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25/05/2021 | FRANCE | N°19BX00282

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 25 mai 2021, 19BX00282


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... E... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Etat à lui verser une somme de 30 000 euros, à parfaire, en réparation du préjudice moral résultant des conditions dans lesquelles la perquisition de son domicile a été réalisée le 26 novembre 2015.

Par un jugement n° 1701990 du 29 novembre 2018, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 janvier 2019, M. A... E..., représ

enté par Me F..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Po...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... E... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Etat à lui verser une somme de 30 000 euros, à parfaire, en réparation du préjudice moral résultant des conditions dans lesquelles la perquisition de son domicile a été réalisée le 26 novembre 2015.

Par un jugement n° 1701990 du 29 novembre 2018, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 janvier 2019, M. A... E..., représenté par Me F..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 29 novembre 2018 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros, somme à parfaire au jour de l'arrêt, en réparation des préjudices qu'il a subis du fait de la perquisition de son domicile le 26 novembre 2015 ;

3°) de prononcer l'exécution provisoire de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que " les entiers dépens ".

Il soutient que :

- il a subi un préjudice, déjà réparé, du fait de la copie illégale de l'ensemble des données informatiques de sa famille ; cette copie n'a été autorisée par aucun juge et a été réalisée en application de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, partiellement déclaré inconstitutionnel par une décision du Conseil constitutionnel n° 2016-536 QPC du 19 février 2016 ;

- la perquisition de son domicile par les forces de l'ordre a été exécutée dans des conditions fautives, portant une grave atteinte à sa dignité, qui engagent la responsabilité de l'Etat ;

- les modalités de la fouille corporelle qui lui a été imposée ainsi que le comportement des forces de l'ordre à l'égard de sa famille étaient disproportionnées compte tenu notamment de sa coopération ;

- les conditions de cette intervention et l'heure à laquelle elle s'est déroulée ont aussi porté une atteinte manifeste à sa réputation ;

- il a subi ainsi que son épouse, qui était alors en fin de grossesse, et ses enfants, un préjudice moral conséquent du fait de cette intervention, qui doit être indemnisé à hauteur de 30 000 euros ;

- il a également subi un préjudice matériel du fait des dégradations commises dans son logement ;

- la perquisition a porté une atteinte manifeste à sa vie privée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 janvier 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- il renvoie aux écritures de première instance du préfet de la Charente-Maritime ;

- l'Etat n'a pas commis de faute qui engagerait sa responsabilité ; le tribunal administratif de Poitiers a jugé, par une décision devenue définitive du 5 octobre 2016, que l'arrêté du 25 novembre 2015 ordonnant la réalisation de la perquisition administrative au domicile de M. A... E... n'était entaché ni d'erreur de fait, ni d'erreur d'appréciation ;

- aucune faute n'a par ailleurs été commise dans l'exécution de la perquisition ; M. A... E... ne rapporte pas la preuve que les forces de l'ordre auraient fait un usage disproportionné de la force et de la contrainte au cours de l'intervention ; le caractère nocturne de la perquisition était justifié par l'urgence et l'impossibilité de l'effectuer de jour ;

- la réalité des préjudices allégués par M. A... E... n'est pas établie ; l'intéressé n'est, en outre, pas recevable à demander l'indemnisation du préjudice résultant de la copie de ses données informatiques personnelles, qui a déjà été réparé en exécution du jugement du tribunal administratif de Poitiers du 5 octobre 2016 ; l'atteinte à sa vie privée, inévitable en cas de perquisition d'un domicile, était proportionnée au but poursuivi.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 ;

- la loi n° 2016-162 du 19 février 2016 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-536 QPC du 19 février 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B... D...,

- les conclusions de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 25 novembre 2015, le préfet de la Charente-Maritime a ordonné une perquisition au domicile de M. A... E..., qui a eu lieu le 26 novembre 2015 de 0h45 à 2h05. M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Poitiers l'annulation de cette décision ainsi que la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 5 000 euros en réparation de ses préjudices. Par un jugement du 5 octobre 2016, devenu définitif, le tribunal administratif de Poitiers a condamné l'Etat à verser à M. A... E... une somme de 500 euros en réparation du préjudice moral qu'il a subi du fait de la copie illégale de ses données informatiques personnelles par les services de police, et rejeté le surplus de ses conclusions. Postérieurement, M. A... E... a sollicité de l'Etat l'indemnisation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des conditions d'exécution de cette perquisition. Une décision implicite de rejet est née du silence gardé par l'administration sur cette demande. M. A... E... relève appel du jugement n° 1701990 du 29 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa requête tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral résultant des conditions dans lesquelles la perquisition de son domicile a été réalisée.

