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27/04/2021 | FRANCE | N°18BX03466

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 27 avril 2021, 18BX03466


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme Q... E..., M. B... E..., agissant tant en son nom propre qu'en qualité de représentant légal de son fils G... E..., M. H... E..., Mme F... E... et Mme N... E... agissant en qualité de représentant légal de sa fille Elora A..., ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à les indemniser de leurs préjudices personnels et, en leur qualité d'ayants-droit, de l'ag

gravation des préjudices subis par M. J... E... résultant de sa contaminat...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme Q... E..., M. B... E..., agissant tant en son nom propre qu'en qualité de représentant légal de son fils G... E..., M. H... E..., Mme F... E... et Mme N... E... agissant en qualité de représentant légal de sa fille Elora A..., ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à les indemniser de leurs préjudices personnels et, en leur qualité d'ayants-droit, de l'aggravation des préjudices subis par M. J... E... résultant de sa contamination par le virus de l'hépatite C.

Par un jugement avant-dire droit du 25 novembre 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a ordonné une expertise aux fins de l'éclairer, en particulier, sur les causes du décès de M. J... E..., sur l'évolution de son état lié à son infection par le VHC du 19 novembre 1997 jusqu'à son décès et sur les divers préjudices en lien direct avec l'aggravation de son état du fait de sa contamination par le VHC.

Par un jugement n° 1502452 du 17 juillet 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné l'ONIAM à verser une somme de 29 221,43 euros aux ayants-droit de M. J... E..., une somme de 104 497,31 euros à Mme Q... E..., une somme de 16 000 euros chacun à M. H... E..., Mme F... E... et M. B... E..., une somme de 2 400 euros à M. B... E... en sa qualité de représentant légal de Nathan E..., a mis à la charge de l'ONIAM les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 640,24 euros, ainsi qu'une somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions de la requête des consorts E....

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 17 septembre 2018, 5 janvier 2020 et 29 janvier 2021, l'ONIAM, représenté par Me M..., demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du 17 juillet 2018 du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il l'a condamné à verser une somme de 76.357,53 euros au titre du préjudice économique de Mme Q... E... ;

2°) de rejeter la demande de Mme Q... E... devant le tribunal administratif tendant à la réparation de son préjudice économique ;

3°) de rejeter les conclusions d'appel incident des consorts E....

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont alloué à Mme E... une somme de 76 357,53 euros en réparation du préjudice économique invoqué ; la production du seul avis d'imposition de l'année 2012 ne permet pas de connaître la situation économique du foyer avant le décès de M. E... ; de même, la seule production de l'avis d'imposition de l'année 2014, année de transition à la suite du décès de M. E... et correspondant au départ en retraite de Mme E..., ne permet pas d'avoir une image fidèle des revenus propres de Mme E..., ni encore de connaître le montant des pensions de réversion qui lui ont été versées ; la baisse de revenus liée à la mise à la retraite de Mme E... n'est pas imputable au décès de M. E... et c'est à tort que le tribunal n'en a pas tenu compte ; la preuve que deux des trois enfants de Mme E... étaient à la charge de leurs parents n'étant pas rapportée, la part d'autoconsommation a été incorrectement évaluée ; le tribunal a commis une erreur en capitalisant le préjudice économique à compter des 59 ans de Mme E..., soit à la date du décès de son époux, et cette erreur conduit à une double indemnisation du préjudice économique pour la période allant du décès de M. E... au jugement ; compte tenu de la différence d'âge de dix ans entre M. et Mme E..., il convenait de retenir le taux d'euro de rente viagère de M. E..., afin de tenir compte de son espérance de vie ; la table d'indemnisation de son référentiel est plus pertinente que les tables de capitalisation de la Gazette du Palais ;

- le tribunal a retenu à juste titre que l'évolution de l'état de M. E... était imputable à hauteur de 80 % à sa contamination par le VHC et à hauteur de 20 % à son état antérieur ;

- le tribunal a fait une exacte évaluation des autres préjudices subis par les consorts E..., et aucun élément nouveau n'est apporté sur le préjudice qu'aurait subi Elora A... en l'absence de preuve sur les liens qu'elle aurait noués avec M. E....

