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25/05/2021 | FRANCE | N°20BX03251

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 25 mai 2021, 20BX03251


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux à lui verser la somme de 291 168,88 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de sa prise en charge dans cet établissement.

Par un jugement n° 1401892 du 28 juin 2016, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure initiale devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 23 août 2016 et le 23 janvier 2018, Mme C..., repré

sentée par Me J..., a demandé à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal ;

2°) à tit...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux à lui verser la somme de 291 168,88 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de sa prise en charge dans cet établissement.

Par un jugement n° 1401892 du 28 juin 2016, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure initiale devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 23 août 2016 et le 23 janvier 2018, Mme C..., représentée par Me J..., a demandé à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal ;

2°) à titre principal, de condamner le CHU de Bordeaux à lui verser la somme de 301 168,88 euros en réparation de ses préjudices, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 janvier 2014 ;

3°) à titre subsidiaire, de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) la somme de 291 168,88 euros, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 janvier 2014 ;

4°) à titre infiniment subsidiaire, d'ordonner un complément d'expertise médicale afin d'éclairer la cour sur l'existence de conséquences anormales de l'acte de soin et d'un état de vulnérabilité antérieur susceptible d'avoir eu une incidence sur le dommage ;

5°) de mettre à la charge du CHU de Bordeaux la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- elle n'a jamais contesté que la biopsie pratiquée était nécessaire et c'est à tort que les premiers juges ont écarté, pour ce motif, le préjudice d'impréparation dont elle demandait réparation ;

- la biopsie pratiquée n'était pas indispensable car elle avait déjà été informée de son insuffisance rénale et qu'un traitement lui était déjà prescrit pour sa prise en charge ; en outre, le dosage de la créatinine suffisait à déterminer l'aggravation de l'insuffisance rénale ;

- c'est également à tort que les premiers juges ont retenu que le CHU de Bordeaux n'avait pas commis de faute dans l'organisation du service alors, d'une part, que l'expert a relevé que les conséquences possibles de ses vomissements n'avaient pas été prises en compte et, d'autre part, qu'il a relevé une absence de communication entre le service des urgences et le service de transplantation, contraire aux recommandations de la Haute autorité de santé, qui a retardé la prise en charge de ses vomissements et entraîné une interruption de son traitement immunodépresseur ;

- le CHU a commis une faute en faisant réaliser la biopsie par un interne qui n'a pas procédé à un contrôle, nécessaire pour une patiente ayant déjà subi deux transplantations rénales, par la sonde d'échographie au moment de la ponction ; ces fautes sont directement à l'origine de son préjudice ;

- le taux de perte de chance d'éviter le dommage qui s'est réalisé en raison des fautes commises par le CHU de Bordeaux doit être fixé à 80% ;

- à titre subsidiaire, les conditions d'une indemnisation par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale sont réunies ; son dommage, qui présentait une probabilité faible, est bien anormal au vu des nombreuses années dont elle aurait normalement pu bénéficier sans avoir à effectuer des dialyses quotidiennes ; à titre infiniment subsidiaire, une expertise médicale pourrait être ordonnée par la cour si elle désire être davantage éclairée sur ce point ;

- ses préjudices seront indemnisés par le versement des sommes suivantes :

o 10 948 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire ;

o 104 400 euros titre de son déficit fonctionnel permanent et de ses troubles dans les conditions d'existence ;

o 24 000 euros au titre de l'incidence professionnelle ;

o 64 000 euros au titre des souffrances endurées ;

o 8 000 euros au titre du préjudice esthétique ;

o 8 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;

o 24 000 euros au titre du préjudice sexuel ;

o 920 euros au titre des frais divers ;

o 46 900,88 euros au titre de l'assistance par une tierce personne.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 9 novembre 2016 et le 26 janvier 2018, l'ONIAM, représenté par Me A..., conclut à sa mise hors de cause.

