'urbanisme, dans un délai de 10 ans expirant le 22 janvier 2018 ;
Sur l'absence de lien de causalité et le quantum :
- à supposer que le détournement de pouvoir allégué soit retenu, le préjudice financier invoqué est hypothétique ; la faute retenue n'est pas à l'origine directe du préjudice dès lors que la société était dans une phase critique en raison des fautes de gestion ayant conduit à son placement en redressement puis en liquidation judiciaire ; la fermeture administrative intervenue pour des raisons de sécurité démontre le comportement négligent de la SARL ;
- la SARL n'a jamais contesté la légalité des décisions qu'elle qualifie désormais de fautives ;
- le projet de redressement est fondé sur un programme de division du droit au bail emphytéotique qui n'est pas autorisé par la réglementation ; les promesses de vente sensées permettre l'apurement de 10 % du passif déclaré ont été consenties sur la base d'une publicité mensongère ; depuis une réforme intervenue en octobre 2011, en application combinée des articles R. 111-34-1 et R. 111-34 du code de l'urbanisme, les résidences mobiles de loisirs (mobil-homes) ne peuvent plus être installées dans le périmètre d'un terrain de camping ayant fait l'objet d'une cession en pleine propriété, de la cession de droits sociaux donnant vocation à attribution en propriété ou jouissance ou d'une location pour une durée supérieure à 2 ans ; l'article R. 421-23 du code de l'urbanisme soumet à déclaration préalable l'installation de caravanes sur un emplacement de terrain de camping tel celui en litige ; la finalisation de la cession des lots aux tarifs souhaités par la société apparait donc hypothétique ;
- il convient de tenir compte que depuis la tempête Xynthia, le risque de submersion marine du terrain a été réévalué sur tout le territoire de la commune ; la révision du PPRN a été prescrite et le camping concerné est inscrit sur la liste des campings impactés ; par un porté à connaissance du 5 novembre 2014, le terrain a été situé en aléa fort à très fort ce qui devrait interdire toute nouvelle implantation de mobil-homes dans le projet de règlement ;
- le taux de 25 % de la somme résultant des cessions de 60 autres lots retenu par le tribunal administratif n'est pas justifié ; il ressort d'ailleurs du jugement du tribunal de commerce du 10 décembre 2013 arrêtant le plan de redressement de la SARL Les Tamaris que le mandataire judicaire avait d'ailleurs émis des réserves sur le projet de commercialisation et sa réalisation technique (pièce n° 11 issue de la pièce adverse n° 9).
Sur les autres fautes invoquées :
- c'est à juste titre que le tribunal a estimé que la commune n'a procédé à aucune promesse ; le courrier du 16 mai 2011 est écrit au conditionnel et ne comporte ni promesse ni délai ; elle a poursuivi les négociations annoncées dans le courrier invoqué par la société mais elle devait également prendre en compte d'une part, l'expiration des effets de la délibération créant la zone d'aménagement différé en janvier 2012 et l'obligation de se doter de nouveaux outils d'urbanisme et de maîtrise foncière pour l'aménagement du secteur et, d'autre part, l'introduction par le bailleur de la SARL d'une action tendant à la résiliation du bail fondant une part de la demande d'indemnisation de cette société ; la SARL ne peut se saisir du courrier du 16 mai 2011 pour justifier de ce qu'elle n'a pas poursuivi son activité ni ne s'est conformé aux obligations de mise aux normes pour pouvoir reprendre son activité ; le maire a dû exercé ses pouvoirs de police indépendamment des négociations en cours ;
- les préjudices pouvant découler de ce courrier sont en tout état de cause couverts par la prescription quadriennale ;
- nonobstant l'absence de respect des prescriptions qui lui ont été communiquées en février 2011, la SARL a informé la mairie de son intention de rouvrir l'établissement pour la saison 2013 ; le maire n'a commis aucune faute en rappelant cette société à ses obligations et en actionnant toutes les mesures rendues nécessaires par l'ouverture irrégulière du camping ; la décision du tribunal de grande instance de La Rochelle confirme que la SARL n'était pas autorisée à ouvrir le camping ;
- les dispositions de l'article R. 125-15 du code de l'environnement prévoyant la consultation de la sous-commission départementale pour la sécurité des terrains camping avant d'autoriser la réouverture du camping, la commune n'a commis aucune faute en sollicitant cet avis, fut-il consultatif ;
- la faute qui serait issue de l'exercice des pouvoirs de police ne présente aucun lien de causalité avec le préjudice financier issue du projet de cession du droit au bail emphytéotique.