Par des mémoires en défense enregistrés les 12 décembre 2018, 6 janvier, 23 octobre, 10 novembre 2020 et 29 janvier 2021, Mme Q... E..., M. B... E..., agissant tant en son nom propre qu'en qualité de représentant légal de Nathan E..., M. H... E..., Mme F... E... et Mme N... E..., agissant en qualité de représentante légale d'Elora A..., concluent au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'ONIAM des dépens et d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et demandent à la cour, par la voie de l'appel incident :

- de porter l'indemnisation allouée par le tribunal à la succession de M. J... E..., en réparation des préjudices subis par ce dernier, à un montant total de 233 183,92 euros ;

- de condamner l'ONIAM à verser à Mme Q... E... en réparation des préjudices qu'elle a personnellement subis une somme de 303 465,31 euros ;

- de porter l'indemnisation allouée par le tribunal à M. H... E..., M. B... E... et Mme F... E... en réparation des préjudices qu'ils ont personnellement subis de 16 000 à 24 000 euros chacun ;

- de porter l'indemnisation allouée par le tribunal à M. B... E..., en sa qualité de représentant légal de son fils mineur G... E..., en réparation du préjudice qu'il a personnellement subi au montant de 8 000 euros ;

- d'annuler le jugement en tant qu'il a rejeté la demande de condamnation de l'ONIAM à indemniser Mme C... A..., et de condamner l'ONIAM à verser à cette dernière une somme de 8 000 euros en réparation du préjudice qu'elle a personnellement subi.

Ils soutiennent que :

- le tribunal a fait une insuffisante évaluation des préjudices subis par M. J... E... du fait de l'aggravation de son état, après application du taux de perte de chance de 80 % retenu par l'expert ; son déficit fonctionnel temporaire, total durant ses hospitalisations et évalué à 10 % du 19 novembre 1997 au 29 septembre 2005, à 25 % du 30 septembre 2005 au 3 avril 2007 et du 5 avril 2007 au 7 mars 2012, à 50 % du 8 mars au 15 mai 2012, du 17 mai 2012 au 5 février 2013, du 7 février au 12 juin 2013, du 25 juin au 1er juillet 2013 et du 3 au 6 juillet 2013, doit être réparé par le versement d'une indemnité de 21 856,32 euros sur la base de 30 euros par jour de déficit total ; son préjudice esthétique, lié à l'apparition, en janvier 2013, d'une ascite, doit être évalué à 2 400 euros ; sa fatigue intense l'ayant contraint à réduire toutes ses activités, il a subi un préjudice d'agrément, en réparation duquel une somme de 4 000 euros doit être allouée à ses ayants-droit ; il a subi, du fait de sa crainte de contaminer son épouse, un préjudice sexuel qui doit être évalué à 8 000 euros ; son besoin d'assistance par tierce personne, qui doit être évalué sur la base d'un coût horaire de 25 euros pour l'infirmière et 21 euros pour la famille, à raison de respectivement 2 et 3 heures par semaine, a été insuffisamment indemnisé par le tribunal ; une somme de 6 927,60 euros doit être allouée à ses ayants-droit en réparation de ce préjudice ; les souffrances endurées, évaluées à 5/7 par l'expert et qui ont persisté pendant plusieurs années, ont présenté un caractère exceptionnel et doivent être évaluées à 70 000 euros ; son préjudice spécifique de contamination, qui s'est aggravé selon l'expert, doit être évalué à 120 000 euros ;

- Mme Q... E..., dont la vie de couple a été affectée par la contamination de son époux, qui a subi l'angoisse de voir son époux souffrir et décliner, et l'a accompagné dans toutes les étapes de sa maladie, a subi un préjudice d'affection et un préjudice d'accompagnement qui doivent être évalués après prise en compte de la perte de chance à la somme totale de 50 000 euros ;