Sur la responsabilité de l'Etat :

2. Aux termes de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence applicable en l'espèce : " I. - Le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence peut, par une disposition expresse, conférer aux autorités administratives mentionnées à l'article 8 le pouvoir d'ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, sauf dans un lieu affecté à l'exercice d'un mandat parlementaire ou à l'activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes, lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. / La décision ordonnant une perquisition précise le lieu et le moment de la perquisition. Le procureur de la République territorialement compétent est informé sans délai de cette décision. La perquisition est conduite en présence d'un officier de police judiciaire territorialement compétent. Elle ne peut se dérouler qu'en présence de l'occupant ou, à défaut, de son représentant ou de deux témoins. (...) ".

3. Les conditions matérielles d'exécution des perquisitions sont susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat à l'égard des personnes concernées par les perquisitions. Ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, les conditions de mise en oeuvre des perquisitions ordonnées sur le fondement de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 doivent être justifiées et proportionnées aux raisons ayant motivé la mesure, dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence. En particulier, la perquisition d'un domicile de nuit doit être justifiée par l'urgence ou l'impossibilité de l'effectuer de jour. Sauf s'il existe des raisons sérieuses de penser que le ou les occupants du lieu sont susceptibles de réagir à la perquisition par un comportement dangereux ou de détruire ou dissimuler des éléments matériels, l'ouverture volontaire du lieu faisant l'objet de la perquisition doit être recherchée et il ne peut être fait usage de la force pour pénétrer dans le lieu qu'à défaut d'autre possibilité. Lors de la perquisition, il importe de veiller au respect de la dignité des personnes et de prêter une attention toute particulière à la situation des enfants mineurs qui seraient présents. L'usage de la force ou de la contrainte doit être strictement limité à ce qui est nécessaire au déroulement de l'opération et à la protection des personnes. Lors de la perquisition, les atteintes aux biens doivent être strictement proportionnées à la finalité de l'opération, aucune dégradation ne doit être commise qui ne serait justifiée par la recherche d'éléments en rapport avec l'objet de la perquisition.

4. Toute faute commise dans l'exécution des perquisitions ordonnées sur le fondement de la loi du 3 avril 1955 est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat. Il appartient au juge administratif, saisi d'une demande en ce sens, d'apprécier si une faute a été commise dans l'exécution d'une perquisition, au vu de l'ensemble des éléments débattus devant lui, en tenant compte du comportement des personnes présentes au moment de la perquisition et des difficultés de l'action administrative dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence. Les résultats de la perquisition sont par eux-mêmes dépourvus d'incidence sur la caractérisation d'une faute.

5. M. A... E... soutient que la perquisition de son domicile dans la nuit du 25 au 26 novembre 2015 s'est déroulée dans des conditions fautives qui engagent la responsabilité de l'Etat. Tout d'abord, il résulte de l'instruction que la perquisition a eu lieu entre 0h45 et 2h05 du matin, heure à laquelle M. A... E... indique qu'il était endormi ainsi que son épouse enceinte et ses deux enfants âgés de 3 et 1 ans. Le représentant de l'Etat justifie cependant par la production de coupures de presse que le quartier où M. A... E... et sa famille résident est particulièrement sensible et il indique que le choix d'une perquisition de nuit s'imposait afin d'éviter aux forces de l'ordre d'être la cible de troubles à l'ordre public au cours de l'intervention. Dans ces conditions, qui ne sont pas contredites par le requérant, il résulte de l'instruction que la perquisition de nuit du domicile de M. A... E... était justifiée par l'impossibilité de l'effectuer en plein jour, et l'heure tardive d'intervention des forces de l'ordre ne saurait être regardée comme constitutive d'une faute.