Par des mémoires en défense enregistrés les 27 et 30 janvier 2020, la SCP Delphine Raymond, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Les Tamaris, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et demande, par la voie de l'appel incident, la réformation du jugement du tribunal administratif de Poitiers en tant qu'il a limité le montant de l'indemnisation de son préjudice financier à la somme de 329 270 euros, de condamner la commune de Rivedoux-Plage à lui verser la somme de 978 168 euros avec intérêts au taux légal à compter du recours indemnitaire préalable et anatocisme et de mettre la somme de 20 000 euros à la charge de la commune de Rivedoux-Plage au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Elle soutient que :
- la commune n'a pas tenu ses engagements de procéder à l'acquisition du terrain de camping sur une base de 300 000 euros et du fonds de commerce et des droits au bail sur une base de 500 000 euros dans des délais raisonnables ; le maire n'a jamais interrogé le service des domaines ; il a ensuite attesté en mars 2012 qu'il n'y avait plus de pourparlers en cours en raison de la caducité de l'arrêté portant le projet de ZAD depuis le 27 janvier 2012 ; la commune n'avait pas les moyens de procéder à cette acquisition lorsqu'elle l'a proposée en l'absence de convention avec l'établissement public foncier du Poitou-Charentes ; le courrier de mai 2011 n'avait d'autre objet que de la tromper afin qu'elle ne poursuive pas son exploitation et se retrouve à terme en difficultés ; il est évident que les travaux nécessaires à la réouverture n'ont pas eu lieu devant la perspective de cession proposée ;
- le maire a abusé de ses pouvoirs de police en interdisant au camping d'ouvrir à l'été 2013 alors que le nouveau cahier des prescriptions d'alerte, d'information et d'évacuation eu égard aux risques naturels et technologiques avait été établi ; la préfète de Charente-Maritime avait imposé à partir du printemps 2011 que l'ensemble des campings de la Commune de Rivedoux mettent à jour leur cahier des prescriptions d'information et d'alerte ; compte tenu des délais, aucun camping n'avait pu y déférer dans les délais ; au printemps 2012, les campings de Rivedoux en activité ont déféré à l'injonction préfectorale mais la société Les Tamaris qui se retrouvait à l'époque dans une situation très délicate entre l'ordonnance du Tribunal de grande instance lui donnant jusqu'en septembre pour régulariser les loyers en retard et l'attestation du Maire de Rivedoux indiquant que le projet d'acquisition de son fonds de commerce n'était plus à l'ordre du jour ; elle a attendu de savoir ce qu'il allait advenir pour envisager de réinvestir dans la mise aux normes d'un camping que la Commune voulait transformer en parking ; le maire l'a mise en demeure le 30 août 2012 de justifier d'avoir fait établir ledit document sous 10 jours, délai radicalement irréaliste puisque la société FORINFEST a mis trois mois à l'établir ; l'arrêté de fermeture administrative a été pris le 17 septembre 2012 ; après avoir eu la certitude qu'elle pourrait assurer la saison 2013 elle a entamé les travaux nécessaires mais le maire de la commune a exigé que la commission de sécurité passe puis a maintenu l'arrêté au motif que le risque de submersion marine n'apparaissait pas dans le document établi alors que ce risque était englobé dans le risque tempête ; ce n'est qu'à l'issue de la réunion du 8 octobre 2013 de la Sous-commission départementale pour la sécurité des terrains de camping que le Camping Les Tamaris reçoit un avis favorable et ce contrairement à l'avis du Maire de Rivedoux qui au vu et au su des membres de ladite commission s'est enferré dans une position tellement incompréhensible qu'elle ne pouvait que s'expliquer par de l'abus de pouvoir ;
- en soumettant l'adoption de l'arrêté de réouverture à la réunion de la sous-commission départementale pour la sécurité des terrains de camping pour autoriser la réouverture du camping alors que cet avis n'était que consultatif, le maire a tenté de la pousser à la liquidation judiciaire pour ne pas avoir à indemniser le droit au bail qu'elle détenait ;
- elle a présenté un plan de redressement viable consistant à morceler son droit au bail pour rembourser ses créanciers ; la commune va de nouveau faire échouer ce projet en modifiant abusivement le PLU dans l'unique dessein de faire échouer son plan de redressement ; si l'utilité publique aurait pu être reconnue dans le cadre du projet d'aménagement foncier, les conditions prévues par la loi n'ont pas été respectées ; les dispositions de l'article L. 111-5-2 du code de l'urbanisme permettent de restreindre le droit de propriété mais limite les motifs le justifiant ; en l'espèce, le maire ne pouvait user de ce dispositif pour faire obstacle au projet de cession alors que la commune envisage de transformer la zone en parking et non de préserver le milieu naturel et son intégrité ;