- son préjudice économique est établi ; elle justifie du montant des revenus du foyer et de ce que deux enfants étaient à sa charge avant et après le décès de son époux ; la perte annuelle du foyer doit être évaluée à 15 107,15 euros ; le préjudice futur doit être fixé sur la base de l'euro de rente viagère pour un homme âgé de 77 ans, âge que M. E... aurait eu le 23 octobre 2020 ; le préjudice économique doit ainsi être évalué, après prise en compte du taux de perte de chance, à 209 328,61 euros ; Mme E... n'aurait pas demandé sa retraite dès l'âge de 59 ans si cela n'avait été pour s'occuper de son époux malade, de sorte qu'il ne saurait être tenu compte de la diminution de revenus liée à cette mise à la retraite à l'âge de 60 ans ; elle a en outre subi une perte d'industrie, correspondant aux frais supplémentaires engendrés par la cessation de tâches domestiques par son époux, qui doit être évaluée sur la base de 21 euros par heure, à raison de 3 heures par semaine, soit un montant de 44 136,70 après capitalisation du préjudice futur et prise en compte de la perte de chance ;

- le préjudice d'affection de M. H... E..., M. B... E... et Mme F... E..., qui étaient présents aux côtés de leur père et ont vécu dans l'angoisse de voir son état s'aggraver, justifie l'allocation de 24 000 euros à chacun après application du taux de perte de chance de 80 % ;

- Nathan E..., petit-fils de M. J... E..., et Elora A..., qui a toujours considéré M. J... E... comme son grand-père, ont subi un préjudice d'affection qui doit être indemnisé à 8 000 euros pour chacun.

Par un mémoire enregistré le 22 octobre 2018, la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde a indiqué qu'elle n'entendait pas intervenir dans cette instance.

Les parties ont été informées par un courrier du 10 novembre 2020 de ce que la cour était susceptible de soulever d'office un moyen d'ordre public en application de l'article R. 621-7 du code de justice administrative.

Par un mémoire enregistré le 13 novembre 2020, les consorts E... ont présenté des observations sur ce courrier.

Ils font valoir que l'appel principal et leurs appels incidents ne soulèvent pas un litige distinct, s'agissant des conséquences dommageables d'un même fait générateur, la contamination transfusionnelle de M. E... par le VHC.

Par une ordonnance du 29 janvier 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 26 février 2021 à 12 heures.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative et le décret n°2020-1406 du 18 novembre 2020.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme O... L...,

- les conclusions de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, rapporteure publique,

- et les observations de Me P..., représentant les consorts E....

Considérant ce qui suit :

1. M. J... E..., né le 4 août 1943, a subi le 24 juillet 1984 une embolectomie, intervention au cours de laquelle il a reçu trois concentrés globulaires et un plasma. En 1992, il a découvert qu'il était porteur du virus de l'hépatite C (VHC). Par un jugement du 19 mars 2003, le tribunal de grande instance de Bordeaux a estimé que cette contamination par le VHC avait pour origine la transfusion de produits sanguins réalisée au cours de l'intervention du 24 juillet 1984 et a condamné l'Etablissement Français du Sang Aquitaine Limousin à verser une somme de 86 100 euros à M. J... E... en réparation de son dommage corporel et à payer une somme de 27 801,33 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde au titre de ses débours. M. J... E... est décédé le 8 juillet 2013 des suites d'un carcinome hépatocellulaire. Estimant que son décès trouvait son origine dans l'aggravation du dommage corporel lié à sa contamination par le VHC, Mme Q... E..., son épouse, M. B... E..., son fils, agissant tant en son nom propre qu'en qualité de représentant légal de Nathan E..., M. H... E..., son fils, Mme F... E..., sa fille, et Mme N... E..., sa belle-fille, agissant en qualité de représentant légal de sa fille Elora A..., ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'ONIAM à les indemniser de leurs préjudices personnels et, en leur qualité d'ayants-droit, de l'aggravation des préjudices subis par M. J... E... résultant de sa contamination par le VHC.