6. Ensuite, M. A... E... explique avoir été réveillé par de violents coups sur la porte d'entrée de son appartement et avoir subi une fouille au corps brutale et attentatoire à sa dignité lorsqu'il a ouvert la porte de son domicile. Toutefois, il est constant que les forces de l'ordre n'ont pas eu besoin de recourir à la force pour pénétrer dans l'appartement, dont M. A... E... a ouvert volontairement la porte, et il ne résulte pas du seul témoignage de ce dernier qu'elles auraient procédé à sa fouille corporelle dans des conditions de brutalité telles qu'elles seraient susceptibles de caractériser une faute. Si le requérant indique également que les forces de l'ordre ont essayé de lui faire signer, dès leur entrée dans l'appartement, un procès-verbal de perquisition vierge, cet élément n'est corroboré par aucune pièce au dossier.

7. M. A... E... souligne également le traumatisme qu'a constitué pour lui et sa famille l'intrusion de vingt hommes en armes et en civil, pour certains cagoulés, en pleine nuit dans son appartement, le fait d'avoir patienté, seul, vingt minutes dans sa cave froide et humide dans l'attente d'un technicien informatique, et indique que l'ensemble de leurs affaires, après avoir été vidé des placards, a été amoncelé au milieu des pièces. Il résulte néanmoins de l'instruction que de tels moyens étaient nécessaires et proportionnés à la finalité de l'opération.

8. Le requérant soutient, en outre, qu'après avoir constaté la présence de trente euros dans son portefeuille, l'un des policiers lui aurait conseillé de le garder près de lui, ce qu'il a interprété comme une mise en garde contre la possibilité d'un vol par l'un des agents déployés dans son appartement. Il indique également que les nombreux allers retours des forces de l'ordre entre la cage d'escalier et son appartement ont porté atteinte à sa réputation auprès de ses voisins et que des dégradations matérielles ont été commises dans son appartement, les policiers ayant fait tomber, sans la replacer, une tringle à rideau en sortant sur le balcon et l'un d'entre eux ayant posé ses pieds chaussés sur le lit conjugal pour patienter durant la copie des données de ses outils informatiques. Toutefois, la matérialité de tels faits n'est établie par aucun élément au dossier et aucune faute ne saurait, dans ces conditions, être regardée comme caractérisée.

9. Enfin, ainsi qu'il a été indiqué au point 4 ci-dessus, M. A... E... ne peut utilement soutenir que les conditions dans lesquelles la perquisition s'est déroulée ont été attentatoires à sa dignité dès lors qu'il n'a rien été trouvé de compromettant à son domicile, les résultats de la perquisition étant par eux-mêmes dépourvus d'incidence sur la caractérisation d'une faute.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'exécution provisoire de l'arrêt :

11. Les arrêts des cours administratives d'appel étant, par application des dispositions de l'article L. 11 du code de justice administrative, exécutoires de plein droit, les conclusions tendant à ce que soit prescrite l'exécution provisoire de la présente décision sont dépourvues d'objet et ne peuvent en tout état de cause qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

12. M. A... E... n'ayant pas exposé de dépens pour la présente instance, les conclusions qu'il présente tendant à ce que ceux-ci soient mis à la charge de l'Etat sont dépourvues d'objet et ne peuvent qu'être rejetées comme irrecevables.

13. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que demande M. A... E... au titre des frais exposés pour la présente instance soit mise à sa charge.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... E... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Charente-Maritime.

Délibéré après l'audience du 4 mai 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

Mme B... D..., conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 mai 2021.

La rapporteure,

Kolia D...

La présidente,

Catherine Girault

La greffière,

Caroline Brunier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

6

N° 19BX00282


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX00282
Date de la décision : 25/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Police - Aggravation exceptionnelle des pouvoirs de police - État d'urgence.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Services de police - Services de l'Etat - Intervention des forces de police.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Kolia GALLIER
Rapporteur public ?: Mme BEUVE-DUPUY
Avocat(s) : NOGUERAS

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-05-25;19bx00282 ?
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