- plusieurs fautes caractérisées ci-avant, ont causé la suspension de l'activité du camping de l'été 2011 au printemps 2012 et à la liquidation judiciaire de la société ; cette suspension d'activité a déstabilisé la trésorerie de la société ; la commune a abusivement retardé la réouverture du camping lors de l'été 2013 après que ce dernier ait mis en oeuvre d'importantes et couteuses mises aux normes ; la commune a empêché la mise en oeuvre du plan de redressement en détournant les règles de l'ancien article L. 111-5-2 (devenu L. 115-3) du Code de l'urbanisme pour faire obstacle aux cessions envisagées ; l'arrêté portant sursis à statuer est irrégulier car aucun nouvel arrêté n'est venu remplacer l'arrêté du 30 janvier 1998 ayant créé la zone d'aménagement différé ;
- le détournement de pouvoir opéré par la Commune de Rivedoux a porté une atteinte disproportionnée au droit de propriété de la société Les Tamaris, droit garanti tant par le bloc de Constitutionnalité que par la Convention Européenne des Droits de l'Homme et l'article 1er de son protocole additionnel n° 1 ;
- selon le plan de redressement les cession envisagées devaient permettre la réalisation d'un chiffre d'affaire de 978 168 euros pour la seule opération de cession du bail emphytéotique ; il convient d'y incorporer le chiffre d'affaires escompté des prestations de service à rendre aux futurs occupants ; au regard des cessions projetées dès le lancement de l'opération, il était acquis que la société aurait apuré son passif dans le délai de 10 ans prévu ; le chiffre d'affaires prévu sur les 5 premières années était de 1 227 168 euros, soit le double du passif ; en novembre 2014, 9 lots étaient en passe d'être cédés pour une somme de 119 970 euros qui permettait largement de payer le premier pacte d'apurement, soit le règlement de 10 % du passif déclaré de 621 000 euros arrivant à échéance en décembre 2014 ; elle a droit à l'indemnisation d'un préjudice financier d'un montant de 978 168 euros.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C... B...,
- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteure publique,
- et les observations de Me A... , représentant la SCP Delphine Raymond, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Les Tamaris.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que dans le cadre de la révision de son plan d'occupation des sols, la commune de Rivedoux-Plage a, par deux délibérations en date du 12 novembre 1997, demandé au préfet de la Charente-Maritime la création d'une zone d'aménagement différé sur le secteur dit du "quartier du château" et a pris en considération l'opération d'aménagement de ce quartier destinée à permettre la réalisation d'une desserte automobile et piétonne traversant le coeur d'îlot avec du stationnement public, d'un programme de logements locatifs sociaux, la préservation de l'espace boisé et la réalisation de logements privés. Le préfet de la Charente-Maritime a, par arrêté du 30 janvier 1998, créé la zone d'aménagement différé demandée et cette opération d'aménagement, dans le périmètre de laquelle se situe notamment le terrain de camping Les Tamaris, a été approuvée par délibération du 8 novembre 2007 du conseil municipal. Ultérieurement, la société Les Tamaris, qui a été créée le 16 avril 2007 en vue de l'exploitation du camping Les Tamaris, a conclu, avec la propriétaire du terrain d'assiette de ce camping, un bail emphytéotique d'une durée de 99 ans, prenant effet le 21 mars 2008, et a également acquis, le 22 juillet 2008, le fonds de commerce correspondant au prix de 300 000 euros. Elle a obtenu, par un avenant du 19 octobre 2009, l'augmentation de l'assiette foncière donnée à bail et l'autorisation de procéder à des travaux lui permettant de solliciter le classement de ce camping dans la catégorie des campings " trois étoiles " ainsi que le droit de pouvoir céder librement son droit au bail par fraction en morcelant le terrain donné à bail. Compte tenu de la situation de ce terrain de camping et des projets d'urbanisme de la commune, par un courrier du 16 mai 2011, le maire a informé la société Les Tamaris que le conseil municipal était favorable au rachat du terrain de camping, à un prix restant à discuter.