2. Par un jugement avant-dire droit du 25 novembre 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a ordonné une expertise aux fins de l'éclairer, en particulier, sur les causes du décès de M. J... E..., sur l'évolution de son état liée à son infection par le VHC du 19 novembre 1997 jusqu'à son décès, et sur les divers préjudices en lien direct avec l'aggravation de son état du fait de sa contamination par le VHC. Le rapport d'expertise a été déposé le 27 juin 2017. Par un jugement du 17 juillet 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a estimé que le dommage corporel de M. J... E... lié à sa contamination transfusionnelle par le VHC s'était aggravé depuis le jugement du 19 mars 2003 du tribunal de grande instance de Bordeaux. Il a ensuite considéré qu'eu égard à l'état antérieur de l'intéressé, qui présentait un surpoids et un diabète de type II, cette contamination était à l'origine d'une perte de chance d'éviter le décès et, par suite, les préjudices dont la réparation était demandée, et a fixé le taux de cette perte de chance à 80 %. Le tribunal a enfin condamné l'ONIAM à verser une somme de 29 221,43 euros aux ayants-droit de M. J... E..., une somme de 104 497,31 euros à Mme Q... E..., une somme de 16 000 euros chacun à M. H... E..., Mme F... E... et M. B... E... et une somme de 2 400 euros à M. B... E... en sa qualité de représentant légal de Nathan E..., a mis à la charge de l'ONIAM les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 640,24 euros, ainsi qu'une somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions de la requête des consorts E.... L'ONIAM relève appel de ce jugement en tant qu'il l'a condamné à verser une somme de 104 497,31 euros à Mme Q... E... en réparation des préjudices propres subis par cette dernière. Par la voie de l'appel incident, les consorts E... font appel de ce jugement en ce qu'il a limité les indemnisations qui leur ont été allouées, à titre personnel et en qualité d'ayants-droit de M. J... E....

Sur la recevabilité des conclusions d'appel incident des consorts E... :

3. Les conclusions, présentées par la voie de l'appel incident par les consorts E..., tendant à la réformation du jugement en ce qu'il a statué sur le droit à indemnisation des ayants-droits de M. J... E..., en réparation des préjudices subis par ce dernier, et sur le droit à réparation des préjudices personnellement subis par M. B... E..., M. H... E..., Mme F... E..., M. G... E... et Mme C... A..., soulèvent un litige distinct de l'appel principal de l'ONIAM, qui ne porte que sur l'indemnisation allouée par le tribunal en réparation des préjudices personnellement subis par Mme Q... E.... Ces conclusions ayant été présentées après l'expiration du délai d'appel, elles sont irrecevables.

Sur l'appel principal de l'ONIAM et l'appel incident de Mme Q... E... relatifs aux préjudices qu'elle a personnellement subis:

4. Aux termes de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique : " (...) Dans leur demande d'indemnisation, les victimes (...) justifient de l'atteinte par le virus de l'hépatite (...) et des transfusions de produits sanguins (...). L'office recherche les circonstances de la contamination. S'agissant des contaminations par le virus de l'hépatite C, cette recherche est réalisée notamment dans les conditions prévues à l'article 102 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Il procède à toute investigation sans que puisse lui être opposé le secret professionnel. / L'offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis du fait de la contamination est faite à la victime (...). / La victime dispose du droit d'action en justice contre l'office si sa demande d'indemnisation a été rejetée (...) ".

5. L'ONIAM, qui ne conteste pas le principe de la réparation en application des dispositions précitées, fait appel du jugement en tant qu'il l'a condamné à verser à Mme E... une somme de 104 497,31 euros, qu'il estime excessive. Cette dernière demande à la cour, par la voie de l'appel incident, la réformation du jugement en ce qu'il a limité l'indemnisation allouée en réparation de ses préjudices propres à la somme ci-dessus mentionnée, qu'elle considère insuffisante. La perte de chance, imputable à la contamination par le VHC, d'échapper au décès de M. J... E..., évaluée par les premiers juges à 80 %, n'est pas contestée par les parties.

6. En premier lieu, les parties ne critiquent pas le jugement en ce qu'il a condamné l'ONIAM à verser à Mme E... une somme de 4 139,78 euros en réparation du préjudice lié aux frais d'obsèques et de sépulture de son époux.

7. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que Mme E... a été aux côtés de son époux du jour de la constatation de sa contamination par le VHC, en 1992, jusqu'à son décès, survenu le 8 juillet 2013, et en particulier durant les périodes de traitement par Interféron et Ribavirine, qui ont entraîné d'importants effets secondaires pour son époux sans pour autant permettre d'obtenir sa guérison, puis au cours de la période allant de mai 2012 au 8 juillet 2013, durant laquelle il a souffert d'un cancer du foie. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice d'accompagnement subi par Mme E... à raison de la dégradation de l'état de santé de son époux du fait de sa contamination par le VHC, qui a bouleversé le mode de vie au quotidien du couple, en l'évaluant à 10 000 euros. Il convient ainsi de fixer, après application du taux de perte de chance de 80 %, la réparation de de ce préjudice à 8 000 euros.

8. En troisième lieu, il sera fait une juste appréciation du préjudice d'affection subi par Mme E... du fait du décès de son époux en l'évaluant à la somme de 25 000 euros, et, compte tenu du taux de perte de chance de 80 %, en fixant la réparation à ce titre à 20 000 euros.

9. En quatrième lieu, Mme E... demande à la cour de l'indemniser du préjudice lié à la réalisation, par elle seule, des travaux d'entretien de son domicile, en faisant valoir que si son époux n'était pas décédé, il aurait réalisé lui-même, pour partie, ces travaux. Elle ne produit cependant aucun élément de nature à établir que de tels travaux auraient été pris en charge par M. E..., et ne démontre ainsi pas la réalité du préjudice invoqué.

10. En dernier lieu, le préjudice économique subi par une personne du fait du décès de son conjoint est constitué par la perte des revenus de la victime qui étaient affectés à son entretien, compte tenu, le cas échéant, de ses propres revenus et déduction faite des prestations reçues en compensation. Le préjudice est établi par référence à un pourcentage des revenus de la victime affectés à l'entretien de la famille.

11. Il résulte de l'avis d'imposition sur les revenus de 2012, année précédant celle du décès de M. J... E..., que le revenu annuel du foyer, alors constitué des salaires de Mme E... et des pensions de retraite de M. E..., s'élevait à 48 350 euros. Si Mme E... a établi une attestation aux termes de laquelle deux de leurs enfants, M. H... E... et Mme F... E..., vivaient encore à leur domicile, ce seul document ne permet pas d'établir que ces derniers, âgés respectivement de 27 ans et 22 ans, étaient toujours financièrement à leur charge. Il résulte au demeurant de l'avis d'impôt sur le revenu ci-dessus mentionné que leurs enfants n'étaient plus rattachés au foyer fiscal de leurs parents, et ces derniers n'ont pas davantage déclaré leur verser une pension alimentaire. En outre, les pièces versées au dossier, d'une part, montrent que Mme F... E..., si elle vivait au domicile de ses parents, occupait un emploi à temps complet lui procurant des revenus, d'autre part, ne permettent pas d'établir le lieu de résidence de M. H... E... ni ses conditions de revenus avant le décès de son père. Dans ces conditions, la fraction de revenus correspondant à la part de consommation de M. E... doit être fixée à 40 %. [0]

12. Il résulte ensuite de l'avis d'imposition sur les revenus de l'année 2014, soit l'année suivant celle du décès de M. E... à l'âge de 70 ans, que les revenus de Mme E... se sont élevés à 25 988 euros, dont 94 euros tirés de salaires et 25 894 euros provenant de pensions de retraite. Au titre de l'année 2015, il résulte de l'avis d'imposition produit en appel par Mme E... que ses revenus, exclusivement constitués de pensions de retraite, se sont élevés à 27 026 euros. Si l'ONIAM fait valoir à juste titre qu'il y a lieu de tenir compte des pensions de réversion versées à Mme E... à la suite du décès de son époux, de telles pensions, qui sont soumises à l'impôt sur le revenu, doivent être regardées comme comprises dans les pensions de retraite déclarées par Mme E... au titre des années 2014 et 2015, ce qui est corroboré par les dernières pièces versées au dossier dont il ressort que la pension propre de Mme E... s'élève à 1 778,55 euros mensuels, soit 21 342,60 euros annuellement, et que la pension de réversion AGIRC est de 58 euros par trimestre, soit 232 euros annuels, celle de l'ARRCO de 790,45 euros par trimestre, soit 3 161,80 euros par an, et celle de la caisse des retraites des marins de 156 euros par mois, soit 1 872 euros annuellement. En outre, Mme E... a perçu en 2013 une réversion de la pension complémentaire souscrite par son mari auprès de la Mutuelle Réunica à hauteur de 858 euros pour environ six mois.