Il soutient que :

- les conditions d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas remplies ;

- la réalisation de la biopsie n'a pas entraîné de conséquences notablement plus graves que celles auxquelles Mme C... était exposée de manière suffisamment probable en l'absence de traitement ;

- la survenance du dommage subi par Mme C... ne présentait pas une faible probabilité ;

- l'expertise médicale sollicitée par Mme C... ne présente aucun caractère d'utilité.

Par des mémoires, enregistrés le 13 mars 2017 et le 4 janvier 2018, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde, représentée par Me D..., demande à la cour de condamner le CHU de Bordeaux à lui verser la somme de 55 584,23 euros en remboursement de ses débours ainsi que la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, et de mettre à sa charge la somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le CHU a commis plusieurs fautes dans la prise en charge de Mme C... et qu'elle justifie de l'imputabilité de ses débours, qui se composent de dépenses de santé à hauteur de 51 748,25 euros et de pertes de revenus à hauteur de 3 835,98 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 décembre 2017, le CHU de Bordeaux, représenté par Me G..., conclut au rejet de la requête et des conclusions de la CPAM de la Gironde.

Il soutient que :

- ainsi que l'ont retenu les premiers juges, Mme C... ne justifie pas de la réalité du préjudice d'impréparation dont elle se prévaut ;

- l'intéressée a admis que si elle avait été pleinement informée des risques de la biopsie, elle aurait tout de même choisi d'y avoir recours ; elle ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus ;

- les fautes que Mme C... lui reproche ne sont pas établies, de même que leur lien de causalité avec ses préjudices ;

- à supposer l'existence de fautes, il ne saurait être retenu un taux de perte de chance qui excède 10 % ;

- les sommes que demande la requérante en réparation de ses préjudices sont surévaluées, la période de déficit fonctionnel temporaire pour laquelle elle demande réparation est excessive, la matérialité de certains de ses préjudices n'est pas établie ;

- la CPAM ne justifie pas de l'imputabilité de sa créance aux conséquences des fautes qu'il aurait commises.

Par un arrêt n° 16BX02880 du 9 octobre 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a condamné le CHU de Bordeaux à verser à Mme C... la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice d'impréparation et rejeté le surplus de ses conclusions ainsi que celles de la CPAM de la Gironde.

Par une décision n° 426125 du 28 septembre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par Mme C..., a annulé cet arrêt en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Bordeaux dans la limite de la cassation ainsi prononcée.

Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'Etat :

Par des mémoires en défense, enregistrés le 7 décembre 2020, le 14 janvier 2021 et le 3 mars 2021, le CHU de Bordeaux, représenté par Me G..., conclut au rejet de la requête et des conclusions présentées par la CPAM de la Gironde.

Il soutient que :

- l'expertise ne caractérise aucune faute dans le geste opératoire de biopsie, qui a été réalisé selon les règles de l'art, et Mme C... n'établit pas non plus l'existence d'une telle faute ; il n'existait, en 2010, aucune recommandation pour réaliser les biopsies par échoguidage en temps réel ;

- il y a lieu, s'agissant des autres fautes, de se rapporter à ses précédentes écritures produites devant la cour ;

- à supposer l'existence d'une faute dans le geste opératoire, elle n'a pu être à l'origine que d'un taux de perte de chance qui ne saurait excéder 10 %, compte tenu de l'état de santé de Mme C... qui était déjà très dégradé ;

- le rejet de la greffe réalisée en 2006 est le principal responsable de l'évolution de l'état de santé de Mme C... vers une insuffisance rénale terminale, et l'expert n'a pas indiqué l'état probable de l'intéressée en l'absence de réalisation de la biopsie litigieuse ;

- la biopsie pratiquée était impérieusement requise pour la prise en charge de Mme C... car il s'agit du seul examen permettant d'identifier le degré de rejet de la greffe par l'organisme et de poser l'indication opératoire d'une exérèse du greffon ;