2. Parallèlement, suite à la tempête Xynthia des 26 février et 1er mars 2010 et à une demande du préfet de la Charente-Maritime en ce sens, le maire de la commune a, par un courrier du 18 février 2011, informé les exploitants du camping Les Tamaris, de la nécessité de réactualiser sans délai le cahier de prescriptions d'alerte, d'information et d'évacuation de leur établissement avant toute ouverture. Par courrier du 22 décembre 2011, le Préfet de la Charente-Maritime a informé le maire de la commune que la SARL Les Tamaris n'avait pas satisfait aux travaux imposés suite au contrôle réalisé en juillet 2011 et l'a invité à faire le nécessaire pour la contraindre à s'exécuter avant la réouverture du camping pour la saison 2012. Informé d'un projet de réouverture en cours de saison 2012, le maire de Rivedoux-Plage a, par un courrier du 26 juillet 2012, rappelé la SARL Les Tamaris à ses obligations réglementaires en matière de sécurité, l'a mise en demeure, par un arrêté du 30 août 2012, de justifier sous 10 jours du respect des règles de sécurité précédemment rappelées et a finalement prononcé la fermeture administrative du camping par un arrêté 17 septembre 2012. Cette société a été placée en procédure de redressement judiciaire par jugement du 5 octobre 2012 du tribunal de commerce de La Rochelle. Ayant toutefois obtenu des délais de paiement de ses créanciers, elle a décidé d'ouvrir le camping à la saison estivale 2013 et en a informé le maire par courrier du 11 avril 2013. Malgré le courrier du 10 mai 2013, par lequel le maire lui a rappelé que la réouverture du camping était subordonnée à la production d'un cahier des prescriptions d'alerte, d'informations et d'évacuation actualisé au regard de son exposition avérée au risque de submersion marine ainsi qu'à la consultation de la commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité, prescriptions portées à sa connaissance en février 2011, la société Les Tamaris a débuté la saison touristique le 31 juillet 2013 et a poursuivi son activité malgré l'ordonnance du 7 août 2013 par laquelle le juge des référés du tribunal de grande instance de La Rochelle lui a, sur demande de la commune, interdit de recevoir du public sur ce terrain de camping jusqu'en septembre 2013.
3. Par un jugement du 10 octobre 2013, le tribunal de commerce de La Rochelle a homologué le plan de redressement proposé par la société Les Tamaris consistant à morceler son bail emphytéotique en 75 lots afin de les céder à des particuliers, opération par laquelle elle comptait réaliser un chiffre d'affaires de 978 168 euros sur cinq ans lui permettant d'apurer son passif. Le 24 décembre 2014, elle a déposé une déclaration préalable aux fins de procéder à la division envisagée, mais par arrêté du 16 février 2015, le maire de Rivedoux-Plage a sursis à statuer sur cette déclaration pour une durée de deux ans. La société Les Tamaris n'a alors pas procédé aux cessions envisagées et n'a pas rouvert le camping. Le bail emphytéotique a été résilié par ordonnance du 25 mai 2015 du juge-commissaire du tribunal de commerce de La Rochelle et la liquidation judiciaire de la société Les Tamaris a été prononcée par jugement du même tribunal du 13 octobre 2015.