13. La circonstance que Mme E..., qui venait d'atteindre l'âge de 60 ans, a pris sa retraite au 1er novembre 2013 doit conduire à calculer son éventuelle perte de revenus d'une part pour la période du 8 juillet, date du décès de son mari, au 1er novembre 2013, par référence aux revenus du foyer l'année précédente et d'autre part, pour la période postérieure à sa retraite, en se référant aux revenus que le foyer aurait perçus en l'absence du décès de son mari.

14. S'agissant de la première période, l'application du taux de 40 % de consommation personnelle de M. E... aux revenus du foyer de 48 350 euros tels qu'évoqués au point 11 laisse un solde disponible de 29 010 euros dont il y a lieu de déduire les revenus de Mme E... à hauteur de 28 035 euros, ce qui fait apparaitre une perte annuelle potentielle de 975 euros, soit 81,25 euros mensuels. Toutefois Mme E... reconnait qu'elle a perçu des pensions de réversion pour un montant mensuel de 438,88 euros, et ne justifie donc pas d'une perte de revenus pour cette période.

15. S'agissant de la période postérieure à sa retraite, le revenu annuel de référence serait constitué des 20 315 euros de pension que touchait son mari, retraité depuis 2003, et des 19 763,40 euros de pension nette auxquels elle pouvait elle-même prétendre, pour un total de 40 078,40 euros. Il y a lieu d'en déduire la part d'autoconsommation qui aurait été celle de M. E... pour 40 %, soit 16 031,36 euros, ce qui laisse un solde de 24 047 euros à disposition du foyer, lequel est inférieur au total des revenus déclarés par Mme E... au titre de sa pension et des pensions de réversion de son époux au cours des années ultérieures, qui s'élevaient à 25 894 euros en 2015 et 27 026 euros en 2016, ce qui ne permet donc pas davantage de retenir une perte de revenus pour cette période.

16. Enfin, si l'intéressée fait valoir qu'elle aurait demandé sa retraite de manière anticipée à l'âge de 59 ans en raison de l'état de son époux, et qu'elle aurait poursuivi son activité s'il avait été en meilleure santé, aucun élément du dossier ne permet d'établir que la contamination de son époux par le VHC serait seule à l'origine d'un choix de retraite engendrant une perte de revenus d'activité pour elle.

17. Il résulte de ce qui précède que Mme E... ne justifie d'aucun préjudice économique indemnisable, et l'ONIAM est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a mis à sa charge une somme de 76 357,53 euros à ce titre.

18. Il résulte de tout ce qui précède que l'indemnisation allouée par le tribunal administratif à Mme E... en réparation de ses préjudices personnels doit être ramenée de 104 397,31 euros à 32 139,78 euros. Par suite, l'ONIAM est fondé à demander, dans cette mesure, la réformation du jugement attaqué, et Mme E... n'est pas fondée à demander, par la voie de l'appel incident, le rehaussement de la somme qui lui a été allouée en réparation de ses préjudices propres.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'ONIAM, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par les consorts E... et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La somme que l'ONIAM a été condamné à verser à Mme Q... E... en réparation de ses préjudices personnels est ramenée à 32 139,78 euros.

Article 2 : Le jugement n° 1502452 du 17 juillet 2018 du tribunal administratif de Bordeaux est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à Mme Q... I... veuve E..., à M. B... E..., à M. H... E..., à Mme F... E..., à Mme C... A... et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 23 mars 2021 à laquelle siégeaient :

Mme O... L..., présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

Mme D... K..., conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 avril 2021.

La présidente,

Catherine L...

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

3

N° 18BX03466


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX03466
Date de la décision : 27/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Catherine GIRAULT
Rapporteur public ?: Mme BEUVE-DUPUY
Avocat(s) : BJMR Avocats

Origine de la décision
Date de l'import : 11/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-04-27;18bx03466 ?
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