- la demande de Mme C... ne pourra qu'être rejetée en ce qu'elle concerne un déficit fonctionnel temporaire antérieur à la biopsie du 10 août 2010, un préjudice d'incidence professionnelle, de l'assistance par tierce personne, un préjudice sexuel, un préjudice d'agrément et un préjudice esthétique ; les indemnités demandées au titre des souffrances endurées et du déficit fonctionnel permanent devront être réduites à de plus justes proportions, étant retenu que le déficit fonctionnel permanent imputable à la complication, qui n'a pas pour objet d'évaluer l'incidence du dommage sur la vie professionnelle de Mme C..., ne saurait excéder 25 % ;

- la CPAM ne justifie pas de l'imputabilité de sa créance aux conséquences des fautes qu'il aurait commises.

Par des mémoires, enregistrés le 24 décembre 2020 et le 17 février 2021, l'ONIAM, représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête de Mme C... et à sa mise hors de cause.

Il soutient que :

- le CHU de Bordeaux a commis une faute lors de la réalisation de la ponction biopsie du 12 août 2010, laquelle est exclusive de la possibilité d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale ; cette biopsie aurait dû être pratiquée avec un guidage échographique en temps réel, technique qui permet de minorer le risque de complication, notamment le risque de complication hémorragique qui s'est réalisé ;

- la condition d'anormalité du dommage n'est pas remplie ; le Conseil d'Etat n'a d'ailleurs pas annulé l'arrêt de la cour, qui est devenu définitif sur ce point, en tant qu'il avait écarté l'existence de conséquences notablement plus graves que celles auxquelles Mme C... était exposée de manière suffisamment probable en l'absence de traitement ; en l'absence de la biopsie litigieuse, l'évolution de l'état de santé de Mme C... aurait abouti à la même dégradation de sa fonction rénale ;

- le risque de survenue d'une hémorragie qui s'est réalisé ne présentait pas une faible probabilité, ainsi qu'il ressort de la littérature médicale qu'il produit.

Par des mémoires, enregistrés le 29 janvier 2021 et le 18 février 2021, Mme C..., représentée par Me J..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 28 juin 2016 ;

2°) à titre principal, de condamner le CHU de Bordeaux à lui verser la somme de 301 168,88 euros en réparation de ses préjudices, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 janvier 2014 ;

3°) à titre subsidiaire, de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 291 168,88 euros, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 janvier 2014 ;

4°) à titre infiniment subsidiaire, d'ordonner un complément d'expertise médicale afin d'éclairer la cour sur l'existence, d'une part, d'une faute commise par le CHU de Bordeaux et, d'autre part, de conséquences anormales de l'acte de soin et d'un état de vulnérabilité antérieur susceptible d'avoir eu une incidence sur le dommage ;

5°) de mettre à la charge du CHU de Bordeaux la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- il résulte des termes de l'arrêt du Conseil d'Etat du 9 octobre 2018 que la faute commise par le CHU de Bordeaux lors de la réalisation de la biopsie le 10 août 2010 ne peut qu'être regardée comme établie ;

- le CHU a commis une faute en faisant réaliser la biopsie par un interne qui n'a pas procédé à un contrôle, nécessaire pour une patiente ayant déjà subi deux transplantations rénales, par la sonde d'échographie au moment de la ponction ; ces fautes sont directement à l'origine de son préjudice ; une expertise médicale pourrait être ordonnée par la cour si elle désire être davantage éclairée sur ce point ;

- l'étude critique produite par le CHU ne suffit pas à établir que la technique de contrôle utilisée pour réaliser la biopsie n'était pas fautive ;

- la biopsie pratiquée n'était pas urgente et elle n'a pas été informée des risques qui lui étaient inhérents par le CHU ;

- à titre subsidiaire, les conditions d'une indemnisation par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale sont réunies ; son dommage, qui présentait une probabilité très faible, est bien anormal au vu des nombreuses années dont elle aurait normalement pu bénéficier sans avoir à effectuer des dialyses quotidiennes ; à titre infiniment subsidiaire, une expertise médicale pourrait être ordonnée par la cour si elle désire être davantage éclairée sur ce point ;