4. La SCP Delphine Raymond, liquidateur judiciaire de la société Les Tamaris, a, par un courrier du 5 avril 2017, demandé vainement à la commune de Rivedoux-Plage de lui verser la somme de 978 168 euros au titre du préjudice financier subi résultant selon elle, des agissements fautifs de la commune ayant entraîné sa liquidation judiciaire. Par un jugement n° 1701692 du 28 février 2019, le tribunal administratif de Poitiers a condamné la commune de Rivedoux-Plage à verser une indemnité de 329 270 euros à la SCP Delphine Raymond, en considérant qu'elle avait commis un détournement de pouvoir. La commune de Rivedoux-plage, qui relève appel de ce jugement, en demande l'annulation et le rejet de la demande de la SCP Delphine Raymond. Cette SCP, par la voie de l'appel incident, demande la réformation de ce jugement en tant qu'il a limité à 329 270 euros le montant de l'indemnité mise à la charge de la commune et que cette indemnité soit portée à la somme de 978 168 euros.
Sur la régularité du jugement :
5. Aux points 11 et 12 du jugement critiqué, les premiers juges ont considéré que l'adoption de la délibération du 30 avril 2014 par laquelle la commune avait décidé, sur le fondement des dispositions de l'article L. 111-5-2 du code de l'urbanisme, de soumettre à déclaration préalable toute division parcellaire dans les zones Na du territoire communal au sein de laquelle est situé le terrain de camping, reposait sur " la volonté de s'épargner la contrainte de devoir négocier avec les 75 occupants potentiels pour acquérir, le moment venu, la maîtrise foncière de ce terrain " et était, de ce fait, entachée de détournement de pouvoir. Contrairement à ce que soutient la commune, ce jugement, qui expose précisément les motifs pour lesquels le tribunal a estimé que cette délibération était intervenue dans un but étranger à l'urbanisme et dans l'unique intention de préjudicier aux droits de la SARL Les Tamaris, est suffisamment motivé et n'est par suite entaché d'aucune irrégularité.
Sur la responsabilité de la commune de Rivedoux-Plage :
En ce qui concerne les fautes invoquées :
S'agissant des fautes retenues par les premiers juges :
6. L'article L. 111-5-2 du code de l'urbanisme, devenu l'article L. 115-3 du même code, dispose que : " Dans les parties de commune nécessitant une protection particulière en raison de la qualité des sites, des milieux naturels et des paysages, le conseil municipal peut décider, par délibération motivée, de soumettre, à l'intérieur de zones qu'il délimite, à la déclaration préalable prévue par l'article L. 421-4, les divisions volontaires, en propriété ou en jouissance, d'une propriété foncière, par ventes ou locations simultanées ou successives qui ne sont pas soumises à un permis d'aménager. L'autorité compétente peut s'opposer à la division si celle-ci, par son importance, le nombre de lots ou les travaux qu'elle implique est de nature à compromettre gravement le caractère naturel des espaces, la qualité des paysages ou le maintien des équilibres biologiques. (...). ".
7. Il résulte de l'instruction que la commune de Rivedoux-Plage a, depuis la révision de son plan d'occupation des sols intervenue en 1997, le projet de réaliser une opération d'aménagement d'une zone située à l'arrière du centre-bourg dans le secteur dit " du Château " visant à la création d'un parc de stationnement public, d'espaces verts, d'équipements publics et de logement sociaux. Ce projet a été formalisé au travers de la création, par un arrêté préfectoral du 30 janvier 1998, d'une zone d'aménagement différé puis de la validation d'une opération d'aménagement, au sens de l'article L. 111-10 du code de l'urbanisme alors applicable, par une délibération du 8 novembre 2007. Ce projet est par ailleurs intégré au document relatif aux opérations d'aménagement et de programmation, dans sa version de juillet 2013, dans le cadre de la révision du plan d'occupation des sols en plan local d'urbanisme, initiée par une délibération du 19 novembre 2010. Pour retenir la responsabilité de la commune, le tribunal a considéré que la délibération du 30 avril 2014 instituant, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 111-5-2 du code de l'urbanisme, un contrôle administratif des divisions foncières de certaines parties de la commune nécessitant une protection particulière en raison de la qualité des sites, des milieux naturels et des paysages, incluant une partie du terrain de camping Les Tamaris, était entachée de détournement de pouvoir dès lors qu'elle n'avait pas pour objet la protection de ces espaces mais " la volonté de s'épargner la contrainte de devoir négocier avec les 75 occupants potentiels pour acquérir, le moment venu, la maîtrise foncière de ce terrain ", et que cette illégalité entrainait l'illégalité de la décision de sursis à statuer opposée à la société Les Tamaris.
8. Il ressort toutefois des pièces du dossier d'une part, que la protection instituée par la délibération du 30 avril 2014 ne concerne pas le seul terrain d'assiette du camping Les Tamaris mais l'ensemble des secteurs classés en zone Na ainsi que certains secteurs classés en zone ND du document d'urbanisme communal. D'autre part, l'instauration d'une telle protection sur une partie du terrain de camping situé dans un espace naturel partiellement boisé, au centre de la commune, à proximité du littoral et limitrophe à l'ouest d'un espace boisé classé, apparait justifiée au regard des dispositions précitées de l'article L. 111-5-2 du code de l'urbanisme qui ont pour objet de faire obstacle aux divisions comprenant un nombre important de lots, de nature à compromettre gravement le caractère naturel des espaces, ou la qualité des paysages. Enfin, il ne ressort d'aucune pièce du dossier, notamment pas des mentions de la délibération du 30 avril 2014, qu'à la date de son adoption, la délimitation des secteurs prévus par l'article L. 111-5-2 du code de l'urbanisme aurait eu pour seul objectif la réalisation du projet d'aménagement communal et non la protection du secteur du Château, compte tenu du caractère incertain et non définitif du projet d'aménagement communal et de la qualité du site du terrain de camping Les Tamaris. A cet égard, si la société Delphine Raymond se prévaut d'un courrier adressé le 22 juillet 2014 par le maire de Rivedoux-Plage au service France Domaine, dans lequel il réitère l'intérêt de la commune pour la parcelle en litige, son souhait de l'acquérir au prix demandé par la société, et manifeste sa connaissance du plan de redressement de la société, les termes de ce courrier postérieur à la délibération litigieuse, ne permettent pas de considérer que la commune était informée de ce plan de redressement préalablement à l'adoption de la délibération du 30 avril 2014.
9. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur la faute tirée du détournement de pouvoir commis par la commune dans l'adoption de la délibération du 30 avril 2014 et dans l'illégalité, par voie de conséquence, de l'arrêté du 16 février 2015, pour condamner la commune de Rivedoux-Plage à verser la somme de 329 270 euros à la SCP Delphine Raymond.
S'agissant des autres fautes :
10. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la commune de Rivedoux-Plage entretient depuis de nombreuses années la volonté d'acquérir les terrains du camping Les Tamaris et a informé la SARL Les Tamaris, par un courrier du 16 mai 2011, que le conseil municipal s'était prononcé à l'unanimité pour une solution amiable et que l'acquisition du terrain, du fonds de commerce et des droits au bail pourraient se faire, respectivement, sur la base d'une somme de 300 000 euros et de 500 000 euros. Ce courrier ne peut être regardé, compte tenu de son caractère conditionnel, du renvoi à une nécessaire évaluation par les services de France Domaine des droits au bail et de l'absence d'échéance déterminée, comme constitutif d'une promesse de procéder aux acquisitions concernées aux prix qu'il indique. Il résulte de l'instruction que la commune a indiqué avoir suspendu les négociations en raison des difficultés économiques de la SARL Les Tamaris et de l'action en résiliation de la convention de bail emphytéotique initiée par la propriétaire du terrain à la fin de l'année 2011 ; c'est donc à juste titre que le tribunal a écarté la faute invoquée par la société Les Tamaris, qui résulterait d'une promesse de rachat non tenue par la commune.
11. En deuxième lieu, la SARL Les Tamaris soutient que le maire de Rivedoux-Plage a fait un usage anormal de son pouvoir de police afin de l'empêcher d'exploiter son activité alors que les travaux de remises aux normes de son établissement ont été réalisés en juillet 2013 et que l'actualisation du cahier de prescriptions d'alerte, d'information et d'évacuation a été finalisée le 1er août 2013.