- ses préjudices seront indemnisés par le versement des sommes suivantes, après application d'une perte de chance de 80 % :

o 10 948 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire pour lequel il n'y a pas lieu d'exclure la période de janvier à août 2010 ;

o 104 400 euros titre de son déficit fonctionnel permanent de 50 %, dont le CHU n'avait pas contesté l'évaluation devant l'expert, et de ses troubles dans les conditions d'existence ;

o 24 000 euros au titre de l'incidence professionnelle ;

o 64 000 euros au titre des souffrances endurées, tant physiques que morales, du fait de l'angoisse de mort en réanimation et de la renonciation à un projet immobilier avec son concubin ;

o 8 000 euros au titre du préjudice esthétique ;

o 8 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;

o 24 000 euros au titre du préjudice sexuel ;

o 920 euros au titre des frais d'assistance à l'expertise ;

o 46 900,88 euros au titre de l'assistance par une tierce personne.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,

- les conclusions de Mme Beuve Dupuy, rapporteure publique,

- et les observations de Me E..., représentant C..., et de Me I..., représentant l'ONIAM.

Considérant ce qui suit :

1. En 1999, Mme C..., qui était alors âgée de 16 ans, a bénéficié d'une première greffe de rein au centre hospitalier universitaire de Nantes. Le 12 juillet 2006, après un rejet du greffon, elle a subi une seconde transplantation rénale au CHU de Bordeaux. Du mois de décembre 2009 jusqu'au mois d'août 2010, elle a souffert de migraines à répétition provoquant des vomissements et la conduisant à se présenter aux urgences de ce dernier établissement de santé à plusieurs reprises. Le 12 août 2010, Mme C... a subi, au sein du CHU de Bordeaux, une ponction biopsie rénale révélant un rejet aigu cellulaire et humoral. Elle a immédiatement souffert de violentes douleurs abdominales, et un scanner a ensuite révélé l'existence d'un volumineux hématome compressif du greffon, qui a nécessité une transfusion de culots globulaires et une intervention de drainage réalisée le 28 septembre 2010. L'intéressée est restée atteinte d'une insuffisance rénale terminale nécessitant une hémodialyse quotidienne. Mme C... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux d'une demande d'expertise médicale. Par une ordonnance du 29 juin 2012, le juge des référés a fait droit à sa demande. Le rapport du néphrologue a été déposé le 2 avril 2013. Par un jugement du 28 juin 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté les demandes de Mme C... et de la CPAM de la Gironde dirigées contre le CHU de Bordeaux. Par un arrêt du 9 octobre 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de Mme C... et de la CPAM de la Gironde, condamné le CHU de Bordeaux à verser à Mme C..., du fait d'un défaut d'information, la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice d'impréparation, et a rejeté le surplus des conclusions des parties. Mme C... s'est pourvue en cassation contre cet arrêt et par une décision n° 426125 du 28 septembre 2020, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour du 9 octobre 2018 en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa requête, et renvoyé dans cette mesure l'affaire devant la cour administrative de Bordeaux.

Sur la responsabilité du CHU de Bordeaux à l'égard de Mme C... :

2. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ". Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.

3. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.

4. Par l'arrêt du 9 octobre 2018, la cour administrative d'appel de Bordeaux a retenu que le CHU de Bordeaux n'apportait pas la preuve qui lui incombait de l'information de Mme C... sur les risques connus d'une biopsie et a condamné cet établissement de santé à lui verser la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice d'impréparation. Le Conseil d'Etat, par sa décision du 28 septembre 2020, a annulé cet arrêt qu'en tant qu'il avait rejeté le surplus des conclusions de Mme C.... Par suite, l'arrêt de la cour du 9 octobre 2018 est devenu définitif en tant qu'il se prononce sur la réparation du préjudice d'impréparation de la requérante et en tant qu'il retient l'existence d'un défaut d'information, motif qui est le support nécessaire de l'article du dispositif prononçant cette condamnation.

5. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'expertise ordonnée en référé, que la biopsie réalisée le 12 août 2010 était médicalement justifiée et indispensable pour caractériser un éventuel rejet du greffon rénal, aux conséquences d'une extrême gravité. Dans ces conditions, au vu de l'état de santé de Mme C... qui imposait la réalisation d'un tel acte de diagnostic, il résulte de l'instruction que l'intéressée aurait consenti à la réalisation de cet acte si elle avait été informée de la nature et de l'importance du risque d'hématome compressif. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont écarté l'existence d'une perte de chance de se soustraire au risque s'étant réalisé en renonçant à la biopsie et, par suite, la responsabilité du CHU de Bordeaux à ce titre.

6. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ".

7. L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 9 octobre 2018 a été annulé en tant qu'il avait rejeté le surplus des conclusions de Mme C..., au motif que la cour avait indiqué trouver dans le rapport d'expertise des conclusions et informations qui n'y figuraient pas. Mme C... n'est ainsi pas fondée à soutenir qu'il résulterait des termes de la décision du Conseil d'Etat du 28 septembre 2020 que certaines des fautes du CHU de Bordeaux dont elle s'était prévalue dans ses écritures devraient être regardées comme définitivement retenues par ces décisions.

8. Mme C... soutient, tout d'abord, que le service des urgences du CHU de Bordeaux a commis une faute en ne tirant pas les conséquences des vomissements ayant justifié ses nombreuses venues entre le mois de janvier et le mois de juillet 2010, et en s'abstenant d'en informer le service des transplantations. Il résulte en effet de l'expertise que " les conséquences possibles des vomissements, entraînant une interruption du traitement antirejet, n'ont pas été prises en compte " et l'expert a relevé " l'absence de communication entre le service des urgences et le service de transplantation rénale ". L'expert a également indiqué que, bien que le service des urgences ait à chaque venue de Mme C... contrôlé son taux de créatininémie, qui permet de refléter l'état de la fonction rénale, et constaté l'absence d'évolution significative, il peut exister une discordance et notamment un délai de retentissement entre la fonction rénale ainsi mesurée et les lésions rénales effectives, la biopsie étant alors " l'examen de référence pour affirmer, caractériser et évaluer l'intensité d'un rejet ". Mme C... produit, en outre, une synthèse des recommandations professionnelles émises par la Haute autorité de santé en novembre 2007 s'agissant du " suivi ambulatoire de l'adulte transplanté rénal au-delà de 3 mois après transplantation ", desquelles il ressort que l'existence de vomissements empêchant la prise du traitement immunosuppresseur, tels ceux dont a souffert Mme C..., est une circonstance justifiant, pour le médecin concerné, de prendre contact avec le médecin référent du centre de transplantation, voire d'adresser directement le patient à ce centre. Dans ces conditions, la requérante est fondée à soutenir que le CHU de Bordeaux a commis une faute en n'assurant pas la transmission des informations nécessaires à sa prise en charge optimale entre le service des urgences et le centre des transplantations.

9. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'entre elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision ". Il appartient au demandeur qui engage une action en responsabilité à l'encontre de l'administration d'apporter tous éléments de nature à établir devant le juge l'existence d'une faute et la réalité du préjudice subi. Il incombe alors, en principe, au juge de statuer au vu des pièces du dossier, le cas échéant après avoir demandé aux parties les éléments complémentaires qu'il juge nécessaires à son appréciation. Il ne lui revient d'ordonner une expertise que lorsqu'il n'est pas en mesure de se prononcer au vu des pièces et éléments qu'il a recueillis et que l'expertise présente ainsi un caractère utile.