12. D'une part, ainsi qu'il a été dit au point 3, en conséquence de la tempête Xynthia, la SARL Les Tamaris a été informée de la nécessité d'actualiser le cahier de prescriptions d'alerte, d'information et d'évacuation de son établissement dès février 2011. Suite à une visite de contrôle des services de l'Etat en juillet 2011, la préfète de la Charente Maritime a relancé le maire de Rivedoux-Plage sur ce point en décembre 2011, lequel a rappelé la société à ses obligations par un courrier du 26 juillet 2012. L'intervention de l'arrêté du 30 août 2012 portant mise en demeure de régularisation sous dix jours et celle de l'arrêté du 17 septembre 2012 prononçant la fermeture administrative de l'établissement ne peuvent être regardées comme participant d'un usage anormal par le maire de la commune de ses pouvoirs de police alors, au surplus, qu'il résulte de l'instruction que la SARL Les Tamaris n'a répondu à aucun des courriers préalables, ne s'est pas manifestée pendant le délai de 10 jours qui lui était octroyé en septembre 2012 et n'a pas contesté la régularité de l'arrêté prononçant la fermeture de son établissement.
13. D'autre part, l'article R. 125-15 du code de l'environnement prévoit que le maire " fixe pour chaque terrain de camping (...) les prescriptions d'information, d'alerte et d'évacuation permettant d'assurer la sécurité des occupants des terrains situés dans les zones visées à l'article R. 443-9 du code de l'urbanisme et le délai dans lequel elles devront être réalisées, après consultation du propriétaire et de l'exploitant et après avis de la commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité et de la commission départementale de l'action touristique. ". Contrairement à ce que soutient la SARL Les Tamaris, le caractère consultatif de l'avis de la sous-commission départementale pour la sécurité des terrains de camping ne dispensait pas le maire de la commune de la consultation préalable de cette instance sur l'actualisation du cahier de prescriptions d'alerte, d'information et d'évacuation de son établissement. Elle n'est donc pas fondée à soutenir que le maire a irrégulièrement retardé la régularisation de sa situation et la levée de la fermeture administrative prononcée à son encontre en septembre 2012.
14. Enfin, il résulte de l'instruction que la SARL Les Tamaris a repris son exploitation dans des conditions irrégulières à partir du 27 juillet 2013. Si le maire de Rivedoux-Plage a alors cherché à obtenir la fermeture de son établissement en lui rappelant qu'elle faisait l'objet d'une fermeture administrative, en saisissant le juge des référés du tribunal de grande instance de La Rochelle, qui a interdit à la société Les Tamaris de recevoir du public par une ordonnance du 7 août 2013 et en chargeant la police municipale de constater le fonctionnement irrégulier de l'établissement jusqu'au 5 septembre 2013, la société n'est toutefois pas fondée à soutenir, compte tenu de ses conditions irrégulières d'ouverture, que le maire aurait fait un usage anormal de ses pouvoirs de police révélateur d'un détournement de pouvoir.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Rivedoux-Plage est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers l'a condamnée à verser la somme de 329 270 euros à la SCP Delphine Raymond.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Rivedoux-Plage, qui n'est pas la partie perdante, la somme que demande la SCP Delphine Raymond au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SCP Delphine Raymond le versement d'une somme de 1 500 euros à la commune de Rivedoux-Plage.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1701692 du 28 février 2019 du tribunal administratif de Poitiers est annulé.
Article 2 : La SCP Delphine Raymond versera la somme de 1 500 euros à la commune de Rivedoux-Plage.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions de la SCP Delphine Raymond sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Rivedoux-Plage et à la SCP Delphine Raymond, liquidateur de la société Les Tamaris.
Délibéré après l'audience du 11 mai 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
M. Dominique Ferrari, président-assesseur,
M. C... B..., premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 juin 2021.
Le rapporteur,
Stéphane B... La présidente,
Evelyne BalzamoLa greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au préfet de la Charente-Maritime en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
8
N° 19BX01740