10. Il résulte du rapport d'expertise que la biopsie litigieuse a été réalisée par un interne après un repérage préalable par échographie, mais sans contrôle d'échographie en temps réel au moment de la ponction. Si la littérature médicale produite par les parties au dossier permet d'établir que la réalisation de la ponction sous guidage échographique en temps réel eût été préférable, particulièrement dans le cas de Mme C... qui avait déjà bénéficié de deux transplantations rénales, elle ne permet pas pour autant d'en déduire le caractère nécessairement fautif, à la date de l'intervention, de la technique utilisée ni de déterminer si, dans les circonstances de l'espèce, la réalisation de ce geste par un interne caractérise un manquement du centre hospitalier.

11. L'état du dossier ne permet pas non plus à la cour d'apprécier l'importance de la chance que la faute retenue au point 8 a fait perdre à Mme C... de se soustraire au dommage qui s'est réalisé.

Sur l'indemnisation au titre de la solidarité nationale :

12. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " (...) Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. " Aux termes de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. / Présente également le caractère de gravité mentionné au II de l'article L. 1142-1 un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ayant entraîné, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 %. (...) ".

13. Il résulte des dispositions précitées que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit notamment être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement.

14. L'état du dossier ne permet pas à la cour d'apprécier si les conditions d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale sont remplies.

15. Il résulte de ce qui a été exposé aux points 10, 11 et 14 qu'il y a lieu, avant de statuer sur la requête de Mme C..., d'ordonner une expertise complémentaire aux fins et dans les conditions précisées dans le dispositif du présent arrêt.

DÉCIDE :

Article 1er : Il sera, avant de statuer sur la requête de Mme C..., procédé par un expert, désigné par la présidente de la cour administrative d'appel, à une expertise menée au contradictoire du CHU de Bordeaux et de l'ONIAM.

L'expert aura pour mission de :

1°) se faire communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de Mme C... et notamment, tous documents relatifs au suivi médical, aux actes de soins et aux diagnostics réalisés lors de sa prise en charge par le CHU de Bordeaux ; prendre connaissance du rapport d'expertise du Dr Fievet du 2 avril 2013 ; convoquer et entendre les parties ainsi que procéder à un examen médical de Mme C... ;

2°) décrire l'état de santé de Mme C... et ses perspectives d'évolution ;

3°) indiquer si la faute du centre hospitalier universitaire de Bordeaux retenue au point 8 du présent arrêt, soit l'absence de transmission par le service des urgences au centre de transplantation de l'information selon laquelle Mme C... souffrait de vomissements réguliers empêchant potentiellement la prise de son traitement immunodépresseur, a joué un rôle causal dans la survenue des complications hémorragiques intervenues à la suite de la biopsie rénale du 12 août 2019, en indiquant notamment si les vomissements empêchaient la prise ou l'efficacité du traitement immunosuppresseur, et si cette faute a été à l'origine d'une perte de chance d'éviter une évolution péjorative de sa pathologie, en particulier, l'insuffisance rénale terminale dont elle reste atteinte ; le cas échéant, quantifier cette perte de chance ;

4°) indiquer si, au vu de la littérature médicale disponible à l'époque et des spécificités de la situation de Mme C..., le recours à un simple repérage préalable par échographie avant la biopsie du 12 août 2010 peut être regardé comme conforme aux règles de l'art ; préciser si l'absence de guidage échographique en temps réel présente un caractère fautif ; le cas échéant, préciser en explicitant le processus clinique causal si une telle faute est à l'origine de la survenue d'un hématome compressif au décours de la biopsie rénale ou si elle doit être regardée comme à l'origine d'une perte de chance d'éviter sa survenue ; le cas échéant, quantifier ce taux de perte de chance ;

5°) indiquer si, compte tenu des spécificités de la situation de Mme C..., la réalisation de la biopsie percutanée nécessitait une compétence spécialisée réservant ce geste à un praticien hospitalier ou s'il pouvait être pratiqué par un interne ; le cas échéant, dire si une telle faute est à l'origine de la survenue d'un hématome compressif au décours de la biopsie rénale ou si elle doit être regardée comme à l'origine d'une perte de chance d'éviter sa survenue ; le cas échéant, quantifier ce taux de perte de chance ;

6°) indiquer si le dommage survenu, soit l'insuffisance rénale terminale dont reste atteinte Mme C..., est entièrement la conséquence directe des fautes évoquées aux points 3, 4 et 5 ci-dessus, ou si elles doivent être regardées comme à l'origine d'une perte de chance globale d'éviter l'aggravation de sa pathologie rénale ou de bénéficier d'une amélioration de son état de santé dont il appréciera le taux ;

7°) dans l'hypothèse où le dommage ne serait pas entièrement la conséquence des fautes commises par le CHU de Bordeaux et serait, pour partie au moins, imputable à un accident médical non fautif survenu lors de la biopsie réalisée le 12 août 2010, indiquer si l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles Mme C... était exposée de manière suffisamment probable en l'absence de réalisation de la biopsie ; préciser si, en l'absence de biopsie rénale, l'état de santé de Mme C... pouvait évoluer vers une insuffisance rénale terminale et évaluer dans quel délai ; préciser si, dans les conditions où la biopsie rénale a été accomplie, la survenance d'une insuffisance rénale terminale présentait une probabilité faible au regard des séries statistiques disponibles et des caractéristiques particulières de l'état de santé antérieur de Mme C... ; indiquer, le cas échéant, le surcroit d'incapacité ayant résulté pour Mme C... d'un accident médical non fautif, en fixant son taux d'incapacité avant la biopsie du 12 août 2010 et son taux d'incapacité après consolidation des conséquences de l'accident médical ; préciser la durée totale des arrêts de travail de Mme C... consécutifs à l'accident médical ; évaluer le taux du risque opératoire qui s'est, le cas échéant, réalisé en l'espèce, c'est-à-dire la probabilité de survenance d'un hématome de gravité comparable en raison de l'acte de soins en cause, eu égard aux séries statistiques disponibles et aux caractéristiques particulières de l'état de santé antérieur de Mme C... ;

8°) dire si l'état de Mme H... C... est consolidé ou s'il est susceptible d'amélioration ou de dégradation ; proposer, si possible, une date de consolidation de l'état de santé de l'intéressée ;

9°) de déterminer, dans les conditions fixées ci-dessous et sans imputer le taux de perte de chance éventuellement retenu, l'ensemble des préjudices résultant pour Mme C... des éventuels manquements précédemment relevés, à l'exception de tout état antérieur ou de toute cause étrangère ou pathologies intercurrentes :

a) préjudices patrimoniaux :

- préjudices patrimoniaux temporaires (avant consolidation) : dépenses de santé et frais divers, assistance d'une tierce personne dont la nature et le volume horaire effectifs seront précisés, pertes de gains professionnels au regard des arrêts et aménagements de travail ;

- préjudices patrimoniaux permanents (après consolidation) : dépenses de santé et frais divers, assistance d'une tierce personne dont la nature et le volume seront précisés, frais de logement et de véhicule adaptés, perte de gains professionnels futurs, incidence professionnelle ;

b) préjudices extra patrimoniaux :

- préjudices extra patrimoniaux temporaires (avant consolidation) : déficit fonctionnel temporaire, souffrances endurées, préjudice esthétique temporaire, en les évaluant sur une échelle de 1 à 7 ;

- préjudices extra patrimoniaux permanents (après consolidation) : déficit fonctionnel permanent, préjudice sexuel, préjudice d'agrément, préjudice esthétique permanent,;

10°) de donner à la cour tout autre élément d'information qu'il estimera utile.

Article 2 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. L'expert déposera son rapport au greffe de la cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par la présidente de la cour dans sa décision le désignant. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique.

Article 3 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H... C..., au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 4 mai 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

Mme B... F..., conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 mai 2021.

La rapporteure,

Kolia F...

La présidente,

Catherine Girault

La greffière,

Caroline Brunier

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX03251


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX03251
Date de la décision : 25/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Kolia GALLIER
Rapporteur public ?: Mme BEUVE-DUPUY
Avocat(s) : DE BOUSSAC-DI PACE

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-05-25;20bx03251 ?
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